Archive pour la catégorie ‘Médecine’

La surmédicalisation est-elle un facteur de sous-médicalisation ?

mardi 3 juin 2014

Les évolutions de la médecine et de la société ont changé la cible des soins. L’activité médicale, auparavant centrée sur les plaignants, les soins primaires et l’urgence, est désormais dédiée aux non-plaignants, à la prévention pharmacologique et à la prédiction génomique. Cette profonde modification affecte autant la médecine praticienne que la recherche biomédicale.

Rançon du succès, sur le modèle des vaccinations qui ont permis de faire disparaître de graves maladies, on se prend à rêver à l’éradication des cancers ou des maladies neurodégénératives. Pourquoi pas, après tout ? Il ne faut jamais douter du progrès. Même si cet enthousiasme est parfois débridé, qui oserait reprocher à la médecine de tenter l’impossible pour faire reculer les maladies ?

Cette « knockisation » de la société des bien-portants, a évidemment des répercussions sur l’agenda des professionnels de la santé et sur la répartition des budgets.

La question est désormais de savoir dans quelle mesure cette surmédicalisation des non-plaignants comporte des risques pour les plaignants, les soins primaires et l’urgence.

Un premier élément de réponse est lisible en constatant la saturation des services d’urgence, les médecins ayant abandonné l’urgence au profit d’hypothétiques prédictions, les urgences s’accumulent un seul lieu et la qualité des soins en est inévitablement dégradée. Dans le même registre, il faut inclure la désaffection des étudiants pour les métiers à fort engagement clinique tels que : anesthésie, obstétrique, chirurgie ou pédiatrie. Cette lourde tendance aura inévitablement des répercussions sanitaires bientôt mesurables.

Un deuxième élément de réponse résulte des politiques de restriction budgétaire et d’enveloppe globale. Le montant des budgets alloués au dépistage, à la prévention pharmacologique et à la prédiction, se répercute négativement sur le financement des soins primaires.

Dans un pays comme la France où les politiques sociales restent favorables, cette désaffection pour le soin réel n’a pas encore de répercussion sur les indicateurs sanitaires quantitatifs classiques. La situation n’est pas la même aux Etats-Unis, par exemple, où le mirobolant marché de la prédiction génomique est associé à des indicateurs sanitaires médiocres.

Avec l’introduction d’indicateurs sanitaires qualitatifs (ex : qualité de vie), la distorsion devient plus visible, même dans un pays comme le nôtre. Enfin, l’aggravation des inégalités sociales contribue à une sous-médicalisation d’une frange de la population qui n’a plus accès aux soins primaires.

Chaque praticien réagit différemment à cette surmédicalisation de la société, en fonction de ses opinions ou de sa philosophie. Mais tout praticien digne de ce nom doit s’interroger et alerter sur les dangers d’une sous-médicalisation induite par cette gabegie médicale.

Références

La vieillesse tue

samedi 10 mai 2014

Dans son numéro de janvier 2014, The Lancet publiait cinq articles signés par des noms prestigieux qui pointaient le gaspillage de la recherche clinique. L’éditorial était une autocritique, puisque cette illustre revue publie, comme toutes les autres, de nombreux articles inutiles au soin, sans intérêt pour les patients et sans véritable projet de réflexion clinique.

Le marché n’est pas le premier responsable de cette course à la publication, le véritable moteur en est le système de promotion des auteurs. En médecine, les choses sont ainsi, la promotion d’un médecin ne résulte pas de sa compétence clinique, mais de sa capacité de publication.

De nombreux sujets d’étude n’ont plus aucun intérêt pratique. Faut-il encore faire des études pour prouver la nocivité du tabac sur tous les organes, alors qu’en soixante ans, aucune étude n’a jamais pu prouver le contraire ? Est-il vraiment nécessaire de faire des recherches, forcément sommaires, sur les polymorphismes génétiques de l’obésité ou du diabète de type 2 alors que leur cause environnementale est évidente ?

