Archive pour la catégorie ‘Médecine’

Curages internes

mardi 23 janvier 2018

Tous les animaux pratiquent, à leur façon, une hygiène corporelle dans le but de limiter les agressions des microorganismes. Ayant tôt reconnu ses bénéfices sur la santé infantile et la durée de vie, toutes les sociétés humaines ont ritualisé l’hygiène (ablutions, fumigations, exclusions alimentaires, bénédiction de l’eau, etc.).

Ces rituels ont parfois dérivé vers des comportements pathologiques : le lavage compulsif des mains ou les excoriations par extraction d’illusoires parasites sont les plus connus des troubles obsessionnels.

La phobie des microorganismes a également été l’objet de récupérations commerciales. Les détergents introduits dans les savons et shampooings sont à l’origine de multiples pathologies cutanées et capillaires, souvent aggravées par de nouveaux traitements antiseptiques.

Ces utopies stérilisatrices ne se sont pas limitées à l’hygiène corporelle externe, elles ont investi les orifices et les muqueuses internes. Et, comme souvent, c’est la femme, déjà désignée comme impure par plusieurs rituels religieux, qui a été la première victime des incantations commerciales. L’hygiène dite « intime » a généré des foisons d’ovules, poires et instillations destinées à purifier la muqueuse vaginale. Une certaine façon de purifier l’origine du monde ! Ce toilettage intime a provoqué d’interminables vaginites, mycoses et leucorrhées dont la fréquence a, depuis longtemps, dépassé celle des maladies vénériennes.

Le conduit auditif externe (CAE) a été le deuxième orifice ciblé par l’hygiène interne. Le coton-tige, inventé en 1923, a fait tant de victimes, pour une absence totale de bénéfice, qu’aucun législateur ne pourrait, aujourd’hui, en accepter la mise sur le marché. Au-delà du compactage du cérumen avec ses bouchons douloureux et difficilement extractibles, le coton-tige est la première cause de perforations tympaniques, d’otites externes et de blessures du CAE. Les victimes sont majoritairement les nourrissons et jeunes enfants. Les adultes ne sont pas épargnés, car le CAE est un succédané de zone érogène.

Les lavements rectaux sont hors de notre propos, car ils ne sont pas (encore) à visée hygiéniste. Ils sont un traitement exceptionnel (hélas addictogène) de la constipation.

La bouche est la plus ancienne des cavités accessibles à l’hygiène. Reconnaissons l’utilité de la brosse à dents pour limiter les caries consécutives à nos profonds bouleversements alimentaires. Aucun doute n’est permis : il faut bien se brosser les dents.

Mais, la brosse à langue est la dernière-née des fantaisies commerciales de l’hygiène interne. Proposée contre la mauvaise haleine, elle n’a aucun résultat sur ce problème d’origine plus profonde, mais elle entraîne de nouvelles pathologies en altérant les papilles gustatives et  le microbiote buccal. Cette brosse à langue a le mérite d’une égalité entre l’homme et la femme. Nous voici donc prêts pour la promotion des écouvillons urétraux et rectaux.

Références

Défendons vraiment la thérapie génique et la solidarité

mardi 2 janvier 2018

Pendant des décennies, la thérapie génique était réduite à de fascinantes théories : les obstacles pratiques semblaient insurmontables. En 1995, l’espérance de vie réduite de certains enfants immunodéficients a rendu acceptable le risque d’essayer ces thérapies. Depuis une dizaine d’années, on apprécie enfin quelques retombées cliniques, certes négligeables en nombre d’individus bénéficiaires, mais avec un gain réel de quantité/qualité de vie pour ces rares élus. Des expériences récentes dans la maladie de Huntington, l’hémophilie B, la drépanocytose ou la mucoviscidose suscitent de nouveaux espoirs.

Sans jamais crier victoire, ces recherches doivent être une priorité médicale, car l’un des fondements de la médecine est de réparer les injustices de la nature. Faciliter l’accès à de tels traitements est aussi un impératif politique, puisque l’essence de la politique est de diminuer les inégalités sociales. Le point de jonction entre la médecine et la politique porte un nom : c’est la solidarité nationale. Celle-ci doit profiter d’abord aux grands perdants de la loterie génétique.

