Archive pour le mot-clef ‘allaitement’

Quel avenir pour les seins plats ?

mardi 22 mai 2018

Lorsqu’un marché s’annonce mirobolant par l’énormité de sa clientèle potentielle, l’art du marketing est de transformer chaque évidence en question et chaque angoisse en un problème soluble. Au moment du baby-boom et de l’agro-alimentaire florissant, remplacer le lait maternel par du lait industriel était un rêve mercatique sans précédent. Mais, vendre ce que la nature offre toujours, et convaincre que du lait de vache en poudre est plus profitable au nourrisson que du lait liquide au sein, nécessitait de copieux argumentaires.

Pendant les deux ou trois jours qui suivent l’accouchement, une mère produit  du colostrum, encore plus précieux que le lait, mais dont l’aspect jaunâtre n’inspire pas la sympathie. Des mères furent ainsi subtilement persuadées qu’elles n’avaient pas de lait ou qu’il n’était pas de bonne qualité. Avec la preuve par les faits : au bout de trois jours, elles n’avaient vraiment plus de lait, car c’est la tétée du colostrum qui déclenche la lactation.

L’argument des petits seins a convaincu d’autres mères de leur misère lactique. Même si l’on savait que des seins plats produisent autant de lait que les autres, puisque chez tout mammifère, le lait se fabrique majoritairement au moment de la tétée.

L’argument de la libération a été le plus efficace : les femmes pourraient travailler et se libérer du poids de la maternité. Les seins, n’étant plus soumis à la voracité du bébé, seraient définitivement protégés de l’avachissement (notez la racine ‘vache’ du mot). « Les femmes ne sont pas des vaches tout de même ! » Le marché a réussi à faire prononcer cette phrase à des femmes de haut niveau d’éducation.

Mieux encore, plusieurs de ces arguments ont su convaincre l’Afrique puisque le lait blanc des blancs a pénétré les colonies, provoquant une hausse spectaculaire de la mortalité infantile, à côté de laquelle les génocides sont un « détail » de l’histoire, comme dirait un populiste.

Aujourd’hui encore, l’allaitement artificiel est la première cause de morbidité infantile, et l’une des causes de cancer du sein. Voilà un véritable enjeu de santé publique. Mais le piège dialectique et politique est infernal : promouvoir l’allaitement maternel sans passer pour machiste ou rétrograde.

Au-delà de la gestion des médicaments et autres leurres ou babioles, un ministre de santé devrait étudier comment assurer la carrière professionnelle, l’égalité salariale, la protection sociale et tous les aspects de la reconnaissance, à celles qui allaitent nos enfants.

J’entends tous les jours qu’il faut penser aux générations futures. Soudoyer des entrepreneurs qui garantiraient la protection, le salaire et la promotion des femmes allaitantes me parait plus adéquat que de soudoyer des entrepreneurs qui vendent des milliards de médicaments qui ne font pas gagner un jour de vie à nos vieillards.

Je concède cependant qu’il sera très difficile d’évaluer, sans biais, la balance bénéfices/risques pour le PIB, la Sécurité sociale et la santé publique.

Références

On n’y avait pas pensé

dimanche 18 décembre 2016

Les études indépendantes montrant la grande toxicité du glyphosate (alias Roundup) sont de plus en plus nombreuses avec des résultats de plus en plus alarmistes. En réponse à ces alarmes, le fabricant pointe les biais de ces études selon le procédé classique de l’agnotologie, consistant à semer le doute dans tous les savoirs. Ce procédé fonctionne d’autant mieux face à la science qu’elle est, par essence, autocritique, dialectique, expérimentale et réfutable. Elle est donc une proie facile pour ceux qui incarnent l’antithèse de chacun de ces qualificatifs.

Curieux d’en savoir plus sur cette polémique, j’ai découvert d’anciennes publicités pour ce désherbant universel. On y voit des photos de champs remplis d’herbes indésirables et d’autres où toute végétation a disparu après l’épandage de l’herbicide. Les agriculteurs figurants sont figés de ravissement devant cette désolation végétale. L’évidence de la toxicité est telle que l’on a de la peine à comprendre qu’elle n’ait pas immédiatement sauté aux yeux des prospects de cette époque.

Les inévitables biais des études de toxicité nous apparaissent aujourd’hui bien dérisoires par rapport au fait que de telles études aient été jugées nécessaires. Car, paradoxalement, rien n’est plus difficile que de modéliser l’évidence.

