Réflexions hygiénistes du haut de mon vélo

17 mars 2008

Pour mes visites en ville, le vélo, que j’utilise beaucoup plus que l’automobile semble plus propice à mes réflexions. J’y vois au moins quatre raisons. La première, sans doute la moindre, est ma position haute, qui empêche les gaz d’échappements plus lourds que l’air d’atteindre et d’anesthésier mes neurones, comme ils le font chez l’automobiliste assis au ras du sol et confiné dans son habitacle. La deuxième également physiologique est l’afflux de sang cérébral provoqué par l’accélération cardiaque de mon effort. La troisième est la stimulation intellectuelle qui s’associe parfois à la marginalité ; rouler en vélo dans une grande ville en est une incontestablement. La quatrième enfin, la plus importante, est l’éveil cognitif que provoque l’extrême vigilance imposée par ce frêle moyen de transport.

Ma réflexion, bien loin de toute théologie, concerne une trinité laïque : la cité, le citoyen et la citoyenneté. Me voilà donc penseur perché sur mon fragile esquif dans le flot des automobiles.

Qui sont-ils donc ces automobilistes qui me frôlent en prenant bien soin de ne pas me heurter, mais dont les manœuvres soulignent ostensiblement l’incongruité de ma place en leur sein ? Ce cadre dynamique parcourt les deux kilomètres qui le séparent de son lieu de travail ; ce soir, il ira faire du jogging pour parcourir une plus grande distance à une vitesse supérieure. Cette jeune mère emmène en voiture ses enfants à l’école voisine afin que ces chérubins ne soient pas écrasés par une de ces si nombreuses voitures. Ce retraité semble heureux d’être immobilisé dans le flot des véhicules, comme au bon temps de sa pleine activité. Ce jeune employé n’en revient toujours pas de la qualité de la stéréo et de la climatisation qui équipent la limousine qu’il vient d’acquérir à crédit, il voudrait que l’embouteillage dure plus longtemps pour savourer davantage ces instants de confort. Ce couple d’étudiants ne quitterait pour rien au monde la vieille berline, symbole de liberté, qui a abrité, cet été, leurs premiers ébats.

Leur autoradio les empêche tous de penser à l’histoire de la cité que leur grands parents ont rejointe au moment de l’exode rural, car elle présentait l’avantage d’offrir en un seul lieu, tous les services et produits de l’époque. Le paysan grec parcourait des kilomètres pour aller au temple, la femme auvergnate programmait toute une journée pour aller chez le coiffeur et le charbonnier, l’écolier savoyard mettait deux heures pour rejoindre l’école ou le cinéma et autant pour en revenir. L’automobile leur a été miraculeuse, ils l’ont prise pour aller à la ville la plus proche et ils ont décidé d’y rester, cumulant d’un seul coup les deux nuisances. Et comme leurs urbanistes et leurs maires n’arrivaient pas à penser les villes autrement que dédiées exclusivement à l’automobile, ils en avaient pris pour longtemps.

Mais réjouissons-nous, les temps changent, comme peuvent en témoigner, les petits sigles, représentant des vélos, peints en blancs sur quelques chaussées de nos villes. Certes, il y en a très peu, ils sont régulièrement effacés par les pneus des automobiles, mais ils témoignent d’une velléité, et, en nos temps où l’électoralisme tient lieu de sciences sociales, une velléité est toujours bonne à prendre.

