Obscurantisme officiel ou alternatif

18 novembre 2015

Jusqu’au début du XX° siècle, toutes les thérapies ont reposé sur l’empirisme et la subjectivité. Puis des médicaments comme l’insuline, les antibiotiques, l’héparine, et quelques autres, avec leurs supports théoriques parfaits et leurs preuves statistiques incontestables, ont permis de faire émerger une thérapeutique enfin académique. Créant ainsi une distinction durable entre la médecine dite « scientifique » et toutes les autres dites « alternatives » ou « parallèles », souvent associées au charlatanisme, à l’obscurantisme, voire à des dérives sectaires.

Mais si la « science biomédicale » a brillamment pénétré le domaine du diagnostic, elle a manifestement du mal à s’imposer dans le domaine du soin. Les cliniciens restent souvent perplexes devant l’écart entre les théories pharmacologiques et leurs résultats concrets ; particulièrement pour des pathologies dites « chroniques », des troubles fonctionnels, des cancers évolués, et  partout où les critères de jugement et les objectifs thérapeutiques sont difficiles à définir.

Il était plus facile hier de prouver l’efficacité de la pénicilline dans la syphilis que de prouver aujourd’hui l’action d’un hypocholestérolémiant, d’un antidépresseur ou d’une chimiothérapie sur la quantité/qualité de vie.

D’autant plus que  ces « nouvelles » pathologies n’ont parfois pas de réalité vécue par les patients eux-mêmes, ou qu’au contraire, leur réalité est tellement insupportable que les patients et leurs proches sont incapables de juger objectivement l’action médicale.

Il n’est pas besoin d’être expert en sciences humaines et sociales pour projeter ce que peut devenir un commerce où les critères de demande, de choix, et de satisfaction, reposent exclusivement sur la réflexion et les analyses du marchand.

Les experts attentifs évaluent à moins de 1%,  le pourcentage des publications médicales des plus prestigieuses revues dont la méthodologie est correcte et les résultats scientifiquement acceptables. Un tel laxisme dans l’industrie aéronautique ou la fabrication de chaussures provoquerait bien vite la grogne des consommateurs et la faillite.

Le commerce du soin diffère de tous les autres, les charlatans utilisent la suggestibilité des patients les plus influençables, les médecins ont l’affection des plus vulnérables, les obscurantistes ont la confiance des plus frustes. La science a réussi à mettre de l’ordre dans tout cela, mais seulement pour les maladies les plus « tangibles » et les morts les plus « précoces ».

Pour les maladies chroniques, telles que définies arbitrairement par la biomédecine, et pour la prévention hypothétique des dégénérescences liées à l’âge et à l’environnement, il semble préférable de ne faire confiance qu’à son hygiène de vie et à sa bonne nature.

Pour ceux qui, malgré tout, demandent un complément thérapeutique, le médecin a de plus en plus de mal à les conseiller entre l’obscurantisme officiel et les obscurantismes alternatifs.

Références

Les habits neufs de la délinquance

11 novembre 2015

Franz Joseph Gall, fondateur de la phrénologie, prétendait établir les traits de caractère et les facultés mentales des hommes par la forme et les reliefs de leur crâne. Les yeux exorbités, certainement repoussés par un important volume cérébral, signaient une intelligence supérieure. La « bosse des maths », tout aussi illusoire, subsiste dans le langage courant, comme ultime témoin de ces extravagances. Ce neuroanatomiste réputé utilisait brillamment les parures de la science pour habiller ses idées.

Quelques décennies plus tard, il inspira Cesare Lombroso. Ce médecin légiste du XIX° siècle est resté célèbre pour avoir écrit plusieurs thèses sur la physiologie héréditaire de la délinquance et la morphologie des criminels. Il prétendait pouvoir identifier les criminels par l’examen clinique au moyen de divers signes et symptômes établis par lui-même, tels que les tatouages et l’épilepsie.

Les épileptiques n’en étaient pas à leur première stigmatisation, puisqu’après avoir été des suppôts de Satan, ils devenaient des criminels-nés.