Cet aveuglement devant l’évidence n’est pas l’apanage des agriculteurs, tous les acteurs des sciences du vivant semblent en être également victimes. Lorsque les marchands ont eu l’idée de vendre du lait de vache pour nourrir les nourrissons de femmes, ni les pédiatres, ni les sages-femmes n’ont noté cette discordance. Et le marché qui sait manifestement jouer avec les évidences a réussi à faire dire aux femmes elles-mêmes qu’elles n’étaient pas des vaches. Certes, il y avait de plus élégants procédés pour favoriser leur « libération », mais celui-là a bien fonctionné à une époque où les femmes étaient majoritairement confinées au foyer.

Ces laits en poudre, même « maternisés », ont multiplié par cinq ou dix les infections et hospitalisations des nourrissons, mais il a fallu faire des études pour s’en rendre compte. Nul n’avait jamais supposé que l’immunologie des hommes puisse différer de celle des bovins. L’évolution a produit pour chaque mammifère un lait strictement adapté aux besoins de ses petits, c’est vraiment judicieux !

Le glyphosate et le lait en poudre sont rassemblés ici, car ils sont emblématique de la même réalité : le marché est toujours dispensé des preuves de l’innocuité, et c’est à la science que revient d’apporter les preuves de la toxicité. Et la science se doit d’être parfaite, car rien ne semble moins évident qu’une évidence.

Post-scriptum : Il nous faut maintenant promouvoir l’égalité des chances et des salaires pour les femmes en même temps que la perfection de leur lait. Cela me paraît facile comparé aux exploits des marchands.

Bibliographie

Microbiotes méconnus : la flore intestinale

vendredi 6 septembre 2013

Les lois de l’évolution ne sont toujours pas enseignées en Faculté de Médecine, et la pratique médicale ignore encore la complexité de l’écosystème qui nous tient lieu d’organisme individuel.

Alors que la génétique a régné en maître au cours des dernières décennies, on découvre avec stupéfaction que ce que nous considérions comme notre génome représente en réalité à peine 1/100 de notre patrimoine génétique réel. Car nous avons toujours ignoré le génome des flores commensales de notre peau, de nos intestins et autres muqueuses, ainsi que l’ADN des mitochondries abritées par nos cellules.

La (re)découverte du microbiote intestinal, et ses premières apparitions dans des publications médicales de haut niveau, sont peut-être le signal d’une prise de conscience de la réalité écosystémique de l’individu. Ce « réveil » s’inscrit dans une prise de conscience écologique plus large, où nous mesurons les conséquences de certains de nos excès industriels et médicaux. La flore intestinale en offre un exemple assez didactique.

La sédentarité et l’excès de consommation de sucres expliquent en grande partie l’épidémie mondiale d’obésité, mais le dérèglement de la flore intestinale y joue un rôle important. Ce dérèglement explique aussi l’augmentation des pathologies allergiques, auto-immunes et inflammatoires.

Le remplacement du lait maternel par des laits artificiels stériles, ainsi que l’utilisation immodérée des antibiotiques en pédiatrie, sont des causes désormais bien identifiées de perturbation durable, voire définitive, de la flore intestinale. La multiplication des césariennes – dont la majorité sont inutiles – empêche le nouveau-né d’avoir un contact avec la flore de la filière pelvi-génitale de sa mère, contact indispensable à la construction d’un microbiote adapté. La généralisation de l’usage des antibiotiques dans l’élevage industriel est également un élément de perturbation du microbiote du bétail, et du nôtre.

Il existe déjà des traitements efficaces consistant à transplanter des matières fécales de sujets sains, donc une flore intestinale « saine », à des sujets présentant des colites graves dues aux antibiotiques. Le dégoût qu’inspirent ces traitements, tant aux médecins qu’aux patients, permettra-t-il d’amorcer une baisse de la consommation d’antibiotiques ? Il est trop tôt pour le dire !

Hélas, toute « mode » ou « découverte », même si elle accuse des excès passés, en engendre à son tour. Celle de la « flore » fait  naturellement « fleurir » un marché de probiotiques  supposés « reconstruire » le microbiote intestinal et améliorer diverses pathologies, y compris psychiatriques ou psychosomatiques…

L’avenir nous dira quelle est la part de vérité dans ces propositions où la mode et le commerce semblent déjà déborder la science. La « flore » cérébrale étant certainement la plus prolifique et la plus méconnue !