Le domaine du soin est vaste ; on peut soigner son jardin, sa voiture, ses enfants, son chat.
Deux termes désignent les personnes qui dispensent leurs soins dans le domaine du vivant : soignants et soigneurs.
L’usage courant a attribué le terme de « soigneurs » à ceux qui agissent dans le monde animal, et celui de « soignants » à ceux qui s’adressent aux hommes. Le zoo et le cirque emploient des soigneurs, l’hôpital recrute des soignants.
Les seuls soigneurs ne s’adressant pas à des animaux, sont les soigneurs de sportifs. Il serait très malséant d’oser faire un quelconque rapprochement entre animaux et sportifs, mais on comprend implicitement que dans la fonction de soigneur, la prise en compte du « moi » intime du soigné ne se situe pas au premier plan.
Inversement, le terme de soignant implique une plus forte compréhension de l’autre, ainsi que du caractère irréductible de cette altérité. Le soin physique prodigué par le soignant n’est pas dissociable de son empathie et de sa compassion, facultés dont il doit être pourvu, par nature.
Pourtant, nous constatons de plus en plus souvent que cette dichotomie s’estompe, parfois au point de disparaître.
D’un côté, certains soigneurs connaissent si bien les animaux dont ils s’occupent, qu’ils adaptent leurs soins à chacun d’eux et développent une relation individuelle d’une grande acuité.
De l’autre côté, nous voyons se développer des SOP (Standard Operating Procedure) en cancérologie, des consensus provoqués en cardiologie, des dépistages organisés sans sélection clinique, ou encore certaines randomisations pour essais thérapeutiques, qui constituent une négation inévitable de l’altérité.
Ces administrations centralisées du soin et ces protocoles indispensables à l’ingénierie biomédicale, finissent par imposer aux soignants, médicaux et paramédicaux, une conduite niant l’individu. Le pire est que ces nouvelles organisations s’accompagnent d’une nouvelle vision du professionnalisme dans le soin. On en arrive presque à juger et à promouvoir le soignant sur ses facultés à nier l’altérité et à taire son empathie.
Le soignant doit afficher sa foi dans le protocole, et montrer qu’il a bien compris que le « sauvetage de l’humanité » ne passe ni par la compassion individuelle, ni par l’esprit d’initiative, ni par le raisonnement clinique, mais bien par la standardisation des soins.
Pendant ce temps, au fond de sa cage, le soigneur du zoo progresse, à pas fulgurants, en éthologie et en biologie des interactions individuelles.
Larousse et Robert devront bientôt revoir leurs définitions de soignant et de soigneur.