Helicobacter pylori est une bactérie présente dans l’estomac depuis l’origine de l’humanité. Comme le staphylocoque ou le colibacille, cette bactérie saprophyte peut se transformer au gré de la diversité humaine et de son environnement et provoquer des infections inopportunes. La gastrite provoquée par H. pylori est peu gênante puisqu’elle ne donne des symptômes qu’une fois sur dix. Cette bactérie nommée « pseudo-commensale » par les immunologistes est presque toujours silencieuse et nous protège même contre certaines maladies allergiques. Hélas, parfois, quand l’estomac est trop acide, elle prolifère et favorise des ulcères, qui en récidivant, peuvent favoriser des mutations et des cancers, selon la logique implacable du vieillissement des organes.
Marshall et Warren ont démontré tout cela en 1984 et ont reçu le prix Nobel en 2005 pour cette découverte qui a permis d’accélérer le traitement des ulcères avec des antibiotiques au lieu de n’utiliser que des antiacides comme auparavant.
Tout était parfait : une technologie ayant permis de voir cette bactérie jusque-là invisible, une cause simple expliquant l’ulcère, un traitement antibiotique efficace et une publication sur le prestigieux Lancet en 1988. Très vite, on ne jura plus que par les antibiotiques pour guérir l’ulcère. Les marchands d’antiacides n’étaient pas contents, mais ils ont trouvé la parade en proposant leur traitement à vie pour supprimer l’acidité gastrique. Car si les médecins adorent les causes uniques, les pharmaciens préfèrent les multiples quand existe un traitement pour chaque facteur causal.
Avec des mots incantatoires tels que microbe, Nobel, Lancet, antibiotique, cette histoire d’Helicobacter était faite pour séduire et durer. Elle a duré à peine trois décennies, ce qui est beaucoup si l’on considère que dans la même période le déterminisme unique de la génétique a lui-même été balayé par les notions d’environnement et d’épigénétique.
Comme toujours, cette logique fixiste et réductionniste s’est heurtée à la mouvance de la biologie. L’hyperacidité gastrique persiste, liée à de nombreux facteurs environnementaux. H. pylori est devenu résistant, nécessitant 2, puis 3, voire 4 antibiotiques aujourd’hui.
Sans être prophète, plusieurs suites sont imaginables. Helicobacter deviendra toto-résistante ou sera remplacée par une autre bactérie plus ou moins méchante. L’acidité sera réexaminée, surtout si l’on découvre un nouvel antiacide à explication moléculaire nobélisable. Les ulcéreux anxieux se tourneront vers les médecines alternatives. J’espère que l’on ne reviendra pas à l’ablation de l’estomac comme à l’époque du bistouri-roi.
J’apprends enfin qu’un vaccin est à l’étude. Ce sera le premier vaccin contre une bactérie pseudo-commensale. Cela me fait penser aux souris de laboratoire auxquelles on a enlevé toute la flore microbienne, on les nomme « axéniques ».
L’idée d’avoir à choisir un jour entre ulcéreux et axénique me donne un peu d’acidité gastrique.