Malgré l’habillage scientifique de ses propos, Lombroso ne faisait que relater les impressions générales et grégaires d’un populisme récurrent. On pensait à cette époque que la majorité des facultés et comportements s’expliquaient par des diathèses héréditaires liées à la race et à l’appartenance sociale : violence, alcoolisme, intelligence ou même syphilis !

Dans les années 1960, la découverte d’un chromosome Y supplémentaire (syndrome 47,XYY) a promu le chromosome de la criminalité. Puis avec ses parures encore plus flamboyantes, quoique microscopiques et moléculaires, la génétique a proposé plusieurs gènes de la criminalité, ou d’autres plus ou moins triviaux (comme l’on voudra), du romantisme, de l’autisme ou de l’homosexualité.

Les habits de la génétique, s’usant plus vite qu’on ne l’aurait supposé, la prédisposition à la délinquance a eu de nouvelles garde-robes, en endossant les larges toges de la psychiatrie. C’est alors l’hyperactivité infantile qui, malgré les grandes imprécisions de son diagnostic, est devenu la clé de la délinquance future. Un fameux rapport de l’INSERM proposait un dépistage de la délinquance dès l’âge de 3 ans !

Et voilà que la génétique revient avec les gènes MAOA et CDH13, nouveaux germes de la violence et probablement aussi les nouveaux habits du populisme grégaire.

Mais, il me vient une idée, due à la corrélation de toutes ces fascinantes découvertes phrénologiques, génétiques et psychiatriques avec une augmentation progressive des déviances, délinquances et terrorismes divers. Si cette « épidémie » de violence n’est pas qu’une fausse impression, elle devrait plutôt orienter les recherches vers une cause infectieuse, susceptible de mener à la découverte d’un vaccin qui nous débarrasserait définitivement de la criminalité.

Bibliographie

Déplacement du temps zéro

20 octobre 2015

« Okies » désignait péjorativement les ouvriers agricoles de l’Oklahoma qui ont dû migrer en Californie après la grande crise de 1929. Will Rogers a férocement résumé cette migration d’un million de personnes : « Lorsque les Okies ont quitté l’Oklahoma pour s’établir en Californie, ils ont haussé le niveau intellectuel des deux états ». Cet humoriste originaire d’Oklahoma signifiait ainsi que les plus stupides des habitants d’Oklahoma avaient tout de même un niveau supérieur à la moyenne des Californiens (qu’il ne devait pas beaucoup aimer) !

Cet apparent paradoxe, parfois nommé « phénomène de Will Rogers » s’exprime simplement en mathématique. En considérant l’ensemble [1,2,3] et l’ensemble [4,5,6,7], si l’on fait migrer le chiffre 4 vers le premier ensemble, les moyennes arithmétiques des deux ensembles augmentent.

L’équivalent médical est le « changement de stade » (stage migration)

En améliorant la détection d’un cancer ou en abaissant la norme de l’hypertension, on fait « migrer »  des personnes bien portantes, vers le groupe des personnes malades. La durée moyenne de vie du groupe bien portant est logiquement améliorée par le retrait de ces personnes « intermédiaires ». Mais ces mêmes personnes, dont on a changé le stade, viennent aussi améliorer le niveau de santé du groupe malade, car elles le sont moins qu’eux.

En cancérologie, ce phénomène est mieux connu sous le terme de « déplacement du temps zéro » (zero time shift).

Cette arithmétique des groupes ne donne cependant aucune indication sur l’éventuel changement de durée de vie de chaque individu. Une maladie détectée plus tôt augmente logiquement la durée de survie après le temps zéro (moment du diagnostic), sans forcément augmenter la durée globale de vie de l’individu dont on a changé le « stade ».

Ce phénomène était déjà bien identifié et décrit en 1985 dans un article du NEJM (voir biblio).Trente ans plus tard, avec les progrès de la détection précoce, il est surprenant qu’il reste aussi méconnu.

Le critère de « survie à cinq ans après diagnostic », n’a plus aucune valeur épidémiologique en cancérologie, pourtant il reste le seul utilisé, aussi bien au journal de 20h qu’au plus haut niveau universitaire.

Il est grand temps d’intégrer nos progrès technologiques à notre réflexion épidémiologique.

