Archive pour la catégorie ‘Médecine’

Les dépistages de cancers ont un bel avenir

vendredi 14 octobre 2016

Dans les incessantes polémiques sur l’utilité des dépistages en cancérologie, les données de la science tiennent bien peu de place, loin derrière l’idéologie et les émotions.

Plus les études avancent, plus il apparaît que ces dépistages ont un intérêt nul ou négligeable en termes de santé publique, et plus les études incluent les paramètres de qualité de vie, plus ces dépistages se révèlent nuisibles en terme de santé individuelle.

Mais les opinions des patients, ainsi que de nombreux médecins et décideurs, ne sont pas modifiées par toutes ces analyses, car leurs principaux déterminants sont d’ordre psycho-social.

Du côté des décideurs et des médecins, le drame du cancer se traduit par des « il faut bien faire quelque-chose », « on ne peut pas rester sans rien faire ». Et cet activisme émotionnel conduit à considérer que toute action, par le seul fait d’être engagée, est dispensée de la preuve de son efficacité. À tel point que le succès d’un dépistage ne se mesure pas en gain de vie, mais en nombre de participants.

Du côté des patients, tout se résume aux « intimes convictions ». Ceux à qui l’on a dépisté un petit cancer ont l’intime conviction que leur vie a été sauvée grâce à ce dépistage précoce, et leurs médecins en sont flattés. Ceux à qui l’on a diagnostiqué un cancer avancé ont l’intime conviction que ce cancer aurait pu être évité s’il avait été dépisté avant, et leurs médecins en sont culpabilisés.

Ceux qui tentent d’ébranler ces deux convictions passent au mieux pour des ignorants, au pire pour des inconscients.

Ces convictions sont si intimes qu’elles confinent à une confusion entre dépistage et prévention, alors qu’il n’y a aucun rapport entre les deux. Le dépistage a pour but de trouver un cancer déjà présent, la prévention a pour but d’empêcher sa survenue. Aucun dépistage ne peut empêcher la survenue d’un cancer.

Enfin, du côté des citoyens, l’irrationalité des choix est encore plus surprenante puisque deux-tiers de nos contemporains sont prêts à se soumettre à un dépistage, même pour des maladies où n’existe aucun soin !

Ce ne sont donc pas les résultats des études qui peuvent ébranler ces intimes convictions et ces choix irrationnels. Plusieurs pays abandonnent déjà certains de ces dépistages de masse, devant les preuves de leur inutilité ; mais ne doutons pas que les dépistages dits ‘sauvages’ continueront. Car devant une clientèle aussi captive, les marchands de dépistages n’auront même pas besoin de convoquer la science pour développer leur argumentaire. Une boule de cristal suffit largement.

Bibliographie

Pauvre lait maternel

jeudi 6 octobre 2016

Le 5 septembre 2016, une information a fait la une des médias après le décès de deux grands prématurés, car une première corrélation avait été établie avec le lait maternel en provenance du lactarium de l’hôpital Necker, que tous deux consommaient.

La bactérie (Bacillus cereus) supposée responsable n’avait cependant pas encore été retrouvée dans le lait du lactarium et les résultats étaient attendus une semaine plus tard…

Il aurait été logique que ces résultats, positifs ou négatifs, fassent encore la une de tous les médias. Or il n’en a rien été.

Cette anecdote, entre mille, est un exemple emblématique de la démesure de l’information sanitaire et plus particulièrement en matière d’infectiologie. L’épidémie de SIDA n’avait pas été prévue et toutes les épidémies que le XX° siècle a redoutées ont été insignifiantes ou n’ont pas eu lieu.

De la même manière, les annonces de recherches en cours et de miracles thérapeutiques sont suivies d’effets concrets environ une fois sur cent.

En matière sanitaire, la sérénité fait toujours défaut, on souffle l’espoir et la terreur avec la même démesure.

Mais, dans le cas du lactarium, il faut regretter en plus une criante asymétrie de l’information dont les répercussions sanitaires ont un caractère bien plus concret. Trente ans se sont écoulés entre les premières alertes sur les dangers de malformation liés à la Dépakine et leur médiatisation. Autant d’années entre les alertes sur les dérivés amphétaminiques (dont le médiator) et l’information au grand public. Même constat pour tous les médicaments de l’obésité, qui ont tous été retirés du marché bien longtemps après leurs dégâts sanitaires.

