Archive pour la catégorie ‘Médecine’

Mais qui donc est prescripticide ?

mardi 21 février 2017

Les lanceurs d’alerte ou redresseurs de torts doivent avoir plus de rigueur scientifique et méthodologique que leurs cibles. Ceci est particulièrement vrai en médecine où, malgré quelques scandales retentissants, les activités médicales jouissent d’une image très positive, car il est insoutenable de penser trop longtemps que ceux dont les missions sont l’assistance et le soin puissent être falsificateurs, inconséquents, guidés par le lucre ou avides de pouvoir.

Au-delà de sa science et de ses résultats, le pouvoir biomédical actuel s’est accru de sa réussite commerciale, de ses capacités démagogiques et de ses collusions médiatiques, le tout démultiplié par l’a priori d’empathie et de bienfaisance dont bénéficient ses acteurs.

La méthode et les mots pour s’attaquer à de tels pouvoirs, doivent être de la plus grande précision, car la moindre erreur déchaîne les quolibets ou la vindicte. Rien n’est plus simple pour le lion que de faire accuser l’âne.

Critiquer la médecine sur l’imprécision de ses termes comme nous l’avons fait, par exemple, pour la confusion permanente entre facteur de risque et maladie, ou pour le mot « diabète » qui désigne deux entités totalement dissemblables, nécessite d’éviter soi-même les erreurs de terminologie.

Après cette envolée lyrique, j’en arrive à mon sujet du jour : le mot « prescripticide ». Ce mot est récemment apparu sur quelques « wiki » anglophones et réseaux sociaux pour désigner une prescription médicale qui tue.

Ceux qui souhaitaient ainsi, avec raison, vulgariser les dangers bien réels de la médecine auraient dû mieux réfléchir à l’étymologie.

Homicide, infanticide, fratricide, bactéricide et suicide désignent successivement le fait de tuer (cide) un homme, un enfant, un frère, une bactérie ou soi-même. Un prescripticide serait alors celui qui tue un prescripteur ou, de façon imagée, une prescription, c’est-à-dire exactement l’inverse du sens donné par les internautes à ce mot.

Le Mediator (par exemple) n’a pas été prescripticide (sauf pour lui-même), alors que ses prescripteurs ont perpétré des homicides (involontaires pour la plupart). Ce type d’homicide par les médecins est déjà bien désigné depuis l’antiquité par le mot « iatrogène » (provenant du médecin). On parle de pathologie iatrogène ou de mortalité iatrogène pour désigner les maladies et les morts provoquées par la médecine elle-même.

Les médecins et leurs prescriptions ne sont donc jamais « prescripticides », mais ils peuvent commettre des homicides iatrogènes. Occasion de rappeler ici que la mortalité d’origine médicale représente dans les pays occidentaux, la troisième cause de mortalité après les cancers et les maladies cardio-vasculaires. Ce qui mériterait une longue réflexion méthodique et contradictoire pour laquelle il n’est besoin d’aucun mot nouveau. Un peu de science et de courage suffisent.

Références

Des ménagères aux patients

lundi 13 février 2017

Les radios de service public ont su épargner à leurs auditeurs les publicités pour ménagères de moins de cinquante ans. Les rares messages publicitaires proviennent d’ONG, fondations, mutuelles ou ministères. Nous constatons aussi que les sujets de santé sont de plus en plus nombreux : prévention (vaccinations, tabac), économie (génériques), dépistage (octobre rose). Récemment, quatre messages sanitaires se sont succédé sur France Inter avant le journal de 13h.

Le premier émanait d’une station thermale dont les bienfaits étaient démontrés par 60% des utilisateurs qui déclaraient moins souffrir de leur arthrose après la cure. Une preuve basée sur des réponses subjectives relatives à un symptôme subjectif, n’est pas une preuve. Bref, un message dépourvu de science

Le second message en provenance du ministère mettait en garde contre la transmission du virus grippal. Félicitons notre ministère de rappeler que l’hygiène est, de loin, le premier des progrès de l’infectiologie. Mais la grippe et sa prévention sont si rebattues que les cartes en deviennent brouillées. Bref, un message pourvu de suspicion.

