Archive pour le mot-clef ‘fin de vie’

Entre palliatif et curatif

mardi 6 février 2018

Nous pouvons théoriser la différence entre soins préventifs, curatifs et palliatifs en fonction du niveau ciblé par chacun d’eux.

La cible des soins préventifs est l’espèce tout entière, les conseils hygiéno-diététiques sont inchangés depuis l’aube de la médecine pour tous les Homo Sapiens : limiter les apports caloriques, éviter les toxiques et faire de l’exercice.

Les soins curatifs ont un niveau populationnel, car ils reposent sur des protocoles établis par des échantillonnages cliniques différents selon les cultures et les peuples. Ils sont ensuite appliqués à tous les patients répondant aux critères de l’échantillon. Ils peuvent s’affiner progressivement pour des sous-groupes sans pouvoir atteindre une individualisation optimale.

Enfin, les soins palliatifs sont les seuls de niveau strictement individuel, puisqu’ils abandonnent les règles préventives et les protocoles curatifs pour concentrer toute l’attention sur le bien-être du patient.

Avec les progrès de la communication, la prévention peut se passer des médecins dont nul n’a plus besoin pour savoir que les vaccins sont indispensables, que le tabac est dangereux ou que les sucres sont nocifs. Les soins palliatifs peuvent aussi se passer de la biomédecine, puisque le seul protocole est celui de l’empathie maximale assortie d’une quantité variable de morphine. Seuls les soins curatifs restent une exclusivité médicale.

Mais dans le domaine du soin, les grands concepts sont difficiles à délimiter. Dans la réalité, chacun, soignant ou patient, ne cesse d’abolir les frontières avec un acharnement émouvant.

Une personne qui refuse un protocole curatif est parfois malmenée, mais elle devient choyée dès qu’elle est admise en soins palliatifs. La césure est aussi nette dans l’autre sens : si elle réintègre un protocole, elle y perdra en caresses. Le patient doit mourir pour que sa personne devienne plus importante que sa maladie.

Chaque jour, des patients en service de soins palliatifs sont envoyées en urgence dans un autre service suite à un résultat d’analyse dont nul ne se demande pourquoi elle a été pratiquée. Plusieurs dépistages de cancers sont encore régulièrement réalisés chez des patients dont l’espérance de vie est négligeable, conduisant parfois à réintégrer un protocole de soin.

On pourrait arguer qu’un nouveau protocole, à défaut d’améliorer la qualité de vie, en améliore la quantité, mais il n’en est rien : nombre de cancers ont une meilleure survie en palliatif qu’en curatif et encore meilleure à la maison qu’en milieu palliatif. Avantage de la caresse sur le protocole.

Ces alternances grotesques entre palliatif et curatif font oublier que le préventif reste longtemps la meilleure option. La marche, par exemple, peut, jusqu’au bout, améliorer l’insuffisance cardiaque et bien d’autres insuffisances.

Ne blâmons pas trop les médecins de ce grand désordre du soin ; ils ne sont ni programmés ni payés pour entretenir le rêve intime de chacun de mourir debout ou sous un flot de caresses.

Références

Médecins acharnés ou sages

mardi 28 février 2017

La loi Léonetti a tenté de limiter les pratiques dites d’acharnement thérapeutique et autorisé à pratiquer des sédations profondes pour les malades en fin de vie.

Cette loi est assez mal appliquée en pratique, car la définition de l’acharnement thérapeutique reste encore à trouver. Et les débats sur ce thème s’achèvent souvent par un retour de chacun à ses convictions initiales.

Les médecins les plus « acharnés » ne manquent pas d’arguments : l’acharnement peut être source de progrès futurs, les patients réclament souvent les nouveautés thérapeutiques, les familles sont rarement réticentes à toute nouvelle tentative, etc.

Ces médecins sont probablement guidés en premier lieu par l’humanisme, l’empathie et le devoir de soins, mais il serait naïf de taire d’inconscientes considérations commerciales. La médecine est aussi un commerce, et il faut avoir beaucoup plus de honte à le cacher qu’à le dire. Les industriels font pression sur les médecins pour proposer des chimiothérapies coûteuses ne donnant parfois que quelques semaines de survie d’une qualité médiocre, et tous les médecins, hélas, ne sont pas vierges de conflits d’intérêts.

Puisque ce sujet est d’une extrême complexité économique et sociale, il est préférable de s’en remettre exclusivement à la science, en comparant les résultats cliniques. Les alternatives à l’acharnement sont ce que l’on nomme les soins palliatifs où l’on ne se préoccupe que des douleurs et du confort du patient. Plusieurs auteurs ont donc tenté de comparer ces chimiothérapies avec les soins palliatifs.

Les résultats sont quasi-unanimes, La durée de vie des patients est identique, voire supérieure, avec les soins palliatifs, et les patients ont une meilleure qualité de vie qu’avec les traitements actifs. Il faut ajouter qu’en cas de chimiothérapie, le désir des patients concernant leur lieu de fin de vie est beaucoup moins souvent respecté.

Mais, il y a pire que l’acharnement thérapeutique. Plusieurs patients âgés et porteurs d’un cancer évolué dont l’espérance de vie est inférieure à deux ans, se voient parfois proposer des dépistages pour un autre cancer. Faut-il en rire ? La machine médicale avance parfois sans chauffeur.

Ainsi, que les médecins appartiennent à la catégorie des « acharnés » ou à celle des « sages », ils doivent toujours préférer les soins palliatifs. L’argument des acharnés quant aux quelques semaines de survie qu’ils font gagner à leurs patients n’est statistiquement pas pertinent, et il n’est pas recevable cliniquement.

Références