Hélas, selon un rituel désormais courant, la recherche se détourne des maladies monogéniques pour lesquelles ces thérapies géniques ont été théorisées, pour s’intéresser à des maladies de la sénescence aux gènes inconnus  (DMLA, Alzheimer, voire maladies cardio-vasculaires ou arthrose) ! N’en doutons pas, ces dernières pistes vont être privilégiées par les industriels en raison de l’importance numérique de la cible.

Ainsi la question cruciale de leur coût va vite devenir rédhibitoire. En effet, si la protection sociale remboursait ces thérapies dans les maladies dégénératives et tumorales de la sénescence, cette démagogie conduirait irréversiblement à la faillite du système public, donc à la privatisation de la protection sociale.

Un choix politique  clair et courageux est devenu urgent pour préserver notre belle solidarité nationale et la réserver à ceux qui en ont le plus besoin. Il faut dès maintenant refuser le remboursement de ces thérapies géniques déviantes et le réserver aux maladies monogéniques de l’enfance.

Les maladies de la sénescence peuvent présenter un intérêt de recherche fondamentale, mais son coût ne doit pas être supporté par la société. Ne doutons pas que les investisseurs et fondations privées seront nombreux à financer cette recherche ‘annexe’, car la promesse de l’immortalité  a toujours été un commerce très lucratif.

La sécurité sociale n’est définitivement plus compatible avec la démagogie ; elle n’a pas vocation à vendre l’illusion de l’immortalité. Continuer à rembourser des médicaments qui font gagner (ou perdre) quelques semaines de vie médiocre, reviendrait à condamner les enfants génétiquement pénalisés, à une deuxième pénalisation sociale.

A l’heure où les inégalités sociales se creusent, ne creusons pas les inégalités sanitaires et génétiques.

Références

Scénario de scandale

lundi 25 décembre 2017

Les études s’accumulent et les résultats convergent au sujet des risques liés à l’utilisation prolongée des médicaments antiacides. Le doute n’est plus permis.

Ces médicaments de la classe dite des IPP (inhibiteurs de la pompe à proton) sont utilisés pour traiter l’acidité gastrique, les reflux gastro-œsophagiens et les ulcères de l’estomac. Normalement, leur utilisation doit être ponctuelle, car ils sont efficaces en quelques jours. Mais la prescription et l’utilisation médicamenteuses ont évolué vers des temps de plus en plus longs.

La création du concept de « maladie chronique » ayant été la plus rentable de toutes les stratégies mercatiques, les maladies aiguës ont quasiment disparu du paysage sanitaire. Une douleur abdominale fugace, un reflux, une analyse douteuse, une image suspecte, un évanouissement, un moment de déprime ou de fatigue suffisent à transformer tout citoyen en un malade chronique. Et accepter une maladie chronique, c’est accepter logiquement un traitement continu. Vendre une maladie aiguë n’est pas plus rentable que de vendre une imprimante, le but est de vendre des cartouches d’encre.

Hélas, les traitements chroniques peuvent avoir des désagréments supérieurs à ceux de la maladie aiguë et très souvent supérieurs à ceux de la pseudo-maladie chronique. C’est le cas des IPP dont l’utilisation abusive fait proliférer dans l’intestin la bactérie Clostridium difficile, responsable de graves diarrhées et de colites parfois mortelles.

Ce message d’alerte n’a rien de très original : il s’ajoute aux centaines d’alertes sur les médicaments à rapport bénéfices/risques négatif. Sauf que les ulcères  sont également traités avec des antibiotiques, depuis qu’Helicobacter pylori, cette bactérie présente dans tous les estomacs des humains depuis plus de cent-mille ans, en a été décrété responsable (en plus de l’acidité).

Evidemment, Helicobacter est devenu résistant aux antibiotiques, et l’on voit déjà des prescriptions de 3 ou 4 antibiotiques pour venir à bout d’ulcères qui guérissaient auparavant avec dix jours d’antiacides. Ce n’est pas fini : cette gabegie d’antibiotiques finit par sélectionner les bactéries les plus résistantes, et devinez quelle est la plus résistante de toutes : Clostridium difficile.