La seule mesure pertinente de nos progrès diagnostiques et thérapeutiques, pour un diagnostic donné, dans une population donnée, est l’âge moyen constaté à la mort due à la maladie correspondant à ce diagnostic. Pourquoi alors continue-t-on à utiliser des critères devenus inadéquats ?

En médecine, aucune technologie ne peut être considérée comme un véritable progrès sans le progrès conceptuel correspondant.

Références

Maladies de riches

2 octobre 2015

La loi du 19 ventôse de l’an XI (1803), relative à l’exercice de la médecine, créa deux catégories de médecins. Les médecins de ‘haut grade’ devaient avoir validé quatre années d’études dans une école reconnue, et les médecins de ‘bas grade’, également nommés ‘officiers de santé’, devaient avoir été formés quelques années sur le terrain.

Les premiers pouvaient exercer en tous lieux, alors que les seconds étaient cantonnés au lieu de leur formation, le plus souvent un village.

Le premier but était de limiter le charlatanisme et le ‘brigandage médical’, le second était de procurer une meilleure qualité de soins aux pauvres. Mais cette loi découlait aussi de la conviction académique que les élites et les citadins avaient des maladies plus ‘complexes’ que celles des pauvres et des campagnards.

Aujourd’hui, cette ‘dichotomie sanitaire’, moins officielle et moins visible, persiste sous des aspects parfois insolites. Certes, les conditions de travail, l’alcool et le tabac génèrent des pathologies socialement marquées. Les addictions des artistes diffèrent de celles des manœuvres. La chirurgie esthétique ne défigure qu’au-delà d’un certain revenu et en deçà de certains paramètres cognitifs.

Il existe aussi un gradient social des engagements pour la prévention et le dépistage, car les pauvres ont l’intime conviction que cela leur sera peu utile. Il existe en conséquence certaines pathologies plus spécifiques aux ‘nantis’.

Il y a quelques années, aux USA, les leucémies étaient plus fréquentes chez les enfants blancs que chez les afro-américains car leur mère ‘bénéficiait’ d’une radio de poumons en cours de grossesse.

Les cancers du sein dépistés (c’est-à-dire non cliniques) sont une maladie ‘de riche’. Les classes sociales supérieures, souvent ‘surdépistées’, subissent davantage le coût des surdiagnostics sous forme de perte d’années/qualité de vie.

Les ingénieurs sont plus souvent les victimes des statines et subissent d’avantage les dégâts de la chirurgie vasculaire, car la technicité de la cardiologie répond à leur fonctionnement cognitif.

Si le vieux dicton « l’argent ne fait pas le bonheur » est fort critiquable, il est au moins certain que l’argent ne protège pas contre les traitements antidépresseurs qui ont pour particularité d’aggraver les dépressions, de provoquer des addictions, d’aggraver les troubles bipolaires et de majorer le taux de suicide. Autant de pathologies dont l’origine iatrogène est plus souvent retrouvée chez les ‘nantis’.

Ces quelques exemples ne suffiront certes pas à  convaincre qu’il y a une justice, mais ils peuvent soulager quelques instants ceux qui pensent désespérément qu’il n’y en a pas…

Références

Toxicomanie sur ordonnance

2 septembre 2015

Il faudra changer notre image du toxicomane, venant des quartiers défavorisés, peu diplômé, plutôt jeune, masculin, délinquant, volontiers ‘basané’ à l’intérieur comme à l’extérieur. Ce profil a évolué depuis que les marchands de santé ont fait une promotion intensive des morphiniques dans toutes les douleurs de l’adulte et de l’enfant. Leur méthode, longuement éprouvée, a consisté à pointer l’incurie des médecins, inaptes à déceler les souffrances de leurs patients, dépourvus d’empathie et incapables d’évaluer les progrès de la pharmacie…

Et comme toujours, les médecins ont courbé l’échine…

Cliniquement, les opiacés n’avaient que deux indications : les douleurs cancéreuses et la gestion de fin de vie. Mais par la grâce des mutuelles et des agences du médicament, la morphine est prescrite pour tous degrés et sortes de douleurs articulaires, viscérales et obstétricales. Ce n’est plus de l’empathie c’est de la communion festive !

