On n’y avait pas pensé

18 décembre 2016

Les études indépendantes montrant la grande toxicité du glyphosate (alias Roundup) sont de plus en plus nombreuses avec des résultats de plus en plus alarmistes. En réponse à ces alarmes, le fabricant pointe les biais de ces études selon le procédé classique de l’agnotologie, consistant à semer le doute dans tous les savoirs. Ce procédé fonctionne d’autant mieux face à la science qu’elle est, par essence, autocritique, dialectique, expérimentale et réfutable. Elle est donc une proie facile pour ceux qui incarnent l’antithèse de chacun de ces qualificatifs.

Curieux d’en savoir plus sur cette polémique, j’ai découvert d’anciennes publicités pour ce désherbant universel. On y voit des photos de champs remplis d’herbes indésirables et d’autres où toute végétation a disparu après l’épandage de l’herbicide. Les agriculteurs figurants sont figés de ravissement devant cette désolation végétale. L’évidence de la toxicité est telle que l’on a de la peine à comprendre qu’elle n’ait pas immédiatement sauté aux yeux des prospects de cette époque.

Les inévitables biais des études de toxicité nous apparaissent aujourd’hui bien dérisoires par rapport au fait que de telles études aient été jugées nécessaires. Car, paradoxalement, rien n’est plus difficile que de modéliser l’évidence.

Cet aveuglement devant l’évidence n’est pas l’apanage des agriculteurs, tous les acteurs des sciences du vivant semblent en être également victimes. Lorsque les marchands ont eu l’idée de vendre du lait de vache pour nourrir les nourrissons de femmes, ni les pédiatres, ni les sages-femmes n’ont noté cette discordance. Et le marché qui sait manifestement jouer avec les évidences a réussi à faire dire aux femmes elles-mêmes qu’elles n’étaient pas des vaches. Certes, il y avait de plus élégants procédés pour favoriser leur « libération », mais celui-là a bien fonctionné à une époque où les femmes étaient majoritairement confinées au foyer.

Ces laits en poudre, même « maternisés », ont multiplié par cinq ou dix les infections et hospitalisations des nourrissons, mais il a fallu faire des études pour s’en rendre compte. Nul n’avait jamais supposé que l’immunologie des hommes puisse différer de celle des bovins. L’évolution a produit pour chaque mammifère un lait strictement adapté aux besoins de ses petits, c’est vraiment judicieux !

Le glyphosate et le lait en poudre sont rassemblés ici, car ils sont emblématique de la même réalité : le marché est toujours dispensé des preuves de l’innocuité, et c’est à la science que revient d’apporter les preuves de la toxicité. Et la science se doit d’être parfaite, car rien ne semble moins évident qu’une évidence.

Post-scriptum : Il nous faut maintenant promouvoir l’égalité des chances et des salaires pour les femmes en même temps que la perfection de leur lait. Cela me paraît facile comparé aux exploits des marchands.

Bibliographie

Recyclage des antidépresseurs

7 décembre 2016

Les préoccupations écologiques conduisent à promouvoir la revalorisation des déchets. Dans cette nouvelle économie du recyclage, il convient de noter la singulière façon d’agir de l’industrie pharmaceutique.

La grande classe des antidépresseurs est la plus démonstrative de ce recyclage. Ces produits destinés à combattre les dépressions majeures et les syndromes dépressifs appartiennent à trois familles pharmacologiques : les IMAO inusités, les tricycliques et les plus récents ISRS (inhibiteurs de la recapture de la sérotonine) qui ont détrôné les deux premiers, car leur utilisation est réputée plus facile. Ces derniers ont été prescrits à tout va, depuis la petite déprime du lundi matin jusqu’à la grande mélancolie. Mais devant leur incapacité patente à guérir les dépressions et devant les graves dépendances qu’ils engendrent, plusieurs alertes ont été lancées.

Face à ce risque, les fabricants ont mis en place une forme particulière de recyclage : l’extension des indications. Mais cette extension a débordé le champ déjà immense des surdiagnostics de dépression, pour envahir d’autres champs de la médecine et de la vie quotidienne.

