« Laissons la justice suivre son cours… » Cette phrase est plus souvent prononcée par le principal suspect d’une affaire que par ses adversaires politiques ou par ses victimes civiles. Cette confiance affichée en une justice inébranlable, incorruptible et intemporelle prend soudain valeur de preuve d’innocence et de probité. Belle occasion de vanter publiquement ce « cours » de la justice dont le caractère « long et tortueux » est en réalité le seul motif de l’engouement du suspect.
Un autre vœu pieux, celui de la formule : « chacun doit s’exprimer en toute liberté » est quasi exclusivement prononcé par ceux qui ont un accès privilégié à tous les modes d’expression ou qui influencent le plus grand nombre de médias.
Toujours dans ce registre de la probité revendiquée, souvenons-nous de la mise en place des stages de « management participatif » dans les entreprises des années 1980 afin de mieux enrober un nouveau management par le stress, digne des lointaines années du taylorisme.
Mais, dans une chronique médicale, il est attendu que la palme revienne aux acteurs de la santé. Récemment dans un grand colloque international de cancérologie, un leader d’opinion bardé de conflits d’intérêts, clamait haut et fort que tout ce qu’il faisait était dans l’intérêt de ses patients et qu’il avait une grande compassion pour leur souffrance.
Cet orateur avait, somme toute, raison de nous rappeler que le patient était le sujet et l’objet des métiers de la santé, car l’Histoire, également « longue et tortueuse » de ces métiers, aurait pu, çà et là, le faire oublier.
C’est sur le thème de la compassion que ce leader médical m’est devenu franchement suspect. L’empathie, la compassion, l’altruisme et la coopération sont communs à tous les mammifères. Les singes et l’homme, par nature, en sont abondamment pourvus. Il est raisonnable de penser que les médecins ne font pas exception. Qui donc pourrait imaginer qu’un cancérologue ne soit pas totalement acquis à la cause de ses patients ? La revendication d’un caractère aussi naturel que la compassion peut être considérée comme une forme d’aveu de son instrumentalisation.
Nous constatons par ailleurs que cet altruisme flamboyant est souvent proportionnel au coût des thérapeutiques qui le sous-tendent.