Plus leur mère a reçu d’analgésiques et anesthésiques pendant l’accouchement, plus les enfants ont de risque de conduites addictives et autodestructrices à l’âge adulte. Et s’ils ont la malchance d’avoir un pédiatre influençable, ils seront des drogués soumis et définitifs.

Le toxicomane d’aujourd’hui n’est plus le même que celui d’hier, il est plus blanc, plus âgé, moins masculin et moins délinquant. Il est docile et fidèle à son médecin. Il est convaincu que sa morphine, inscrite sur ordonnance, fabriquée par des industriels et approuvée par des ministères ne peut pas être dangereuse, et surtout, qu’une morphine aussi ‘normative’ ne peut pas être comparée à la vulgaire héroïne des trottoirs.

La naïveté des patients et de leurs médecins a toujours été le meilleur carburant du marché sanitaire.

Devant l’ampleur de l’addiction, même les agences américaines (FDA) et européennes (EMA) du médicament, pourtant entièrement inféodés aux industriels du médicament,  ont tenté de limiter les prescriptions.  C’est évidemment trop tard, puisque, par nature et par définition, le commerce et l’addiction sont irréversibles. Leur syndrome de sevrage est insupportable financièrement et physiologiquement.

Aujourd’hui, cette addiction à col blanc franchit encore un palier, la prise de conscience de ce nouveau désastre conduit quelques médecins à limiter les ordonnances d’opiacés, encourageant certains drogués médicaux à hanter les trottoirs où l’héroïne devient plus accessible que sur les ordonnances.

La médecine et la pharmacie ne sont probablement pas les premières pourvoyeuses d’addictions, mais il est certain qu’elles en ont créé bien plus qu’elles en ont guéri.

Références

Refuser la mort peut être mortel

13 août 2015

Le confort de vie et les progrès sociaux ont allongé considérablement la durée de vie des Occidentaux. La chirurgie, l’obstétrique, les vaccins et quelques autres progrès médicaux ont supprimé la majorité des « morts prématurées », définies par leur survenue avant 65 ans.

Il est logique que la médecine tente aussi de répondre à la demande d’immortalité qui date de l’apparition de la conscience, car il est préférable d’y répondre ici-bas plutôt que dans l’au-delà.

De nouveaux progrès curatifs permettent encore à ceux qui n’ont pas une excellente longévité intrinsèque de grignoter quelques années de vie après 65 ans. Mais ces résultats ne sont rien au regard des mesures préventives connues sous le nom de règles hygiéno-diététiques. Celles-ci se résument à trois : la marche régulière, la restriction calorique et la suppression du tabac. Leurs résultats sont largement supérieurs à toutes les interventions pharmacologiques ou instrumentales dans la plupart des pathologies neurodégénératives, tumorales, cardio-vasculaires, infectieuses et locomotrices. Seules les maladies auto-immunes et psychiatriques échappent en partie à cette triade salutaire.

Mais résumer leurs prescriptions à la marche et à la diète paraît trivial aux marchands de la santé qui multiplient les propositions pour éviter cette ascèse, car l’immortalité est un luxe qu’il leur semble préférable de payer en espèces plutôt qu’en nature.

Depuis les sérums de jouvence des apothicaires, la science a fait du chemin et l’emballage théorique a permis d’en proposer certains qui ont eu les honneurs des Facultés de Pharmacie et de Médecine. Les vitamines C et D qui ont guéri le scorbut et le rachitisme ont lancé la mode des vitamines, tout particulièrement celle du bêta-carotène ou vitamine A. Les antioxydants étaient supposés limiter la sénescence cellulaire. Les omégas 3 ont fait la une de tous les médias académiques et populaires pendant un demi-siècle. Le calcium a été proposé pour éviter l’ostéoporose. Le traitement de la ménopause devait conférer la jeunesse éternelle aux femmes. Du côté des hommes, la testostérone devait maintenir la vigueur érectile. La DHEA devait prémunir les deux sexes de toutes les affres. Le traitement « à vie » de l’hypertension avait une sémantique d’éternité.

Toutes ces propositions avaient deux mérites, celui d’être basées sur des théories acceptables et celui d’entrer en résonnance avec nos modules psycho-cognitifs, exactement les mêmes que ceux qui nous prédisposent à croire à l’intercession des dieux pour la vie éternelle.

