Électronique embarquée

3 août 2023

Les prothèses font partie des grands apports médico-chirurgicaux à la qualité de vie. Les prothèses dentaires d’Egypte semblent être les plus anciennes. Les lunettes de vue ont commencé à se généraliser au bas Moyen Âge. Les cornets acoustiques ont suivi, achevant de pallier trois déficiences de notre espèce.

La jambe de bois est probablement la première prothèse orthopédique, déjà mentionnée dans l’Antiquité, les pirates l’ont rendue célèbre. Les prothèses actuelles sont miraculeuses, au point d’éradiquer les boiteries.

La première cornée synthétique date de la Révolution française. Ce n’est qu’en 1950 que furent implantés les premiers cristallins en plastique, alors que l’opération de la cataracte était pratiquée depuis 4000 ans.

Le rein artificiel date des années 1940, a permis la survie de nombre de patients. Le cœur artificiel n’a pas encore fait ses preuves, mais les valves cardiaques prothétiques ont permis de belles survies. Enfin, l’électronique prothétique a été banalisée en 1958 avec le fameux pacemaker.

Ces audacieuses prouesses ont fait gagner des millions d’années de quantité-qualité de vie pour un coût dérisoire.

Après les années 1980, la rentabilité des prothèses a chuté brutalement, comme beaucoup de fulgurants, brillants et coûteux progrès technologiques à faible rentabilité sanitaire.

L’électronique ajoutée à certaines prothèses orthopédiques a permis de légères améliorations à un coût prohibitif. Les promoteurs d’un exosquelette supposé améliorer la marche après un AVC ne se préoccupent pas de vérifier l’absence d’un feed-back négatif pour la récupération cérébrale. Quant à la prothèse vocale électronique pour laryngectomisés, il faut beaucoup d’enthousiasme pour croire qu’elle aidera quelques vieux fumeurs. Pour l’audition, des implants cochléaires sont proposés, ils visent aussi le gros marché des acouphènes. La circonspection s’impose.

L’audace électronique est désormais sans limites. Une gélule électronique prétend pouvoir stimuler la faim chez les anorexiques. Il faut donc prévoir une augmentation du marché de l’obésité, en attendant l’électronique capable de diminuer l’appétit. L’idéal serait une gélule équipée d’un bouton on/off manipulable depuis son smartphone. Pour l’autre extrémité des intestins, une capsule vibrante est proposée pour traiter la constipation. Si, si.

Un implant électronique de la taille d’un grain de sable peut mesurer les taux sanguins de sucre, cholestérol et diverses protéines et les transférer via bluetooth à un ordinateur. Je vous laisse imaginer l’excitation de ces patients et médecins devant cette communion biologique et électronique. Rectifions cependant les propos de ces transhumanistes béats : les prothèses n’ont pas « augmenté » Homo sapiens, elles ont simplement compensé – parfois avec brio – certaines de ses déficiences.

Toute cette électronique embarquée n’apportera rien à la santé publique. Quant à l’aspect écologique, il faudra prévoir du recyclage dans les chambres funéraires.

bibliographie

Pas de médecine après 75 ans

24 juillet 2023

L’augmentation de l’espérance moyenne de vie à la naissance résulte essentiellement de l’élimination des morts infantiles et très peu du prolongement de la vie des séniors. Cependant, l’évolution de la consommation et des pratiques médicales conduit à considérer la mort comme un échec répréhensible, quels qu’en soient l’âge et la cause. Cette distorsion provient moins des progrès réels de la biomédecine que des promesses ubuesques de son marché. Le simple constat des résultats des promesses passées en apporte confirmation.   

Les statines ont été largement prescrites aux séniors contre le mauvais cholestérol (LDL) ; on constate pourtant que le taux de ce LDL est inversement associé à la mortalité toutes causes confondues. Après un premier accident cardio-vasculaire, les statines semblent utiles en prévention secondaire, mais elles n’ont jamais réussi à faire la preuve de leur efficacité an prévention primaire, c’est-à-dire avant tout accident. Elles sont également inutiles en prévention secondaire après 75 ans. Elles n’ont plus leur place sur le podium de l’immortalité.

Nous pouvons en dire autant de la testostérone (particulièrement délétère), de la DHEA et des nombreux antioxydants qui, malgré leur célébrité, n’ont jamais fait gagner un jour de vie à quiconque et en ont souvent fait perdre.

