Nous pouvons théoriser la différence entre soins préventifs, curatifs et palliatifs en fonction du niveau ciblé par chacun d’eux.
La cible des soins préventifs est l’espèce tout entière, les conseils hygiéno-diététiques sont inchangés depuis l’aube de la médecine pour tous les Homo Sapiens : limiter les apports caloriques, éviter les toxiques et faire de l’exercice.
Les soins curatifs ont un niveau populationnel, car ils reposent sur des protocoles établis par des échantillonnages cliniques différents selon les cultures et les peuples. Ils sont ensuite appliqués à tous les patients répondant aux critères de l’échantillon. Ils peuvent s’affiner progressivement pour des sous-groupes sans pouvoir atteindre une individualisation optimale.
Enfin, les soins palliatifs sont les seuls de niveau strictement individuel, puisqu’ils abandonnent les règles préventives et les protocoles curatifs pour concentrer toute l’attention sur le bien-être du patient.
Avec les progrès de la communication, la prévention peut se passer des médecins dont nul n’a plus besoin pour savoir que les vaccins sont indispensables, que le tabac est dangereux ou que les sucres sont nocifs. Les soins palliatifs peuvent aussi se passer de la biomédecine, puisque le seul protocole est celui de l’empathie maximale assortie d’une quantité variable de morphine. Seuls les soins curatifs restent une exclusivité médicale.
Mais dans le domaine du soin, les grands concepts sont difficiles à délimiter. Dans la réalité, chacun, soignant ou patient, ne cesse d’abolir les frontières avec un acharnement émouvant.
Une personne qui refuse un protocole curatif est parfois malmenée, mais elle devient choyée dès qu’elle est admise en soins palliatifs. La césure est aussi nette dans l’autre sens : si elle réintègre un protocole, elle y perdra en caresses. Le patient doit mourir pour que sa personne devienne plus importante que sa maladie.
Chaque jour, des patients en service de soins palliatifs sont envoyées en urgence dans un autre service suite à un résultat d’analyse dont nul ne se demande pourquoi elle a été pratiquée. Plusieurs dépistages de cancers sont encore régulièrement réalisés chez des patients dont l’espérance de vie est négligeable, conduisant parfois à réintégrer un protocole de soin.
On pourrait arguer qu’un nouveau protocole, à défaut d’améliorer la qualité de vie, en améliore la quantité, mais il n’en est rien : nombre de cancers ont une meilleure survie en palliatif qu’en curatif et encore meilleure à la maison qu’en milieu palliatif. Avantage de la caresse sur le protocole.
Ces alternances grotesques entre palliatif et curatif font oublier que le préventif reste longtemps la meilleure option. La marche, par exemple, peut, jusqu’au bout, améliorer l’insuffisance cardiaque et bien d’autres insuffisances.
Ne blâmons pas trop les médecins de ce grand désordre du soin ; ils ne sont ni programmés ni payés pour entretenir le rêve intime de chacun de mourir debout ou sous un flot de caresses.