Soyons scientifiques ou disciplinés ou les deux.

3 février 2009

Le cancer est un sujet bien trop grave pour supporter la légèreté.

L’incidence exacte du cancer du colon en France est de 36000 cas par an soit 0,06%. La prévalence (moins exacte) est de l’ordre de 0,3%. Le nouvel hémoccult, plus précis que l’ancien a une sensibilité qui est passé de 50 à 85 soit 15% de faux négatifs. Le taux de faux positifs reste inchangé, il est de 3%.

Ces chiffres de l’incidence et de la prévalence nous indiquent que sur une population de 100 000 personnes : 300 sont porteuses d’un cancer du colon, dont 60 sont apparus dans l’année. L’hémoccult pratiqué sur ces 100 000 personnes sera positif chez 85% des cancéreux soit : 300 x 85/100 = 255 personnes. Il sera aussi positif chez 3% des non-cancéreux soit : 97700 x 3/ 100 = 2931 personnes.

En cas d’hémoccult positif, ma probabilité d’avoir un cancer est le rapport des positifs cancéreux (255) sur le total des positifs (cancéreux et non cancéreux soit 255 + 2931 = 3186)

Le rapport est donc de 255/3186 = soit 8%

Ces chiffres correspondent à la démonstration en valeurs absolues des données du théorème de Bayes qui calcule les probabilités a posteriori, correspondant exactement à la situation du résultat d’un test de dépistage. Pour ceux qui n’ont pas compris, je les rassure, 2% seulement des médecins connaissent ce théorème de Bayes et seulement 5% des médecins universitaires enseignants !! (La recherche, N° 340, mars 2001). Ce chiffre est confirmé par ma pratique sur de futurs médecins agrégés que je suis chargé d’éveiller à l’épistémologie. J’ai également vérifié que plusieurs hauts responsables des centres de dépistage de masse ne connaissaient pas ce théorème.

La rigueur scientifique impose donc de dire à nos patients que s’ils ont un hémoccult positif, ils ont SEULEMENT 8 chances sur 100 d’avoir un cancer du colon. Il faut aussi leur dire que la coloscopie, qui suivra obligatoirement, sera inutile dans 92% des cas. Il faudra aussi les avertir que la coloscopie n’est pas un acte anodin.

Désormais, nous sommes dans l’obligation de proposer ce dépistage de masse à tous nos patients. Nous pouvons donc décider d’être seulement disciplinés et nous taire. Nous pouvons aussi être rigoureux et essayer de ne pas participer à ce dépistage politiquement correct et dont les résultats en termes de santé publique seront nuls ou presque. (Entre 100 et 400 morts différées par an selon les études) Nous pouvons aussi décider d’être à la fois disciplinés et scientifiques, en expliquant tout cela à nos patients, mais la tâche sera très difficile puisque leurs médecins, leurs universitaires et leurs responsables des centres de dépistage ne l’ont pas encore compris !

Tempête sur la carte vitale

26 janvier 2009

La grosse tempête qui vient de secouer le sud-ouest de la France a réellement fait des ravages. Pendant ces derniers jours, les différentes rédactions ont essayé de nous en montrer la gravité. Des centaines de milliers de personnes sans eau, sans électricité ou sans chauffage, trafic routier et ferroviaire interrompus, inondations, maisons détruites, forêt landaise dévastée, quatre morts et de nombreux blessés. Les mots et les images ont réussi à nous faire toucher du doigt la gravité de ces événements pour les malheureuses victimes. C’est vrai qu’il est parfois difficile de réaliser, lorsque l’on est bien installé dans son fauteuil, les souffrances que peuvent endurer ceux qui sont au cœur du drame dont les journalistes essaient de nous faire partager l’émotion. L’interview des victimes, lorsqu’il est possible, est un bon moyen, même si une trop forte subjectivité peut déformer quelque peu les faits. Chaque rédacteur doit, je le suppose, choisir ses séquences le plus judicieusement possible pour éviter à la fois la légèreté et le pathos. En ce qui me concerne, France Inter, une de mes radios préférées, a bien réussi en sélectionnant la séquence d’un pharmacien privé d’électricité expliquant que, son ordinateur ne fonctionnant plus, il ne pouvait plus utiliser la carte vitale de ses clients. C’est alors, et alors seulement que j’ai vraiment compris la gravité de la situation.