Le traitement de la ménopause, abandonné car trop dangereux, a été remplacé par le calcium, prescrit pour éviter les fractures, mais ce dernier augmente le risque de maladies cardio-vasculaires et rénales.

Après un certain âge, le traitement de l’hypertension artérielle devient plus nuisible que bénéfique, en augmentant le risque de démence, de chutes et de fractures.

Après avoir vacciné les séniors contre la grippe et le coronavirus, on constate qu’un banal rhinovirus peut les tuer tout autant.

D’une manière générale, les médicaments abusivement prescrits en gériatrie comme les hypnotiques, les anticoagulants ou de simples antiacides gastriques, sont l’une des premières causes d’hospitalisation et de mortalité. Malgré cela, l’hospitalisation majore les prescriptions inappropriées : les ordonnances de sortie sont plus chargées qu’à l’entrée. Dans sa dernière année de vie, un patient hospitalisé sur 6 reçoit plus de 35 médicaments.

Même l’oxygène ne fait pas mieux que l’air ambiant pour améliorer l’état des patients. Pourtant nul hôpital n’ose supprimer ce symbole de survie.

De façon plus triviale, l’hospitalisation et l’alitement aggravent les déclins fonctionnels de la vieillesse : perte de masse osseuse, musculaire et plasmatique. Les traitements administrés à l’hôpital sont souvent plus agressifs et moins compatibles avec une mort paisible. Même à cent ans, l’exercice reste le meilleur gage de survie.

Partant du principe qu’être en vie à 75 ans signe un passé sanitaire favorable, la conclusion paraîtra sacrilège : la raison clinique, confortée par une très riche bibliographie, impose d’éviter la médecine après 75 ans.

PS : ceci ne concerne pas la chirurgie.

Références

Vieux contre jeunes

27 juin 2023

De vieux militaires de la junte birmane oppriment leur jeunesse pendant que des ayatollahs cacochymes d’Iran tuent les filles dont le jeune visage les trouble. Tant d’autres pays entravent l’avenir des jeunes, car leurs gérontocrates assimilent la perte de pouvoir à la mort qu’ils redoutent.

Depuis la tentative de coup d’état du vieux et libidineux Trump, je crains que nos démocraties européennes ne soient plus épargnées par ces tyrannies de la sénescence.

J’espère que notre pays, encore capable de renouveler ses dirigeants, saura préserver sa jeunesse, d’autant plus précieuse que la pyramide des âges la montre de plus en plus rare.

Pourtant, si je m’en tiens au domaine médical, je dois constater que les pratiques sont dangereusement déviées vers la gériatrie au détriment de la jeunesse. Que ce soit dans les préoccupations de recherche ou les allocations de budgets, les séniors semblent avoir toujours la priorité.

La neurologie est dominée par des recherches débridées sur la maladie d’Alzheimer alors que les recherches sur les causes environnementales de l’autisme manquent d’audace et de finances.

Les cancers des âges avancés bénéficient de budgets faramineux en regard de la médiocrité des gains sanitaires. Les mêmes sommes investies pour de plus jeunes patients dans tous les autres domaines du soin seraient dix fois plus rentables.

Malgré les polémiques pour savoir si le coût de la dernière année de vie représente 40%, 60% ou 80% du budget de la Sécurité Sociale, le même pourcentage consacré à la protection maternelle et infantile serait meilleur pour notre avenir sanitaire et pour l’avenir de notre pays en général. Propos scandaleux ! Il faut en effet consacrer autant d’argent à la protection des premières que des dernières années de vie. Hélas, le réalisme montre que nous n’en avons plus les moyens et que le détriment revient aux plus jeunes.

L’argument de problèmes de santé plus nombreux avec l’âge n’est pas pertinent si l’on inclut la santé psychique. Et si l’on tient à considérer la sénescence comme une maladie, il convient alors de mesurer le rapport coût/bénéfice de nos actions pour constater qu’après 75 ans, l’intervention médicale est plus souvent délétère que bénéfique.

Le covid a apporté une preuve éclatante de cette déviation des préoccupations sanitaires. La moyenne d’âge des décès y était de plus de 80 ans. Pour limiter cette létalité, presque tous les pays ont adopté des mesures qui ont rapidement dégradé la santé mentale et psychique des jeunes. Erreur excusable au début d’une pandémie inconnue, mais impardonnable après que l’impact sur la jeunesse a été clairement établi.

