Archive pour août 2018

Ne pas vexer son médecin

lundi 27 août 2018

La relation médecin-patient est un thème rebattu. Sa qualité est supposée produire celle du soin. Depuis Balint, les médecins sont encouragés à suivre des formations pour améliorer cette relation. La confiance des patients en leur médecin est le fondement de l’effet placebo, lequel représente la plus importante contribution au succès du soin, quels que soient les progrès de la médecine et la gravité des pathologies.

Cette relation n’a évidemment pas échappé aux évolutions sociales et technologiques. L’échange verbal est de plus en plus haché par diverses mélodies de téléphone. Les regards se croisent moins depuis que l’ordinateur du médecin en capte la majorité. Internet en est devenu une tierce personne. Enfin, cette relation, importante pour l’éducation et le conseil et pour toutes les thérapies non médicamenteuses, a perdu de son poids maintenant que les industriels du médicament sont les seuls à façonner l’art et l’enseignement médical.

D’un côté, les décisions thérapeutiques sont basées sur des statistiques biomédicales le plus souvent biaisées. Néanmoins, ces décisions probabilistes sont labellisées, immuables et définitives. Les traitements sont prescrits à vie quelle que soit l’évolution clinique individuelle.

De l’autre côté, le soin empirique, modulable et réversible, façonné par la parole et la relation, est devenu presque suspect.

La souffrance générée par cette dégradation relationnelle est la même des deux côtés du stéthoscope. Médecins et patients sont également victimes de cette évolution. Le médecin se réfugie derrière une ordonnance anonyme, approuvée par sa faculté et son ministère. Le patient accepte cette ordonnance à défaut de ne pouvoir obtenir toute l’attention qu’il espérait.

La petite philosophie synthétique que je livre ici n’a rien d’original et s’est construite au gré de mes désolations de clinicien, mais l’ampleur du problème m’est apparue suite à la récente réflexion d’un ami qui me relatait les suites d’une consultation : « mon médecin m’a prescrit ce médicament, mais je n’ose pas lui avouer que je ne le prends pas de peur de le vexer ».

Cet ami avait inversé la charge de la confiance. Il tenait manifestement à garder son médecin, bien que n’ayant plus vraiment confiance en lui. L’essentiel semblait être que ce praticien garde confiance en son patient. Ce paradoxe, ébranla ma naïveté médicale, et me conduisit à de nouvelles digressions sur notre métier.  J’imaginai alors les imbroglios que devront démêler les futurs cliniciens. Prescriptions abusives à vie, effets secondaires des médicaments inutiles, dissimulations de non observance, automédication, médicaments frelatés achetés sur internet, multiples prescriptions de spécialistes ou de médecines alternatives, bref, tous ces échecs de la relation allaient rendre le défrichage des symptômes et de l’évolution clinique infiniment laborieux. Dans la relation médecin-patient de demain, les docteurs Watson auront vraiment besoin de Sherlock Holmes à leurs côtés.

Références

De l’épisiotomie à l’épistémologie

mercredi 22 août 2018

L’épisiotomie offre un excellent modèle de réflexion sur l’histoire du soin préventif. Cette incision du périnée a été pratiquée pour la première fois en 1741 dans le but d’éviter aux femmes accouchées de plus graves déchirures. L’idée était a priori louable, comme se doit d’être toute idée médicale.

Malgré la rareté de ces graves déchirures, la méthode a connu un spectaculaire regain d’intérêt au début XX° siècle, jusqu’à concerner 70% des parturientes, voire 100% dans certaines maternités. Et cela malgré l’absence d’études sur son intérêt préventif.

Cette pratique n’engendrant aucun profit, ni pour les médecins, ni pour l’industrie, ce regain d’intérêt, après 150 années de discrétion, reste obscur. Il doit se comprendre dans le cadre plus général de la médicalisation de l’accouchement et dans la volonté de limiter tous les risques, y compris les plus rares.

Malgré des séquelles parfois gênantes pour la sexualité féminine, cette pratique n’a pas été contestée et a fini par s’inscrire dans la liste des « violences obstétricales ordinaires ». Au début des années 2000, plus de la moitié des femmes subissaient encore une épisiotomie préventive, sans évaluation réelle des risques individuels de déchirures, ni évaluation des bénéfices de santé publique. Dans le domaine du soin, il est toujours très difficile de financer et d’organiser une étude sérieuse lorsqu’il n’y a pas d’espoir de profit et que le seul bénéfice escompté est d’ordre clinique ou éthique. Surtout si une tradition s’est établie avec pour argument initial celui de la précaution.