Urgences : urgence

12 janvier 2009

L’urgence médicale a moins de quarante ans. Auparavant, l’exercice médical la contenait tacitement par une optimisation du temps diagnostique dont le résultat intégrait un délai d’intervention thérapeutique. Le concept d’urgence médicale est une construction sociale ayant fort peu de rapport avec les réalités cliniques. Avant la création de ce concept, les praticiens considéraient les appels nocturnes ou dominicaux comme indissociables de leur fonction, donc inéligibles aux motifs de contestation. Le brutal engouement des années 70 pour la spécialisation d’organe peut s’expliquer en partie par les progrès de la médecine notamment en matière diagnostique. Ces progrès sont insuffisants pour expliquer les spécialisations d’âge (pédiatrie, gériatrie) ou de sexe (gynécologie) et ils le sont encore moins pour expliquer la spécialisation de délai (urgentiste). L’impératif de transport ne se justifie pas puisque les écoles de l’urgence se répartissent en deux camps : le « bag and drag » américain (on emballe et on s’arrache) et le « stabiliser sur place » de l’école française. Certes, les progrès thérapeutiques ont quelque peu amélioré la survie de divers infarctus ou autres embolies, mais ils sont infimes aux côtés des progrès de leur diagnostic et de leur prise en charge à long terme. Toutes les études montrent que cette affirmation, susceptible de déclencher des cris d’effraie, reste peu contestable si elle est bien lue et bien comprise. Ainsi, les vecteurs de pénétration sociale du concept d’urgence sont essentiellement médiatiques (marketing outrancier des SMUR et SAMU), romantiques (séries télévisées sur l’urgence), affectifs (amours enfantines pour les pompiers), financiers (service public et paupérisation) et aussi corporatistes. Peu importerait, après tout, que cette analyse soit pertinente ou non, si le résultat était un réel progrès sanitaire. Hélas, la crise actuelle de l’urgence ébranle notre système médical au point de provoquer un recul sanitaire. D’un point de vue social, voire anthropologique, cette crise d’engorgement était prévisible puisque l’altruisme de la file d’attente (sur l’autoroute, au supermarché ou ailleurs) suppose une sérénité évidemment absente des problèmes sanitaires individuels bien ou mal évalués. Désormais, le gouvernement s’agite pour « déspécialiser » l’urgence et la rendre à son régulateur naturel qui est le médecin de l’individu souffrant, j’ai nommé le généraliste. Hélas, l’impossibilité du retour en arrière était tout aussi prévisible, car désormais dissociée de la fonction, l’urgence est devenue éligible aux motifs de controverse. D’autant plus qu’entre temps, les généralistes, débordés par la prescription de statines et d’hypoglycémiants à des sexagénaires en bonne santé, en sont parfois arrivés à refuser jusqu’aux sutures et incisions d’abcès pour le même tarif.

Luc Perino

Prévalence et herborisation

10 décembre 2008

Prévalence et herborisation.

La prévalence, plus difficile à déterminer que l’incidence, donne la photographie d’une population à un instant donné. La prévalence générale ne tient compte ni du sexe ni de l’âge, elle indique le pourcentage de personnes atteintes d’une maladie au jour J.

Pour la France, voici des chiffres moyens dans les publications les plus sérieuses pour quelques maladies courantes : psychoses: 3%, TOC: 3%, phobie sociale: 8%, autres phobies: 6%, dépressions majeures: 8%, dépressions mineures: 15%, Alzheimer : 2%, Parkinson: 1%, AVC: 0.3%, SEP: 0.2%, fibromyalgie: 15%, migraine: 10%, hypertension artérielle: 30%, valvulopathie: 2%, insuffisance cardiaque: 1%, coronaropathies: 1,5%, diabète de type 2: 4%, dyslipidémies: 8%, SAOS: 20%, obésité et surpoids: 30%, tous les cancers (dépistés et cliniques): 1.5%, hypothyroïdie: 3%, ostéoporose: 10%, etc.