Addictions, obésité et prématurité sont de nouveaux fléaux de début de vie. Ils ne nécessitent ni recherche ni médicaments, car leurs causes environnementales sont bien connues. Chaque centime investi dans leur prévention est mille fois plus rentable que toute réanimation pour virose respiratoire, et de surcroit, améliore l’espérance de vie.

Référence

Avant de débrancher l’IA

16 juin 2023

Les géants du numérique se lancent dans l’intelligence artificielle (IA) dont ils pressentent le potentiel de rentabilité. Ils ont commencé de grandes campagnes de communication en utilisant un procédé régulièrement utilisé par le marketing pharmaceutique. Procédé qui a largement fait ses preuves, consistant à parler en amont d’un problème important à reconsidérer, sans jamais évoquer le produit qui sera bientôt proposé sur le marché pour le résoudre. C’est le « condition branding » ou « unbranded campaign » qui consiste à parler de la migraine, de la ménopause, de l’allergie, de l’ostéoporose ou de l’anxiété, de décrire leurs terribles conséquences, tout en déplorant leur sous-diagnostic, pendant qu’un médicament est en fin de développement ou en voie d’approbation.  Lorsque le produit arrive sur le marché, les utilisateurs potentiels ont déjà la carte vitale et la carte bancaire prêtes pour le miracle.

La communication sur l’intelligence artificielle franchit un autre cap. Inutile de continuer à vanter les services que son développement pourrait rendre à l’humanité, car la majorité est déjà convaincue de son intérêt dans de nombreux domaines. Il faut surtout prévenir de tous ses dangers et réfléchir aux moyens de les prévenir. La liste des périls envisagés est très longue. L’IA pourrait passer aux mains de complotistes ou de dictateurs. Elle pourrait pénétrer notre intimité, supprimer de nombreux métiers, annihiler notre pensée et nos recherches. L’IA pourrait aller jusqu’à supprimer l’élan vital et l’instinct de survie. Bref, elle pourrait asservir toute l’humanité. Rien que ça !

Sans trop disserter sur ces conjectures, commençons par constater que Trump, Poutine, Prigojine ou Bolsonaro sont des intelligences naturelles que les pires IA ne sauraient égaler.  

Cette communication débridée évoque aussi la possibilité que l’IA puisse acquérir une conscience équivalente à la conscience humaine. Ne dissertons pas davantage sur la définition de la conscience ni sur son support biologique ou biographique. Réjouissons-nous plutôt à l’idée que la conscience artificielle ne sera jamais perturbée par les amphétamines, le cannabis, l’alcool, la cocaïne, les antidépresseurs, les opiacés et autres drogues licites ou illicites qui ont causé tant de drames et de barbaries et sont devenues la première cause de mortalité directe et indirecte.

Les médias relaient quotidiennement cette communication dictée par les géants du numérique. Sans véritablement avoir « conscience » – le mot est toujours ambigu – que les messages sur les dangers de l’IA sont aussi porteurs en termes mercatiques que ceux sur ses bénéfices. Qui peut le pire est certainement capable du meilleur.

Mais si l’IA devenait vraiment plus dangereuse que Staline, Ben Laden ou Amin Dada, nous possédons un moyen de défense que nous n’avions pas face à ces cerveaux biologiques culturellement dévoyés, il nous suffirait en effet de débrancher la prise électrique.

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Saga des marqueurs cardio-vasculaires

5 juin 2023

Les facteurs de risque cardio-vasculaire tels que le tabagisme ou l’obésité sont établis depuis longtemps. Mais nos impératifs de progrès ont négligé ces facteurs triviaux pour en proposer de plus biologiques tels que LDL, HDL, NT-proBNP, BNP, CRP, autant de sigles définissant des molécules dont le taux varie selon l’état du cœur et des vaisseaux.

Pendant longtemps, les deux cholestérol (HDL et LDL) ont régné sur ces marqueurs. Mais, depuis une vingtaine d’années on a compris que l’inflammation, évaluée par la CRP, jouait un rôle important dans les maladies cardio-vasculaires. Même l’insuffisance cardiaque dont le diagnostic clinique est évident possède désormais ses marqueurs (NT-proBNP, BNP).