Le troisième encourageait à poursuivre le dépistage du cancer du col par frottis vaginal après 45 ans. Ce dépistage a toujours été l’un des mieux suivis, et presque le seul dont les résultats sont peu contestables. Bref un message superflu (sauf Aà rappeler en filigrane le vaccin anti-HPV, ou à préciser que ce vaccin ne dispense pas encore du frottis).

Enfin, le dernier incitait à consulter le plus tôt possible un ophtalmologiste pour prévenir la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA), responsable de cécité partielle. Ce message aurait certainement inspiré un sketch à notre regretté Coluche : « puisque cette maladie est liée à l’âge, le plus sûr moyen d’éviter ce diagnostic est de consulter quand on est jeune… ».

Malgré sa bouffonnerie, ce message avait une certaine franchise, car son auteur, Novartis, était clairement nommé. Ce laboratoire vend un médicament capable de ralentir un peu la progression de la DMLA chez 15 à 20% des patients. Ce traitement n’ayant aucun intérêt dans les formes précoces de la maladie, la supercherie sautait aux yeux (si j’ose dire) ; le but mercatique étant d’élargir la cible des consommateurs. En effet, nul ne peut s’attendre à une prévention philanthropique de la part d’un laboratoire qui a fait un scandaleux procès à l’Etat pour empêcher la commercialisation d’un médicament identique et 40 fois moins cher (25 € la dose au lieu de 1000 € !). Malgré les revenus de cette publicité, l’État ne pourra jamais récupérer les milliards d’euros que ce laboratoire lui a fait perdre. Bref un message insolent.

Certes, ce ne sont que des publicités. Mais quatre messages successifs, flous ou fourbes, à une heure de grande écoute, m’ont interpellé. Il ne faut pas prendre le risque de transformer tous les auditeurs en patients encore plus perméables que les ménagères de moins de cinquante ans…

Références

Le smartphone qui marche tout seul

lundi 30 janvier 2017

Simon va bien, mais sa mutuelle lui a fait faire un check-up et les analyses ont trouvé une augmentation du LDL cholestérol. Il est ému de voir à quel point sa mutuelle se préoccupe de sa santé.

La solidarité, c’est quand même quelque-chose !

Il va demander l’avis de son médecin de famille qui lui conseille de manger moins gras et moins sucré et de marcher au moins une heure par jour. Simon est déçu d’aussi peu de considération pour son cas.

Il va voir un cardiologue qui lui prescrit des statines qui font miraculeusement baisser le LDL cholestérol. Ce spécialiste lui conseille aussi de vérifier son nombre de pas quotidiens en chargeant une « appli » santé sur son smartphone. Il est vrai que le cardiologue a fait dix années d’études au lieu de huit.

Les études, c’est quand même quelque-chose !

Un jour simon a des crampes en marchant. Il va voir son généraliste, car il n’y a pas de spécialiste des crampes. Son médecin lui explique que c’est à cause des statines, il doit donc choisir entre marcher et prendre des statines, entre contrôler son LDL ou contrôler ses pas sur le smartphone. Simon croit percevoir un peu d’ironie, lorsque ce vieux médecin prend la peine de préciser qu’il n’est pas hostile au progrès.

Peu après, en fouillant sur internet, Simon découvre une nouvelle « appli » qui peut enregistrer automatiquement des pas sur un smartphone immobile. Génial. Ce qui fait que Simon pourra se maintenir dans les normes, aussi bien pour son LDL que pour le nombre de ses pas.

La technologie c’est quand même quelque-chose !

Un jour, simon ressent une inquiétante douleur thoracique en regardant un match à la télé, il appelle son vieux médecin, mais celui-ci a pris sa retraite sans trouver de successeur et un répondeur téléphonique lui dit d’appeler le 15. Ce qu’il fait. Aussitôt, toute une équipe médicale arrive dans un fourgon blanc. Simon est vivement impressionné par cet altruisme à gyrophare.

Le progrès social, c’est quand même quelque-chose !