Cessons ici cette énumération fastidieuse en constatant que nous avons déjà largement dépassé les 100% en étant bien loin d’avoir couvert tous les champs de la pathologie. Une conclusion s’impose : les patients sont atteints de plusieurs pathologies. Nous le savions déjà pour l’obésité et le SAOS, la fibromyalgie et la dépression ou encore la dyslipidémie et l’hypertension. En voici une preuve définitive. Tout bien réfléchi, il n’existe probablement que des patients polypathologiques. Voilà qui est rassurant pour ceux qui ont eu la chance de passer au travers de toutes ces pathologies, car ça leur laisse encore une petite chance de mourir de vieillesse…

Si nous en profitions pour nous offrir, avec ou sans humour, une petite réflexion épistémologique sur la classification de nos « objets-maladie », il est probable que nous en conclurions que nous sommes en train de nous fourvoyer.

Les historiens de la médecine mentionnent souvent avec amusement la «nosologie méthodique » de François Boissier de Sauvages, publiée en 1763 et dans laquelle il recensait 10 classes, 44 ordres, 315 genres et 2400 espèces de maladies. Cette « herborisation » de la médecine, comme la nommait Michel Foucault, est-elle vraiment dépassée aujourd’hui ?

Le marronier d’hiver

26 novembre 2008

Le marronnier d’hiver

Le nombre de SDF qui meurent chaque année dans la rue est d’environ 300. Les causes sont multiples : agressions, misère physiologique arrivée à son terme, coma éthylique, intoxications diverses et froid aussi bien sûr.

En plus d’être un arbre dont nous apprécions les marrons chauds en hiver, le marronnier est un terme utilisé pour désigner un thème journalistique récurrent et inévitable. La baisse du niveau scolaire lors du bac en juin, les troubles digestifs et la dangerosité des jouets à Noël, la méningite à chaque mort suspecte ou le syndicaliste marseillais à chaque grève sont des marronniers indispensables et familiers. La mort des SDF aux premiers froids est l’un des plus coriaces. Dès que le thermomètre baisse au dessous de cinq degrés, les médias guettent le premier mort et son arrivée fait le tour des rédactions en quelques heures. Ce sujet est grave puisqu’il révèle plusieurs de nos insuffisances allant du logement social au chômage en passant par les psychoses et l’alcoolisme. L’interdiction que nous avons de le traiter à la légère ne doit pas nous empêcher de garder notre sang-froid de scientifique adepte de la médecine basée sur les preuves. Les quatre morts largement médiatisés de ce mois de novembre nous révèlent, par cette baisse brutale de la moyenne mensuelle, que les premiers froids ont pour conséquence une baisse significative de la mortalité urbaine des SDF. En effet, la plupart d’entre eux n’étant pas complètement idiots ou suicidaires, tentent de se réfugier dans des abris plus confortables dès les premiers froids. Ces lieux ou foyers d’accueil sont l’occasion de soins inhabituels, d’une douche limitant les infections ou d’un soutien moral susceptible de diminuer l’éthylisme aigu. Ces soins, hélas toujours insuffisants, révèlent la charité dont font preuve les associations qui les pratiquent toute l’année. Le créneau du marketing gratuit pour ce business de la charité est très étroit, il se situe fin novembre ou début décembre, aucune association caritative ne peut se permettre de le rater, car elle sait qu’il lui faudra attendre un an pour une nouvelle promotion. Tant pis si l’épidémiologie en prend un coup, puisque c’est pour la bonne cause. Ne reprochons pas aux grands médias leur manque de rigueur scientifique, ils ne sont pas faits pour cela, ils sont le lieu de la promotion et ils s’en acquittent plutôt bien.

Tout est question de créneau.

Nous y revoilà

19 novembre 2008

Google est un outil extraordinaire qui me permet d’accéder à presque tous les livres de notre patrimoine culturel. Merci. Hélas Google gagne beaucoup d’argent, la pire des malédictions pour les génies. L’argent corrompt tout, nous le savions déjà, aujourd’hui, nous savons qu’il finit par cannibaliser ses propres géniteurs.

