Le scandale médicamenteux de la Dépakine révèle une nouvelle évidence de la philosophie du soin.
Comme ceux du thalidomide, les effets secondaires de la Dépakine ont concerné les fœtus des patientes auxquelles étaient prescrits ces médicaments. Mais la comparaison s’arrête là. À l’époque du thalidomide, la pharmacovigilance était inconnue ou presque, et ce médicament n’avait aucun intérêt thérapeutique. Inversement, Dépakine est un médicament utile qui est arrivé à une époque où l’on avait pris conscience du risque médicamenteux.
Le risque tératogène de la dépakine était connu depuis 1982 et clairement mentionné sur les notices et documents officiels. Cependant, jusqu’en 2006, les mêmes recommandations officielles mentionnaient de ne pas interrompre le traitement en cas de grossesse, car on pensait qu’une convulsion maternelle était plus dangereuse pour le fœtus que le médicament. Cette raison était avancée, malgré l’absence de données sérieuses pour la confirmer, mais elle avait une certaine esthétique et la faveur des neurologues. Cette étrange recommandation a été appliquée jusqu’à nos jours, c’est-à-dire plus de 35 ans après la preuve du risque fœtal, alors que nous disposions de bien d’autres traitements de l’épilepsie.
On peut, comme toujours, évoquer l’incompétence des autorités, la pression des lobbys, les conflits d’intérêts des spécialistes, le laxisme médical, les lacunes et biais des publications et la naïve soumission des patients. Mais ce scandale confirme avant tout une réalité de la pratique médicale : le mépris constant des générations futures.
Le slogan écologiste des générations futures n’a manifestement pas atteint le monde médical. La grande majorité des obstétriciens ne se pose même pas la question de l’impact des nouvelles pratiques obstétricales (péridurale, déclenchement du travail, abus de césariennes), à moyen et long terme, sur les générations ainsi mises au monde. Les néonatologistes se réjouissent des progrès de leur discipline et se vantent de faire survivre des nourrissons de 500 gr, avec une étonnante discrétion sur les 80% de handicaps qui en résultent. Les pratiques de procréation médicale assistée négligent encore les répercussions de ces méthodes sur l’augmentation de fréquence de certaines pathologies rares. Les antidépresseurs continuent à être prescrits en cours de grossesse malgré leurs risques, avec des arguments peu documentés, voire fallacieux.
Apprécions les progrès médicaux auxquels nous devons beaucoup, évitons le catastrophisme, et ne sombrons pas dans un écologisme militant, mais étonnons-nous néanmoins de l’absence quasi-totale d’interrogations du monde médical sur la santé des générations futures. Le court-termisme qui a envahi tous les champs professionnels et politiques n’a manifestement pas épargné le monde médical.