Que les Simon me pardonnent, ce Simon-là est un personnage fictif.

La fiction, c’est quand même quelque-chose !

Biais de participation

samedi 14 janvier 2017

Une étude sociologique dans les usines électriques Hawthorne a été réalisée dans les années 1920 pour étudier différents facteurs susceptibles d’augmenter la productivité des ouvrières. Pour cela, les ateliers avaient été séparés en deux groupes, les uns où les conditions de travail avaient été améliorées, et les autres qui servaient de témoins.

Les expérimentateurs eurent la surprise de constater, d’une part, que la productivité augmentait aussi dans les ateliers témoins, et d’autre part, qu’elle ne diminuait pas lorsque les améliorations étaient supprimées en cours d’expérimentation.

Ainsi, les ouvrières étaient motivées par le seul fait de participer à l’expérience, soit par émulation,  soit par une meilleure estime de soi.

Cet effet nommé « effet Hawthorne » est un biais de participation. Le seul fait de participer à une étude améliore les résultats indépendamment des facteurs concrets de l’expérimentation.

Dans les études cliniques, l’équivalent est le biais de consentement : donner son accord signé pour participer à un essai clinique modifie les résultats thérapeutiques. Ce biais de consentement vient s’ajouter à l’effet placebo usuel de tous les médicaments, mais il en diffère, car on le constate aussi dans de simples études observationnelles dépourvues de toute prescription. Par exemple, lors d’une enquête de suivi après un accident vasculaire, le groupe consentant était suivi par un questionnaire direct, le groupe non consentant était suivi par l’intermédiaire du médecin traitant (sans rompre le secret d’identité). On s’est rendu compte par la suite que la comparaison entre les deux groupes était impossible, car ils étaient très différents dès le départ. Ceux qui avaient donné leur consentement étaient moins gravement atteints. Ainsi, le fait d’accepter de participer à une étude peut être considéré comme une forme d’optimisme sur son propre cas, et le fait de refuser peut être une forme de conscience de la fatalité.

Cet effet Hawthorne et ces biais de consentement ont une importance majeure dans l’épistémologie de la médecine, puisqu’ils empêchent de connaître l’évolution naturelle des maladies. Il en est exactement de même pour l’évolution des bien-portants en cas d’intervention médicale préventive.

Ce fait prend beaucoup d’importance à une époque où les prescriptions aux bien-portants deviennent majoritaires. Quelle que soit notre opinion sur les risques ou les bienfaits de la pharmacologie préventive, nous n’aurons probablement jamais les moyens scientifiques de savoir si la médecine prolonge ou diminue la vie des bien-portants.

Réjouissons-nous tout de même de pouvoir vérifier qu’elle améliore la vie des malades.

Bibliographie

Dépression de noël

samedi 31 décembre 2016

Les pathologies varient selon les pays et les époques. Le terme de pathocénose désigne l’ensemble des maladies à une période donnée et dans un milieu géographique donné.

La dépression saisonnière est une forme particulière de dépression, rarement sévère, spécifique de nos latitudes, majoritairement entre le 40ème et le 50ème parallèle. Elle débute à l’automne avec un pic de premiers symptômes survenant peu après le passage à l’heure d’hiver. Avant d’être un diagnostic médical, elle était fort connue, et sa relation avec la baisse de luminosité avait été établie, comme le confirme l’amélioration des symptômes par la luminothérapie. Ce n’est pas un hasard si Noël et d’autres fêtes religieuses ou païennes ont été instaurées autour du solstice d’hiver, lorsque les jours sont les plus courts.

Mais son grand intérêt est de révéler les façons diamétralement opposées d’aborder une pathologie courante et banale.

Les botanistes et biologistes, dont les deux pieds touchent bien par terre, constatent sans surprise que l’homme, à l’instar des végétaux et de nombreux animaux passe par une période d’hibernation plus ou moins marquée. Cette pseudo-hibernation des dépressifs saisonniers est confirmée par leur hypersomnie et l’augmentation de leur appétit, contrairement aux autres dépressifs.