Pour la majorité des thèmes du dépistage ou de la médecine prédictive, il est évident a priori que toute analyse finale sera impossible. Pour de multiples sujets psychiatriques, les biais sont déjà inscrits dans le schéma même de l’étude clinique. En rhumatologie, la moitié des essais n’ont pas la puissance statistique suffisante pour tirer une conclusion.

Certaines études pharmacologiques sur les animaux sont publiées avant même d’avoir vérifié la concordance entre le modèle animal et le modèle humain, ce n’est qu’après que l’on découvre que l’homme n’est pas un animal comme les autres.

Une étude, encore plus grotesque, démontrait que les chutes et les fractures sont plus fréquentes en période de verglas, particulièrement chez les personnes âgées !

La palme revient à celle-ci, non qu’elle puisse être la pire dans l’absolu, mais elle m’a beaucoup fait rire. Elle portait sur les risques de mortalité à l’hôpital après 90 ans. J’ai été tenté par la lecture, car en tant que clinicien, il m’intéressait de savoir si l’hospitalisation des patients âgés était préférable aux soins à domicile, et quel pouvait être l’impact d’une hospitalisation en termes de morbidité. Les auteurs ont consciencieusement recensé les causes de décès dans une cohorte de 90 000 patients de plus de 90 ans à l’hôpital, et je m’attendais à une comparaison avec les causes de décès de patients du même âge soignés à domicile. Non, ces nonagénaires ont été comparés à des patients de 65 à 89 ans soignés dans les mêmes hôpitaux. L’étude conclut que le taux de mortalité a été de 22% chez les nonagénaires, contre 11% chez les plus jeunes.

Qui aurait pu le croire ? On meurt plus souvent quand on est très vieux que quand on est vieux.

Références

Hypertension des personnes âgées

dimanche 30 mars 2014

Impudent qui oserait contester un traitement contre l’hypertension chez quelque patient, car les plus prestigieuses revues en ressassent la nécessité. Le nombre de patients hypertendus approche le milliard, et malgré l’abondance des traitements, ce fléau s’aggrave à en croire les propos alarmistes des articles publiés.

Un ministère chargé de l’hypertension, qui aurait investi tant d’argent avec de si piètres résultats, serait assurément supprimé. Inversement, un chef d’entreprise qui aurait parié sur l’expansion illimitée de ce marché, serait félicité et reconduit dans ses fonctions.

Plus un seul médecin n’ose pointer un tel échec, la lecture critique de ces millions d’articles, souvent biaisés, est désormais une tâche impossible. Aucun documentaliste ne peut plus discerner les bénéfices et risques réels de tous ces traitements cumulés et parfois contradictoires.

Bien que nul ne connaisse les chiffres d’une tension idéale, cette culture de l’hypertension fait désormais partie du patrimoine médical, la moindre réfutation est chimérique, malgré l’étrange et grossière augmentation de sa prévalence.

Pourtant, les plus âgés de nos patients devraient être exclus de ce consensus, car tout bon clinicien constate la négativité du rapport bénéfices/risques d’un tel traitement. Tout d’abord, le bon sens permet de récuser d’emblée ce traitement probabiliste chez une personne âgée, car les données confirment le très long terme des bénéfices attendus. Un âge avancé étant la signature de l’absence de risque. Ensuite, tout praticien attentif constate les multiples effets indésirables, sous-estimés dans les publications. Hypotension, chutes, fractures, aggravation du déclin cognitif, fatigue, insuffisance rénale, sont les principaux risques avérés et publiés. L’hypotension due au traitement est la cause la plus fréquente de fatigue des séniors. L’aggravation de la mortalité après 85 ans est bien documentée.

Devant tout symptôme nouveau chez une personne âgée, l’arrêt d’un traitement antihypertenseur s’avère bénéfique à court et moyen terme, et il permet aussi d’éviter de nouveaux examens anxiogènes et inutiles.

Pourquoi cette évidence clinique est-elle aussi peu vulgarisée ? Les coupables sont nombreux : cardiologues qui assimilent jeunes et vieux autour de l’hypertension, fleuron de leur spécialité, généralistes trop timides devant la suprématie cardio-vasculaire, cliniciens bafoués, patients submergés par la médiatisation des artères, chercheurs qui extrapolent, sans discernement, les résultats des essais cliniques à tous les âges de la vie.