Le lait maternel du lactarium Necker n’a pas eu la chance de bénéficier de cet étonnant silence médiatique. Il a été présumé coupable, avant la moindre preuve. Preuve qui n’arrivera peut-être jamais, car il faut rappeler avec une triste lucidité que les grands prématurés sont très fragiles et que la cause de leur mort est généralement plurifactorielle.

La grande clémence envers les médicaments détonne encore plus quand on la compare avec cet acharnement contre le lait maternel.

Pauvre lait maternel, il n’avait pas besoin de cette contre-publicité dans notre pays où il est très difficile de le réhabiliter.

Les journaux devraient pourtant ressasser que le lait maternel est le plus sûr moyen de diviser par six à dix les infections et hospitalisations du nourrisson, et qu’à ce jour, aucun médicament n’a réussi à faire aussi bien, même quand il avait fait la une.

Références

La science prise en grippe

lundi 3 octobre 2016

Comme chaque année, l’assurance-maladie envoie les documents de prise en charge gratuite du vaccin antigrippal aux personnes de plus de 65 ans.

Les vaccinations restent la plus belle avancée de la médecine et probablement l’un des premiers facteurs du gain d’espérance moyenne de vie à la naissance dans nos pays.

Bien qu’il n’ait qu’une efficacité partielle (estimée à 60%) et ne puisse éradiquer cette pathologie en raison de la grande mutabilité du virus, le vaccin antigrippal a probablement limité certaines épidémies ainsi que l’étendue des grippes saisonnières. Par ailleurs, les effets secondaires restent négligeables. Mes lectures des études et méta-analyses me portent, sans enthousiasme, à être plutôt favorable à cette vaccination et à sa promotion.

Depuis quelques années, hélas, notre pays constate un net recul du taux des vaccinations en général. J’ai déjà consacré plusieurs rubriques à la vaccination, dont une au thème de l’obligation vaccinale, comme facteur paradoxal de diminution des couvertures vaccinales.

Une autre raison de la désaffection vaccinale pourrait provenir des arguments promotionnels eux-mêmes. Le message qui accompagne le document de cette année en est une parfaite démonstration : « Plus de 90% des décès attribués à la grippe concernent des personnes de plus de 65 ans. »

Cette phrase argumentaire est dépourvue de toute information épidémiologique, puisque 90% des décès dans toutes les pathologies, infectieuses, tumorales, neurodégénératives ou cardiovasculaires concernent, fort heureusement, des personnes de plus de 65 ans. Les seules exceptions notables concernent la traumatologie de la route, du sport ou du travail.

Pourquoi, en matière de santé, nos ministères ont pris l’habitude d’infantiliser nos concitoyens en choisissant la trivialité mercatique plutôt que l’information éclairée ?

Pourquoi toujours agir comme si nos concitoyens étaient plus stupides en matière de santé qu’ils ne le sont dans d’autres domaines aussi importants pour leur quantité et leur qualité de vie (profession, logement, etc.) ?

Pourquoi ne pas corréler les taux de mortalité avec les taux de couverture vaccinale ou comparer les taux de mortalité entre le groupe des vaccinés et celui des non-vaccinés. Ces informations seraient plus riches d’enseignement et plus respectueuse des capacités cognitives de leurs destinataires. Le fait de ne pas les indiquer peut même laisser supposer qu’elles sont indisponibles ou non pertinentes.

Quel dommage que la science soit toujours au second plan dans l’information sanitaire, jusqu’à ne plus se rendre compte de la vacuité d’un message indiquant que le risque de mourir est supérieur après 65 ans.

Références bibliographiques

Orlistat au Gabon

jeudi 8 septembre 2016

Une fois de plus, on découvre que les effets secondaires d’un médicament ont été dissimulés avant même sa mise sur le marché, et que la dissimulation a continué pendant des années, malgré les évidences cliniques du rapport bénéfices/risques négatif.

Une fois de plus, il s’agit d’un médicament contre l’obésité. Pourtant, dans ce domaine, la vigilance devrait être particulièrement élevée, puisqu’à ce jour, malgré un siècle de tentatives de l’industrie pour soulever ce marché prometteur, pas une seule molécule n’a montré de rapport bénéfices/risques favorable, et tous les médicaments ont fait l’objet de scandale ou de retrait du marché.

Avant de fustiger la désinvolture des autorités, il faut comprendre que celles-ci ne font qu’appliquer la loi. Cette loi exige des essais cliniques avant autorisation et si les résultats sont favorables, les ministères ne peuvent pas s’opposer à la commercialisation.