Il est donc possible de dénoncer un scandale sanitaire avant qu’il ne survienne, car son scenario est déjà écrit dans le grand livre des pseudo-maladies chroniques.

Alors, pour ceux, très nombreux, dont l’estomac a encore le choix entre maladie chronique et maladie aiguë, je conseille vivement de choisir la seconde. Ensuite, pour éviter le pire, il faudra trouver un médecin qui ne stresse pas devant l’acidité gastrique et qui connaisse bien notre vieux compagnon Helicobacter.

Références

Lointaines origines des humeurs féminines

samedi 16 décembre 2017

Le « disease mongering » désigne le procédé mercatique consistant à inventer des maladies dans le but de vendre des médicaments aux personnes saines. Activité très lucrative en raison de la supériorité numérique des bien-portants.

Beaucoup de ces maladies sorties de l’imaginaire marchand concernent les femmes. La ménopause a été le premier grand succès de ces fantasmagories pathologiques. Hélas, son traitement a tant multiplié les cancers du sein qu’il a fallu recourir à des sous-catégories pour ne pas laisser échapper ce gros marché. La première a été l’ostéoporose post-ménopausique où s’est révélée l’inutilité de tous les traitements préventifs et curatifs, hors la marche régulière. La seconde est la baisse de libido post-ménopausique, dont la proposition thérapeutique est la testostérone : rien de moins ! Pas besoin d’être devin pour savoir que cette hormone mâle prescrite à des femmes provoquera des catastrophes sanitaires aux côtés desquelles la barbe et la moustache ne seront qu’inesthétiques broutilles.

La ménopause et ses avatars se révélant décidément rétifs, le marché a investi le cycle hormonal régulier des femmes, dont la plus repérable des ponctuations est le saignement régulier qui se produit tous les 28 jours. D’autres ponctuations sont plus discrètes, comme l’attractivité, la réceptivité sexuelle et le désir qui sont plus importants lors de l’ovulation. Trois traits qui ont permis d’assurer la perpétuation de notre espèce. Ces trois traits sont inversés dans la période prémenstruelle entièrement dédiée à préparer le réceptacle d’un éventuel embryon. Le changement d’humeur qui accompagne ces variations physiologiques est parfois repérable par le conjoint. De là est venue l’idée de traiter ces changements d’humeur comme une pathologie et de lui donner un nom : « trouble dysphorique  prémenstruel ». Lequel est désormais classé comme un trouble dépressif dans le DSM5 (manuel de psychiatrie), et certains vont jusqu’à lui chercher une origine génétique. Trouver une origine génétique à la reproduction serait alors, sans humour, un argumentaire capable de justifier des traitements antidépresseurs et hormonaux !

En notre époque où le harcèlement des femmes est devenu un sujet majeur de société, comment pouvons-nous rester aussi aveugles à leur harcèlement itératif et insidieux par un marché habilement banalisé ?

Les femmes assurent depuis toujours l’essentiel du coût de la reproduction et des soins parentaux. Leurs humeurs cycliques sont une rémanence bien discrète du long processus évolutif qui nous a permis d’être là. Comment peut-on être dégénéré, cupide ou prétentieux au point de vouloir les infléchir ?

Références

Les spécialistes de la prévalence

mardi 12 décembre 2017

Une hypothèse concerne l’avenir, un fait concerne le passé. Entre les deux il y a l’expérimentation.

Si je dis que telle mesure va faire diminuer la prévalence d’une maladie, c’est une hypothèse. Si j’expérimente cette mesure et que la prévalence baisse, il faut alors introduire une nouvelle distinction entre corrélation et causalité. La maladie peut avoir baissé parce que l’hypothèse était juste, mais elle peut avoir baissé pour plusieurs autres raisons parmi lesquelles se trouvait ou non mon hypothèse.

En bref,  mon hypothèse était fausse ou irréaliste si la maladie persiste et mon hypothèse était peut-être juste si la maladie a disparu ou diminué.

