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Sentence du temps sur la pharmacie

lundi 13 janvier 2020

Prescrire®, la revue médicale française la plus lue à l’étranger, vierge de publicité et de conflit d’intérêts, vient de publier, comme chaque année, la liste des produits pharmaceutiques à écarter. Liste établie par une méthode rigoureuse permettant d’évaluer le rapport bénéfices/risques de chaque médicament.

Ce rapport est difficile à établir avant la commercialisation des médicaments, tant pour le ministère qui a tendance à surévaluer leurs bénéfices pour des raisons politiques ou industrielles, que pour la revue qui a tendance à le sous-évaluer par prudence et par une analyse plus sévère des essais cliniques.

Après plusieurs années de prescription et de consommation, l’évaluation devient de plus en plus pertinente, car les données statistiques reposent sur des plus grand nombres. Prescrire® est souvent la première à donner l’alerte, les ministères suivent après un délai de durée liée à la gravité du risque et à la puissance des lobbys.

Renforcer la pharmacovigilance et dénoncer les conflits d’intérêts a permis de raccourcir ce délai de reconnaissance des dangers relatifs et absolus. Finalement, la vérité moyenne vue par le ministère de la santé est moins longue à apparaître que celle du nombre de manifestants vu par les syndicats.

Sur la liste 2019 des médicaments plus dangereux qu’utiles, on est surpris d’en découvrir qui ont fait la fortune de leurs fabricants, qui ont permis de procurer de l’emploi à des dizaines de milliers de salariés, qui n’ont fait l’objet d’aucune critique de la part des médecins et des universités, et que les patients consommaient, mus par une inébranlable foi.

Nous ne parlons pas ici des médicaments à scandales retentissants, mais seulement de ceux qui ont subrepticement et doucement fait plus de mal que de bien en termes de santé publique ou individuelle.  Destinés à baisser le sucre ou la douleur, à diminuer une diarrhée ou une dépression, à améliorer la circulation sanguine ou le sommeil, à retarder une métastase ou une démence ; aucune classe pharmaceutique ne semble pouvoir complètement échapper à cette molle sentence du temps qui passe.

Evitons le populisme en n’accusant que big pharma, profitons plutôt de cette liste annuelle pour parfaire l’éducation sanitaire de nos patients et de nos enfants, en leur rappelant quelques évidences. La plupart des situations pathologiques ont une résolution spontanée. Pour les maladies dites chroniques, l’hygiène de vie fait toujours mieux que les médicaments, surtout après 65 ans. Les thérapies comportementales sont cent fois plus actives sur la douleur, la dépression et le sommeil que toute la chimie des synapses. Un enfant qui a vu ses parents consommer des médicaments en consommera. Dans de nombreuses situations, la voie pharmacologique inhibe la voie comportementale. Etc.

Remercions tout de même les lanceurs d’alerte qui nous permettent d’aller encore plus loin dans le décryptage du soin et de ses arcanes.

Références

Le placebo n’est pas une insulte

jeudi 14 novembre 2013

Nous ne cessons jamais de redécouvrir la puissance de l’effet placebo ni de disserter sur ses mécanismes obscurs.

De tous temps, les placebos ont représenté l’essentiel des thérapeutiques ; en réalité, ils contenaient toujours quelque « simple », « essence » ou « principe », hérités de croyances et d’empirismes ancestraux. Ces traditions d’apothicaire se sont maintenues jusqu’à nos jours, permettant d’éviter d’avoir à affronter cette vérité : la plupart des maladies et symptômes ont une histoire naturelle qui les conduit spontanément à la guérison, à la tolérance ou à la disparition. Les pharmaciens ont ainsi fabriqué et vendu avec bonheur d’innombrables placebos dont le seul véritable effet était souvent un effet indésirable. Certaines nuisances de ces placebos étaient d’ailleurs vécues comme une preuve indirecte de leur efficacité. Le seul critère d’évaluation étant la conviction intime des patients.

Puis avec l’émergence de la « médecine basée sur les preuves », il a fallu fabriquer de « véritables » placebos afin de les comparer à des médicaments dont on voulait prouver l’efficacité par des méthodes statistiques. Ces placebos destinés aux essais cliniques ne contiennent qu’une poudre inerte à l’intérieur d’une gélule ou d’un comprimé. Ces placebos « modernes » sont donc moins toxiques que les anciens, ils ne peuvent avoir aucune nuisance réelle, même si l’on s’étonne de constater qu’ils provoquent aussi de véritables effets secondaires ! Ces « nocivités placebos » confirment bien l’extraordinaire complexité du phénomène.