Les bio-thérapeutes, poussés par la recherche de brevets, cherchent des explications moléculaires autour de la photo-transduction rétinienne ou du métabolisme de la mélatonine. On pourrait en sourire si le projet n’était pas celui de piéger ces malades légers dans un traitement à vie.

Mais c’est le regard évolutionniste qui est le plus pertinent, le plus serein et le plus lucide devant ces patients qui guérissent toujours vers la mi-février. Homo sapiens a quitté son berceau Africain, il y a environ 100 000 ans. À l’échelle de l’évolution, c’est bien trop court pour que la totalité des individus soient adaptés à cette différence de longueur des jours et des nuits.

Étrangement, cette pathologie devient de plus en plus rare lorsque l’on monte vers les pays nordiques où les nuits sont parfois interminables. Pourquoi donc un tel paradoxe ? Réfléchissez-bien… Avoir un tel désavantage dans de tels pays est invivable, donc contre-sélectif. Seuls survivent ceux qui n’ont pas de problème avec le rythme circadien, à moins de pouvoir fêter Noël tous les jours de l’année.

Le regard évolutionniste en médecine est souvent la meilleure façon de comprendre et d’expliquer les troubles de nos patients. Dans ce cas, il nous permet de les protéger contre la prescription d’antidépresseurs qui transforment cette dépression réversible en une dépression chronique, par le jeu de la dépendance irréversible à ces médicaments.

L’art clinique doit être modeste, voire trivial. Les meilleurs traitements de la dépression saisonnière restent les lumières de noël, les feux du nouvel an et de l’épiphanie, et les chandelles de la chandeleur.

Références

Recyclage des antidépresseurs

mercredi 7 décembre 2016

Les préoccupations écologiques conduisent à promouvoir la revalorisation des déchets. Dans cette nouvelle économie du recyclage, il convient de noter la singulière façon d’agir de l’industrie pharmaceutique.

La grande classe des antidépresseurs est la plus démonstrative de ce recyclage. Ces produits destinés à combattre les dépressions majeures et les syndromes dépressifs appartiennent à trois familles pharmacologiques : les IMAO inusités, les tricycliques et les plus récents ISRS (inhibiteurs de la recapture de la sérotonine) qui ont détrôné les deux premiers, car leur utilisation est réputée plus facile. Ces derniers ont été prescrits à tout va, depuis la petite déprime du lundi matin jusqu’à la grande mélancolie. Mais devant leur incapacité patente à guérir les dépressions et devant les graves dépendances qu’ils engendrent, plusieurs alertes ont été lancées.

Face à ce risque, les fabricants ont mis en place une forme particulière de recyclage : l’extension des indications. Mais cette extension a débordé le champ déjà immense des surdiagnostics de dépression, pour envahir d’autres champs de la médecine et de la vie quotidienne.

Les tricycliques ont, par exemple, été utilisés en pédiatrie dans l’énurésie (le pipi au lit) avec un modeste succès.

Puis, le hasard a montré que les ISRS sont assez efficaces dans les troubles obsessionnels compulsifs. Acceptons donc cette extension d’indication, même si les thérapies comportementales font toujours mieux.

Les antidépresseurs sont désormais largement utilisés dans le traitement des douleurs chroniques, notamment la fibromyalgie. Cette indication est plus logique puisqu’une dépression accompagne souvent ces douleurs, mais l’expérience confirme l’échec tout aussi chronique de ce traitement à moyen terme.

Après plusieurs échecs d’antidépresseurs dans l’obésité, une nouvelle pilule associant un antidépresseur avec un médicament d’aide au sevrage de la morphine revient à la charge contre l’obésité. La suite est connue d’avance…

Parmi les indications originales, il faut noter l’utilisation de deux antidépresseurs différents dans l’aide au sevrage tabagique.

Enfin, un nouvel antidépresseur vient d’être autorisé à la vente aux USA pour traiter les troubles de la libido et l’absence de désir féminin.

Que signifie un tel amoncellement d’indications ?