Les tricycliques ont, par exemple, été utilisés en pédiatrie dans l’énurésie (le pipi au lit) avec un modeste succès.

Puis, le hasard a montré que les ISRS sont assez efficaces dans les troubles obsessionnels compulsifs. Acceptons donc cette extension d’indication, même si les thérapies comportementales font toujours mieux.

Les antidépresseurs sont désormais largement utilisés dans le traitement des douleurs chroniques, notamment la fibromyalgie. Cette indication est plus logique puisqu’une dépression accompagne souvent ces douleurs, mais l’expérience confirme l’échec tout aussi chronique de ce traitement à moyen terme.

Après plusieurs échecs d’antidépresseurs dans l’obésité, une nouvelle pilule associant un antidépresseur avec un médicament d’aide au sevrage de la morphine revient à la charge contre l’obésité. La suite est connue d’avance…

Parmi les indications originales, il faut noter l’utilisation de deux antidépresseurs différents dans l’aide au sevrage tabagique.

Enfin, un nouvel antidépresseur vient d’être autorisé à la vente aux USA pour traiter les troubles de la libido et l’absence de désir féminin.

Que signifie un tel amoncellement d’indications ?

Faute d’avoir trouvé une définition correcte de la dépression, la médecine en a-t-elle conclu que tous les troubles, douleurs et maladies relèvent en partie d’une dépression ?

Nous avons au moins une certitude clinique pour les cas où ces nouvelles indications correspondraient à des pathologies encore mal identifiées : la prescription d’antidépresseurs génère au moins une maladie, incontestable et bien identifiée : la dépendance aux antidépresseurs.

Références

La science fait son marché

29 novembre 2016

En 1971 en lançant le « National Cancer Act » le président Richard Nixon s’engageait à vaincre le cancer dans les prochaines années. En septembre 2016, l’entreprise Microsoft a fait l’annonce d’un immense programme pour vaincre le cancer, dans le cadre de son grand plan promotionnel basé sur le transhumanisme et sa fantasmagorie. Poussant plus loin dans l’annonce, l’entreprise Facebook vient de proposer un plan d’éradication de la totalité des maladies avant 2100.

On peut sourire de l’optimisme grivois, de l’altruisme flamboyant, du romantisme populaire ou de l’aplomb cynique de ces marchands et démagogues ; mais reconnaissons volontiers qu’ils suscitent et financent la recherche.

On peut leur reprocher de faire des promesses intenables, sans jamais analyser le ratio des résultats sur les promesses. Ils nous rétorqueraient avec raison que les progrès ne cessent jamais et qu’il faut exiger beaucoup pour obtenir peu.

On peut leur opposer la froide rigueur de la science qui prend le temps d’observer et de constater avant de spéculer, alors qu’ils ne prennent aucune précaution dans leur fuite en avant.

Pourtant, à y regarder de plus près, la science et le marché procèdent de la même façon. Tous deux induisent, expérimentent, analysent et déduisent. La différence tient aux objets de ces inductions et déductions.

La science analyse l’objet « cancer » et cherche constamment à le redéfinir. Le marché analyse l’objet « impact du cancer sur les esprits ». La science analyse le paradoxe entre la diversité constante des maladies et l’augmentation régulière de l’espérance de vie. Le marchand observe que l’augmentation de l’espérance de vie exacerbe la demande de soins.

Cette différence d’objet confère une grande supériorité au marché, car il atteint presque toujours son but. Dans vingt ou trente ans, Microsoft et Facebook bâtiront un nouveau plan promotionnel identique au premier, en constatant le succès de l’investissement passé et la permanence de la demande.  Les scientifiques relativiseront les échecs et les succès pour développer de nouvelles façons de penser.

Cessons là cette théorisation abstraite, car en matière médicale, la dichotomie n’existe plus, la science, la démagogie et le marché travaillent ensemble depuis plus d’un siècle. Ne nous en plaignons pas, puisque l’ensemble n’a pas trop mal fonctionné.

