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De la sympathie à l’homéopathie

jeudi 14 mars 2019

Paracelse était un médecin entreprenant et fantaisiste. Sa théorie des signatures stipulait que la forme et la couleur des plantes indiquaient leur action : des feuilles en forme de cœur soignent le cœur et des fleurs jaunes soignent la jaunisse. Sa plus truculente invention est la « poudre de sympathie » composée d’une base d’huile de lin, de térébenthine, de vin rouge et de vitriol calciné, à laquelle il avait ajouté plusieurs ingrédients tels que de la mousse prélevée sur le crâne des cadavres, de la poudre de momie, de la cervelle de sanglier, des vers rôtis et du bois de santal.

Il s’imposait cependant par son charisme et reste considéré aujourd’hui comme celui qui a introduit la chimie en thérapeutique.

Sa poudre de sympathie a été largement utilisée aux XVI° et XVII° siècles pour guérir les plaies et aucun des grands noms de la médecine de cette époque n’en contestait ou n’osait en contester l’efficacité. Corneille et madame de Sévigné avaient personnellement témoigné des effets miraculeux de cette poudre sur eux-mêmes : « source de vie » pour l’un et « remède divin » pour l’autre.

Elle fut pourtant l’objet d’une vive polémique de 150 ans, non pas sur son efficacité, mais sur son mécanisme d’action. Cette poudre agissait à distance du patient, il suffisait de la déposer sur l’arme qui avait provoqué la blessure. Surnommé «onguent armaire», elle agissait aussi lorsqu’on la déposait sur un mouchoir ou un bâton ayant touché la plaie. 

Diverses théories savantes s’affrontaient. Vertu attractive causée par les astres et attirée sur la plaie par la médiation de l’air. Intercession du magnétisme animal. Enchaînement des chocs d’une matière atomisée entre l’arme et le patient. Ou encore, courant d’air entre des atomes de lumière et les atomes du sang, permettant aux esprits vitrioliques de s’installer dans tous les recoins de la plaie.

Ces conceptions mécanistes de la nature permettaient aux médecins d’utiliser la poudre de sympathie de façon licite sans être accusés de magie noire par les « sots » et les « ignorants ».

La polémique autour des mécanismes d’action de l’homéopathie dure depuis plus de cent ans et semble promise à une plus grande longévité. Après l’abandon de la « mémoire de l’eau », c’est aujourd’hui le remboursement de ces médicaments qui fait l’objet d’un vif débat.

Passer d’une approche magique ou mécanistique à une approche financière est assez révélateur de notre époque. Indépendamment de leurs théories explicatives et de leur efficacité clinique, ce sont aujourd’hui les médicaments les plus chers et les mieux remboursés qui jouissent de la plus forte adhésion et du meilleur ratio de suggestibilité.

Les dieux et la magie ont changé d’assise et de nature.

Références 

https://lucperino.com/622/de-la-sympathie-a-l-homeopathie.html

Pauvre Juliette

mardi 8 mai 2018

Un confrère gabonais imitait à merveille ses concitoyens qui ne prononçaient pas les ‘r’. Il répondait inlassablement « pauvre Juliette » à ceux qui lui parlait d’homéopathie (‘R’oméo pa’r’ti). Confronté aux parasites et aux turpitudes de l’Afrique, sa pratique ne lui laissait pas le temps d’aborder l’épistémologie du placebo.

Sa boutade m’est revenue en mémoire lors de la récente et énième controverse des médecines alternatives qui vient d’agiter notre microcosme médical. Après l’académie, ce sont des cardiologues et autres experts qui ont brandi à nouveau le spectre de l’homéopathie et des médecines alternatives, parallèles ou complémentaires. Ils réclament carrément l’exclusion ordinale des confères qui versent dans ces obscurantismes.

Je n’ai jamais été adepte des pratiques alternatives, car j’ai très tôt compris qu’elles ne m’aideraient en rien à comprendre les grandes parts d’ombre de mes pratiques académiques. Comme beaucoup de confrères, je suis  ébahi par la domination de l’effet placebo sur toutes les pharmacologies et même sur quelques chirurgies. L’efficacité physico-chimique du soin a fait des progrès faramineux depuis un siècle, mais elle demeure encore minoritaire dans l’efficacité globale. Pour que mes maîtres universitaires me pardonnent cet excès de langage, je vais m’empresser d’exclure les césariennes, les septicémies, les leucémies de l’enfant, les vaccins, l’insuline, l’héparine et quelques autres miracles médicaux du siècle dernier.

Mais dès que l’on aborde les pathologies dites chroniques : tumorales, auto-immunes, neurodégénératives, psychiatriques, psycho-sociales et cardio-vasculaires, il faut être un idéologue repu, un progressiste borné, un normatif sous influence, pour oser prétendre que la pharmacologie académique a des résultats supérieurs à ceux de la plus banale des hygiènes de vie ou à ceux des plus ésotériques pratiques.

Les médecins n’ont pas besoin de se battre pour imposer la science, elle s’imposera naturellement là où elle doit s’imposer. Faire un génome chez Google, absorber une granule homéopathique, prendre une statine pour ne pas mourir, faire une prière, surfer sur doctissimo, faire un check-up de mutuelle ou un dépistage de ministère, comporte autant de magie que de rigueur scientifique.

Alors se battre arrogamment contre d’autres confrères confrontés comme nous à la complexité du vivant ne fera gagner ni les Montaigu ni les Capulet.

Mais n’en déplaise à mon ami gabonais, Juliette est hors-sujet, car elle est morte prématurément sans avoir eu le temps d’une maladie chronique.

Références