Google vient d’investir beaucoup d’argent dans une start-up qui se propose d’étudier l’ADN de chacun de ses clients pour lui fournir une mine d’informations de première importance. Veuillez cracher dans le flacon qui vous est envoyé et vous saurez quel est votre risque individuel pour les maladies les plus redoutables, quelle est la communauté ethnique dont vous êtes le plus proche, quelle est votre proximité avec les célébrités de l’histoire, votre lien généalogique avec Lucy ou Toumaï. Vous pourrez, par échange avec les autres internautes, finir par connaître les caractéristiques socioculturelles de ceux qui vous sont génétiquement le plus proches et la publicité ajoute que vous pourrez vous amuser à comparer vos ADN lors des réunions familiales ou des soirées mondaines… Un jeu dont je vous laisse imaginer la folle excitation…

Rien n’a été négligé, jusqu’au dollar en dessous de la centaine, comme dans les boutiques de prêt à porter, le coût de l’opération est de 399 dollars. Bien évidemment, tout est fait de façon éthique, puisque cette société à signé l’acte génétique de non discrimination et s’engage au secret de l’information. L’un des buts affichés, est de faire progresser la recherche scientifique. Nul ne pouvait en douter.

Nous ne dirons pas que cette start-up a été fondée par l’épouse d’un des fondateurs de Google, car ce serait mesquin. En ce qui concerne le gène de la mesquinerie, je suis homozygote, puisque j’ai le phénotype qui fait dire ce que l’on prétend ne pas dire.

Nous y revoilà donc, après Darwin, quelques fanatiques, en mariant la sociologie avec le « tout sélection » avaient inventé le fort mal nommé « darwinisme social » qui a débouché sur les génocides du XX° siècle. Que nous donnera le XXI° siècle avec le mariage du web et du « tout génétique » ?

Une seule bonne note, la touche d’humour – les fondateurs l’ont-ils voulue – dans le nom de cette société « 23andme. » J’y vois la recherche de ma paire à moi en plus des 23 paires de chromosomes de tout le monde. Paire de quoi ? Cela reste à définir. J’aurai bien aimé aussi « KnockIsBack » puisque tous les internautes qui mordront à l’hameçon ne seront plus des malades qui s’ignorent mais deviendront de vrais malades.

Il me restait l’espoir qu’Obama, craignant le risque potentiel de discrimination, y mette un terme, mais j’avais oublié qu’en plus d’être le premier président noir, il est le premier président internet !

Décidément, le monde est trop complexe pour un malade ignorant comme moi !

Légiférer sur le vivant est arbitraire

12 octobre 2008

Entre le plus petit des homo sapiens (120 cm) et le plus grand (240 cm), le rapport est de deux. Entre le plus léger et le plus lourd, le rapport est de 8. Entre le plus rapide et le plus lent, il est environ de 10. Nous pourrions estimer d’autres rapports entre personnes sans handicap, par exemple 15 pour le saut en hauteur et 20 pour l’haltérophilie, et à l’avenant pour toutes les performances physiques.

Quant aux capacités sensorielles, mnésiques, cognitives, oniriques, créatrices ou affectives il est évidemment difficile de les chiffrer, car les instruments et leurs mesures sont toujours contestables. Mais au vu des ratios physiques sus mentionnés, il semble difficile ici d’en imaginer un seul qui soit supérieur à 30. Le XX° siècle qui a tenté des évaluations pseudo-scientifiques en ces domaines ayant conduit aux horreurs totalitaires que l’on sait, il ne nous reste donc plus que la législation pour décréter, par exemple, qu’aucun homme ne peut en valoir plus de trente fois un autre.

Cette loi ne serait ni plus ni moins arbitraire, ni plus ni moins contestable que toutes celles qui concernent le vivant… Dire que la vie embryonnaire laisse place à la vie fœtale à huit ou douze semaines est un postulat n’ayant d’utilité que pour les lois sur l’IVG. Décider qu’un fœtus de moins de 180 jours ne peut être déclaré à l’état civil relève d’un sens que certains ne trouveront pas être le bon sens. L’âge de la majorité sexuelle, le taux d’alcoolémie compatible avec la vigilance ou encore l’hétérosexualité obligatoire du couple parental semblent désormais ne devoir relever que de décrets ou de lois… A ma connaissance, malgré le caractère toujours arbitraire des ces lois sur le vivant, toutes les nations qui en ont promulgué s’enorgueillissent aujourd’hui de leur œuvre civilisatrice.