Faute d’avoir trouvé une définition correcte de la dépression, la médecine en a-t-elle conclu que tous les troubles, douleurs et maladies relèvent en partie d’une dépression ?

Nous avons au moins une certitude clinique pour les cas où ces nouvelles indications correspondraient à des pathologies encore mal identifiées : la prescription d’antidépresseurs génère au moins une maladie, incontestable et bien identifiée : la dépendance aux antidépresseurs.

Références

La science fait son marché

mardi 29 novembre 2016

En 1971 en lançant le « National Cancer Act » le président Richard Nixon s’engageait à vaincre le cancer dans les prochaines années. En septembre 2016, l’entreprise Microsoft a fait l’annonce d’un immense programme pour vaincre le cancer, dans le cadre de son grand plan promotionnel basé sur le transhumanisme et sa fantasmagorie. Poussant plus loin dans l’annonce, l’entreprise Facebook vient de proposer un plan d’éradication de la totalité des maladies avant 2100.

On peut sourire de l’optimisme grivois, de l’altruisme flamboyant, du romantisme populaire ou de l’aplomb cynique de ces marchands et démagogues ; mais reconnaissons volontiers qu’ils suscitent et financent la recherche.

On peut leur reprocher de faire des promesses intenables, sans jamais analyser le ratio des résultats sur les promesses. Ils nous rétorqueraient avec raison que les progrès ne cessent jamais et qu’il faut exiger beaucoup pour obtenir peu.

On peut leur opposer la froide rigueur de la science qui prend le temps d’observer et de constater avant de spéculer, alors qu’ils ne prennent aucune précaution dans leur fuite en avant.

Pourtant, à y regarder de plus près, la science et le marché procèdent de la même façon. Tous deux induisent, expérimentent, analysent et déduisent. La différence tient aux objets de ces inductions et déductions.

La science analyse l’objet « cancer » et cherche constamment à le redéfinir. Le marché analyse l’objet « impact du cancer sur les esprits ». La science analyse le paradoxe entre la diversité constante des maladies et l’augmentation régulière de l’espérance de vie. Le marchand observe que l’augmentation de l’espérance de vie exacerbe la demande de soins.

Cette différence d’objet confère une grande supériorité au marché, car il atteint presque toujours son but. Dans vingt ou trente ans, Microsoft et Facebook bâtiront un nouveau plan promotionnel identique au premier, en constatant le succès de l’investissement passé et la permanence de la demande.  Les scientifiques relativiseront les échecs et les succès pour développer de nouvelles façons de penser.

Cessons là cette théorisation abstraite, car en matière médicale, la dichotomie n’existe plus, la science, la démagogie et le marché travaillent ensemble depuis plus d’un siècle. Ne nous en plaignons pas, puisque l’ensemble n’a pas trop mal fonctionné.

Il nous faut pourtant encore plus de vigilance scientifique, car une nouvelle réalité est en train d’apparaître. Parmi les pays développés, c’est dans celui de Facebook et de Microsoft que l’espérance de vie devient la plus faible, que le niveau cognitif régresse le plus vite et que le rêve du transhumanisme échoue le plus lamentablement.

A l’heure où le créationnisme entre à la Maison Blanche, et même si le marché médical a un bel avenir, pour eux comme pour nous, ne faut-il pas s’inquiéter que leur science marchande pénètre notre santé après avoir échoué pour la leur ?

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Qui est fournisseur de vie ?

lundi 21 novembre 2016

Dans nos pays, l’hygiène du corps, de l’eau et des aliments a certainement fait gagner quinze ans d’espérance moyenne de vie à la naissance (EMVN) ; les vaccinations, autant, et les antibiotiques ont ajouté quelques années à ce bilan. Ces chiffres sont considérables, car la population bénéficiaire de ces progrès a été celle des enfants dont la survie a mathématiquement le plus fort impact sur les chiffres de l’EMVN. La mortalité des enfants de moins de 1 an était encore de 25% en 1925, contre 0,4% aujourd’hui.

Enfin les progrès de l’habitat, de l’éducation, et des conditions de travail ont grandement contribué à faire passer l’EMVN de 25 à 70 ans entre 1750 et 1950.