Ainsi, la médecine peut prétendre qu’elle a joué un rôle dans la disparition de la peste et de la variole, car les maladies ont disparu, mais il lui est difficile de prétendre qu’elle a joué un rôle dans le diabète de type 2 ou dans la grippe, car elles sont en augmentation ou en stagnation. Une étude plus détaillée montre que la médecine n’a joué aucun rôle dans la disparition de la peste, mais qu’elle a joué un rôle majeur dans la disparition de la variole grâce au vaccin.

Dans une société où la mercatique domine largement la science, le raisonnement fonctionne à contre-courant : les constats présents et les spéculations sur l’avenir sont bien plus nombreux que l’analyse des faits passés.  Une logique marchande n’utilise pas les données pour confirmer ou infirmer une hypothèse passée, mais toujours pour vanter une action future. Au lieu de dire, c’est parce que la variole a disparu que j’ai été efficace ou parce que la grippe persiste que j’ai été inefficace, on dit, c’est parce que l’hypertension augmente que je vais être efficace.

On peut connaître avec assez de précision la part de mercatique et la part de science dans un article en comparant le nombre de ligne consacrées à relater la gravité du problème à celui des lignes consacrées à l’analyse des actions passées. Dire que la grippe ou le cancer sont des fléaux ne suffit pas à justifier les réflexions et hypothèses qui vont suivre. Dire que telle chirurgie a fait baisser la mortalité, que telle vaccination a eu peu d’impact ou que tel dépistage est ininterprétable ont plus de pertinence pour induire de nouvelles hypothèses et actions.

Lorsque les diabétologues vantent leur importance en disant que la prévalence du diabète de type 2 sera de 35% en 2050, ils peuvent être considérés comme des spécialistes de la prévalence, mais difficilement comme des experts du diabète. C’est un peu comme si un marchand d’avion disait qu’il faut acheter son avion parce qu’il a réellement pris conscience que les crashs sont trop nombreux.

Références

Cordon de sécurité

lundi 4 décembre 2017

Les essais cliniques concernant des médicaments sont majoritairement biaisés, alors que ceux qui portent sur des pratiques médicales sans lien avec le marché sont a priori plus rigoureux. Mais pour certaines études comme celles portant sur la section du cordon ombilical, la réponse est impossible, car les facteurs de confusion sont si nombreux qu’aucune analyse statistique ne peut les éliminer. Sans parler de la forte charge symbolique et idéologique qui entoure le cordon ombilical. Les extrémistes de la vieille école obstétricale coupent immédiatement le cordon, séparent l’enfant de la mère, lui aspirent les bronches et le lavent dans un raffinement de barbarie hygiéniste. À l’opposé, certains forcenés de l’écologie prônent la « lotus birth » consistant à laisser le nouveau-né accroché à un placenta déjà desséché.

Les obstétriciens, désireux d’augmenter les chances de l’enfant et de diminuer le risque d’hémorragie de la délivrance chez la mère, ont réalisé de multiples études. Les unes pour savoir quand couper le cordon : soit immédiatement, soit après qu’il ait cessé de battre, soit bien plus tard. Les autres pour évaluer l’intérêt de pousser le sang du cordon vers l’enfant. D’autres cherchent à connaître le rôle de la gravité en comparant les enfants posés au-dessus de la mère, à côté, ou plus bas, (je ne plaisante pas). D’autres encore pour savoir si les prématurés ont plus besoin de ce sang (toujours sans plaisanter). D’autres enfin pour évaluer le risque infectieux d’un cordon non désinfecté ou d’un cordon de « lotus birth ».

Ces études ayant systématiquement des résultats ininterprétables ou contradictoires, la solution consiste alors à sélectionner les meilleures pour en faire des méta-analyses. Mais le cordon est scientifiquement maudit, car les deux derniers résultats publiés sont diamétralement opposés !

Lorsque la science et la statistique sont en échec, il ne reste plus qu’à faire appel au bon sens (dont l’origine est beaucoup plus lointaine). J’invite donc les lecteurs à répondre aux questions suivantes :

Doit-on  couper un cordon qui bat encore et envoie du sang au nouveau-né ?