Jusqu’à ce qu’un groupe de 60 chercheurs internationaux, inquiets de ce genre de dérive, réalisent une méta-analyse portant sur 165 000 sujets et concluant au peu de significativité clinique de ces marqueurs. D’autres études ont montré que de vieux marqueurs de l’inflammation tels que la NFS et la VS pouvaient suffire. Cent autres ont montré que l’accumulation de ces marqueurs apportait peu de précision clinique et que leur utilisation dans les essais cliniques était souvent abusive et peu rigoureuse.

Certaines statistiques sont allées jusqu’à critiquer la validité même des marqueurs. Dans l’insuffisance cardiaque, un taux élevé de cholestérol semble associé à une meilleure survie. Chez les patients coronariens trop de « bon » cholestérol devient néfaste. Quant au mauvais cholestérol, il ne serait ni le meilleur marqueur de risque, ni la meilleure cible thérapeutique.

Mais comme rien ne peut empêcher le progrès, en 2020, des chercheurs ont proposé quatre marqueurs pour prédire le risque de mort subite (réservés aux patients adeptes de sensations fortes). 

Ces polémiques, inhérentes à la variabilité biologique et à l’imprévisibilité clinique, sont parfois amusantes, et le sont plus encore les études qui constatent naïvement que les marqueurs biologiques rejoignent le bon sens clinique. Par exemple, un régime alimentaire riche en fruits pendant 8 semaines suffit à faire baisser plusieurs de ces marqueurs de risque. Qui l’eût cru ? Ou que l’augmentation des N-glycanes, eux-mêmes liés à la consommation de sucre sont de bons prédicteurs du risque cardio-vasculaire. Comme c’est étrange ! Ou que le manque de sommeil augmente les taux de CRP. Comment diable est-ce possible ? Ou que les gamma GT, marqueurs d’alcoolisme sont aussi de bons marqueurs de risque cardiovasculaire. Quelle surprise ! Cette science naïve a découvert la résistine, une protéine qui augmente en cas d’obésité, d’inflammation et d’athérosclérose, et qui marque le lien entre ces trois états. Comme cela est inattendu !

Certains osent désormais simplement démontrer que l’exercice physique prévient l’hypertension, l’insuffisance cardiaque et tous les risques, même lorsque les marqueurs sont mauvais.

Il y a deux façons de pratiquer et de consommer la cardiologie : avec ou sans marqueurs.

Bibliographie

Unique invulnérabilité

24 mai 2023

Il faudrait une encyclopédie en 20 tomes pour simplement énumérer la liste des biais des études diffusées par les industries alimentaires et pharmaceutiques. Il en faudrait dix fois plus pour la liste des liens déclarés entre leurs dirigeants et les leaders d’opinion de la nutrition et de la médecine et cent fois plus pour leurs conflits d’intérêts non déclarés. Peu importe si je surestime ou sous-estime le nombre de tomes, les faits sont bien connus de ceux qui observent ces deux domaines où la manipulation est particulièrement aisée.

Mais le véritable problème est ailleurs, il réside dans le fait que les prescripteurs n’ont pas conscience des influences qu’ils subissent.

On nomme « illusion d’unique invulnérabilité » le fait que chaque prescripteur est convaincu qu’il n’est pas influencé par ces études à visée promotionnelle.

Depuis les années 1990, ce biais cognitif a été mis en évidence par plusieurs grandes enquêtes auprès des étudiants, médecins et universitaires. Seulement 1% des médecins pensent que le marketing pharmaceutique influence leurs prescriptions et 60% à 80% pensent qu’il influence les prescriptions de leurs confrères. Les plus nombreux de ces auto-déclarés invulnérables étant les universitaires et plus encore les leaders d’opinion notoirement soumis à l’industrie.

Comme je me sentais moi-même invulnérable à toute propagande, je ne comprenais pas pourquoi les publicités pour les médicaments, les voitures, les parfums, les assurances, les banques et les lessives envahissait mes médias préférés. Maintenant que je sais que 80% de mes concitoyens y sont sensibles, j’en conclus qu’elles ne sont destinées qu’à eux. Pas à moi, c’est évident !

La plupart des médecins nient que les cadeaux influencent leurs prescriptions et plus ils en reçoivent, moins ils sont enclins à croire que cela a un effet sur leurs ordonnances.

