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Populisme du monofactoriel

lundi 12 février 2018

On dit qu’un évènement est monofactoriel lorsqu’il a une cause unique. Inversement, lorsque plusieurs facteurs causaux sont identifiables, on parle indifféremment de plurifactoriel, polyfactoriel ou multifactoriel.

Une pierre tombe exclusivement à cause de la gravitation. Mais hormis ces exemples de physique élémentaire, le monofactoriel est rarissime. Dès que l’on aborde les sciences de la vie, le plurifactoriel devient la règle. Même la tuberculose-maladie n’a pas que le bacille de Koch comme cause. Et lorsque l’on aborde les sciences humaines et sociales, l’imbroglio des causes est parfois tel que toute analyse en devient impossible.

On peut alors se demander pourquoi, dans le domaine de la santé, carrefour des sciences de la vie et des sciences sociales, le monofactoriel jouit d’un grand prestige dans le public, et fait l’objet d’une quête effrénée chez les chercheurs.

Les patients veulent connaître la cause unique de leur fatigue, de leur cancer, ou des pleurs de leur nourrisson. Les chercheurs s’acharnent sur le LDL-cholestérol pour expliquer la dégénérescence vasculaire, ou sur le raccourcissement des télomères pour expliquer le vieillissement. Ils en ont le droit, car cette méthode nommée « réductionnisme scientifique » est indispensable à la recherche depuis que Descartes a démontré qu’il faut d’abord comprendre les « parties » pour espérer comprendre le « tout ».

Mais entre ce louable réductionnisme et le monde réel de la santé, le chemin est tortueux et semé d’embûches… Embûches que franchissent sans vergogne les populistes de la communication qui savent à quel point le peuple est subjugué par le mirage de la cause unique.

La prépondérance du monofactoriel caractérise les discours populistes : le pouvoir d’achat baisse à cause de l’Euro, le chômage monte à cause de la mondialisation, la délinquance augmente à cause de l’immigration… Votez pour moi et j’élimine l’Euro, la mondialisation et l’immigration…

Le populisme médical procède exactement de la même façon. Votez pour moi, car j’ai un médicament qui fait baisser le cholestérol et un autre qui rallonge les télomères.

Et ça marche assez bien. Un candidat populiste peut rassembler jusqu’à 25% d’électeurs, voire 50% dans certains grands pays. Une médecine populiste dépasse allègrement ces pourcentages dans de nombreux pays.

Référence

La pharmacie du facteur

lundi 6 mars 2017

Est-ce que l’hypertension artérielle ou le diabète de type 2 sont des maladies ? Non, ils sont des facteurs de risque d’accident vasculaire (cérébral ou autre). Est-ce que l’ostéoporose est une maladie ? Non elle est un facteur de risque de fracture. Est-ce que l’obésité, la dépression  ou la grippe sont des maladies ? Oui, car elles sont cliniques, c’est-à-dire : perçues par le patient ou son entourage.

Depuis qu’elle dispose d’appareils permettant de mesurer certains paramètres physiologiques ou biologiques, la médecine a pris la très mauvaise habitude de confondre facteur de risque et maladie ?

Ce dévoiement provient de l’idée séduisante que l’on peut empêcher la survenue d’une maladie en corrigeant un facteur biologique de risque. C’est ce que l’on appelle la « prévention primaire » dont la logique et théoriquement parfaite.

Or depuis plus d’un siècle que la médecine tente de corriger les facteurs de risque biologiques par des moyens pharmacologiques, il s’avère que les médicaments de toutes ces préventions primaires sont, soit inefficaces, soit beaucoup moins efficaces que les règles hygiéno-diététiques classiques : marcher, bouger, manger moins de sucres et de graisses.

La pharmacologie s’avère inefficace pour empêcher un premier « instant clinique » tel qu’un accident vasculaire ou une fracture, ou pour retarder une démence. Inversement, lorsque la pharmacologie intervient après une vraie maladie, elle peut montrer une certaine efficacité pour retarder la survenue d’un deuxième évènement clinique. C’est ce que l’on appelle la « prévention secondaire ».

Dit d’une façon triviale : la médecine est plus efficace pour les malades que pour les bien-portants.

Pourquoi les médicaments sont-ils plutôt efficaces en prévention secondaire, alors qu’ils ne le sont pas en prévention primaire ? Nul ne sait aujourd’hui répondre à cette question.

Chaque maladie étant multifactorielle, il existe certainement de nombreux facteurs biologiques et environnementaux, encore inconnus, susceptibles de déclencher un « instant clinique ».

Une des explications possibles de cette supériorité de la prévention secondaire sur la prévention primaire repose sur les comportements individuels. Chacun étant plus enclin à suivre des règles d’hygiène de vie après une première alerte clinique, alors qu’avant toute alerte, l’optimisme naturel de sapiens le rend plus négligeant.

Les médicaments peuvent même être indirectement néfastes avant le premier instant clinique, en favorisant cette négligence.

Bref, en prévention primaire, l’essentiel du conseil médical peut se résumer ainsi : bougez plus et mangez moins. Mais cela parait bien dérisoire, surtout après avoir fait neuf années d’études supérieures.

Il est tout de même plus valorisant, pour les médecins, de disserter sur la pharmacologie d’un facteur biologique, d’autant plus que les patients ont ainsi l’impression que l’on prend mieux soin d’eux.

Références