Les cellules-souches et le fer du sang de cordon sont-ils utiles au nouveau-né ?

Le risque le plus élevé d’hémorragie de la délivrance est-il lorsque le placenta bat encore sous la pression artérielle de la mère, ou lorsqu’il ne bat plus ?

Est-il utile de laisser un nouveau-né attaché à un placenta sec ?

Pour les universitaires et profanes qui n’auraient pas trouvé de réponse à ces questions, je me permets de donner un indice : tous les mammifères placentaires ont un cordon qui cesse naturellement de battre en quelques minutes et qui sèche si vite qu’un simple coup de dents de la mère suffit à le rompre. Entre-temps, le nouveau-né a déjà trouvé le sein de sa mère pour y téter goulument le colostrum gavé d’anticorps.

Il est temps d’établir un cordon de sécurité autour des études inutiles pour les empêcher de sortir.

Références

Domination du placebo sur toutes les médecines

mardi 28 novembre 2017

Beaucoup de médicaments ont une base théorique expliquant leur action. Les bétabloquants bloquent les récepteurs béta du cœur et des artères, les antibiotiques tuent ou affaiblissent les bactéries, les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) permettent un meilleur passage de la sérotonine au travers des synapses, ou encore les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) diminuent la sécrétion d’ions acides H+ dans l’estomac.

Cette base théorique se confirme souvent dans la pratique en modifiant le cours des symptômes ou des maladies. La théorie ne se confirme pas toujours, en raison de facteurs individuels du patient (génétiques, autres maladies, etc.) ou d’interactions métaboliques médicamenteuses ou alimentaires. Parfois l’action réelle concrète diffère beaucoup de l’action théorique.

A ces deux actions, théorique et concrète,  s’ajoute l’action placebo, qui est souvent la plus importante en pratique. Même l’aspirine ou les antibiotiques ont une action placebo venant compléter leur action réelle. Les thérapies ciblées en cancérologie ont aussi un effet placebo, lié au contexte émotionnel du cancer.

Mais seule doit vraiment compter l’action réelle sur la maladie à plus long terme. Par exemple les ISRS peuvent modifier momentanément l’humeur, mais ne changent rien au long cours des dépressions. Les thérapies ciblées en cancérologie peuvent réellement faire « fondre » une tumeur sans changer le pronostic du cancer, ni allonger la durée de vie du patient.

Là se trouve toute la difficulté de la preuve en médecine. Il est quasi impossible statistiquement d’apporter la preuve d’un médicament sur la qualité et sur la quantité globale de vie. La médecine empirique des anciens, qui se contentait de preuves à court terme (disparition ou modification d’un symptôme), a été remplacée par une médecine dite « basée sur les preuves », née dans les années 1960, qui se contente de critères intermédiaires (diminution du volume d’une tumeur, baisse d’un chiffre d’analyse biologique). Le réductionnisme empirique du court-terme a été remplacé par un réductionnisme scientifique pour éluder les difficultés de la preuve à long terme. Le premier réductionnisme a vu naître les vitamines, la cortisone, toutes les hormones, les anticoagulants, les vaccins, les antibiotiques, les neuroleptiques, et la plupart des grands succès médicaux ayant soulagé et sauvé des millions de patients. Le second réductionnisme, imposé par le besoin de labellisation administrative et juridique des preuves, est bien loin d’afficher un tel palmarès.

Cependant, ces preuves partielles ont un « vernis » qui plait au patient et lui fait oublier son unique souhait : gagner de la quantité-qualité de vie. Enfin, ces preuves partielles ont aussi un puissant effet placebo venant s’ajouter à celui du médicament.

En médecine, aucun réductionnisme ne peut échapper à la domination de l’effet placebo.

