Archive pour le mot-clef ‘pharmacovigilance’

Dépakine et les générations futures

mardi 20 juin 2017

Le scandale médicamenteux de la Dépakine révèle une nouvelle évidence de la philosophie du soin.

Comme ceux du thalidomide, les effets secondaires de la Dépakine ont concerné les fœtus des patientes auxquelles étaient prescrits ces médicaments. Mais la comparaison s’arrête là. À l’époque du thalidomide, la pharmacovigilance était inconnue ou presque, et ce médicament n’avait aucun intérêt thérapeutique.  Inversement, Dépakine est un médicament utile qui est arrivé à une époque où l’on avait pris conscience du risque médicamenteux.

Le risque tératogène de la dépakine était connu depuis 1982 et clairement mentionné sur les notices et documents officiels. Cependant, jusqu’en 2006, les mêmes recommandations officielles mentionnaient de ne pas interrompre le traitement en cas de grossesse, car on pensait qu’une convulsion maternelle était plus dangereuse pour le fœtus que le médicament. Cette raison était avancée, malgré l’absence de données sérieuses pour la confirmer, mais elle avait une certaine esthétique et la faveur des neurologues. Cette étrange recommandation a été appliquée jusqu’à nos jours, c’est-à-dire plus de 35 ans après la preuve du risque fœtal, alors que nous disposions de bien d’autres traitements de l’épilepsie.

On peut, comme toujours, évoquer l’incompétence des autorités, la pression des lobbys, les conflits d’intérêts des spécialistes, le laxisme médical, les lacunes et biais des publications et la naïve soumission des patients. Mais ce scandale confirme avant tout une réalité de la pratique médicale : le mépris constant des générations futures.

Le slogan écologiste des générations futures n’a manifestement pas atteint le monde médical. La grande majorité des obstétriciens ne se pose même pas la question de l’impact des nouvelles pratiques obstétricales (péridurale, déclenchement du travail, abus de césariennes), à moyen et long terme, sur les générations ainsi mises au monde. Les néonatologistes se réjouissent des progrès de leur discipline et se vantent de faire survivre des nourrissons de 500 gr, avec une étonnante discrétion sur les 80% de handicaps qui en résultent. Les pratiques de procréation médicale assistée négligent encore les répercussions de ces méthodes sur l’augmentation de fréquence de certaines pathologies rares. Les antidépresseurs continuent à être prescrits en cours de grossesse malgré leurs risques, avec des arguments peu documentés, voire fallacieux.

Apprécions les progrès médicaux auxquels nous devons beaucoup, évitons le catastrophisme, et ne sombrons pas dans un écologisme militant, mais étonnons-nous néanmoins de l’absence quasi-totale d’interrogations du monde médical sur la santé des générations futures. Le court-termisme qui a envahi tous les champs professionnels et politiques n’a manifestement pas épargné le monde médical.

Références

Histoire simple des médicaments anti-obésité

mardi 6 janvier 2015

Le Mysimba® vient d’obtenir son autorisation de mise sur le marché en Europe. Ce médicament contient un anti-opiacé, le naltrexone et un antidépresseur amphétaminique, le bupropion, deux molécules toxiques utilisées dans diverses cures de sevrage avec de bien maigres résultats.

L’obésité est l’unique indication de ce nouveau médicament, avec les mises en garde d’usage, toutes politiquement correctes.

L’histoire des médicaments anti-obésité est d’une extraordinaire simplicité. Aucun n’a jamais eu le moindre effet thérapeutique, l’épidémie d’obésité n’a fait qu’empirer depuis la première tentative de régler ce problème sanitaire par la pharmacologie. Toutes les molécules ont été retirées du marché en raison de leur toxicité, même lorsque la pharmacovigilance était quasi inexistante. Les petites améliorations de la pharmacovigilance ont permis de raccourcir le délai entre commercialisation et interdiction, passant d’une vingtaine d’années, pour les premiers, à moins de cinq ans, pour les derniers.

Pléthoryl®, Isoméride® et Pondéral®, trois amphétamines (comme le bupropion de Mysimba®) ont été retirées du marché entre 1988 et 1997. Triacana®, à base d’extraits thyroïdiens a été interdit en 2004, le rimonabant (Acomplia®) en 2008, la sibutramine (Sibutral®) et le Médiator®, dernière amphétamine célébrissime, en 2010. L’orlistat (Alli®) a été retiré par son fabricant, tandis que la forme Xenical® est en cours d’abandon en raison d’un rapport bénéfice/risque négatif.

Pour tous ces médicaments, sans exception, les mises en garde, indications et précautions d’usage n’ont jamais été respectées, multipliant le nombre d’accidents et aggravant la négativité de la balance bénéfices/risques.

L’enseignement à tirer d’une telle saga est sans équivoque : aucun comprimé ne peut régler le problème de l’obésité dont les causes environnementales sont d’une extrême complexité.

Les ministères de la santé n’ont pas su tirer cet enseignement qu’aucune étude ne pourra jamais contredire. Il ne fait aucun doute que ce nouveau produit sera retiré du marché après avoir apporté plus de désagréments que de bénéfices.

Alors pourquoi  une telle autorisation ?

La réponse est encore plus simple. Parce que le nombre de clients potentiels dans le monde est évalué entre un et deux milliards. Même avec seulement cinq ans d’autorisation de vente, le bénéfice escompté permet un lobbying capable de flouter tous les conflits d’intérêts.

Les ministères de la santé n’ont pas pour vocation de protéger les obèses, enfants fragiles de notre misérable abondance.

Empiler le marché pharmaceutique sur le marché agro-alimentaire pourrait être une excuse acceptable si la richesse induite diminuait la misère de cette fragile et captive clientèle, mais là aussi, hélas, le marché pharmaceutique et les ministères de la santé ont échoué.

Références