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Coliques du nourrisson : inquiétante perspective

mercredi 25 septembre 2013

Récemment, un article médical sur les coliques du nourrisson, publié dans une revue professionnelle, a été repris par quelques médias grand public, avec tous les risques d’incompréhensions et de confusions que génère ce genre de médiatisation.

Les coliques du premier semestre de vie sont un phénomène bien connu de tous les médecins et de nombreux parents. Parmi les causes variées, certaines, comme la perturbation de la flore intestinale, sont identifiées ; d’autres le sont moins bien. Ces coliques semblent ne jamais affecter la santé ultérieure des nourrissons.

Malgré sa bénignité, cette situation est souvent mal vécue par les parents, qui finissent par manquer de sommeil, par être épuisés et inquiets. Lorsque cela dure plus de trois mois, les médecins ne savent plus comment procéder pour rassurer définitivement les parents, et ils sont parfois, à leur tour, désemparés.

L’article explique qu’il peut y avoir un lien entre les coliques du premier semestre et la maladie migraineuse. Les patients sujets à la migraine ont eu des coliques plus souvent que d’autres, lorsqu’ils étaient nourrissons. Cela est tout à fait possible, et il n’y a aucune raison de contester la conclusion de cette enquête épidémiologique. D’autant que les cliniciens savent depuis longtemps que les douleurs abdominales non expliquées des jeunes enfants sont, en réalité, assez souvent des crises de migraine.

La migraine est une maladie protéiforme et complexe, qui revêt plus souvent un caractère abdominal chez l’enfant et céphalique chez l’adulte.

Hélas, la conclusion affichée dans la médiatisation de cette étude évoque la possibilité de recherches, aboutissant à la mise au point de médicaments antimigraineux pour traiter les coliques du nourrisson.

Pourquoi cela est-il vraiment inquiétant ?

Parce que le plus gros problème des migraines est celui de leur traitement. Les traitements trop précoces et trop intenses favorisent la répétition des crises, ainsi que l’évolution vers des céphalées chroniques qui échappent à toute thérapeutique. Les patients, toujours insatisfaits, finissent parfois par être victimes de véritables intoxications médicamenteuses. À tel point que les thérapies comportementales sont, aujourd’hui, celles qui sont considérées comme ayant le meilleur rapport bénéfices/risques dans la maladie migraineuse.

Je n’ose même pas imaginer ce qui se passerait si l’on faisait la promotion de médicaments antimigraineux dès la naissance !

De nombreux parents, désemparés et dociles, accepteraient de tels traitements pour leur nourrisson. Surtout si le médecin a l’air sérieux, et s’appuie sur une étude dont on ne peut pas nier l’exactitude !

Un marché sanitaire est prometteur lorsqu’il repose sur les cas les plus fréquents et les plus désagréables, indépendamment de leur gravité. Soyons donc inquiets à juste titre, car les marchands sont experts dans l’art d’amalgamer la science et l’espoir, en faisant fi des réalités cliniques.

Vous trouverez la bibliographie de cet article en suivant le lien :

www.lucperino.com/bibliographie.php?num=133 & tit=Coliques+du+nourrisson+%3A+inqui%C3%A9tante+perspective

Microbiotes méconnus : la flore intestinale

vendredi 6 septembre 2013

Les lois de l’évolution ne sont toujours pas enseignées en Faculté de Médecine, et la pratique médicale ignore encore la complexité de l’écosystème qui nous tient lieu d’organisme individuel.

Alors que la génétique a régné en maître au cours des dernières décennies, on découvre avec stupéfaction que ce que nous considérions comme notre génome représente en réalité à peine 1/100 de notre patrimoine génétique réel. Car nous avons toujours ignoré le génome des flores commensales de notre peau, de nos intestins et autres muqueuses, ainsi que l’ADN des mitochondries abritées par nos cellules.

La (re)découverte du microbiote intestinal, et ses premières apparitions dans des publications médicales de haut niveau, sont peut-être le signal d’une prise de conscience de la réalité écosystémique de l’individu. Ce « réveil » s’inscrit dans une prise de conscience écologique plus large, où nous mesurons les conséquences de certains de nos excès industriels et médicaux. La flore intestinale en offre un exemple assez didactique.

La sédentarité et l’excès de consommation de sucres expliquent en grande partie l’épidémie mondiale d’obésité, mais le dérèglement de la flore intestinale y joue un rôle important. Ce dérèglement explique aussi l’augmentation des pathologies allergiques, auto-immunes et inflammatoires.

Le remplacement du lait maternel par des laits artificiels stériles, ainsi que l’utilisation immodérée des antibiotiques en pédiatrie, sont des causes désormais bien identifiées de perturbation durable, voire définitive, de la flore intestinale. La multiplication des césariennes – dont la majorité sont inutiles – empêche le nouveau-né d’avoir un contact avec la flore de la filière pelvi-génitale de sa mère, contact indispensable à la construction d’un microbiote adapté. La généralisation de l’usage des antibiotiques dans l’élevage industriel est également un élément de perturbation du microbiote du bétail, et du nôtre.

Il existe déjà des traitements efficaces consistant à transplanter des matières fécales de sujets sains, donc une flore intestinale « saine », à des sujets présentant des colites graves dues aux antibiotiques. Le dégoût qu’inspirent ces traitements, tant aux médecins qu’aux patients, permettra-t-il d’amorcer une baisse de la consommation d’antibiotiques ? Il est trop tôt pour le dire !

Hélas, toute « mode » ou « découverte », même si elle accuse des excès passés, en engendre à son tour. Celle de la « flore » fait  naturellement « fleurir » un marché de probiotiques  supposés « reconstruire » le microbiote intestinal et améliorer diverses pathologies, y compris psychiatriques ou psychosomatiques…

L’avenir nous dira quelle est la part de vérité dans ces propositions où la mode et le commerce semblent déjà déborder la science. La « flore » cérébrale étant certainement la plus prolifique et la plus méconnue !