Les praticiens, payés à l’acte, n’ont plus la témérité qu’il faut pour affronter la norme, et les vieillards sont souvent ravis de prendre un traitement qui ne discrimine pas l’âge de leurs artères. D’autant plus qu’on a toujours pris la peine de leur expliquer qu’il s’agit d’un traitement à vie…

Le traitement de l’hypertension à un parfum d’éternité…

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Ne tournons pas autour du pot d’échappement

jeudi 27 mars 2014

L’importante contribution de l’automobile au produit intérieur, à la liberté, voire à la démocratie, ne doit pas nous empêcher d’en analyser les effets indésirables. La mortalité routière, qui a épargné peu de familles, reste la principale nuisance de ce grand progrès. Cependant, grâce à de volontaires politiques de prévention, cette mortalité est passée de 1/2000 à 1/10000, entre 1972 et 2012, dans les pays de l’OCDE, et de 1/3000 à 1/20000 en France, pendant cette même période. Et cela, malgré l’augmentation considérable du nombre de kilomètres parcourus.

Hélas, cette augmentation du nombre de déplacements est à l’origine d’un autre problème sanitaire, celui de la pollution atmosphérique, particulièrement préoccupante dans les grandes villes et à proximité des autoroutes.

Les effets délétères de cette pollution de l’air sont désormais bien documentés dans les pathologies pulmonaires et cardiovasculaires, mais aussi dans les leucémies aigues de l’enfant, dans le développement broncho-pulmonaire des adolescents, et aussi dans le développement de l’embryon et l’hypotrophie fœtale. Plusieurs autres études suggèrent un lien probable avec l’augmentation de l’incidence de l’autisme.

Après avoir déjà reconnu ses effets pulmonaires et cardio-vasculaires, l’OMS vient « d’officialiser » le rôle cancérigène de la pollution atmosphérique.

Il revient désormais au politique d’agir sur cette nuisance avec la même détermination qu’il l’a fait pour la mortalité routière…

L’épineux problème est l’impact négatif des pénalisations et limitations de circulation urbaine sur la production et la vente d’automobiles. Pour empêcher la chute trop rapide de leur chiffre d’affaires, les constructeurs sont dans l’obligation de chercher de nouveaux marchés et de produire des automobiles à l’étranger. Cette délocalisation permet de limiter, chez nous, les nuisances de la production et celles de la circulation sans trop amputer notre PIB.

La pollution se déplace désormais en Chine où les autorités commencent à constater avec horreur les méfaits de ce qu’ils nomment « l’airpocalypse ». Certains ont même envisagé la mise en place de ventilateurs géants  comme l’avaient proposé avant eux des dirigeants mexicains…

Beaucoup de vérités sont si ingénues que nul n’ose les formuler sans fioriture. « Tourner autour du pot » est l’expression populaire qui décrit le mieux les multiples façons de ne pas dire ce dont chacun a l’intime conviction.

Cessons donc de tourner autour du pot d’échappement, et demandons-nous si la pollution automobile, que nos clients nous renverront avec leurs ventilateurs, pourra s’arrêter à nos frontières, comme avait si bien su le faire le nuage de Tchernobyl ?

Et de façon moins naïve, osons nous demander si les nouveaux impératifs sanitaires sont compatibles avec la croissance.

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Science impossible du dépistage

vendredi 14 février 2014

Actuellement, les dépistages « organisés » ou « de masse » des cancers – donc sans ciblage personnalisé – sont fortement remis en cause par des études qui révèlent leur faible impact sur la santé individuelle et publique.

Les résultats « officieux » des études les plus crédibles diffèrent selon le cancer considéré : rapport bénéfice/risque positif pour le dépistage du cancer du col de l’utérus, neutre ou très faiblement positif pour le sein, neutre pour le mélanome, négatif pour la prostate, l’ovaire et le poumon, et encore indéterminé pour le côlon (trop récent).

