Dans son numéro de janvier 2014, The Lancet publiait cinq articles signés par des noms prestigieux qui pointaient le gaspillage de la recherche clinique. L’éditorial était une autocritique, puisque cette illustre revue publie, comme toutes les autres, de nombreux articles inutiles au soin, sans intérêt pour les patients et sans véritable projet de réflexion clinique.
Le marché n’est pas le premier responsable de cette course à la publication, le véritable moteur en est le système de promotion des auteurs. En médecine, les choses sont ainsi, la promotion d’un médecin ne résulte pas de sa compétence clinique, mais de sa capacité de publication.
De nombreux sujets d’étude n’ont plus aucun intérêt pratique. Faut-il encore faire des études pour prouver la nocivité du tabac sur tous les organes, alors qu’en soixante ans, aucune étude n’a jamais pu prouver le contraire ? Est-il vraiment nécessaire de faire des recherches, forcément sommaires, sur les polymorphismes génétiques de l’obésité ou du diabète de type 2 alors que leur cause environnementale est évidente ?
Pour la majorité des thèmes du dépistage ou de la médecine prédictive, il est évident a priori que toute analyse finale sera impossible. Pour de multiples sujets psychiatriques, les biais sont déjà inscrits dans le schéma même de l’étude clinique. En rhumatologie, la moitié des essais n’ont pas la puissance statistique suffisante pour tirer une conclusion.
Certaines études pharmacologiques sur les animaux sont publiées avant même d’avoir vérifié la concordance entre le modèle animal et le modèle humain, ce n’est qu’après que l’on découvre que l’homme n’est pas un animal comme les autres.
Une étude, encore plus grotesque, démontrait que les chutes et les fractures sont plus fréquentes en période de verglas, particulièrement chez les personnes âgées !
La palme revient à celle-ci, non qu’elle puisse être la pire dans l’absolu, mais elle m’a beaucoup fait rire. Elle portait sur les risques de mortalité à l’hôpital après 90 ans. J’ai été tenté par la lecture, car en tant que clinicien, il m’intéressait de savoir si l’hospitalisation des patients âgés était préférable aux soins à domicile, et quel pouvait être l’impact d’une hospitalisation en termes de morbidité. Les auteurs ont consciencieusement recensé les causes de décès dans une cohorte de 90 000 patients de plus de 90 ans à l’hôpital, et je m’attendais à une comparaison avec les causes de décès de patients du même âge soignés à domicile. Non, ces nonagénaires ont été comparés à des patients de 65 à 89 ans soignés dans les mêmes hôpitaux. L’étude conclut que le taux de mortalité a été de 22% chez les nonagénaires, contre 11% chez les plus jeunes.
Qui aurait pu le croire ? On meurt plus souvent quand on est très vieux que quand on est vieux.