Dans les grandes villes du Moyen-Âge, les Hôtels-Dieu avaient charge d’accueillir les plus déshérités : pauvres, impotents, vieillards et malades. On y soignait surtout l’âme, car les médecins et chirurgiens-barbiers préféraient exercer leur art en dehors de ces lieux de charité où les malades s’entassaient à trois ou quatre par lit.
Ceux dont la bonne constitution avait permis de survivre à la misère et à la famine, échappaient rarement à l’Hôtel-Dieu, car c’était le plus dangereux des foyers d’infection de la ville.
L’Histoire des épidémies nous révèle que les deux principaux facteurs de leur déclenchement sont, d’une part, une communauté humaine dont la concentration dépasse un certain seuil, d’autre part, un micro-organisme jusqu’alors inconnu dans cette communauté.
L’un des principaux facteurs de gravité d’une épidémie est le fort pourcentage de sujets fragiles au sein de la communauté atteinte, et l’un des éléments majeurs de sa propagation est l’absence de diversité de ce groupe humain. Une communauté de nourrissons, de personnes de même métier ou de même mode alimentaire, de même pathologie, etc., offre une moins grande variété de réponses immunitaires susceptibles de ralentir l’épidémie.
Avant même de connaître l’existence des microbes, Darwin avait déjà fort bien compris et expliqué le caractère protecteur de cette diversité.
Les infections nosocomiales offrent un exemple de conjonction de facteurs aggravants : confinement hospitalier, spécialisation organique, communauté de pathologie, concentration de personnes fragiles, nouveaux germes résistants.
Depuis quelques décennies, les administrations ferment les petites maternités, les hôpitaux de taille moyenne et les services de chirurgie générale. L’hyperspécialisation et les quotas d’interventions conduisent au gigantisme hospitalier. Nourrissons, vieillards, cancéreux, sont concentrés en des lieux où augmente la fragilité humaine et où diminue sa diversité.
Dire que les infections nosocomiales sont un vrai problème sanitaire, en accusant les administrateurs de santé publique de n’avoir pas lu Darwin, serait une critique trop facile. Portons plutôt la dialectique sur la raison essentielle affichée par les administrations pour expliquer leurs choix : ce serait en ces lieux de grande expertise que la mortalité des patients concernés serait la plus faible.
Pourtant les chiffres globaux ne confirment pas ce point de vue. La mortalité néo-natale et maternelle avait atteint ses seuils les plus bas, bien avant la fermeture des petites maternités. La mortalité par cancers avait déjà accompli toute la baisse possible avant la cancérologie administrée et la concentration des centres de décision.
Les quelques morts, péniblement et coûteusement gagnées par cette nouvelle forme d’administration, sont déjà annulées par les morts nosocomiales.
Faute d’une diversité administrative, il ne nous reste que l’espoir d’en rester là.