Lorsque les études essaient, malgré la difficulté, de tenir compte des surdiagnostics, des surtraitements et d’autres facteurs de diminution de la qualité de vie, les résultats sont encore plus médiocres.

Mais ces études négligent encore deux autres éléments importants. D’une part, la baisse de mortalité due à l’amélioration des thérapeutiques médicales et chirurgicales des cancers évolués. D’autre part, les bons résultats de certaines politiques de prévention, telles que la diminution des traitements hormonaux de la ménopause, pour le cancer du sein, ou la limitation du tabagisme, pour tous les cancers.

Comme les trois actions : dépistage de masse, thérapeutiques efficaces et mesures préventives sont combinées au sein des populations étudiées, il est de plus en plus difficile d’évaluer la part de chacun dans les variations de mortalité et de létalité. D’autant plus que les thérapeutiques efficaces le sont sur des cancers évolués ou métastatiques, ceux où la létalité est la plus forte, et non sur des cancers dépistés où la létalité est logiquement très faible.

Pour des raisons éthiques, ni les thérapeutiques ayant la moindre efficacité, ni les mesures de prévention, ni les dépistages ciblés, ne peuvent être interrompus. La seule façon de connaître l’efficacité réelle des dépistages de masse, serait de les interrompre pendant quelques années.

Bien que cela soit éthiquement acceptable, au vu de leurs résultats médiocres, cela est politiquement, humainement et pratiquement impossible, en raison de deux convictions intimes partagées par tous les patients et de nombreux médecins. 1/ Une tumeur ne se serait jamais développée si elle avait été dépistée à temps. 2/ La « guérison » d’un cancer dépisté est attribuée au dépistage plus qu’à l’évolution naturelle ou à l’efficacité thérapeutique.

Les statistiques « contre-intuitives » susceptibles d’ébranler ces deux convictions devraient avoir des niveaux de preuve et de significativité largement supérieurs aux niveaux actuels. Comme nous venons de démontrer que de telles études sont désormais impossibles à réaliser, il nous faut admettre que la vérité sur les dépistages de masse ne nous sera jamais accessible.

Pour chaque citoyen en bonne santé, tout dépistage est un pari individuel, aux ressorts intuitifs et idéologiques, qu’aucune science ne pourra jamais ni cautionner ni contester.

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Les maladies ont un genre

lundi 10 février 2014

En dehors des maladies liées à un organe sexuel (sein, prostate, ovaire, testicule, etc.), il est intéressant, pour la recherche fondamentale et clinique, de considérer l’épidémiologie en fonction du sexe.

Ainsi, une différence de répartition peut expliquer l’influence d’une hormone sur la physiopathologie d’une maladie, mais peut aussi révéler d’autres faits surprenants de nos approches médicales.

L’exemple des maladies cardio-vasculaires est instructif. Quelques études révèlent que le diagnostic de maladies coronaires est souvent retardé, voire négligé, chez beaucoup de femmes. L’a priori de la plus grande fréquence de ces maladies chez les hommes serait en grande partie injustifié. Cette discrimination ne s’arrête pas là, puisque le traitement lui-même n’est pas identique pour les deux sexes. Les angioplasties sont plus souvent pratiquées chez les hommes ! Est-ce que les cardiologues considèrent cette intervention comme plus virile, puisqu’il s’agit d’un acte de plomberie consistant à déboucher ou dilater une coronaire ? Heureusement, cette discrimination n’a pas de conséquence, car la mortalité est la même dans les deux sexes. Certains avaient déjà noté que les angioplasties n’avaient pas d’effet sur la mortalité, voilà qu’une inconsciente discrimination de genre peut en apporter la preuve !

Pour les maladies psychiatriques, la ségrégation a longtemps été farouche, les diagnostics avaient une simplicité binaire : folie pour les hommes et sorcellerie pour les femmes. Ensuite,  on a longtemps crue la schizophrénie plus fréquente chez les hommes. En réalité, cette maladie touche autant les femmes, elle diffère cependant par une plus grande fréquence de formes moins sévères et plus tardives.