Il nous faut pourtant encore plus de vigilance scientifique, car une nouvelle réalité est en train d’apparaître. Parmi les pays développés, c’est dans celui de Facebook et de Microsoft que l’espérance de vie devient la plus faible, que le niveau cognitif régresse le plus vite et que le rêve du transhumanisme échoue le plus lamentablement.

A l’heure où le créationnisme entre à la Maison Blanche, et même si le marché médical a un bel avenir, pour eux comme pour nous, ne faut-il pas s’inquiéter que leur science marchande pénètre notre santé après avoir échoué pour la leur ?

Références

Qui est fournisseur de vie ?

21 novembre 2016

Dans nos pays, l’hygiène du corps, de l’eau et des aliments a certainement fait gagner quinze ans d’espérance moyenne de vie à la naissance (EMVN) ; les vaccinations, autant, et les antibiotiques ont ajouté quelques années à ce bilan. Ces chiffres sont considérables, car la population bénéficiaire de ces progrès a été celle des enfants dont la survie a mathématiquement le plus fort impact sur les chiffres de l’EMVN. La mortalité des enfants de moins de 1 an était encore de 25% en 1925, contre 0,4% aujourd’hui.

Enfin les progrès de l’habitat, de l’éducation, et des conditions de travail ont grandement contribué à faire passer l’EMVN de 25 à 70 ans entre 1750 et 1950.

Dans la douzaine d’années d’EMVN que nous avons gagné depuis 1950, les progrès socio-économiques ont certainement été les premiers contributeurs. Quant aux progrès médicaux, il faut en scinder les bénéfices entre directs et indirects. Les vaccins, les médicaments et la chirurgie sont des interventions médicales directes sur les individus. La diminution du tabac ou des sucres, la réhabilitation du sport ou de l’allaitement maternel sont des actions indirectes, médiées par une meilleure connaissance. L’impact sur l’EMVN est mathématiquement plus faible en raison de l’âge plus élevé des nouveaux bénéficiaires. Cependant, la médecine indirecte a un impact encore significatif, car elle peut concerner des jeunes : allaitement du nourrisson, sport de l’enfant, tabagisme des adolescents, alimentation du jeune adulte. Quant à la médecine directe, son impact est devenu dérisoire, car il concerne majoritairement des âges encore plus avancés. Le gain d’EMVN par dépistage et traitement des cancers est estimé à deux ans. Les cinq ans gagnés par baisse des maladies cardio-vasculaires sont surtout d’ordre indirect (sport, alimentation, tabac, etc.) et très peu direct (anticoagulants, pontages, etc.).

L’EMVN des Occidentaux atteint sa limite, liée, d’une part, à la longévité de notre espèce, et d’autre part, à sa variabilité individuelle. Ce phénomène est connu sous le nom de « rectangulation » de la courbe d’espérance de vie : le nombre de centenaires augmente, mais le record de longévité ne bouge pas.

Les conclusions s’imposent : la médecine directe est dans une impasse, la médecine indirecte a encore quelque marge de manœuvre, mais l’essentiel du progrès sanitaire réside dans les progrès socio-économiques et politiques. Hélas, notre pays, classiquement fier de sa protection sociale, enregistre, depuis quelques décennies, une très forte augmentation des inégalités sanitaires, étroitement corrélée à celle des inégalités socio-économiques.

Je suis désolé pour mes confrères qui ont fait des années d’études pour comprendre les maladies neurodégénératives ou réussir des angioplasties transcutanées, mais le pouvoir de fournir de la vie appartient désormais quasi exclusivement aux sciences politiques et économiques.

Références

Réductionnisme réducteur

7 novembre 2016

Dans son discours de la méthode, Descartes a argumenté sur la nécessité de décomposer les objets d’études en autant de parcelles qu’il était possible, pour trouver des lois et des explications à partir du plus simple ou du plus petit. Puis, en recomposant la chaîne des relations entre les parties, on pouvait comprendre l’ensemble. Ce précepte, connu sous le nom de réductionnisme scientifique, a été très efficace en physique. Comprendre les particules élémentaires a permis de mieux comprendre la matière et ses propriétés physico-chimiques.