Dans la douzaine d’années d’EMVN que nous avons gagné depuis 1950, les progrès socio-économiques ont certainement été les premiers contributeurs. Quant aux progrès médicaux, il faut en scinder les bénéfices entre directs et indirects. Les vaccins, les médicaments et la chirurgie sont des interventions médicales directes sur les individus. La diminution du tabac ou des sucres, la réhabilitation du sport ou de l’allaitement maternel sont des actions indirectes, médiées par une meilleure connaissance. L’impact sur l’EMVN est mathématiquement plus faible en raison de l’âge plus élevé des nouveaux bénéficiaires. Cependant, la médecine indirecte a un impact encore significatif, car elle peut concerner des jeunes : allaitement du nourrisson, sport de l’enfant, tabagisme des adolescents, alimentation du jeune adulte. Quant à la médecine directe, son impact est devenu dérisoire, car il concerne majoritairement des âges encore plus avancés. Le gain d’EMVN par dépistage et traitement des cancers est estimé à deux ans. Les cinq ans gagnés par baisse des maladies cardio-vasculaires sont surtout d’ordre indirect (sport, alimentation, tabac, etc.) et très peu direct (anticoagulants, pontages, etc.).

L’EMVN des Occidentaux atteint sa limite, liée, d’une part, à la longévité de notre espèce, et d’autre part, à sa variabilité individuelle. Ce phénomène est connu sous le nom de « rectangulation » de la courbe d’espérance de vie : le nombre de centenaires augmente, mais le record de longévité ne bouge pas.

Les conclusions s’imposent : la médecine directe est dans une impasse, la médecine indirecte a encore quelque marge de manœuvre, mais l’essentiel du progrès sanitaire réside dans les progrès socio-économiques et politiques. Hélas, notre pays, classiquement fier de sa protection sociale, enregistre, depuis quelques décennies, une très forte augmentation des inégalités sanitaires, étroitement corrélée à celle des inégalités socio-économiques.

Je suis désolé pour mes confrères qui ont fait des années d’études pour comprendre les maladies neurodégénératives ou réussir des angioplasties transcutanées, mais le pouvoir de fournir de la vie appartient désormais quasi exclusivement aux sciences politiques et économiques.

Références

Réductionnisme réducteur

lundi 7 novembre 2016

Dans son discours de la méthode, Descartes a argumenté sur la nécessité de décomposer les objets d’études en autant de parcelles qu’il était possible, pour trouver des lois et des explications à partir du plus simple ou du plus petit. Puis, en recomposant la chaîne des relations entre les parties, on pouvait comprendre l’ensemble. Ce précepte, connu sous le nom de réductionnisme scientifique, a été très efficace en physique. Comprendre les particules élémentaires a permis de mieux comprendre la matière et ses propriétés physico-chimiques.

Pendant longtemps, les vitalistes ont refusé d’appliquer cette méthode aux sciences de la vie, au prétexte que la matière vivante n’était pas réductible à ses propriétés physico-chimiques, car elle recelait, en plus, un « souffle vital » inaccessible à toute exploration physique.

Mais, avec le développement de la génétique et de la biologie moléculaire, il est apparu que le réductionnisme pouvait aussi s’appliquer avec un certain succès à la matière vivante. Puis, l’épigénétique a redonné de la vigueur au vitalisme en montrant que le gène ne pouvait pas tout expliquer. Mais on s’est vite aperçu que l’épigénétique elle-même se réduisait à seulement deux ou trois réactions biochimiques.

Avec de tels succès, le réductionnisme scientifique a été érigé en dogme. Aucune science ne peut désormais lui échapper.

La médecine clinique, elle aussi, en devenant science biomédicale, est irrésistiblement devenue réductionniste. Comme les vitalistes d’antan, les cliniciens ont fait de la résistance, au prétexte que les symptômes cliniques ne peuvent pas être réductibles à des lésions anatomiques, génétiques ou moléculaires. Mais ils ont fini par se soumettre à leur tour.