Quant aux maladies auto-immunes, l’énorme différence ne peut pas venir d’un a priori sexiste. Les principales d’entre elles, comme la polyarthrite rhumatoïde, la thyroïdite ou le lupus concernent 90% de femmes pour 10% d’hommes. Connaissant le caractère parfois très invalidant de ces maladies, il faut se réjouir d’être un homme.

Le cancer du poumon, longtemps réservé aux hommes, est devenu bisexué, en raison du tabagisme féminin. C’est ici l’occasion de constater qu’une libération peut conduire à une addiction ! Cette « libération » contribue à diminuer l’écart d’espérance de vie qui reste toujours favorable aux femmes. Il faudra sans doute voir les femmes accéder à plus d’alcool, à plus de métiers du bâtiment, de la mine ou de la métallurgie, pour éliminer le genre dans la durée de vie. A moins qu’il y ait une cause véritablement intrinsèque, sachant que la testostérone est un immunosuppresseur susceptible de favoriser les infections et les cancers.

Bref, malgré de nombreux a priori médicaux, désormais combattus, la compréhension de certaines maladies ne pourra échapper au critère du genre. Il est important d’affirmer et d’affiner notre connaissance de ces différences, afin de mieux lutter contre les inégalités.

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Paradoxe avortement / euthanasie

lundi 27 janvier 2014

À mon titre d’homme, j’ai toujours été favorable à l’avortement et à l’euthanasie, car ils me paraissent être deux étapes importantes de notre long processus d’hominisation. À mon titre de médecin, j’accepte sans réticence, bien que sans enthousiasme, d’être impliqué activement dans ces deux actes, car ils correspondent, le plus souvent, à une détresse qui m’oblige.

Livrer cette opinion personnelle a bien peu d’intérêt, c’est pourquoi j’aimerai soulever un paradoxe susceptible de faire avancer le débat.

L’avortement s’apparente à l’arrêt brutal d’une très longue période d’espérance de vie et il est à contresens de l’évolution biologique. Inversement, l’euthanasie n’ampute aucune espérance de vie et elle ne contredit aucunement l’évolution qui alloue toujours plus de ressources à la reproduction qu’à la réparation corporelle.

Dans les sociétés laïques et démocratiques, il semble paradoxal que juristes et médecins aient accepté, depuis longtemps déjà, de légaliser et de pratiquer l’avortement, alors que ces mêmes juristes et médecins freinent ou reculent dans la légalisation et la pratique de l’euthanasie.

Un bel exemple de ce paradoxe est fourni par la France où la belle avancée juridique de la loi Leonetti est presque sans effet sur le terrain, et que les juristes eux-mêmes la bafouent. Quant à l’admirable rapport Sicard qui aboutit, sans heurt, à l’évidence du suicide assisté, il n’a été repris par aucun politique.

Pour trouver une explication à ce paradoxe, il faut admettre qu’il manque quelque-part un ou des éléments qui n’ont jamais été pris en compte dans les différents débats. Il existe indubitablement d’autres raisons qui freinent les acteurs de la légalisation et de la pratique de l’euthanasie dans notre état laïque. J’ignore grossièrement quelle est la nature profonde, secrète, voire inavouable de ces raisons, mais elles ne relèvent certainement ni de la morale naturelle, ni de l’empathie, ni de l’évolution, ni de la biologie. Il faudra bien oser « fouiller » jusqu’à l’intime de ces raisons, si l’on souhaite vraiment faire avancer le débat…

De toute évidence, ces raisons n’ont pas de rapport avec le respect de la vie, et nous venons de constater qu’elles n’ont pas, non plus, de rapport avec le respect de la loi !

Continuer trop longtemps à les ignorer, serait prendre le risque majeur d’une régression sociale jusqu’aux premiers temps des débats sur l’avortement.