Pendant longtemps, les vitalistes ont refusé d’appliquer cette méthode aux sciences de la vie, au prétexte que la matière vivante n’était pas réductible à ses propriétés physico-chimiques, car elle recelait, en plus, un « souffle vital » inaccessible à toute exploration physique.

Mais, avec le développement de la génétique et de la biologie moléculaire, il est apparu que le réductionnisme pouvait aussi s’appliquer avec un certain succès à la matière vivante. Puis, l’épigénétique a redonné de la vigueur au vitalisme en montrant que le gène ne pouvait pas tout expliquer. Mais on s’est vite aperçu que l’épigénétique elle-même se réduisait à seulement deux ou trois réactions biochimiques.

Avec de tels succès, le réductionnisme scientifique a été érigé en dogme. Aucune science ne peut désormais lui échapper.

La médecine clinique, elle aussi, en devenant science biomédicale, est irrésistiblement devenue réductionniste. Comme les vitalistes d’antan, les cliniciens ont fait de la résistance, au prétexte que les symptômes cliniques ne peuvent pas être réductibles à des lésions anatomiques, génétiques ou moléculaires. Mais ils ont fini par se soumettre à leur tour.

Ce réductionnisme a été d’autant plus efficace en médecine qu’il a vite démontré une efficacité marchande dépassant de loin ses capacités explicatives. On a progressivement oublié que la plupart des maladies résultaient de plusieurs facteurs dont l’importance relative était difficile, voire impossible à déterminer. Aujourd’hui le monofactoriel et le réductionnisme dominent l’épistémologie du soin : un LDL égale un accident vasculaire, un PSA égale un cancer de la prostate, une protéine tau égale une maladie d’Alzheimer, un BrCa1 égale un cancer du sein, un helicobacter égale un ulcère.

Quel confort pour le clinicien qui n’a plus à se compromettre dans des explications hasardeuses relatives à l’individualité de son patient, ni à lui poser d’indiscrètes questions sur son environnement social ou culturel. Il lui suffit désormais de déplier devant ses yeux l’argumentaire clinique élaboré par le marchand, copie conforme du dépliant du visiteur médical. La réduction des capacités cognitives est telle que j’ai même vu de grands universitaires se contenter d’un copier-coller.

Le réductionnisme clinique est devenu réducteur à tous les sens du terme.

Références

Il est urgent d’attendre

25 octobre 2016

Pendant longtemps les médecins de famille ont été habitués à ne faire appel à des spécialistes que pour des cas qu’ils jugeaient sérieux. Les généralistes étaient nommés médecins « traitants » et les spécialistes, généralement hospitaliers, étaient des « consultants ». Il était admis que les omnipraticiens, s’ils n’avaient pas toutes les expertises, avaient au moins celle de la gravité et étaient aptes à décider seuls de l’urgence absolue ou relative.

Lorsque les spécialistes ont commencé à devenir significativement plus nombreux en ville, dans les années 1970-1980, les patients ont eu recours à ces experts plus abordables, indépendamment de toute notion de gravité ou d’urgence. Les spécialistes prirent alors l’habitude de gérer des cas bénins, dont ils découvrirent aussi l’intérêt commercial.

Leur moindre disponibilité aboutit même à certains retournements de situation. Par exemple, les urgences pédiatriques de nuit et de week-end  revenaient aux généralistes, alors que les vaccinations et consultations routinières de jour et de semaine revenaient aux pédiatres. Ou encore, la réduction de personnel dans les hôpitaux en période de vacances, modifia le concept d’urgence. Un généraliste qui appelait un expert en mars ou en novembre se voyait conseillé d’hospitaliser son patient sans délai, et lorsqu’il appelait en août, pour un cas similaire, il était alors félicité de ses bons soins à domicile. Certains omnipraticiens s’en amusaient en se déclarant spécialiste de nuit et généraliste de jour ou hospitalier d’été et libéral d’automne.

Saura-t-on jamais si le soin était meilleur lorsque l’urgence était partagée par tous ?