Ces petits vélos blancs sont supposés délimiter des voies exclusivement réservés aux cyclistes ; je les ai donc empruntées et j’ai failli ne jamais en revenir. Avant l’apparition de ces voies, le cycliste était respectable dans sa témérité et il donnait à l’automobiliste l’occasion d’être courtois en lui faisant une petite place. Depuis l’apparition de ces voies cyclables, les rôles se sont progressivement inversés. L’automobiliste a perdu des occasions de courtoisie, car il juge exorbitant, voire indécent, un tel espace de liberté laissé à de rares cyclistes. Qu’elle est accueillante, cette piste cyclable de la grande avenue, avec ses deux mètres de large ; elle est devenue le lieu de rendez-vous de tous les automobilistes en détresse, repérables pour avoir allumé leurs feux du même nom. L’état de détresse pouvant varier du besoin impérieux d’acheter un paquet de cigarettes aux minutes anxieuses d’attente de papy qui descend l’escalier. Les feux de détresse ont très certainement provoqué beaucoup plus d’accidents qu’ils n’en ont épargnés, mais l’étude statistique, impossible, ne sortira jamais. Cette piste accueille également les livreurs, excusés par leur travail, les pompiers et policiers, excusés par leur statut, les égarés, excusés par leur égarement. Les cyclistes, eux s’y font de plus en plus rares, car ils ont compris que ces voies, qui se terminent généralement en impasse cyclable, sont bien plus dangereuses que les voies virtuelles tracées par leur cerveau en éveil cognitif. Ces cyclistes continueront longtemps à griller les feux rouges et les feux verts avec le même danger bien mesuré, mais ils délaisseront de plus en plus les bribes de pistes cyclables que des maires ont été obligés de saupoudrer ça et là pour satisfaire aux modes écologistes.

Mon ultime réflexion de cycliste est le pourquoi de l’impossibilité quasi universelle de sortir la voiture de la ville. Les deux arguments classiques de l’automobiliste électeur et du lobby pétrolier me paraissent faibles par rapport à notre individualisme biologique et à notre impossibilité animale de prévision au delà d’une saison de reproduction.

La technologie n’ayant rien changé à mon animalité, je vais de ce pas faire ma prochaine visite en voiture pour mettre un terme à cette réflexion.

Luc Perino

Vitesse et prostitution

8 février 2008

« Interdiction » est un mot délicat à manipuler dans nos pays démocratiques, même lorsqu’il s’agit de santé ou de salubrité publique.

Le gouvernement essaie de prohiber la prostitution, discrètement, et la vitesse, de façon plus ostentatoire. Mais, la façon de traiter ces deux interdits est radicalement différente. L’un frappe l’objet du délit et l’autre son utilisateur.

Le gendarme ne songe jamais à verbaliser le véhicule à la place du conducteur. Notre pays autorise la fabrication et l’importation de véhicules dépassant de plus de deux fois la vitesse légale. Ceci ne fait l’objet d’aucun débat.

A l’inverse, dans la prostitution, on s’en prend au producteur et non au consommateur, bien que les débats sur l’utilité de punir les deux soient nombreux.

Les interdictions sont des sujets chargés d’une affectivité déraisonnable, d’où la logique est constamment exclue. Seules deux conduites sembleraient logiques, soit annuler l’interdiction, soit la maintenir en l’attaquant par ses deux bouts : offre et demande, production et consommation.

Le gendarme devrait ainsi pénaliser monsieur Ducon qui conduit et monsieur BMW qui a fabriqué l’objet du délit. Il devrait punir monsieur Dugland qui consomme et madame Delarue qui offre l’objet du délit.

Pourquoi donc n’en est-il pas ainsi ?

Le moraliste me répondra que l’on ne peut pas comparer la prostituée, être de chair empreint des merveilleux sentiments humains, avec une voiture, objet de métal empreint des merveilles de la technologie. Le moraliste a raison, seul un être de chair peut mériter la damnation.

L’historien me répondra que la prostitution est si ancienne qu’elle est un objet de culture qui ne peut plus être soumis à la loi, alors que la vitesse, toute récente, n’est pas encore assimilée par nos lentes biologies. L’historien a raison, la seule loi humaine possible est la force de l’habitude.

Le médecin condamne la vitesse, beaucoup plus dangereuse que la chair, malgré le Sida. Par contre, il s’incline devant le constructeur automobile qui prétend offrir aux amateurs, la vitesse comme un luxe (réserve de puissance), et non comme une nécessité. Le sexe est-il un luxe ou une nécessité ? Peu importe, car en cas de compulsion, luxe et nécessité se confondent.

