Archive pour janvier 2025

Les analyses du Petit Prince

vendredi 24 janvier 2025

Dans le livre universel de Saint-Exupéry, le petit prince rencontre un marchand de pilules perfectionnées qui apaisent la soif. On en avale une par semaine et l’on n’éprouve plus le besoin de boire.

  • Pourquoi vends-tu ça ? dit le petit prince
  • C’est une grosse économie de temps, dit le marchand. Les experts ont calculé que l’on économise 53 minutes par semaine.
  • Et que fait-on de ces 53 minutes ?
  • On en fait ce qu’on veut…

« Moi, se dit le petit prince, si j’avais 53 minutes à dépenser, je marcherais tout doucement vers une fontaine… »

Après avoir redécouvert ce passage écrit en 1942 et déjà prémonitoire des abus de la pharmacologie, j’ai proposé au petit prince de s’asseoir dans un coin de mon bureau.

Le premier patient, en bonne santé apparente, vient pour renouveler l’ordonnance de la classique trilogie.

  • Mais pourquoi prends-tu tout ça si tu n’es pas malade ? demande le petit prince à mon patient
  • C’est pour faire baisser ma tension, mon sucre et mon cholestérol
  • Et pourquoi veux-tu les faire baisser ? demande le petit prince qui n’abandonne jamais une question une fois qu’il l’a posée.
  • Parce que le docteur me dit que lorsqu’ils sont trop haut, ça risque de faire mourir plus tôt.
  • Plus tôt que quand ?

Mon patient ne sachant que répondre, le petit prince se tourne alors vers moi

  • Et pourquoi tous ces trucs sont trop hauts ?

La vérité risquant de blesser mon patient, je la présente d’une manière générale.

  • Ces « trucs » montent, comme tu dis, parce que notre société a conduit les gens à trop manger et à ne pas assez bouger.
  • Eh bien, dis-lui de ne pas faire comme la société, me coupe brutalement le petit prince.
  • Mais notre mode de vie rend justement cela assez difficile à faire.
  • Et tes pilules vont le faire bouger et moins manger, dit-il sans retenue devant mon patient à la bouche béante.
  • Non, mais les experts disent qu’elles peuvent aider à vivre un peu plus longtemps
  • Plus longtemps que combien ? insiste encore le petit prince.
  • Les experts ne savent pas exactement
  • Pourtant, je croyais que les adultes aimaient les chiffres exacts.
  • Oui, mais ce sont des probabilités.
  • C’est quoi les probabilités ? poursuit le petit prince qui n’abandonne jamais.
  • Ce sont des chiffres qui sont plus précis pour toute la société que pour une seule personne.

Le petit prince se mit à réfléchir longuement… Je pensais que le concept de probabilité était trop difficile pour lui… À tort…

  • Mais ses chiffres de sucre et autres trucs sont exacts ?
  • Oui, car on fait des analyses.
  • Mais tu ne sais pas combien de temps il va vivre en moins
  • Non, j’espère qu’avec les pilules il vivra un peu plus
  • Mais tu ne sais pas combien de temps en plus
  • Non
  • Et pour faire les analyses, aller voir le docteur, acheter les pilules et les avaler, ça prend du temps en vrai ou du temps en probabilité ?

Le petit prince avait dit cela de sa voix douce et faible. Ni moi, ni mon patient n’y avons vraiment porté attention, car je terminais la rédaction de mon ordonnance.

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Réhabilitation des autistes

dimanche 12 janvier 2025

La nosographie est le classement des maladies. En psychiatrique elle est particulièrement instable et contestable, au point que les médecins osent à peine formuler des diagnostics. Le cas de l’autisme est emblématique de cette valse-hésitation.

Anciennement nommés « débiles mentaux », ces enfants sont devenus « autistes » dans les années 1940, lorsque Kanner et Asperger ont tenté d’en classer les symptômes. Ils ont constaté que plus de la moitié d’entre eux n’étaient pas débiles et qu’inversement, certains avaient de véritables dons intellectuels. Confirmant cette incroyable diversité, les nosologistes ont remplacé la notion de « maladie » par celle de « trouble », popularisant le terme de « trouble du spectre autistique » (TSA) dans les années 2000.

Les causes restent inconnues. Les généticiens avaient obstinément cherché un gène coupable, sans déceler le moindre suspect. Les psychanalystes avaient résolu le problème à leur habituelle façon en accusant la mère carence affective. Bref, la science avait plutôt reculé, laissant patients et familles dans le désarroi ou la honte.

Puis à la fin du XXe siècle, dans le cadre général de la lutte contre les discriminations, avec de dynamiques associations de parents soutenues par certains pédopsychiatres, le pronostic d’une majorité de TSA s’est considérablement amélioré. Thérapies comportementales, accès à l’école, à la vie sociale, aux jeux et aux sports, accès aux médias et à la vie professionnelle, changement du regard des parents et de la société tout entière. Tout y a contribué.