Faut-il déplorer que les généralistes aient eux-aussi fermé leur porte, la nuit, le week-end et les vacances ? Peut-être, comme le confirment les études sur « l’effet week-end ». Le risque de décès après une intervention chirurgicale pratiquée le vendredi augmente de 85% dans les deux jours suivants, et de 45% dans les trente jours suivants, car la surveillance post-opératoire est moins bonne le week-end. Il en est de même pour les accidents vasculaires où la mortalité de week-end est plus élevée.

Cette évolution des pratiques médicales a évidemment allongé les files d’attente aux urgences. Lorsque le délai d’attente passe de moins d’une heure à plus de six heures, le taux de mortalité double pour les pathologies aigues et les urgences relatives.

Mais réjouissons-nous, les enfants s’en sortent bien. Des chiffres surprenants révèlent que 5 à 10% des parents quittent les urgences sans que leur enfant ait été examiné. Parmi ces délaissés, 85% guérissent sans soins dans les jours suivants. Voilà qui autorise désormais à conseiller aux parents de retarder, voire d’éviter, les consultations de généralistes et pédiatres nocturnes et diurnes.

La désertion des soignants et l’encombrement des urgences nous apprennent qu’en matière de soins, il est souvent urgent d’attendre.

Références

Les dépistages de cancers ont un bel avenir

14 octobre 2016

Dans les incessantes polémiques sur l’utilité des dépistages en cancérologie, les données de la science tiennent bien peu de place, loin derrière l’idéologie et les émotions.

Plus les études avancent, plus il apparaît que ces dépistages ont un intérêt nul ou négligeable en termes de santé publique, et plus les études incluent les paramètres de qualité de vie, plus ces dépistages se révèlent nuisibles en terme de santé individuelle.

Mais les opinions des patients, ainsi que de nombreux médecins et décideurs, ne sont pas modifiées par toutes ces analyses, car leurs principaux déterminants sont d’ordre psycho-social.

Du côté des décideurs et des médecins, le drame du cancer se traduit par des « il faut bien faire quelque-chose », « on ne peut pas rester sans rien faire ». Et cet activisme émotionnel conduit à considérer que toute action, par le seul fait d’être engagée, est dispensée de la preuve de son efficacité. À tel point que le succès d’un dépistage ne se mesure pas en gain de vie, mais en nombre de participants.

Du côté des patients, tout se résume aux « intimes convictions ». Ceux à qui l’on a dépisté un petit cancer ont l’intime conviction que leur vie a été sauvée grâce à ce dépistage précoce, et leurs médecins en sont flattés. Ceux à qui l’on a diagnostiqué un cancer avancé ont l’intime conviction que ce cancer aurait pu être évité s’il avait été dépisté avant, et leurs médecins en sont culpabilisés.

Ceux qui tentent d’ébranler ces deux convictions passent au mieux pour des ignorants, au pire pour des inconscients.

Ces convictions sont si intimes qu’elles confinent à une confusion entre dépistage et prévention, alors qu’il n’y a aucun rapport entre les deux. Le dépistage a pour but de trouver un cancer déjà présent, la prévention a pour but d’empêcher sa survenue. Aucun dépistage ne peut empêcher la survenue d’un cancer.

Enfin, du côté des citoyens, l’irrationalité des choix est encore plus surprenante puisque deux-tiers de nos contemporains sont prêts à se soumettre à un dépistage, même pour des maladies où n’existe aucun soin !

Ce ne sont donc pas les résultats des études qui peuvent ébranler ces intimes convictions et ces choix irrationnels. Plusieurs pays abandonnent déjà certains de ces dépistages de masse, devant les preuves de leur inutilité ; mais ne doutons pas que les dépistages dits ‘sauvages’ continueront. Car devant une clientèle aussi captive, les marchands de dépistages n’auront même pas besoin de convoquer la science pour développer leur argumentaire. Une boule de cristal suffit largement.

Bibliographie

Pauvre lait maternel

6 octobre 2016

Le 5 septembre 2016, une information a fait la une des médias après le décès de deux grands prématurés, car une première corrélation avait été établie avec le lait maternel en provenance du lactarium de l’hôpital Necker, que tous deux consommaient.