Si toutes ces préventions contre la mort n’étaient qu’inefficaces, il serait malintentionné de vouloir saper un tel commerce. Hélas, beaucoup se révèlent dangereuses, et le clinicien sérieux doit en avertir ses patients trop irréalistes.

Le calcium augmente le risque cardiovasculaire et celui de lithiase rénale, alors que le risque ostéoporotique disparaît après un an et demi de marche régulière. Les antioxydants augmentent la mortalité de 6%, cette augmentation est de 10% en association avec la vitamine E et de 30% avec le bêta-carotène. Le traitement hormonal de la ménopause augmente le risque de cancer du sein et de l’ovaire et nous ne cessons d’en découvrir les nuisances. Heureusement, la testostérone et la DHEA n’ont fait qu’un flop sans gravité.

Le traitement continu de l’hypertension après 80 ans augmente le risque de démence et de chutes sans montrer de bénéfice. D’une manière générale, tous les traitements pharmacologiques préventifs ont un rapport bénéfices/risques négatif après 80 ans.

Certes la sénescence et la mort n’ont rien d’attirant, mais les refuser peut être parfois dangereux.

Références bibliographiques

Coucou la socialité de la GPA

15 juin 2015

La biologie a classé et nommé les comportements sociaux caractéristiques des espèces.

Les solitaires ne se rencontrent que pour la reproduction et ne s’occupent pas des enfants. Les grégaires forment des communautés temporaires sans but de reproduction ou de soin aux juvéniles. Dans la subsocialité, comportement de loin le plus courant, les animaux s’occupent de leurs petits, et l’on parle de colonialité lorsqu’ils se regroupent pour cette tâche sans pour autant s’occuper des enfants des autres. La communalité est une colonialité où certaines tâches sont mises en commun, c’est le cas des otaries et des Homo Sapiens (même des non-communistes).

Enfin l’eusocialité est une forme de vie commune où la reproduction n’est confiée qu’à quelques individus, c’est le cas des abeilles, des fourmis, des rats-taupes et des loups. Dans cette forme élaborée de socialité, les géniteurs sont sélectionnés par le groupe, ou bien ils s’imposent eux-mêmes par leurs qualités de domination, cette sélection génotypique et phénotypique est favorable à l’espèce.

L’adoption est une forme d’eusocialité où des adultes inaptes à procréer participent aux soins de juvéniles issus de géniteurs plus aptes.

Homo sapiens est donc une espèce communale et eusociale, mais il vient de franchir une nouvelle étape comportementale, encore dépourvue de nom biologique, connue sous le terme de « gestation pour autrui ». Ce comportement n’est pas vraiment nouveau, il empreinte aux modèles du coucou qui fait couver ses œufs par d’autres, des parasites qui se reproduisent aux dépens d’un autre, voire des parasitoïdes qui finissent par tuer l’hôte qui les a portés. Mais dans tous ces cas, les hôtes gestants ne sont pas consentants.

Nous pourrions nommer cette nouvelle socialité « eusocialité parasite » puisque les gestantes ne font pas partie du groupe social des géniteurs, mais cette appellation serait malséante pour les deux parties. Nommons-là donc « eusocialité symbiotique », cela fera plaisir aux sociologues, aux progressistes, aux démagogues, aux conservateurs, aux paroissiens, aux transhumanistes, aux constitutionnalistes, aux médiateurs et à tous ceux qui n’ont pas d’avis précis sur les étiquettes.

Cette nouvelle socialité interpelle cependant le biologiste pour deux raisons majeures. La gestante n’est pas sélectionnée sur son phénotype dominant puisqu’elle est rémunérée pour cette servitude. Les géniteurs n’ont pas un génotype positivement sélectionnable puisque c’est précisément un déficit procréateur qui les amène à un tel choix.

Bref, toute cette machinerie sociale ne me dit rien qui vaille pour l’espèce. Restons cependant optimistes, car l’épigénétique et la complexité nous ont déjà protégés de bien pire !