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Vendre les tranquillisants à l’unité

dimanche 19 janvier 2014

Les benzodiazépines sont les plus connues et les plus utilisées des tranquillisants. Elles ont deux indications médicales majeures : l’attaque de panique et les crises convulsives. Dans ces deux cas, leur utilisation est unitaire et ponctuelle, sous forme orale ou injectable.

Or, dans la pratique, les benzodiazépines sont prescrites essentiellement comme somnifères, bien qu’elles soient un facteur aggravant de l’insomnie chronique. Elles sont aussi utilisées comme myorelaxants et tranquillisants au long cours. Leur principal effet indésirable immédiat est une baisse de la vigilance, avec risque de chute et une augmentation de 60% de fractures du col du fémur. On leur doit aussi une bonne part des accidents de la route.

À plus long terme, les effets néfastes sont une majoration des pertes de mémoire et une augmentation de 50% du risque de démence.

Encore plus préjudiciable est le risque de dépendance, puisqu’il s’agit certainement des drogues les plus rapidement addictogènes, tant du marché licite que du marché illicite. Une consommation quotidienne de deux semaines suffit parfois à entraîner une dépendance, et le sevrage est toujours difficile. C’est la raison pour laquelle il est officiellement recommandé de ne pas dépasser quelques semaines de prescription. Recommandation que les médecins ne peuvent pas suivre, car ils cèdent à la pression des patients devenus dépendants. La preuve en est apportée par le récent rapport de l’ANSM qui note l’augmentation régulière de consommation des benzodiazépines.

Dans le cadre de tentative de réduction du sempiternel trou de la Sécurité Sociale, une réflexion vient de s’ouvrir sur la vente des médicaments à l’unité. Les benzodiazépines sont une excellente occasion de mise en pratique. En dehors des convulsions et des attaques de panique, elles n’ont aucune indication médicalement justifiée, et dans ces deux cas, leur utilisation est unitaire. Elles sont donc bien le premier médicament idéal pour une vente à l’unité. Le corollaire serait un déremboursement des boîtes de plusieurs comprimés, dont la prescription est la preuve d’une utilisation inadéquate, non justiciable de la solidarité nationale.

Cette mesure aiderait au sevrage, elle diminuerait les chutes et fractures des personnes âgées, les accidents de la route, la démence, les insomnies chroniques, et améliorerait la santé publique.

Le bonus serait une économie de 200 millions d’euros pour la Sécurité Sociale.

La seule inconnue est le nombre de licenciements provoqués par le manque à gagner des industriels. Espérons qu’il sera faible, car ces nouveaux chômeurs éventuels pourraient être sujets aux insomnies et aux angoisses… Rien n’est simple !

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Fluctuations des gains et pertes sanitaires

lundi 13 janvier 2014

Le Démon a perdu beaucoup de ses possédés lorsque l’épilepsie est devenue une maladie, mais la santé publique s’est dégradée d’autant, puisqu’il a bien fallu inclure ces « nouveaux » malades dans la comptabilité sanitaire.

Il fut un temps où être gaucher était un handicap sévère que l’on s’efforçait de corriger par contrainte, rééducation ou même psychothérapie ! La réaffectation de la gaucherie en variable populationnelle normale a brutalement guéri de leur handicap 10% des habitants de la planète.

Les roux avaient connu un peu avant les mêmes heurs et malheurs que les gauchers.

Les homosexuels ont eu moins de chance puisqu’il leur a fallu attendre les années 1980-1990 pour que l’homosexualité soit retirée de la liste des maladies mentales dans la majorité des pays. La psychiatrie y a peu perdu, mais la santé publique y a encore beaucoup gagné.

Jusqu’au début du XX° siècle, être « fille-mère » provoquait un vécu morbide aussi dramatique que celui du choléra ou de la lèpre, voire plus, avec exclusion sociale et familiale, et des conséquences psychologiques et physiques traversant les générations, puisque l’on préférait parfois dire à un enfant qu’il était orphelin plutôt que de lui avouer qu’il avait une mère célibataire… Aujourd’hui, avec la stérilité qui menace, l’évènement est plus souvent vécu avec bonheur. Je vous laisse imaginer le bénéfice considérable en termes de morbidité et d’héritabilité…

En médecine (hors chirurgie), depuis les gains miraculeux enregistrés par les vaccinations, ce sont certainement les changements de terminologie qui ont eu le meilleur impact sur la santé publique.