Les financements de congrès et de recherches augmentent les pressions des universitaires sur les autorités pour autoriser la mise sur le marché d’un complément alimentaire ou d’un médicament indépendamment des résultats d’études. L’exposition aux délégués médicaux diminue la capacité à reconnaître des allégations inexactes concernant les médicaments.

Les innombrables études dénonçant les biais et manipulations n’ont jamais réussi à modifier les habitudes de prescriptions médicales. Ces nouvelles enquêtes réussiront-elles à ébranler les prescripteurs dans leur intime conviction d’invulnérabilité ?

Il est probable que non, la majorité des leaders d’opinion ont certainement la capacité de convaincre que ces enquêtes sont biaisées et n’ont aucune valeur. Car, dans la promotion pharmaceutique ou agro-alimentaire, rien n’est plus redoutablement efficace qu’un biaiseur – l’orthographe est importante – qui s’attaque aux biais.

Bibliographie

Manipulation mentale

16 mai 2023

Comparée à l’hypnose, la manipulation mentale détruit le libre-arbitre de façon plus durable, voire irréversible. La manipulation mentale n’est pas un conditionnement de type pavlovien. Enfin, elle n’a rien de commun avec le chamanisme et ses transes avec ou sans drogue comme le bwiti gabonais et le vaudou haïtien.  

La manipulation mentale est bien plus complexe que tous ces réflexes comportementaux ou conduites grégaires, car elle utilise une infinité de ressources psycho-sociales et neurophysiologiques.

Mais elle est aussi très simple en ce sens qu’elle est un corollaire et une constante de la vie en société. La séduction amoureuse, les discours politiques, la publicité et l’effet placebo en sont les formes à la fois les plus élémentaires et les plus efficaces, puisque nul ne peut y échapper. Les formes extrêmes sont exprimées dans les sectes où les manipulateurs parviennent à pervertir tout le système cognitif jusqu’à ce que l’autosuggestion des manipulés devienne plus efficace que la suggestion des manipulateurs.

D’une manière générale, les manipulateurs en tirent bénéfice, mais une telle banalité n’est répréhensible que si le préjudice aux manipulés est très important. Il faut donc aborder la manipulation mentale comme l’on aborde les médicaments : sous le rapport bénéfices/risques.

Les grands mythes religieux sont de bons exemples de manipulations mentales qui ont permis l’enrichissement de toutes les églises, cependant cela n’est pas répréhensible dans la mesure où les manipulés vivent leur foi et leur appartenance communautaire comme un bénéfice. Inversement, lorsque Dieu demande à Abraham de tuer son fils, lorsque des djihadistes imposent le martyre suicidaire ou lorsque les prêtres abusent sexuellement des enfants de leurs ouailles, le préjudice est énorme.

Lorsque des tribuns biaisent l’information pour asseoir leur pouvoir, le préjudice dépend de l’idéologie et des bénéfices secondaires de chaque manipulé. Mais lorsqu’un dictateur supprime toute information, le préjudice est considérable, car il détériore le système cognitif des manipulés. Dans la même façon que la dissimulation des effets secondaires des médicaments peut conduire à la mort.

Les réseaux sociaux sont un puissant support de la manipulation mentale qui fonctionne d’autant mieux qu’elle s’adresse à des personnes psychiquement fragiles ou de faible niveau d’éducation. Elle touche particulièrement les adolescents qui ont souvent une faible estime d’eux-mêmes et qui sont à l’âge des psychoses, des addictions et des jeux dangereux.

Malgré cette évaluation facile du rapport bénéfices/risques, il n’existe aucun cadre juridique de la manipulation mentale. C’est probablement pour cela que les prêtres pédophiles, les neuro-marketeurs, les gourous abuseurs sexuels, les chimistes dissimulateurs, les dictateurs paranoïaques et les partis complotistes sont de plus en plus nombreux.

La manipulation mentale annonce-t-elle un deuxième moyen-âge ?

Bibliographie

Éthique sous le tapis

5 mai 2023

Nombreux sont ceux qui considèrent que « légal » et « éthique » sont synonymes : si c’est légal c’est éthique.

Pourtant, lorsque la peine de mort était légale, il n’était ni éthique ni élégant de trancher le cou d’un être humain. Il est légal de vendre des armes et rarement éthique de les utiliser. Il est éthique de fixer des limites de vitesse, mais légal de vendre des motos qui roulent à quatre fois ces limites. Si les avocats de Donald Trump parviennent à lui épargner la prison, leur succès sera juridique sans être éthique. Le 49.3 est constitutionnel donc légal, mais il manque d’éthique. Si le glyphosate reste autorisé, il n’est plus éthique de le laisser filer à vau-l’eau. Etc.