Pourtant au début du XXI° siècle, plusieurs études suggéraient déjà fortement l’inutilité de l’épisiotomie. En effet, le nombre de graves déchirures périnéales lors de l’accouchement restait constant (et toujours aussi faible). On mutilait ainsi de nombreuses femmes sans apporter aucun bénéfice aux rares malheureuses supposées devoir en profiter. Situation prototypique résumant les 4 défauts majeurs du soin préventif : absence d’évaluation du rapport bénéfices/risques, absence d’interrogation sur l’étanchéité entre santé publique et santé individuelle, restriction causale autour d’un seul facteur théorique, impossibilité d’envisager l’abstention comme équivalente ou supérieure à l’action.

Depuis quelques années, des données de plus en plus précises ayant démontré les nuisances et l’inutilité de cette pratique, le taux d’épisiotomie a fortement baissé. Il est aujourd’hui de 20% en France, soit encore deux fois plus élevé que le taux préconisé arbitrairement par l’OMS. En réalité, un examen plus attentif des méta-analyses montre que l’épisiotomie pourrait totalement être supprimée sans modifier le nombre des graves déchirures périnéales.

Mais pour en arriver à cette suppression totale. Il faudra toute la sagesse des citoyens et toute la sérénité des juges pour calmer l’activisme obstétrical… Il nous faudra l’audace de l’abstention…

Références

Le médecin expert de demain

jeudi 9 août 2018

On ne cesse de s’interroger sur l’évolution et l’avenir de la médecine. Vulgarisation biaisée par internet, mainmise des industriels sur l’enseignement universitaire, télémédecine, intelligence artificielle, saturation des urgences, etc. sont autant de thèmes récurrents qui démontrent les profondes mutations de la pratique médicale en quelques décennies.

Les plus vieux praticiens se désolent de l’appauvrissement du sens clinique pendant que leurs jeunes confrères considèrent que la technologie l’a enrichi. Mais tous ont conscience de la nécessité de formaliser de nouveaux savoirs destinés à de futurs cliniciens qui seraient idéalement agrégateurs d’informations, modérateurs de diagnostic et piliers de soin.

Sur le chemin complexe de cette utopie, il est une première expertise très facile à développer, celle de « iatropathologiste ».

Une pathologie est dite « iatrogène » lorsqu’elle est induite par la médecine. Cette iatropathologie, aujourd’hui devenue l’une des premières causes de morbidité et de mortalité en Occident, est aussi la plus largement méconnue. Cette méconnaissance s’explique par la réticence bien compréhensible des médecins à l’accepter. Elle s’explique aussi par le manque d’essais cliniques démontrant son ampleur. Il est en effet très difficile de faire financer des essais destinés à démontrer les dangers de la polymédicamentation ou les bienfaits de la déprescription médicamenteuse. Par ailleurs, les essais cliniques démontrant les bienfaits des médicaments excluent généralement les séniors et les enfants qui sont pourtant les tranches d’âge les plus concernées par la prescription médicamenteuse. Enfin aucune politique n’incite véritablement à la pharmacovigilance, bien qu’il soit devenu quasiment impossible d’échapper à l’une des multiples facettes de la médicamentation : ordonnances de spécialistes de plus en plus nombreux, automédication, drogues illicites, produits dopants, faux médicaments sur internet, produits naturels ou ésotériques, etc.

L’expérience confirme que devant un symptôme ou une plainte dont on ne trouve pas l’origine, plus de deux fois sur trois, l’enquête médicamenteuse et la réflexion iatropathologique permettent de dénouer l’énigme. Tout particulièrement en gériatrie, mais aussi parfois en pédiatrie. La déprescription est très souvent le seul moyen de soulager le patient. Et lorsque ce sevrage médicamenteux est impossible, il s’agit souvent d’une addiction à des antalgiques opioïdes ou à des psychotropes qui n’auraient jamais dû être prescrits. On en revient toujours à la pathologie iatrogène.

Assurément, le clinicien expert de demain sera iatropathologiste. Une médecine si simple qu’un enfant de cinq ans pourrait la pratiquer. Pour parodier Groucho Marx : qu’on nous amène vite des médecins de cinq ans.

Références