La bactérie (Bacillus cereus) supposée responsable n’avait cependant pas encore été retrouvée dans le lait du lactarium et les résultats étaient attendus une semaine plus tard…

Il aurait été logique que ces résultats, positifs ou négatifs, fassent encore la une de tous les médias. Or il n’en a rien été.

Cette anecdote, entre mille, est un exemple emblématique de la démesure de l’information sanitaire et plus particulièrement en matière d’infectiologie. L’épidémie de SIDA n’avait pas été prévue et toutes les épidémies que le XX° siècle a redoutées ont été insignifiantes ou n’ont pas eu lieu.

De la même manière, les annonces de recherches en cours et de miracles thérapeutiques sont suivies d’effets concrets environ une fois sur cent.

En matière sanitaire, la sérénité fait toujours défaut, on souffle l’espoir et la terreur avec la même démesure.

Mais, dans le cas du lactarium, il faut regretter en plus une criante asymétrie de l’information dont les répercussions sanitaires ont un caractère bien plus concret. Trente ans se sont écoulés entre les premières alertes sur les dangers de malformation liés à la Dépakine et leur médiatisation. Autant d’années entre les alertes sur les dérivés amphétaminiques (dont le médiator) et l’information au grand public. Même constat pour tous les médicaments de l’obésité, qui ont tous été retirés du marché bien longtemps après leurs dégâts sanitaires.

Le lait maternel du lactarium Necker n’a pas eu la chance de bénéficier de cet étonnant silence médiatique. Il a été présumé coupable, avant la moindre preuve. Preuve qui n’arrivera peut-être jamais, car il faut rappeler avec une triste lucidité que les grands prématurés sont très fragiles et que la cause de leur mort est généralement plurifactorielle.

La grande clémence envers les médicaments détonne encore plus quand on la compare avec cet acharnement contre le lait maternel.

Pauvre lait maternel, il n’avait pas besoin de cette contre-publicité dans notre pays où il est très difficile de le réhabiliter.

Les journaux devraient pourtant ressasser que le lait maternel est le plus sûr moyen de diviser par six à dix les infections et hospitalisations du nourrisson, et qu’à ce jour, aucun médicament n’a réussi à faire aussi bien, même quand il avait fait la une.

Références

La science prise en grippe

3 octobre 2016

Comme chaque année, l’assurance-maladie envoie les documents de prise en charge gratuite du vaccin antigrippal aux personnes de plus de 65 ans.

Les vaccinations restent la plus belle avancée de la médecine et probablement l’un des premiers facteurs du gain d’espérance moyenne de vie à la naissance dans nos pays.

Bien qu’il n’ait qu’une efficacité partielle (estimée à 60%) et ne puisse éradiquer cette pathologie en raison de la grande mutabilité du virus, le vaccin antigrippal a probablement limité certaines épidémies ainsi que l’étendue des grippes saisonnières. Par ailleurs, les effets secondaires restent négligeables. Mes lectures des études et méta-analyses me portent, sans enthousiasme, à être plutôt favorable à cette vaccination et à sa promotion.

Depuis quelques années, hélas, notre pays constate un net recul du taux des vaccinations en général. J’ai déjà consacré plusieurs rubriques à la vaccination, dont une au thème de l’obligation vaccinale, comme facteur paradoxal de diminution des couvertures vaccinales.

Une autre raison de la désaffection vaccinale pourrait provenir des arguments promotionnels eux-mêmes. Le message qui accompagne le document de cette année en est une parfaite démonstration : « Plus de 90% des décès attribués à la grippe concernent des personnes de plus de 65 ans. »

Cette phrase argumentaire est dépourvue de toute information épidémiologique, puisque 90% des décès dans toutes les pathologies, infectieuses, tumorales, neurodégénératives ou cardiovasculaires concernent, fort heureusement, des personnes de plus de 65 ans. Les seules exceptions notables concernent la traumatologie de la route, du sport ou du travail.

Pourquoi, en matière de santé, nos ministères ont pris l’habitude d’infantiliser nos concitoyens en choisissant la trivialité mercatique plutôt que l’information éclairée ?