Cette façon de glisser l’éthique sous le tapis se développe dans tous les domaines. La médecine ne saurait y échapper, elle a même développé une certaine expertise dans cette confusion.

Les autorités sanitaires acceptent la commercialisation d’un médicament, car les marchands les ont éthiquement convaincus de son utilité pour l’humanité souffrante. Et il est légal de le prescrire longtemps après la preuve de son rapport bénéfices/risques négatif tant que les mêmes autorités ne l’ont pas retiré. Cela vous rappelle forcément plusieurs histoires.

Il est illégal de vendre de la morphine et du cannabis, mais éthique de les prescrire à visée thérapeutique. Cette éthique débridée a conduit à la crise des opioïdes, une des premières causes de mortalité aux USA ; ne doutons pas que la légalisation du cannabis thérapeutique suivra la même voie. Il est légal de vendre de l’alcool, du tabac, et l’on semble considérer éthique d’en faire la promotion en précisant qu’ils sont dangereux pour la santé ? Y a-t-il encore de la place sous le tapis ?

Les laboratoires jugent éthique d’investir en cancérologie en font légaliser le prix faramineux de leurs découvertes par des autorités qui deviendraient presque illégitimes en s’y opposant. Et lorsque ces médicaments s’avèrent inefficaces et dangereux, leur éthique met longtemps à sombrer dans le gouffre financier. Un peu comme le Concorde qu’il fallait continuer à faire voler en espérant un retour sur investissement.

S’il semble éthique d’œuvrer dans une ONG, il ne l’est pas d’en tirer un salaire de PDG. De manière générale, plus la compassion s’affiche de façon flamboyante, moins elle est éthique. En médecine, les plus compassionnels ont souvent les plus gros conflits d’intérêts.

La médecine revendique toujours sa compassion et sa légalité sans trop s’interroger sur l’éthique des bases sur lesquelles elles reposent. Celui qui ose mettre en doute l’éthique de sa pratique et de sa science est perçu comme marginal, complotiste, voire illégitime. En médecine, éthique et légalité se rejoignent en des consensus mous et labiles auxquels l’académie et les médias donnent l’apparence de la rigueur et de la stabilité.

Les belles victoires passées de la médecine ne suffisent plus à calmer mes inquiétudes quant à l’avenir de son éthique.

Référence

Réhabilitons le sperme

21 avril 2023

Les animaux ont obligé Dieu à embarquer des couples sur l’arche de Noé, car ils savaient d’instinct qu’il faut être deux pour faire des enfants. Longtemps après, Galien a envisagé le principe de la double semence. Mais si nul ne doutait que le sperme fut la semence mâle, la semence femelle restait énigmatique ; certains l’ont assez logiquement attribuée aux sécrétions vaginales émises lors de l’accouplement.  

Le microscope mit fin à cette poésie égalitaire en découvrant les gros ovules. En ces temps, la théorie du « préformationnisme » dominait, elle stipulait que l’embryon était déjà préformé dans l’une des deux semences, et que l’autre ne servait qu’à enclencher le processus de son développement. L’ovule semblait être le mieux placé pour abriter cette préformation. Mais lorsque le microscope découvrit des « animalcules » dans le sperme, un courant opposé prétendit que c’étaient ces spermatozoïdes qui contenaient l’embryon préformé, l’ovule ne servant alors que de réceptacle. Cette guerre des ovistes contre les spermatistes dura deux siècles jusqu’à ce que la biologie moderne donne une priorité définitive à l’ovule qui apporte à l’embryon son cytoplasme, donc sa première nourriture, ses mitochondries, donc son énergie, et tout l’ADN mitochondrial qui ne provient que des femmes. Fin du machisme embryologique.

On alla jusqu’à dire que la semence mâle ne servait qu’à déterminer le sexe de l’enfant. Et, après la découverte du processus d’empreinte génétique, sorte de guerre d’influence que se livrent les gènes d’origine paternelle et maternelle, on affirma que l’empreinte maternelle était plus forte. Bérézina des spermatozoïdes.