Vaccins en général et en particulier

3 mai 2015

La communication sur les vaccins se fait souvent sans nuance, tant par les ministères qui les promeuvent que par les sectes qui les dénigrent, en bloc.

On parle souvent d’utilité, d’efficacité ou de méfiance sans préciser de quel vaccin il s’agit ; c’est comme si l’on disait des médicaments en bloc « ils sont bons » ou « ils sont mauvais ».

Cela n’a aucun sens, aucune valeur critique, et explique la panne épistémologique autour de ce thème sanitaire majeur.

Pour chaque vaccin, comme pour chaque médicament, il faut se poser les questions essentielles. Présente-t-il des dangers réels ? Est-il indispensable pour la santé publique ? Quels sont les effets secondaires ? Le rapport bénéfices/risques est-il positif ? Quelle est l’efficacité par rapport à l’objectif initial ? Il n’est pas toujours possible de répondre d’emblée à toutes ces questions, mais généralement on peut y répondre après quelques dizaines d’années d’utilisation.

Le vaccin antipolio est sans danger, sans effet secondaire, indispensable à la santé publique et individuelle, le rapport bénéfice/risque est infini, l’efficacité est totale par rapport à l’objectif, car la maladie a disparu.

Le BCG présente quelques effets secondaires, il est important pour la santé publique, il n’est que partiellement efficace et n’a pas permis d’atteindre l’objectif initial.

Le vaccin antigrippal est important pour la santé publique, il est sans danger, il est moyennement efficace et n’a toujours pas permis d’atteindre l’objectif fixé.

Les vaccins contre l’hépatite B et la rougeole sont indispensables, sans danger, sans effet secondaire, et permettent d’atteindre l’objectif chez les personnes vaccinées.

Les vaccins contre la varicelle et le rotavirus sont inutiles pour la santé publique. Le vaccin contre la varicelle présente un danger de recrudescence d’une maladie plus grave à l’âge adulte. Le vaccin contre rotavirus présente quelques effets secondaires, et à long terme, il peut faire émerger la virulence d’autre virus intestinaux communs. Aucun des deux ne semble pouvoir atteindre l’objectif initial.

Terminons cette liste non exhaustive par le vaccin contre le papillomavirus. Il est sans danger ni effet secondaire, il est modérément important pour la santé publique. Il diminue les infections visées, mais personne ne peut encore répondre à ces deux questions : les souches de papillomavirus non couvertes par le vaccin peuvent-elles acquérir de la virulence et l’objectif de supprimer le cancer du col de l’utérus sera-t-il atteint ? L’OMS le recommande pour les filles de 9 à 13 ans dans tous les pays, car elle espère une réponse positive à ces deux questions, mais nul expert ne peut l’affirmer aujourd’hui. Si la prévalence de ces cancers diminue, le vaccin aura partiellement atteint son objectif, sinon, il aura été inefficace ou n’aura pas atteint la cible des personnes vulnérables.

Médicaments ou vaccins, la médecine ne progresse pas avec des promesses, du rêve ou des spéculations mais avec des preuves concrètes.

Références

Pharmacologie du suicide

17 avril 2015

La dépression est une entité médicale qui n’a jamais obtenu de définition satisfaisante. L’imipramine a été le premier médicament considéré comme actif pour améliorer l’humeur,  cette molécule a inauguré la grande famille des antidépresseurs dits « tricycliques ». D’autres familles ont suivi, basées sur de subtils réductionnismes de la chimie synaptique : inhibiteurs de la monoamine-oxydase, inhibiteurs de la capture de l’adrénaline ou de la sérotonine.

Plusieurs de ces médicaments, en conformité avec les prévisions théoriques, ont pu modifier temporairement l’humeur ou son expression, mais hélas, aucun d’eux ne s’est montré vraiment plus efficace qu’un placebo pour changer le cours des dépressions à moyen et long terme.

Cet échec vient du fait que la dépression n’est pas une entité isolée. La dépression médicale la mieux établie et la plus fréquente est la phase dépressive de la maladie bipolaire, et il existe des dépressions unipolaires psychotiques plus rares. Dans le premier cas, les antidépresseurs sont inefficaces et dangereux, ils majorent le risque de suicide. Dans le deuxième cas, les antidépresseurs ne sont qu’un traitement d’appoint difficile à évaluer.