Ce réductionnisme a été d’autant plus efficace en médecine qu’il a vite démontré une efficacité marchande dépassant de loin ses capacités explicatives. On a progressivement oublié que la plupart des maladies résultaient de plusieurs facteurs dont l’importance relative était difficile, voire impossible à déterminer. Aujourd’hui le monofactoriel et le réductionnisme dominent l’épistémologie du soin : un LDL égale un accident vasculaire, un PSA égale un cancer de la prostate, une protéine tau égale une maladie d’Alzheimer, un BrCa1 égale un cancer du sein, un helicobacter égale un ulcère.

Quel confort pour le clinicien qui n’a plus à se compromettre dans des explications hasardeuses relatives à l’individualité de son patient, ni à lui poser d’indiscrètes questions sur son environnement social ou culturel. Il lui suffit désormais de déplier devant ses yeux l’argumentaire clinique élaboré par le marchand, copie conforme du dépliant du visiteur médical. La réduction des capacités cognitives est telle que j’ai même vu de grands universitaires se contenter d’un copier-coller.

Le réductionnisme clinique est devenu réducteur à tous les sens du terme.

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Il est urgent d’attendre

mardi 25 octobre 2016

Pendant longtemps les médecins de famille ont été habitués à ne faire appel à des spécialistes que pour des cas qu’ils jugeaient sérieux. Les généralistes étaient nommés médecins « traitants » et les spécialistes, généralement hospitaliers, étaient des « consultants ». Il était admis que les omnipraticiens, s’ils n’avaient pas toutes les expertises, avaient au moins celle de la gravité et étaient aptes à décider seuls de l’urgence absolue ou relative.

Lorsque les spécialistes ont commencé à devenir significativement plus nombreux en ville, dans les années 1970-1980, les patients ont eu recours à ces experts plus abordables, indépendamment de toute notion de gravité ou d’urgence. Les spécialistes prirent alors l’habitude de gérer des cas bénins, dont ils découvrirent aussi l’intérêt commercial.

Leur moindre disponibilité aboutit même à certains retournements de situation. Par exemple, les urgences pédiatriques de nuit et de week-end  revenaient aux généralistes, alors que les vaccinations et consultations routinières de jour et de semaine revenaient aux pédiatres. Ou encore, la réduction de personnel dans les hôpitaux en période de vacances, modifia le concept d’urgence. Un généraliste qui appelait un expert en mars ou en novembre se voyait conseillé d’hospitaliser son patient sans délai, et lorsqu’il appelait en août, pour un cas similaire, il était alors félicité de ses bons soins à domicile. Certains omnipraticiens s’en amusaient en se déclarant spécialiste de nuit et généraliste de jour ou hospitalier d’été et libéral d’automne.

Saura-t-on jamais si le soin était meilleur lorsque l’urgence était partagée par tous ?

Faut-il déplorer que les généralistes aient eux-aussi fermé leur porte, la nuit, le week-end et les vacances ? Peut-être, comme le confirment les études sur « l’effet week-end ». Le risque de décès après une intervention chirurgicale pratiquée le vendredi augmente de 85% dans les deux jours suivants, et de 45% dans les trente jours suivants, car la surveillance post-opératoire est moins bonne le week-end. Il en est de même pour les accidents vasculaires où la mortalité de week-end est plus élevée.

Cette évolution des pratiques médicales a évidemment allongé les files d’attente aux urgences. Lorsque le délai d’attente passe de moins d’une heure à plus de six heures, le taux de mortalité double pour les pathologies aigues et les urgences relatives.

Mais réjouissons-nous, les enfants s’en sortent bien. Des chiffres surprenants révèlent que 5 à 10% des parents quittent les urgences sans que leur enfant ait été examiné. Parmi ces délaissés, 85% guérissent sans soins dans les jours suivants. Voilà qui autorise désormais à conseiller aux parents de retarder, voire d’éviter, les consultations de généralistes et pédiatres nocturnes et diurnes.

La désertion des soignants et l’encombrement des urgences nous apprennent qu’en matière de soins, il est souvent urgent d’attendre.

Références