Analyser et critiquer nos actions est source de progrès.
Dans le domaine médical, où cette analyse critique est indispensable, un argument revient souvent de façon péremptoire : « Toute critique est infondée, puisque l’espérance de vie augmente ».
Refus dialectique, et normativité proche de la naïveté, sont les traits dominants de ce type d’argumentation.
L’espérance moyenne de vie à la naissance est un indicateur sanitaire correspondant à la moyenne des âges des décès enregistrés au cours d’une année. Toute action qui diminue le nombre de morts prématurées ou qui retarde l’âge des morts non prématurées, influence positivement cet indicateur. Les actions sur les décès des jeunes (mortalité néonatale, accidents de la route, etc.) se répercutent immédiatement dans l’indicateur de l’année examinée. Inversement, les actions de protection maternelle, éducation sanitaire, hygiène, alimentation, vaccinations, etc., se répercutent avec un retard de plusieurs décennies.
L’erreur la plus grossière est de sous-entendre que les actions sanitaires sont les seules ou les principales sources de production d’années de vie. Plusieurs sociologues et démographes ont essayé d’évaluer la part de la médecine dans l’indicateur d’espérance moyenne de vie. Les résultats sont très divergents. La seule certitude est le gain de vingt ans, au moins, que l’on peut attribuer à la « révolution pastorienne » : vaccins, hygiène et antibiotiques. Ensuite, il apparaît que les conditions de travail, de logement et de transport, le progrès social, l’éducation, et l’hygiène d’alimentation et de vie, ont joué un rôle très prépondérant.
Enfin, il convient de faire la part entre l’action médicale directe et son action indirecte. Certes, c’est bien la médecine qui a dicté certaines règles d’hygiène de vie et qui a établi les dangers du tabac. Mais aujourd’hui, l’éradication définitive du tabac n’est plus du ressort des médecins, alors qu’elle représente possiblement un gain de cinq années pour ce seul indicateur sanitaire. À titre de comparaison, toutes les actions conjuguées de la médecine sur les cancers cliniques, représentent un gain qui se mesure à peine en jours ou en semaines sur l’espérance moyenne de vie de toute une population.
En plus de sa misère dialectique, l’argument normatif de l’espérance moyenne de vie est décidément de bien peu de pertinence dans l’évaluation de nos actions médicales « directes » et « actuelles ».