Ces médicaments majorent également le risque de suicide quand ils sont utilisés comme traitement de la multitude des « non-maladies » nommées dépressions, particulièrement chez les adolescents.

Les antidépresseurs sont donc des médicaments inutiles et/ou dangereux dans le traitement de la grande majorité des dépressions majeures et mineures. Mais pour ne pas heurter la normativité des médecins et de leurs patients, il convient d’être beaucoup plus concret pour les convaincre que ces propos ne sont ni péremptoires ni répréhensibles.

La meilleure définition d’une dépression médicale grave de type bipolaire ou unipolaire repose sur le risque élevé de suicide. Tout clinicien, soignant un patient à l’humeur dépressive, a donc comme priorité principale d’empêcher le suicide qui est logiquement considéré comme l’échec médical absolu.

La réflexion clinique dans des pathologies de cette complexité où notre méconnaissance reste forte, doit parfois se résumer à regarder les chiffres les plus simples de la façon la plus triviale.

Les antidépresseurs ont été découverts, il y a un demi-siècle, et dans les pays où ils sont utilisés, le taux de suicide a augmenté de 60%.

Avec des chiffres aussi brutaux, comment peut-on encore fabriquer des preuves moléculaires sophistiquées et des discours psychiatriques alambiqués autour de la dépression ? Lorsque le symptôme qui définit à la fois la gravité de la maladie et signe l’échec médical présente une augmentation aussi faramineuse de son incidence.

Je suis toujours stupéfait de la carence épidémiologique dans laquelle baigne la pharmacologie psychiatrique et particulièrement celle du suicide.

Références

Lifting et Viagra®

21 mars 2015

Le lifting, hors les effets attendus, modifie aussi les signaux de l’appariement : symétrie du visage, cernes du regard, profil, sourire, silhouette. Que l’intervention soit invisible – ce qui est rare – ou visible, le partenaire sexuel ne sera pas le même qu’avant.

Le plus souvent, le lifting est très discernable, il devient alors un signal sexuel secondaire en lui-même. Même si le résultat est catastrophique du point de vue esthétique, il remplit son rôle de signal : j’appartiens à la catégorie de ceux qui peuvent se l’offrir et qui souhaitent séduire.

Il est alors logique que le partenaire appartienne à la catégorie de ceux qui sont réceptifs à un tel signal. Il est cependant peu probable d’en trouver un plus jeune, car l’âge physique est souvent plus visible qu’avant, et s’y ajoute quelques soupçons de déficit de la cognition sociale et de la spontanéité qui en fait le charme.

Le partenaire sera donc plus vieux, et qu’il soit ou non lifté lui-même, il n’aura certainement pas les performances sexuelles d’un étalon. Peu importe rétorqueront certains, puisque dans l’appariement après un certain âge, le champ affectif  est prioritaire. Argument irrecevable, car s’il y avait lifting, il y avait désir de jeunesse et de ses performances.

Le partenaire devra donc être un adepte du Viagra® ou d’un placebo du e-commerce. Ces comprimés sont essentiellement utilisés par des hommes qui se sont appariés, ou le souhaitent, avec des femmes plus jeunes.

Le mathématicien en conclura que la stratégie d’accouplement basée sur le lifting est inadéquate et que la probabilité d’appariement entre une femme liftée et un homme lui-même rehaussé est très faible.

Pourquoi donc le sociologue rétorquera-t-il qu’au contraire, la probabilité est forte ? Répétons que le lifting est un signal sexuel secondaire à très forte composante sociale, et de nombreux utilisateurs de Viagra® se situent dans le même groupe socio-culturel.

Certes les victimes des pneumopathies du silicone et des délabrements définitifs du visage ne sont plus sur le marché de l’appariement, mais celles qui y ont échappé ont encore quelque chance avec des rescapés cardio-vasculaires du Viagra®. L’histoire ne dit jamais les éventuelles misères sexuelles et cognitives qui en résultent, et nul n’a envie de le savoir, mais l’appariement peut être socialement réussi.

C’est aussi cela le communautarisme.

http://lucperino.com/358/lifting-et-viagra.html