Cette vitrine impeccable cache cependant un problème récurrent. La méthodologie, la conduite, la sélection et la publication de ces essais cliniques sont sous l’entière responsabilité du laboratoire fabricant, car aucun gouvernement ne peut évidemment disposer des moyens logistiques et financiers pour assurer ces tâches.

Certes, cela est valable pour toutes les industries et tous les objets du commerce, mais il y a de grosses différences selon les secteurs. Il est en effet très difficile de vendre un avion qui ne vole pas ou un couteau qui ne coupe pas, alors qu’il est extrêmement facile de vendre un médicament inefficace ou dangereux, en raison de la prépondérance de son contenu immatériel (rêve, espoir, placebo, suggestibilité). Pour réussir, il suffit simplement d’organiser correctement le marketing de cette immatérialité.

Les acquéreurs d’espoir en gélule n’ont pas de raisons d’être moins nombreux que les électeurs qui s’enflamment pour un discours populiste ou ceux, encore plus nombreux, qui accordent quelque crédit à une promesse électorale ou fiscale. Le marketing de l’immatérialité étant beaucoup plus élaboré en politique qu’en pharmacologie.

Ce nouveau scandale pharmaceutique coïncide facétieusement avec l’actualité au Gabon où le clan Bongo conserve le pouvoir depuis un demi-siècle au mépris des règles démocratiques les plus élémentaires. Omar Bongo, père de l’actuel président, s’étonnant de la défaite électorale du président sénégalais en 2000, aurait alors dit avec cynisme pharmacologique et bonhomie politique : « Comment peut-on perdre une élection que l’on organise soi-même ? »

Références

Le grand jeu des caractères sexuels secondaires

samedi 3 septembre 2016

L’innovation de la sexualité a été une grande étape dans l’Histoire de la vie dont l’unique but est de se reproduire incessamment. Puis, pour optimiser cette reproduction, l’élaboration des caractères sexuels secondaires a permis à chaque sexe d’évaluer les qualités du partenaire et les chances de succès pour la progéniture.

Chez Homo sapiens, les aspects culturels ont ajouté plusieurs degrés de complexité sur ces caractères secondaires, agissant dans des directions parfois opposées.

Certains leurres comme le rouge à lèvre ou le vernis à ongles n’ont probablement pas eu de répercussion notable, tandis que d’autres comme les corsets pour accentuer la poitrine ou les crinolines pour valoriser la taille du bassin ont pu provisoirement tromper les géniteurs sur les qualités de la future parturiente.

Lorsque dans certaines sociétés paysannes ou royales, les appariements, arrangés à des fins territoriales ou politiques, n’ont plus reposé sur la sélection sexuelle, il n’a fallu que quelques générations pour qu’apparaissent de graves dégénérescences, dont l’exemple européen le plus caricatural est celui des Habsbourg.

L’amélioration des moyens de transport et les voyages intercontinentaux ont permis d’élargir la palette des attraits, favorisé l’exogamie et assuré un meilleur brassage génétique.

Les parfums et, plus récemment, les déodorants et la pilule contraceptive, pervertissent les odeurs dont on connaît désormais le rôle majeur pour éviter les similitudes immunitaires.

Enfin, la sélection par les nouveaux moyens de communication, comme internet, est une loterie aveugle dont il est impossible de prévoir l’impact sur la qualité des appariements.

L’investissement parental est identique chez toutes les femmes, alors que celui des hommes est souvent corrélé à la certitude de paternité. Pour augmenter cette certitude, toutes les cultures et toutes les époques ont imaginé des moyens allant des plus barbares, comme l’infibulation ou la ceinture de chasteté, aux plus légères, comme divers voiles pour dissimuler les formes, la chevelure ou le visage.

Mais, lorsqu’une femme est appariée à un géniteur défaillant, aucune contrainte culturelle ne saurait entraver sa quête de procréation. Il suffit d’un voile impeccablement ajusté pour accentuer la symétrie du visage dont on sait qu’elle est un attracteur puissant. Il suffit de voir un avant-bras pour évaluer l’épaisseur de la graisse sous-cutanée dans tout le reste du corps. Et lorsqu’un large voile dissimule les hanches ou les seins, il suffit de le mouiller habilement pour que les formes apparaissent avec toutes leurs promesses vitales. Et ces formes ont assurément plus d’authenticité qu’avec la crinoline ou la web caméra.

