En cancérologie de l’adulte, la chirurgie et la radiothérapie ont permis de prolonger la vie de nombreux patients. On a longtemps et honnêtement pensé que la pharmacologie pourrait encore améliorer les choses. Mais depuis une vingtaine d’années, les études indépendantes montrent l’inefficacité globale des anticancéreux anciens ou modernes.
Pour évaluer l’action des anticancéreux lors des essais cliniques, on utilise principalement trois critères : les biomarqueurs (analyses biologiques), l’amélioration clinique et la survie sans progression tumorale. Il s’agit de critères dits « intermédiaires ». Le seul critère important pour le patient et ses proches étant celui de la survie globale assortie ou non d’une qualité de vie acceptable. Les critères intermédiaires ne sont que des leurres. Certes la baisse d’un biomarqueur ou la diminution du volume tumoral à l’imagerie sont une grande source de satisfaction pour les patients et les médecins, mais elles ne sont pas corrélées à une augmentation de la quantité-qualité de vie.
Il peut paraître cruel de dire les choses aussi brutalement, mais peut-on vraiment faire progresser la médecine sans admettre les faits cliniques ?
Par rapport aux anciens antimitotiques, les nouvelles thérapies ciblées, et plus récemment, les immunothérapies, ont trois caractéristiques nouvelles : un support théorique séduisant, des tests de surveillance auto-satisfaisants et un coût faramineux. Hélas, à une ou deux fragiles exceptions près, elles ne prolongent la vie que de quelques mois ou semaines.
Ces coûts exorbitants et injustifiés ont deux effets pervers inattendus. D’une part, ils deviennent la plus importante part de l’effet placebo, d’autre part, en politisant le sujet, ils majorent les revendications des associations de patients. « Le cancer est un fléau » et « la vie n’a pas de prix » sont devenus des arguments indirects bougrement efficaces qui détournent l’attention hors de l’examen objectif des résultats. Les lobbyistes de l’industrie ont bien compris la puissance de ces arguments indirects et ils misent diaboliquement sur la détresse des patients en utilisant leurs associations pour faire pression sur les ministères. Ils savent aussi que les élus sont piégés par l’électoralisme et la démagogie et que les médias sont à l’affut de leurs moindres ambiguïtés.
Enfin, la validation de ces supercheries par les agences du médicament soulève inévitablement la question de la corruption.
Quand bien même certaines thérapies feraient gagner quelques minutes de vie, aucune société, quel que soit son niveau de richesse, de compassion ou de solidarité, ne peut supporter les coûts indécents de chacune de ces minutes, sans se mettre toute entière en péril.
Il est difficile d’expliquer ceci à des patients en détresse et à leurs proches, mais ce n’est pas une raison pour laisser de séduisantes théories renouer avec l’obscurantisme médical des siècles d’antan.