Depuis Galien, la thériaque a été proposée par les apothicaires comme remède à tous les maux. La composition de ce mélange de plus de cinquante plantes aromatiques et produits ésotériques a varié au cours des siècles, mais elle contenait immanquablement de l’opium qui en résumait à lui seul toute l’efficacité.
Ce même opium expliquait aussi l’engouement des patients pour cette panacée qui a fini par être retirée du Codex à la fin du XIX° siècle sans que personne n’ai jamais cherché à dénombrer le nombre de ses victimes.
L’opium ayant ainsi disparu du soin quotidien, divers antalgiques sont venus au secours des douleurs physiques, et il a fallu attendre les psychotropes et les hallucinogènes pour tenter d’apaiser les douleurs morales. Tout cela avec une surveillance médicale plus stricte : la morphine et les opiacés étant exclusivement dédiés aux douleurs cancéreuses et aux patients en fin de vie.
Hélas, rien ne peut suffire à endiguer le flot des souffrances, et nul ne sait longtemps tenir le marché éloigné de cette manne.
Vers la fin des années 1980, les indications de la morphine ont été étendues à divers types de douleurs. Lorsqu’avec plusieurs généralistes, nous avons alerté sur le risque d’abus, nous avons été qualifiés de rétrogrades par rapport au modèle anglo-saxon. Les centres antidouleur, soi-disant spécialisés, n’ont pas diminué le nombre des souffrances, mais ont largement contribué à augmenter le nombre des addictions. En 2014, les agences du médicament se sont enfin inquiétées de cette toxicomanie sur ordonnance. Pourtant, notre sécurité sociale continue à rembourser, envers et contre tout, les plus addictogènes des drogues, pendant que le flot des souffrances grossit irrémédiablement.
Aujourd’hui, le gouvernement américain s’inquiète des 200 morts quotidiens par intoxication aux opiacés de prescription médicale. Nous ne pouvons que nous attrister d’avoir eu raison. Mais soyons certains qu’il y aura bientôt un tout nouvel argumentaire pour nous accuser encore de barbarie face à la grande douleur de nos concitoyens. En tant que médecin, j’ai honte de notre impuissance devant la souffrance, mais je m’enorgueillis de ne pas l’avoir aggravée.
Je propose lâchement que toutes les thériaques à venir soient en vente libre, afin que la médecine ne soit plus le point de convergence de toutes les souffrances et que les médecins ne soient plus les premiers pourvoyeurs des nuisances qui en découlent.