Références

Épidémies de suicide

mercredi 17 août 2016

En 1774, la publication des « Souffrances du jeune Werther » a provoqué une épidémie de suicide en Allemagne. Cette première observation de contagion suicidaire a été nommée ‘effet Werther’.

Le phénomène de contagion culturelle est connu pour des pathologies comme l’anorexie, plus spécifique à certains environnements culturels ou religieux.

La biomédecine, plus apte à étudier les épidémies virales ou bactériennes, peut cependant expliquer certains des multiples facteurs des épidémies suicidaires.

Après des phases de maturation physique, cognitive et sexuelle, l’adolescence (plus ou moins prolongée), est une phase de vie, propre à sapiens, où domine la maturation sociale. Ce qui explique que les déterminants culturels dominent parfois les déterminants biologiques, jusqu’à mettre la vie en danger. C’est à l’adolescence que se révèlent la plupart des addictions et qu’apparaissent les premiers symptômes de maladies sociales telles que la schizophrénie. En génétique des populations, on nomme ‘effet fondateur’ la fréquence anormalement élevée d’une mutation dans un groupe humain, suite à l’isolement géographique de la population initiale. C’est le cas de la mucoviscidose dans certaines régions du Canada. Sur le versant culturel, le ‘biais de conformité’ est la fréquence élevée d’une conduite par imitation d’un modèle dominant ou très valorisé dans certains groupes sociaux. Ses effets dévastateurs possibles sur toute une société ont été étudiés par le biologiste et géographe Jared Diamond.

Le phénomène de mode et d’imitation a été bien établi dans l’épidémie de suicide de la première génération d’après-guerre en Micronésie : le suicide avait acquis une dimension culturelle chez les jeunes hommes de 15-24 ans.

Le taux de suicide des adolescents augmente de 7% dans la semaine qui suit une information ou un reportage télévisé sur le suicide en général ou celui d’une célébrité. Cependant, il ne faut pas accuser la presse de tous les maux, car dans les vagues locales de suicide par imitation, le cas initial n’avait été relaté dans la presse que dans 25% des études.

Malgré tout, la précision mercatique alliée à la puissance de diffusion des nouveaux médias est un facteur majeur. Le marketing sait s’adapter aux catégories sociales et aux phases de vie et se révèle aussi performant pour vendre le suicide djihadiste, Naf-naf, Star wars ou une Ferrari. Chez les adolescents ciblés, la performance cognitive joue un rôle. À 18 ans, chaque augmentation de score de 1 point dans des tests logiques diminue de 12% le risque de suicide, indépendamment du milieu socio-économique et des pathologies psychiatriques. Le suicide pourrait être vu comme une réponse aberrante face à un problème de ‘logique sociale’.

Enfin certains facteurs facilitent le passage à l’acte : les antidépresseurs, les amphétamines, et les ‘inévitables’ (et plus contestables) gènes de prédisposition (GRIA3 et GRIK2).

L’effet Werther est encore loin d’avoir livré tous ses secrets.

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La surdité change de camp

vendredi 12 août 2016

Après les obus de la guerre et les usines qui ont assourdi nos parents, voici venir le temps de la surdité de loisir. Maintenant que la plupart des professionnels exposés se protègent des nuisances sonores, les enfants et adolescents s’y exposent de plus en plus.

Avec son sérieux habituel, la revue Prescrire vient de faire une intéressante mise au point sur les risques des baladeurs musicaux et des concerts. L’exposition répétée à des niveaux sonores de plus de 85 décibels peut provoquer des lésions irréversibles de l’oreille interne. Différentes enquêtes révèlent que 60% à 90% des jeunes de 14 à 19 ans écoutent des baladeurs au moins une demi-heure par jour. Plus incroyable encore, entre 6 et 11 ans, le pourcentage est de 70% dont 20% qui s’endorment avec le baladeur sur les oreilles !

Ces baladeurs sont souvent utilisés à des taux supérieurs à 80% de leur puissance maximale (heureusement limitée à 100 décibels par la loi).

Les concerts et discothèques ont des niveaux sonores encore plus élevés, et la législation qui tend à les limiter est insuffisante et mal appliquée.

Enfin, le format numérique MP3, avec son niveau d’intensité sonore constant, est plus nocif que les sons traditionnels où existent des écarts de niveaux importants entre les sons les plus faibles et les plus forts. Les microsillons et les CD analogiques étaient donc moins dangereux.

Les acouphènes sont le premier signe d’atteinte du nerf auditif. Trois élèves sur quatre déclarent avoir déjà eu des acouphènes, pouvant durer parfois jusqu’à deux heures.