Certes, dans les sociétés complexes la contribution sociale du mâle est devenue aussi importante que sa contribution spermatique pour assurer l’avenir d’une progéniture. C’est pourquoi l’on voit tant de vieux spermatozoïdes ensemencer de jeunes ovules, confortant encore l’idée que la valeur du sperme importe moins que celle du compte bancaire. Ultime et sournois dénigrement de la semence mâle.

Bref, il est grand temps de réhabiliter les spermatozoïdes, car leur qualité importe autant que celle des ovules, comme en témoignent les recherches les plus récentes.

La procréation médicalement assistée échoue aussi souvent avec l’âge avancé du père qu’avec celui de la mère. Les fausses couches, la prématurité, les malformations congénitales, la mortalité infantile, les maladies génétiques augmentent proportionnellement à l’âge du père. L’autisme et la schizophrénie sont les pathologies les plus sensibles à l’âge de reproduction du père, voire du grand-père.

Les statistiques ont remplacé les microscopes.

La longévité érectile des mâles n’empêche pas leur sénescence spermatique. Les bricolages successifs de l’évolution n’ont simplement pas réussi à harmoniser la fonction érectile et la qualité du sperme.

Mettons un point final au sexisme entre ovules et spermatozoïdes. Les couples de l’arche de Noé étaient certainement très jeunes.

Références

Choisir son catastrophisme

12 avril 2023

Les bouleversements écologiques qui nous sont rabâchés sont assurément le résultat de l’extraordinaire développement culturel qui caractérise notre espèce. Nous avons imposé aux autres espèces des changements environnementaux d’une ampleur et surtout d’une rapidité sans précédent : un centième de seconde à l’échelle de l’évolution biologique.

Ampleur et rapidité qui ne changeront pas la règle immuable de l’évolution : nombre d’espèces s’adapteront à ces nouvelles pressions environnementales et d’autres disparaîtront. Les espèces vivantes actuelles représentent moins d’un millième de celles qui ont existé. 

Pour une espèce, deux atouts sont importants pour survivre à un changement aussi brutal, d’une part un cycle de reproduction court, d’autre part une aptitude à modifier l’environnement à son avantage. Notre espèce ne possède que le second atout ; hélas, chaque plan de protection environnementale se heurte à nos impératifs biologiques et économiques de croître et de prospérer.

Comme tous les biologistes, je ne suis évidemment pas catastrophiste et je n’ai aucune inquiétude pour la vie en général. Pour l’espèce humaine, le catastrophisme qui me gagne n’est pas vraiment biologique. La culture qui avait permis notre adaptation semble désormais sélectionner de nombreux traits d’inadaptation.

En plus des religions dont les dogmes fomentent des guerres, on voit prospérer des milliers de sectes et des millions de complotistes dont la base culturelle absconse n’offre aucun espoir d’adaptation. 80% des citoyens du monde croient en un Dieu tout puissant qu’ils infiltrent dans le cerveau de leurs enfants dont certains sont prêts à mourir pour lui. Le monde compterait jusqu’à 40% de créationnistes cognitivement inaptes à modifier leur environnement. Les populismes basés sur le mensonge, l’immobilisme et l’irréalisme voient leur électorat grossir au-delà de leurs espérances. L’information et l’éducation semblent devoir passer plus souvent entre les mains de nouveaux Trump, Le Pen ou Bolsonaro que de nouveaux Lucrèce, Galilée ou Voltaire.

Notre planète abrite 12000 ogives nucléaires dont la moitié sont aux mains d’héritiers incultes ou de tyrans qui manipulent les réseaux sociaux où s’échangent des inepties et des photos de chats.

Quant aux démocraties, non seulement elles voient s’effondrer leur démographie, mais trop obnubilées par le vote et la survie de leurs vieillards infertiles, elles n’arrivent plus à évaluer les nouvelles infécondités de leurs enfants devenus obèses, illettrés ou dépressifs.

Enfin, 25% de la population mondiale souffre d’un trouble mental, et le commerce des drogues licites et illicites qui aggravent ces troubles est en augmentation fulgurante.

Bref, le réchauffement climatique, l’effondrement de la biodiversité, l’acidification des océans ou les polluants organiques persistants présentés comme des menaces sur notre espèce ont peu de poids en regard de l’inadaptation qu’elle-même sélectionne. Ne nous trompons pas de catastrophisme.  

Références