Pourquoi toujours agir comme si nos concitoyens étaient plus stupides en matière de santé qu’ils ne le sont dans d’autres domaines aussi importants pour leur quantité et leur qualité de vie (profession, logement, etc.) ?

Pourquoi ne pas corréler les taux de mortalité avec les taux de couverture vaccinale ou comparer les taux de mortalité entre le groupe des vaccinés et celui des non-vaccinés. Ces informations seraient plus riches d’enseignement et plus respectueuse des capacités cognitives de leurs destinataires. Le fait de ne pas les indiquer peut même laisser supposer qu’elles sont indisponibles ou non pertinentes.

Quel dommage que la science soit toujours au second plan dans l’information sanitaire, jusqu’à ne plus se rendre compte de la vacuité d’un message indiquant que le risque de mourir est supérieur après 65 ans.

Références bibliographiques

Migraine d’un économiste

25 septembre 2016

Ce matin-là, il sifflote, la vie est plutôt belle.

Dans sa boîte aux lettres, pourtant recouverte d’une étiquette interdisant la publicité, un courrier l’invite à dépister un éventuel cancer silencieux du côlon. Il déchire la lettre et démarre son véhicule où l’autoradio entame une musique qui lui redonne envie de siffloter… Tout à coup, un « spot » l’avertit qu’il souffre peut-être d’une dépression sans le savoir, car il existe des dépressions dites « masquées » dont il faut se méfier. Incroyable ! Il sourit à l’idée que les dépressions peuvent être aussi masquées que les publicités. Un vrai carnaval !

Cela lui rappelle son ami, visiteur médical, marchand d’antimigraineux, affirmant que l’on pouvait avoir des migraines sans le savoir ! Il avait alors brocardé qu’en cas de migraines, il choisirait celles-ci !

L’autoradio diffuse maintenant une émission sur l’hyperactivité infantile. Le spécialiste interrogé insiste sur le fait que les médecins et les parents sous-estiment ce problème.

Lorsqu’il arrive sur son lieu de son travail, il ne sifflote plus. Un dernier spot l’interpelle : « Si dans la rue, vous voyez quelqu’un avec la bouche tordue, n’hésitez pas à appeler le SAMU, car c’est peut-être un accident vasculaire cérébral. » De tels propos ne s’inventent pas. Il éclate de rire : « voilà, je vous appelle parce-que j’ai vu une dame avec la bouche tordue. »…

En faisant ses courses après sa journée de travail, il se surprend à regarder les étiquettes des produits, alors qu’il ne le fait jamais. Il y est question de protection contre les mauvaises graisses. Une étiquette plus savante vante un produit qui rallonge les télomères ; il a déjà entendu parler de ces trucs-là, et il suppute qu’il doit être préférable d’avoir de plus longs télomères.

Enfin arrivé chez lui, il apprécie sa chance d’avoir un appartement avec une belle vue sur Paris. Tiens, la tour Eiffel est décorée de rose. Que se passe-t-il ?

Mais tu sais bien que c’est « octobre rose », le mois de l’incitation au dépistage du cancer du sein lui répond sa féministe de conjointe. Mais rassure-toi, les hommes ne sont pas exclus, car le mois prochain c’est « movember » (moustaches de novembre) pour promouvoir le dépistage du cancer de la prostate… Non, non, elle n’a pas inventé cela non plus…

Au fait, j’ai vu le médecin de ma mère aujourd’hui, il me dit qu’elle pourrait avoir un déficit cognitif, c’est bizarre, je ne m’en suis pas aperçu. Et toi ?

Moi non plus, mais c’est peut-être parce-que nous avons un déficit cognitif ?

Décidément rien ne l’empêchera de rire aujourd’hui. Sauf peut-être la lecture de son journal économique qui lui apprend que le marché de la santé représente 11,6% du PIB. Son cerveau pédale alors à toute allure… Comment la part de PIB perdue par la baisse du moral des ménages, peut être regagnée par le surplus de marché sanitaire qu’engendre la propagande alarmiste qui baisse à son tour le moral des ménages ?

Un vrai casse-tête à donner une migraine non masquée.

Références bibliographiques