Références

Enseigner le flair médical.

vendredi 24 novembre 2017

Dans les facultés de médecine, comme dans toutes les autres, on ne peut enseigner aux étudiants que ce qui est mesurable, paramétrable et confirmé par l’expérimentation. Pour les maladies où l’expérimentation est difficile, voire impossible, on peut enseigner des bases théoriques solides. Par exemple, bien qu’il soit impossible de connaître l’évolution naturelle de la tuberculose, du cancer de la prostate ou de l’angor chez un individu donné, on peut cependant enseigner une physiopathologie modèle, tout en sachant que cette base théorique ne peut pas s’appliquer à tous les individus. C’est toute la difficulté de la médecine clinique, et c’est ce qui l’empêche de sortir du dilemme classique entre art et science.

Enseigner l’expertise accumulée par le clinicien au cours de ses observations et conclusions subjectives est-il pour autant impossible ? Ne peut-on pas essayer de formaliser le fameux sentiment viscéral qui permet au praticien de mesurer l’intensité d’une douleur ou de juger la gravité ou la bénignité d’un cas avec plus de précision que toutes les machines d’imagerie et de biologie. Les chirurgiens qui opèrent en urgence se trompent moins souvent que les protocoles préétablis, mais ces protocoles sont les seuls qui peuvent être enseignés, car la pédagogie du « flair » médical parait difficile.

Il n’est pourtant pas si difficile de paramétrer l’inquiétude réelle d’une mère. Les infections sévères de l’enfant sont mieux évaluées par la lecture des comportements parentaux que par les batteries d’examens complémentaires. On peut aussi paramétrer l’intensité d’une douleur par la forme et la rémanence des grimaces du visage, ou par le  degré de sudation ou de pression des mains. On peut même utiliser ces paramètres pour évaluer la douleur, une fois qu’elle est passée, car un patient ne raconte pas une douleur violente avec un visage serein.

Certains proposent de noter le degré de son propre comportement d’empathie devant la douleur d’autrui afin de mieux savoir si elle est volontairement déniée ou volontairement théâtralisée. Le résultat est surprenant de justesse.

L’idée de cette formalisation n’est pas nouvelle, Darwin l’avait déjà tentée dans son ouvrage  « l’expression de l’émotion chez l’homme et chez les animaux ». Il avait méticuleusement noté les corrélations entre les humeurs et les expressions du corps et du visage. Il avait noté cette ride particulière semblable à la lettre grecque omega (Ω), située entre les deux sourcils au-dessus du nez chez les personnes mélancoliques. Les psychiatres la nommeront plus tard « oméga mélancolique ».

Si nous ne parvenons pas à formaliser l’enseignement de l’art clinique, alors il faut accepter la suprématie des robots médicaux.

Pour ne pas disparaître, les universités doivent avoir l’audace d’un enseignement novateur et les cliniciens doivent assumer leurs compétences sans timidité devant elles.

Références

Les croisés de la démagogie sanitaire

dimanche 29 octobre 2017

Émetteur, récepteur, appareil-photo, caméra, zoom numérique, micro, haut-parleur, écran tactile, boussole, montre, téléphone, lampe, ordinateur, intelligence artificielle, systèmes de reconnaissance vocale et digitale, GPS, etc. Ce n’est pas un inventaire à la Prévert, c’est une liste non exhaustive des éléments de haute sophistication contenus dans un smartphone. Ce concentré de technologie et d’ingénierie permet toutes les connexions possibles aux programmes télévisuels, radiophoniques et informatiques du monde entier. Son prix de vente moyen est de 500 €, y compris la marge des marchands que nul n’incite à plus de philanthropie.

Une paire d’audioprothèses contenant exclusivement deux amplificateurs et deux haut-parleurs se vend entre 1000 € et 3000 €. Une paire de lunettes correctrices comportant deux bouts de verre et un morceau de plastique peut se vendre jusqu’à 1500 €. Les marges, sont certainement supérieures à 99%, et ces marchands sans vergogne osent les justifier par la qualité de leurs prestations. Pourtant, mon vendeur de smartphone m’a paru fournir une prestation intellectuelle bien supérieure à celle de l’audioprothésiste demandant à ma mère si elle entendait mieux quand il tournait le bouton, ou à celle de l’opticien qui lui demandait si elle voyait mieux avec les verres correcteurs.