Hélas, lorsque l’on a décrété que le diabète débutait à 1,20 gr/l de sucre par litre de sang au lieu de 1,40, le nombre de malades a triplé en quelques années. Il en a été de même lorsque les normes de l’hypertension ou du LDL cholestérol ont baissé, faisant perdre rapidement à la santé tout ce qu’elle avait gagné avec les roux et les gauchers.

Je n’ose même pas imaginer les lourdes pertes comptables qui s’annoncent avec les hyperactifs, les bipolaires et les « dépistés » de tous ordres. Pertes que nous n’arriverons jamais à compenser, même en rendant les épileptiques au diable et les homosexuels aux psychiatres…

Alors, profitons de ces bons vœux de début d’année, pour bien marteler que la santé n’est jamais gagnée d’avance !

Bibliographie

Si les sages-femmes pouvaient…

samedi 4 janvier 2014

En ce moment les sages-femmes manifestent leur mécontentement. Elles ont raison.

Leur travail est clinique, relationnel, technique, décisionnel, bref, un vrai rôle de médecin. Lorsque les généralistes pratiquaient encore les accouchements, c’était sous leur surveillance bienveillante et avec leur aide efficace. L’appel à l’obstétricien était rare, environ 8% des accouchements, pour les césariennes inévitables.

Il est important de rappeler que tout ce qui a été gagné en termes de mortalité et de morbidité maternelle et périnatale, avait été gagné bien avant l’hyperspécialisation et la multiplication des césariennes et des déclenchements.

C’est dans les années 1940 que la mortalité maternelle a chuté brutalement dans les pays européens passant de 500 décès pour 100 000 naissances à une vingtaine dans les années 1970. Aujourd’hui, elle se stabilise autour de 8 pour 100 000 naissances. Quant à la mortalité périnatale, de 1,8/1000 aujourd’hui, elle était inférieure il y a quelques années.

Alors que plus un seul médecin, même pas les gynécologues, ne pratique des accouchements, il est logique de penser que leur surmédicalisation galopante est bien le fait de l’hyperspécialisation obstétricale.

Les sages-femmes peuvent-elles empêcher les deux-tiers de césariennes inutiles qui aggravent la morbidité maternelle et infantile à court et long terme ? Peuvent-elles empêcher les 90% de déclenchements inutiles ?

Il est difficile d’évoquer la péridurale, largement utilisée, car peu d’études ont sérieusement analysé son rapport bénéfices/risques et son impact réel sur le confort global de l’accouchement et de ses suites. Ces études seraient intéressantes, car beaucoup de parturientes ayant connu « avec » et « sans » ont déclaré préférer leur accouchement sans péridurale, en tenant compte de tous les paramètres.

Par contre, de nombreuses études confirment l’impact négatif des césariennes sur la morbidité de l’enfant à court et long terme (asthme, diabète, obésité, etc.) Le risque de mort maternelle ou néonatale est multiplié par deux ou trois au deuxième accouchement !

Les obstétriciens, praticiens du très court-terme, nient ou négligent, à la fois, l’absence d’effet bénéfique à court-terme de cette surmédicalisation et les résultats négatifs des études sur le long-terme. La majorité d’entre eux pense que ces nouvelles pratiques sont bonnes puisqu’elles sont acceptées par les parturientes et la société. Ils ont repris la vieille habitude mandarinale de la « preuve inversée » : ce n’est pas parce que c’est bien que je le fais, c’est parce que je le fais que c’est bien.

Si les sages-femmes, désormais seules face à cette nouvelle donne, avaient la moindre chance de parvenir à stopper cette dangereuse inflation, il faudrait alors leur donner plus de pouvoir et plus d’autorité. Je suis très favorable à leur accès au statut de praticien hospitalier, avec cet objectif sanitaire en contrepartie.

Références