D’autres explications, enfin, sont plus réalistes, donc plus triviales. Les nations peuvent taxer la vitesse par ses deux bouts (essence et amendes), mais ils n’osent taxer aucun bout de la chair, surtout pas le bout du gland, de peur d’être grossiers. Pourtant, l’idée d’un état proxénète ne me paraît ni plus choquante, ni moins dérisoirement utile que celle d’un état fabricant d’armes, si les buts clairement avoués, sont d’éviter l’esclavage sexuel ou la terreur nucléaire.

Il ne faut enfin pas oublier, que derrière tous les interdits, se cachent les privilèges de l’impunité. J’imagine fort bien nos élus, aller sans honte, se faire sauter un PV pour excès de vitesse…

Mon imagination s’arrête là.?

Les vrais risques du syndrome d’hyperactivité infantile

8 février 2008

La mode éditoriale du syndrome d’hyperactivité infantile (TDAH*) n’est pas un hasard, car chacun perçoit, derrière cette « nouvelle » maladie, l’occasion de fougueux débats épistémologiques et politiques. Si les plus polémistes des psychiatres ont envie de contester la réalité biologique d’un tel syndrome, ils seraient bien imprudents de le faire. On ne peut qu’évoquer les imprudences historiques et ridicules de certains psychanalystes qui avaient osé contester la réalité organique de certaines maladies ; citons entre autres : la mère « schizophrénogène » de Fromm-Reichmann, l’autisme par carence affective de Bettelheim ou la schizophrénie issue des névroses parentales de Françoise Dolto.

Cette agonie de la psychanalyse ne doit nous réjouir que sur deux points : d’une part, la fin d’un impérialisme intellectuel mérite d’être saluée, d’autre part, les mères ont dû être ravies d’apprendre qu’elles n’étaient plus la cause de ces deux terribles maladies. Cependant, restons vigilants sur ce champ libre laissé aux chimistes et aux généticiens, qui, enfin libérés de l’impérialisme psychanalytique, vont pouvoir s’adonner à leurs obsessions synaptiques et à leur ivresse génétique.

Aujourd’hui, les plus humanistes des cliniciens sont encore obligés de choisir entre le dogme du gène ou le dogme du psy. Cette guéguerre durera certainement aussi longtemps que les pharmacologues auront le pouvoir, car la synapse est la seule cible qui se laisse manipuler sans trop rechigner.

Cela me conduit à deux réflexions.

L’autisme et la schizophrénie avaient été parfaitement décrits dans les traités de médecine de l’antiquité, alors que rien n’évoque l’existence d’un quelconque TDAH décrit pour la première fois en 1870. Sachant que les mères existaient déjà dans l’antiquité, il est possible de supposer timidement que de nouveaux facteurs socioculturels puissent avoir favorisé l’émergence de cette maladie chez nos chérubins et son épidémie dans notre nosologie.

Ma deuxième réflexion concerne la Ritaline® dont il n’est pas question de contester ici la probable utilité, malgré le danger de sur-diagnostic et de sur-traitement auquel expose chaque nouveau médicament de ce type.

En effet, le risque, bien plus redoutable et plus insidieux, de ces nouvelles molécules est celui de la négligence progressive, vite acceptée par tous, des autres pistes thérapeutiques et étiologiques. Les cent-vingt années de silence écoulées entre les premières descriptions du TDAH et la commercialisation de la Ritaline® nous prouvent bien que seule la chimie est aujourd’hui capable de susciter la médiatisation et la recherche et de financer leur avenir. Les autres pistes n’auront jamais, pour les piètres cliniciens que nous sommes devenus, cette perfection mercatique et causale.

* Trouble Déficitaire de l’Attention avec Hyperactivité infantile