Les accords tarifaires entre opérateurs téléphoniques ou compagnies aériennes, entreprises aux infrastructures très coûteuses, donnent lieu à de lourdes condamnations pour violation des règles de la concurrence.

Chacun a compris que des paires d’audioprothèses et de lunettes, n’exigeant ni infrastructures, ni technologie sophistiquée, résultant d’une ingénierie sommaire et accompagnées d’une si dérisoire prestation intellectuelle, peuvent  atteindre de tels prix grâce à des accords entre fabricants, prestataires et mutuelles d’assurance.

Il nous reste alors à comprendre pourquoi l’administration ne leur applique pas les règles générales du marché. La seule explication possible est d’ordre sacré : l’inhibition du législateur devant la santé est comparable à celle de la collégienne devant l’exhibitionniste.

Certains partis populistes vont jusqu’à prôner le remboursement total de ces accessoires, comme s’il était encore plus sacrilège de rogner les marges des marchands de santé que de ruiner la solidarité nationale.

La santé n’avait proverbialement « pas de prix » ; désormais, pour le législateur et le politicien, elle n’a ni lois, ni règles, ni comptes à rendre. La démagogie sanitaire est une nouvelle religion dont les croisés sont des marchands qui en ont compris tous les rouages.

https://lucperino.com/541/les-croises-de-la-demagogie-sanitaire.html

Laurent chez le calculateur pharaonique

lundi 23 octobre 2017

Laurent est un cadre quinquagénaire, gourmand de technologie et avide de progrès. Pour son avenir, qu’il organise avec méthode, la santé n’est qu’un élément gérable parmi d’autres. Il a fait réaliser son génome chez  trois géants de l’informatique afin de limiter les incertitudes d’évaluation de ses risques génétiques. Il collige ses paramètres personnels à l’aide de lentilles, bracelets et implants connectés. Il note aussi ses paramètres environnementaux et les nuisances qu’il est obligé de subir. Il essaie de garder la meilleure maîtrise possible sur les nuisances choisies ou évitables, telles que des repas d’affaire trop arrosés ou quelques cigarillos. Il est abonné à plusieurs newsletters de prévention pharmacologique primaire et de promotion des tests de dépistage et de diagnostic rapide. Il prend chaque jour une quinzaine de médicaments préventifs, vitamines et compléments alimentaires et pratique un peu de sport dominical, lorsque sa charge de travail le permet.

Depuis quelques jours, Laurent exulte, car un nouveau supercalculateur, d’une puissance sans précédent, permet d’intégrer toutes ses données personnelles accumulées avec celles de la plus grande base bibliographique d’articles biomédicaux, dans le but de remédier à ses faiblesses intrinsèques. Le coût de branchement à cette intelligence artificielle est de 999 €. Le jour « J », il se branche à la machine et attend le verdict avec un sang-froid de manager. Sur la bande de papier qui se déroule, Laurent lit ses résultats personnalisés : « Les calculs, basés sur les 560 paramètres fournis et l’analyse de plus de dix millions de références bibliographiques, permettent de conclure à un gain possible de quatre ans et huit mois de votre espérance de vie en bonne santé, ou cinq ans et dix mois avec 80% de vos facultés actuelles. Il faut pour cela respecter ce programme sanitaire : marcher une heure seize par jour, supprimer définitivement le tabac, diminuer la consommation d’alcool de 72%, la consommation de sucre de 87%, celle de viande de 60%, il faut supprimer 354 calories aux apports quotidiens et augmenter de 32% la consommation d’eau. Enfin, quoique tous neutres ou modérément défavorables, aucune conclusion n’est possible quant à vos 15 médicaments préventifs et compléments alimentaires. »

Au vu de ces conclusions, un ami lui fait remarquer qu’elles sont strictement identiques aux recommandations fournies par les papyrus médicaux de l’Egypte pharaonique : bouger plus et manger moins pour garder la santé et prolonger la vie. Les seules différences sont l’extrême précision des chiffres, l’inexistence du tabac et quasi-inexistence du sucre à cette époque. La consultation était aussi relativement moins onéreuse, et le module cérébral de l’illusion de grande différence entre 999 et 1000 n’était pas encore façonné.

Références