Voilà pourquoi je suis surpris par les cris d’effraie que poussent les présidents lorsqu’on leur suggère de légiférer sur la valeur salariale des hommes. Qui pourrait être choqué par un ratio à trente de cette valeur, empêchant tout footballeur, PDG ou comédien d’avoir un revenu annuel (primes et options comprises) dépassant trente fois le SMIC. L’argent serait-il devenu, pour le législateur, plus tabou que le sexe, l’alcool ou la vie embryonnaire ?

Quant aux financiers qui s’alarment de lois qui risquent d’être contre-productives, leur langue de bois ne peut ignorer que toute législation nouvelle entraîne inévitablement sa marge d’hérésies temporaires.

Ce ratio arbitraire de 30 pour la valeur des hommes, en plus de sa valeur morale, pourrait avoir une certaine valeur esthétique, car il siérait au plus grand nombre. Il faudrait cependant s’abstenir d’y adjoindre des valeurs inverses pour incompétence, car le rapport entre le coût de l’incompétence du PDG et celle du cheminot ou du mineur de fond est si élevé que l’établir serait inélégant et franchement inesthétique.

L’oncle Sam est malade

24 septembre 2008

L’actualité nous oblige à constater que la finance américaine dirige toute la finance mondiale puisque le collapsus d’une seule banque de New York semble pouvoir ébranler durablement non seulement la finance virtuelle du monde mais aussi son économie réelle.

Force est de le constater également, en matière de médecine, toute information en provenance des Etats-Unis impose un respect immédiat à notre communauté scientifique avant même d’avoir été lue. Il suffit de prononcer des bribes de phrase telles que « une étude américaine le démontre… », « c’est publié sur le JAMA… » pour qu’un garde à vous moral accompagne les mots qui suivront.

Il me paraît assez logique que les économistes et financiers scrutent les éternuement de l’Oncle Sam, car, nul n’en peut douter, ce pays reste bien la première puissance économique mondiale avec le meilleur PIB par habitant de tous les pays (exception faite du Luxembourg et de quelques autres paradis artificiels.)

En ce qui concerne la médecine, notre admiration me paraît plus étonnante, car tous les indicateurs sanitaires placent les Etats-Unis à une place très modeste dans les classements mondiaux. Pour les deux plus importants : la mortalité infantile et l’espérance de vie à la naissance, les Etats-Unis n’arrivent respectivement qu’à la 40ème et 45ème place, et à l’avenant pour les autres indicateurs.

Que faut-il conclure de cet étonnant paradoxe ? Ma naïveté intellectuelle, déjà fortement ébranlée par le fait de l’avoir relevé, m’interdit bien de tirer une quelconque conclusion. Je peux tout au plus me permettre de suggérer timidement quelques pistes parmi lesquelles chacun pourra choisir celle qui lui convient :

– La pertinence intellectuelle des publications a peu d’impact sur la pratique médicale.

– La masse financière du marché de la santé est sans relation avec les indicateurs de santé publique.

– Le niveau de santé d’une population dépend moins de la médecine que de l’action sociale

– Au-delà d’un certain niveau de richesse d’un pays, le bonheur sanitaire individuel de ses habitants décroît.

– La médecine basée sur les preuves et ses comités de lecture ont perdu le contact avec la réalité du terrain.

– Les praticiens et leurs universitaires, en tant qu’hommes, ne sont pas moins que les autres attirés par ce qui brille.

La liste est certainement bien plus longue. Chacune de ses assertions est grossière et contestable. Il n’y a qu’en terme de médecine basée sur les preuves qu’elles peuvent redevenir toutes pertinentes, puisque cette médecine là est basée sur les chiffres, et c’est bien exclusivement de chiffres dont j’ai voulu parler ici.

Luc Perino

La nutritioniste

18 juin 2008

Tout seul, je n’aurai jamais osé le dire comme cela. C’est injuste et politiquement incorrect. Et puis en y réfléchissant, je me dis qu’elle a peut-être raison. C’est une femme, elle est nutritionniste, elle est compétente et très connue dans notre région. L’obésité des enfants était notre sujet de formation médicale continue de la soirée. Lorsque je lui ai demandé quelle en était la première cause, elle a répondu sans hésitation : « le travail des femmes ».

Je n’aurai jamais osé.

Puis elle a développé… Les femmes n’ont pas le temps, elles posent les enfants à l’école en voiture en partant au travail, elles les laissent devant la télé, elles passent leurs envies de sucreries pour remplacer leur suave présence, elles culpabilisent, et compensant en gavant leurs enfants.