En cas d’acouphène, il est impératif d’alerter le jeune et ses parents, car le risque de surdité précoce est bien réel.

Les marchands de sonotone, qui auraient pu s’inquiéter de la généralisation des casques professionnels anti-bruit, peuvent se réjouir, car de nouvelles générations de sourds arrivent en grand renfort. Et avec des marges de 99%, voilà assurément un marché porteur. Ne doutons pas que les fabricants de baladeurs ont déjà investi dans ce marché.

Comme il semble lointain le temps où la masturbation était la seule nuisance supposée rendre sourd.

Références

Moi, médecin cycliste face à la détresse

lundi 25 juillet 2016

Centimètres grignotés par mes voisins d’embouteillages, spirales descendantes aux enfers des parkings, arrogance des limousines, agacement des voiturettes, déshonneur de certains doigts, angoisse du rendez-vous manqué ; le trafic urbain ne me convenant plus, j’avais depuis longtemps choisi le vélo.

Il fallait relativiser mon statut, revisiter ma dignité, assumer une personnalité composite : téméraire et vulnérable, sage et rebelle, fière et subordonnée. Accepter aussi d’être toujours perdant en cas de heurt.

Ce cycliste grisonnant à la sacoche pleine, si si, c’est bien un médecin qui fait ses visites…

Il y a quelques années, j’ai cru tenir la victoire. Les cités ont vraiment décidé de faire une place aux cyclistes. Enfin, je n’étais plus le seul notable perdu entre des étudiants plus ou moins chevelus et des écologistes en ostentation. Plus tard, l’assistance électrique réduisit l’inconvenance des halètements et des sudations, particulièrement dans ma ville aux deux collines. C’était gagné, les villes offraient même des vélos en libre-service. Lyon la première…

Que de naïveté, j’en souris encore.

Alors que les kilomètres de pistes cyclables continuent à s’accumuler, leur usurpation croissante par les automobilistes me ramène à la complexité de nos démocraties. Le choix des maires est borné entre le fascisme désuet du tout-automobile et le nouvel éco-fascisme du tout-vélo. En outre, un maire qui voudrait réellement extraire l’automobile de sa ville devrait auparavant s’assurer qu’aucune grève des transports en commun ne risquerait d’en prendre toute l’économie en otage. Il est déjà fou de pénaliser le marché automobile, mais tous les marchés, ce serait criminel.

Lorsque des automobilistes stationnent sur ma piste cyclable après avoir allumé leurs feux de détresse, ce n’est pas moi médecin, expert de la détresse, qui peux les tancer. Une mère qui pose son enfant au plus près de la porte de l’école (à cause du trafic), un fils dévoué qui accompagne son père parkinsonien à la porte de son immeuble, des policiers ou des ambulances avec leurs incontestables prérogatives, un livreur dont la performance est une garantie contre la détresse du chômage.

Lorsque l’automobiliste inopportun est un fumeur qui n’a emprunté mon espace vital que pour les quelques minutes d’attente au bureau de tabac, dois-je utiliser mon diplôme de médecin pour lui signifier que fumer est vraiment dangereux pour la santé ? Non, car il pourrait me répondre que circuler en ville en vélo est bien plus dangereux et que le manque de vélo ne provoque pas de syndrome de sevrage. Je serai bien obligé d’admettre qu’il a raison.

Bref, le médecin cycliste est toujours perdant devant les feux de détresse, car ces feux sont réellement des signaux de détresse. Sauf peut-être sur l’autoroute lorsqu’on les allume pour signaler un bouchon, car pour un automobiliste, un embouteillage ne peut pas vraiment être un moment de détresse.

Références

Et si l’asthme disparaissait !

dimanche 3 juillet 2016

L’art médical ne cessera jamais de m’étonner. Lorsque j’ai l’obsession de la science, elle me semble parfois être une fiction et lorsque je penche vers l’humour, il révèle souvent sa pertinence clinique.

L’asthme peut-il entrer dans cette turbulence ? Cette maladie dont le diagnostic est stabilisé depuis longtemps, et dont la médecine a inscrit les crises dans la liste de ses urgences.

Pourtant, les crises d’asthme sévères sont de plus en plus rares ; les médecins ont mis du temps à s’en apercevoir, car ils ont été formés aux sournoiseries du pire plus qu’à sa disparition.

