L’histoire du marketing du tabac est insolite. Importé du Nouveau Monde, il a été utilisé comme médicament jusqu’au début du XIXe siècle, d’abord pour soigner les migraines à la Cour de France, puis dans de multiples autres maux. Cette herbe médicinale a été utilisée en emplâtre, puis prisée et chiquée. Ce n’est qu’après le constat de ses échecs thérapeutiques que le tabac a été fumé pour le seul plaisir.
La majorité des méthodes mercatiques ont été testées sur le tabac. La distribution gratuite aux conscrits a contraint les jeunes hommes à l’image virile du fumeur. Puis Edward Berneys a doublé le marché en faisant fumer les femmes. L’industrie du cinéma a mis des cigarettes dans la bouche de tous les acteurs et de la fumée sur tous les écrans. Lorsque de premières études ont démontré le risque pulmonaire, on a soudoyé un grand généticien pour lui faire dire que le gène du cancer du poumon prédisposait aussi au tabagisme.
Si certains fumeurs ignorent encore les manipulations dont ils ont été les jouets, plus aucun ne peut ignorer les dangers du tabac, devenu la première cause de mort évitable. Cette vérité universelle a été une étrange aubaine mercatique en suggérant aux adolescents et aux contestataires de défier la mort inscrite sur les paquets. Mais cette vérité a surtout permis la création du marché du sevrage, d’autant plus lucratif qu’il n’est pas entravé par les taxes appliquées aux cigarettes. Tout a commencé avec les patchs, inaugurant la peau comme nouvelle voie d’absorption du tabac. Puis les cigarettes électroniques dont un modèle à usage unique au goût sucré vise d’autres adolescents moins téméraires. On assiste au retour de la chique, par l’absorption orale de sachets de tabac en poudre nommé « snuff » : vocable à sonorité plaisante et moderne. Cette poudre a aussi permis de réhabiliter la voie nasale ou « prise » qui était tombée en désuétude.
La toute dernière nouveauté est celle de dispositifs chauffant le tabac au lieu de le brûler.
Toutes ces nouvelles consommations révèlent des risquent addictogènes et carcinogènes identiques, leur législation diffère selon les pays, mais elles bénéficient d’un a priori positif basé sur l’idée de sevrage.
Le tabac n’existe pas encore en suppositoire, pourtant la voie rectale a déjà été explorée dans les années 1740. Un homme récupère sa femme noyée dans la Seine et pleure devant son corps inanimé. Un soldat de passage, la pipe à la bouche, convainc le mari d’introduire le tuyau de sa pipe dans l’anus de sa femme et d’y souffler la fumée de toutes ses forces. À la cinquième bouffée, on entend gronder le ventre de la noyée qui rend un peu d’eau et revient à elle.
Pendant quelques années, la réanimation des noyés a consisté à introduire de la fumée de tabac dans leurs intestins. Le sénéchal de Paris fit poser des boîtes de secours contenant divers ustensiles dont une pipe et du tabac.
L’histoire ne dit pas si le soldat de passage avait suivi des cours de marketing.