Elle avait raison, cependant, elle avait fait une grosse lacune en oubliant de parler du père qui fait exactement les mêmes erreurs. Cela me prouvait déjà la prédisposition innée des mères à la culpabilité, donc leur prétention naturelle à la maternité, voire exclusive à la parentalité.

Il nous restait à débattre. Du côté des enfants, tout est vrai, sucres, télé, grignotages et sédentarité sont bien les responsables de la décadence graisseuse. Côté parents, les avis ont divergé. Les extrémistes voulaient visser les femmes à la maison, avec ou sans voile. Les socialistes voulaient un salaire de mère au foyer, ce qui revient au même. Les autoritaires voulaient casser les télévisions. Les écologistes voulaient faire exploser les MacDonald et les usines à grignotis. Certains proposaient l’éducation sanitaire de masse, bonne idée, mais il fallait la télévision…

J’étais perplexe. Avec mon machisme latin résiduel, je suis un défenseur de l’emploi des femmes, car je les trouve encore plus belles quand elles travaillent. Avec ma pédiatrie impénitente, je suis pour un minimum de six mois à un an de présence de la mère auprès du nouveau-né, pour le sein et pour la suavité. Avec ma faible culpabilité de père, j’ai encore de la place pour héberger une partie de celle de la mère. Avec mon moralisme médical, je suis vraiment opposé à la sédentarité sous toutes ses formes.

Alors, il m’est venu une idée, de celles que l’on n’ose pas dire, simpliste, fruste, utopique.

Et si tout le monde allait à l’école et au boulot à pied. Ça ferait un nombre considérable de mains pour aider les enfants à traverser les rues.

Des rues sans voitures.

En tout cas, dire brutalement ce que la nutritionniste a dit au sujet des mères. Je n’aurai jamais osé.

De l’utilité inattendue de l’homéopathie !

18 juin 2008

De l’utilité inattendue de l’homéopathie ! Allopathe et clinicien traditionnel, conscient depuis toujours de l’inefficacité tant pharmacologique que physiologique de l’homéopathie, j’ai cependant acquis la conviction du caractère indispensable de cette pratique médicale, pour plusieurs raisons : sanitaires, économiques et expérimentales. La méta analyse récemment publiée dans « The lancet » et démontant l’homéopathie, est très instructive. Ces méta-analyses sont souvent pertinentes, car elles relativisent les résultats des essais cliniques, corrigent leurs nombreux biais et parfois (pas toujours hélas) mettent le doigt sur la partialité de leurs financeurs. Celle-ci conclue, fort logiquement, à l’égalité d’effets entre le placebo et l’homéopathie. Paradoxalement, pour la rigueur des essais cliniques, la granule homéopathique possède un réel avantage, car elle est logiquement dépourvue de tout effet secondaire. Le patient n’ayant aucun moyen de deviner s’il prend le placebo ou la granule, permet une application correcte de l’indispensable principe dit du « double-aveugle ». Ce point est capital si l’on sait qu’une autre méta-analyse publiée dans une autre revue prestigieuse conclue à l’absence de contrôle du double-aveugle dans 98% des essais cliniques dits « sérieux » * . Ainsi, seuls 2% des essais cliniques de médicaments allopathiques en double-aveugle contre placebo sont scientifiquement recevables ! Enfin, les médicaments dits « allopathiques », dont l’effet bénéfique est largement supérieur aux effets secondaires sont très rares et nous pouvons aisément citer leur quasi-totalité : insuline, vaccins, anticoagulants, neuroleptiques, antibiotiques et morphine.

Le scientifique « soignant » et porteur d’un réel « projet » sanitaire doit donc éviter la prescription des autres médicaments allopathiques pour les innombrables pathologies encore « indéterminées ». Ce scientifique là est bien conscient des carences de la médecine moderne dans le soin personnalisé et il ne peut qu’encourager les médecines complémentaires sans s’agacer inutilement de la présence de médiateurs symboliques (granules, aiguilles, gélules colorées, hosties, chimies ou prières) apparemment indissociables du fait humain.

Luc Perino

* Fergusson D et coll. British Medical Journal, 2004 ; 328 : 432-434