Chez les patients connus, les crises sévères ont disparu grâce à l’efficacité des traitements en aérosol. Quant aux premières crises, elles ont diminué essentiellement par la baisse du tabagisme passif, surtout chez les enfants, et accessoirement par un meilleur contrôle des allergènes. Mais depuis quelques années, les publications font apparaître deux autres raisons.

La première est la composante neuropsychologique de l’asthme. Cette hyperréactivité bronchique est sous la dépendance de facteurs génétiques et environnementaux, comme toutes les maladies, mais aussi sous la dépendance du stress et des émotions comme le révèlent ses liens avec la violence urbaine, les attaques de panique, mais surtout avec le caractère anxiogène des crises elles-mêmes. L’efficacité du traitement des crises en a fait disparaître ce caractère anxiogène, tant chez les enfants que chez leurs parents, conduisant à en diminuer logiquement l’incidence.

La deuxième est le constat d’un surdiagnostic que les experts estiment à un tiers des cas. Les crises réelles d’asthme n’arrivent plus, car le diagnostic de la première crise était erroné.

Certes, la surmédicalisation d’un symptôme subjectif n’est pas une nouveauté, mais dans le cas de l’asthme, elle est néfaste, car au long cours, les beta-mimétiques sont inefficaces et les corticoïdes dangereux (hypertrichose, ralentissement de la croissance, insuffisance surrénale, risque de tuberculose, etc.)

C’est pourquoi les recommandations cliniques sont en train d’évoluer. Il faut avoir une certitude objective avant de commencer un traitement au long cours et savoir cesser ce traitement pour vérifier ce qui se passe. Certains proposent même de ne traiter que les crises au coup par coup. Viendra peut-être un jour où l’inhalateur ne sera utile que dans la poche, comme l’extincteur sur le mur ou la bouée sur le bastingage.

Enfin, bien que la pollution urbaine reste pourvoyeuse d’asthme, elle l’est bien moins que le tabac.

La voiture électrique et l’éradication du tabac feront-elles disparaître cette maladie de mieux en mieux comprise et de moins en moins anxiogène ?

Les maladies évoluent dans le temps et les populations. On peut rêver du jour où ne subsisteront plus que quelques vieux résistants se promenant encore avec un inhalateur de placebo dans la poche…

Bibliographie

Toucher des écrouelles

mercredi 8 juin 2016

De tous temps, les souverains ont appuyé leur pouvoir sur la monnaie, l’armée, la justice, la religion et les médias. Quant à la santé, s’ils la reconnurent très tôt comme un fondamental de la politique, ils ne pouvaient pas la manipuler à leur guise, et les médecins, de par leur ignorance, ont longtemps été de bien piètres complices.

Les rois thaumaturges de l’Antiquité avaient déjà compris l’intérêt politique de s’attribuer une part des rémissions naturelles et des guérisons spontanées.

Bien d’autres rites sanitaires ont suivi, le plus connu est le « toucher des écrouelles » dont l’origine remonte au XII° siècle. La tuberculose faisait des ravages et sa forme ganglionnaire provoquait des adénites suppurées nommées « écrouelles » ou « scrofules », car la truie (scrofa) était le symbole de la saleté. (Nul ne percevait alors le sexisme de cette évocation de la truie plutôt que du cochon !)

Pendant plusieurs siècles, lors de grandes fêtes religieuses ou après leur sacre, tous les rois de France ont touché (ou plutôt effleuré) les écrouelles en prononçant la phrase : « Le roi te touche, Dieu te guérit ». Ainsi les 2% ou 3% de patients qui guérissaient ou entraient en rémission le devaient à leur bon roi.

Louis XVI a touché plus de 2000 patients, et en 1825, Charles X en toucha encore 120, dont cinq ont guéri. Guérison, rémission ou impression de répit, nul ne l’a jamais su, mais par la nature divine de la monarchie, le miracle était à la fois divin et royal. Le roi donnait parfois quelques pièces d’or à ces pauvres gens, ce qui renforçait les convictions d’efficacité.  Dans tous les cas, aucun sujet de sa Majesté n’aurait osé aller se plaindre.

Rites et symboles font toujours le succès des nouveaux charlatanismes. Corne de rhinocéros ou aileron de requin pour la puissance virile, prix exorbitant des médicaments pour le cancer, publications scientifiques sur le rallongement des télomères pour retarder la mort… Quel badaud viendrait se plaindre d’un pénis toujours récalcitrant ? Quel assuré aurait l’ingratitude de dénigrer un médicament remboursé ? Quel mort viendrait chipoter sur les délais que lui avait promis la science ?

Bibliographie