La maladie d’Asperger a eu tous les honneurs de la presse au point d’en devenir presque enviable. Dans les consultations génétiques, on a même vu de malheureux parents dont l’enfant était atteint d’une maladie rare, espérer que l’on porterait le diagnostic d’Asperger sur leur enfant. Les TSA ont ensuite été ennoblis par d’illustres porteurs tels que Cédric Villani le mathématicien, Greta Thunberg la militante écologiste ou le brillant philosophe Joseph Schovanec. On alla même jusqu’à chercher le « trouble » chez les génies du passé. Pourquoi pas Darwin et Einstein ! L’irrépressible contagion sociale était en train de transformer la discrimination négative en discrimination positive.

La nosographie a encore vacillé. On a tendance aujourd’hui à parler de « troubles du neurodéveloppement », ce qui est assez vague, puisque cela peut s’appliquer aussi bien à la schizophrénie qu’à la myopie.

On a enfin forgé le terme de « neuro-atypie » conduisant une association d’autistes en 2004 à nommer inversement « neurotypiques » tous ceux qui n’ont aucune forme d’autisme et à les décrire avec un humour jubilatoire : « Le syndrome neurotypique est un trouble neurobiologique caractérisé par une préoccupation excessive pour les problèmes sociaux, un délire de supériorité et une obsession du conformisme. ».

 Depuis qu’Elon Musk a avoué son TSA, leur réhabilitation sociale est parachevée puisqu’ils comptent aussi de vrais cons parmi eux.

Référence

Miracles et prouesses des grossesses tardives

mercredi 1 janvier 2025

On parle de grossesse tardive pour une femme de plus de 40 ans et de grossesse très tardive (GTT) après 45 ans. Malgré le livre des records qui ne rate aucune grossesse après cinquante ans et malgré les autres biais médiatiques et illusions technologiques, le nombre de naissances survenues après une GTT ne varie pas : il est d’environ une cinquantaine par an en France.

Contrairement à des idées répandues, ces grossesses résultent peu de capricieux désirs tardifs chez des femmes célibataires ou ayant privilégié leur carrière. Non la majorité de ces GTT surviennent chez des femmes en couple stable dont 60 % ont déjà un ou plusieurs enfants. Ce qui signifie que 40% de ces GTT concernent un premier bébé survenu sans assistance médicale. Il ne s’agit donc pas de « miracles » de la nature, comme on le dit souvent, mais simplement de son incroyable diversité.  

Pour la médecine, il est plus approprié de parler de prouesses. Un « miracle » est une réussite spontanée, et c’est cette spontanéité qui est miraculeuse. Une prouesse résulte d’une programmation dont le succès est rare par définition. Accordons cependant à la médecine, plus précisément à l’obstétrique, d’avoir sécurisé l’accouchement de ces GTT très risquées. Et accordons à la procréation médicalement assistée (PMA) d’avoir permis la naissance de 60% de ces premiers bébés de GTT.  

Cependant, si la nature s’autorise un certains nombre de miracles, elle en autorise moins à la médecine. Pour les trente bébés (environ) nés chaque année en France d’une GTT après PMA, – l’austérité de ces sigles semble orienter mon propos – une dizaine a bénéficié d’une injection de spermatozoïdes paternels dans le cytoplasme d’un ovule maternel, et une vingtaine résulte d’un don d’ovocyte.

En langage clair, cela signifie qu’après 45 ans, les spermatozoïdes deviennent plus rares et plus chétifs et que les ovocytes deviennent rarissimes. Et lorsque la diversité de la nature accomplit encore quelques miracles cellulaires, la programmation médicale parvient assez rarement à les transformer en prouesses, comme en témoigne la stabilité du nombre de GTT après PMA au fil des ans, indépendamment de la morale, de l’éthique, de la publicité et des lois de chaque pays.

La procréation naturelle et la procréation assistée semblent toutes deux avoir atteint leurs paliers de miracles et de prouesses. Malgré ces évidences, ne doutons pas que le commerce médical tentera toujours de répondre à des demandes déraisonnables.

Sans aborder l’épineux sujet des mères porteuses, et en attendant d’avoir compris qu’un enfant résultant d’un don de spermatozoïdes et/ou d’ovocytes est l’équivalent d’un enfant adopté, il nous reste à décider qui doit payer pour ces commerces de l’illusion transhumaniste ?

La réponse est probablement trop simple pour être bien comprise : laissons à la médecine et à la solidarité nationale ce qui leur revient et agissons de même pour le commerce.

Bibliographie