Cette méthodologie conduit à la disparition progressive des anciens placebos, car les autorités refusent de rembourser des médicaments n’ayant pas réussi l’épreuve statistique. Par ailleurs, on refuse de commercialiser de nouveaux vrais placebos, car de très nombreux patients vivraient, sans doute, la chose comme une insulte à leur égard.

Essayons maintenant d’être pragmatiques. Un vrai placebo a deux effets possibles : soit ne rien faire, soit faire du bien. Un ancien placebo et un vrai principe actif ont trois effets possibles : soit ne rien faire, soit faire du bien, soit faire du mal.

Soyons maintenant plus biologistes en considérant les gestes et objets de  médiation dont Konrad Lorenz a démontré l’importance, dans le monde animal, comme « déclencheurs innés » des chaînes réflexes et comportementales. L’homme ne fait pas exception et le placebo est certainement l’un de ces « déclencheurs ».

Rien ne devrait donc nous empêcher de réhabiliter, de commercialiser, voire de rembourser le vrai placebo, car sa balance bénéfices/risques est toujours positive et il n’est décidément pas une insulte à la biologie la plus élémentaire.

PS : Idéalement, éduquer nos enfants à ne pas ingérer de vrai ou faux placebo les aide à mieux connaître l’histoire naturelle de leurs symptômes. Cette connaissance sert assurément de « déclencheur acquis » pour les adultes ainsi éduqués.

L’erreur n’est pas toujours le médicament

jeudi 23 mai 2013

Le Thalidomide® et le Distilbène® font partie de ces gros scandales de l’histoire de la pharmacie qui ont provoqué un durcissement des normes des essais cliniques, des mises sur le marché, et de la pharmacovigilance.

Tous ces efforts louables portent toujours sur les normes de production et de surveillance des médicaments, en négligeant de critiquer les dérives de leur consommation et les fondements de leur prescription.

Les dérives sont habituelles. Même si les indications d’un médicament sont précises et limitées, le moteur marchand entraîne progressivement producteurs, prescripteurs et consommateurs à forcer la consommation au-delà des besoins. Pour agir sur les paramètres de cette dérive, le meilleur moyen est le dépistage des conflits d’intérêts.

Mais dans les deux exemples cités, c’est au niveau même du fondement de la prescription qu’il fallait poser les questions et évaluer les risques. Si le Thalidomide® et le Distilbène® ont généré de si graves handicaps sur plusieurs générations, c’est que nul médecin ne s’est interrogé sur le bien-fondé de la nécessité même d’un médicament dans ces cas précis.

Le Thalidomide® était destiné à limiter les nausées du premier trimestre de la grossesse. Malgré le constat d’inefficacité, nul prescripteur ne s’est posé la question sur la nature profonde de ces nausées, certes parfois inconfortables, mais toujours sans danger.

Le distilbène était censé lutter contre les menaces de fausse-couche, sans que nul ne s’interroge sur le taux quasi immuable de ces fausses-couches spontanées.

Nous savons aujourd’hui que les nausées du premier trimestre sont un pur produit de l’évolution, destiné à protéger l’embryon particulièrement vulnérable à d’éventuelles toxines alimentaires.

Nous savons que les fausses-couches spontanées sont un processus naturel d’élimination d’embryons et fœtus non viables, donc un choix naturel optimal pour l’espèce.

Prescrire un médicament, dans ces deux cas, n’était pas une aberration pharmacologique ; c’était un interventionnisme stupide. Certes, les médecins de l’époque ne le savaient pas…

Aujourd’hui, pourtant, nous voyons de nombreuses prescriptions où il est aisé de supputer une erreur fondamentale au niveau de la prescription elle-même, indépendamment des risques inhérents au produit prescrit.

Tous les traitements pharmacologiques de l’obésité se sont révélés  néfastes, sans aucune exception. Le bon sens suffit à comprendre qu’aucune chimie ne peut faire maigrir sans risques ; pourtant, la recherche pharmacologique continue dans ce domaine. Le bon sens devrait encore suffire à comprendre que les insomnies réelles, perçues ou virtuelles des séniors, ne sont qu’un processus naturel du vieillissement. Pourtant, la promotion de la mélatonine (une hormone) a déjà commencé activement dans cette indication. Etc.

Non, l’erreur n’est pas toujours le médicament : c’est son indication, c’est l’argument même de sa prescription.