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Cancer des prix du cancer

vendredi 17 juin 2016

Depuis le début de l’année 2016, les médias relatent régulièrement des pétitions et réquisitoires de médecins et d’associations de patients contre le prix des médicaments en cancérologie. Cette démarche et justifiée par des prix véritablement scandaleux de 30 000 à 50 000 €, voire jusqu’à 100 000 € par an et par patient !

Comme arguments, ces outragés avancent l’équité d’accès aux soins et le risque de ne plus pouvoir soigner les patients de demain. Qui oserait contester un tel bon sens ?

Evidemment les industriels du médicament, offusqués d’autant d’outrage, rétorquent que la recherche coûte très cher, qu’ils sauvent des vies et font progresser la connaissance. Qui pourrait s’opposer à une telle éthique ?

En réalité, d’un côté comme de l’autre, les arguments sont tellement convenus et normatifs qu’ils ne font que rajouter de l’huile dans une machine qui avance déjà très bien toute seule. En bon avocat du diable, je dirai même que les arguments des patients outragés favorisent la surenchère des prix.

Voici le scenario : le méchant ‘big pharma’ exploite le malheur, l’administration cherche à réduire les dépenses de santé, et les malades s’organisent pour mieux défendre leurs intérêts avec le soutien de leurs cancérologues dévoués. Mais comme nous ne sommes pas à Hollywood, le héros n’arrive jamais.

Ce héros manquant est la science clinique, la seule capable de dire quel est l’impact réel d’un médicament sur la quantité/qualité de vie. Or la cancérologie est un bastion d’obscurantisme thérapeutique où aucun acteur n’a la volonté ou les moyens de pénétrer. Les services de cancérologie fonctionnent avec les essais cliniques financés par l’industrie. Les cancérologues valident des essais contre placebo, malgré l’existence de médicaments de référence actifs et peu coûteux. Les ministères accordent des mises sur le marché avec une étonnante désinvolture (sans préjuger des parts respectives de la démagogie, du soutien à l’économie de la corruption, de la naïveté ou de la foi). Les patients croient la télévision qui parle de « traitement miracle » pour un médicament, ayant démontré une survie de deux semaines chez 20 patients. Les associations de patients ploient sous le sponsoring direct ou indirect de l’industrie qui leur « sauve des vies ». Peut-on reprocher à ces patients de s’unir pour stimuler leur lutte contre la maladie et cultiver leur optimisme ?

Dans les cancers de l’adulte, la chirurgie retarde effectivement la mort. Mais les nouvelles thérapies ciblées, malgré leur flamboyance théorique, restent d’une médiocrité clinique qu’il faut oser dévoiler pour vraiment faire progresser la science.

Le prix est l’arbre qui cache la forêt. Les industriels doivent être ravis de n’être tancés que sur le prix de leurs médicaments; leurs conseillers en communication doivent même leur suggérer de les augmenter encore, car plus c’est cher, plus c’est efficace !

Bibliographie

Revenir à la preuve clinique des médicaments

mardi 10 février 2015

Jusqu’aux années 1920, tous les médicaments efficaces étaient hérités de l’empirisme de générations de soignants. Les effets de la quinine sur les fièvres, de l’argile et du charbon sur les diarrhées ou de la belladone sur les douleurs abdominales étaient admis par tous les médecins.

Le premier médicament résultant de la connaissance physiopathologique d’une maladie fut l’insuline en 1921. Puis jusqu’aux années 1960, cette connaissance a produit les vitamines, les hormones, les antibiotiques et bien d’autres, avec un excellent niveau de preuve à court terme.

L’intérêt croissant pour des pathologies cardio-vasculaires, psychiatriques, métaboliques, neurodégénératives ou tumorales a changé la temporalité de la preuve. Il fallait désormais prouver l’action à long terme, par exemple, d’un anticoagulant sur le risque d’accident vasculaire. D’où la nécessité d’utiliser les statistiques pour passer d’une preuve individuelle, désormais impossible, à une preuve populationnelle. Ce qui nécessita des essais cliniques longs et coûteux avec de gros risques de biais et de falsifications.

Puis la compréhension des maladies progressant jusqu’au niveau moléculaire, on essaya de synthétiser des médicaments à partir de ces savoirs précis. Les premiers issus directement de l’analyse moléculaire furent les bétabloquants dans les années 1970. Mais cela ne suffisait pas à connaître leur action clinique. Ces médicaments destinés initialement à l’angor furent d’abord contre-indiqués dans l’hypertension et l’insuffisance cardiaque avant d’être indiqués dans les deux, suite aux preuves statistiques.

L’empirisme avait disparu pour laisser sa place à deux niveaux de preuve, le niveau théorique et le niveau statistique.

Aujourd’hui, la complexité de l’analyse moléculaire dans des domaines comme la psychiatrie ou la cancérologie empêchent toute forme de réductionnisme. Un médicament peut avoir une base théorique brillante et être dépourvu de tout effet clinique.

D’extraordinaires découvertes moléculaires dans le développement des tumeurs donnent lieu à des autorisations de mise sur le marché de médicaments offrant des survies nulles ou dérisoires, de l’ordre de quelques semaines.

Nous comprenons que les patients et leur famille puissent croire à ces espoirs enrobés de théories qui les submergent, mais comment les agences du médicament peuvent-elles à ce point, oublier la preuve clinique ?

Si le prix de tels médicaments était basé sur leur succès clinique, il serait tout aussi dérisoire. Il est hélas basé sur leur enrobage théorique et commence à amputer sérieusement le budget de la solidarité nationale.

Doit-on oublier la preuve clinique pour encourager la recherche fondamentale ?

Duper les patients d’aujourd’hui pour mieux soigner ceux de demain pourrait être acceptable si ces derniers peuvent encore accéder aux soins.