Souvenirs de Médiator

19 novembre 2010

Le laboratoire Servier a toujours été un brillant marginal. Je me souviens que c’est le seul laboratoire qui m’a offert un livre écrit par son patron, Jacques Servier, un homme de conviction. Le titre du livre était : Le médicament, inventer ou mourir.  

Le laboratoire Servier se positionnait franchement comme un laboratoire de recherche et d’innovation. Cette image était un point fort de sa stratégie marketing. En cela, il ne différait pas des autres, mais il le faisait avec un petit côté franchouillard qui n’était pas pour me déplaire. J’avoue avoir, moi aussi, une certaine tendance cocorico.

Servier, c’était bien évidemment le gliclazide alias Diamicron®. Quel généraliste n’en a pas prescrit des tonnes ? On l’opposait volontiers au glibenclamide alias Daonil®. Il y avait une tendance qui faisait du Diamicron le sulfamide hypoglycémiant des généralistes et du Daonil celui des spécialistes. Ce genre de subtilités sans véritable base scientifique est difficile à interpréter. Il résulte probablement du marketing. Les mini-jupes des visiteuses Servier auraient-elles eu plus d’impact sur les généralistes que sur leurs éminents confrères ? Il ne me plaît guère de l’admettre. Les omnipraticiens étaient-ils plus patriotes tandis que l’atlantisme scientifique gagnait déjà les spécialistes qui ne pouvaient décemment pas prescrire une molécule à la fois gauloise et généraliste ? Je n’en sais rien, mais à défaut d’être logique, c’était intéressant à décrypter.

Servier, c’était aussi le Daflon® sur lequel, bien évidemment, je n’ai rien à dire.

Servier c’était aussi, hélas, l’interminable déclinaison des dérivés amphétaminiques, Pondéral® et Isoméride®, entre autres, sur le marché juteux de l’obésité qui montre régulièrement sa propension à passer brutalement de la gloire à la déchéance. Je regrette encore les quelques boîtes de Pondéral® que j’ai prescrit dans ma fougueuse jeunesse. Le récent retrait du Sibutral et de bien d’autres à venir, oblige à se poser définitivement la question du curatif en matière d’obésité. La physiologie nous signifierait-elle ainsi certains domaines où seul le préventif aurait droit de cité ?

Servier c’est aussi le Mediator® dont on parle beaucoup en ce moment. Si je cède, à mon tour, au panurgisme – qui n’est pas mon plus gros défaut – ce n’est pas pour tirer sur l’ambulance, mais en raison de souvenirs précis autour de ce désormais bien triste benfluorex.

Je commençais par être quelque-peu agacé par les méthodes de promotion de nos chers laboratoires, en particulier, je n’appréciais pas la fâcheuse habitude qu’avait pris Servier de toujours présenter des médicaments hors-catégorie. Chaque molécule n’appartenait à aucune classe déjà connue et inaugurait un groupe original. Quelle surprenante créativité ! Mediator était de ceux-là : ni sulfamide, ni biguanide, il était proposé dans le diabète de type 2. Je disposais déjà du Glucophage® et du Diamicron® (précisément) pour une pathologie qui ne me paraissait pas justiciable de l’engouement curatif international qu’elle continue de susciter. On a proposé bien d’autres classes thérapeutiques depuis, dont l’Avandia®, avec les nouveaux déboires que nous savons. Tout cela pour de fort maigres résultats, en termes de gain de vie[1], et pour une pathologie qui mérite d’être redéfinie[2].

Bref, j’avais provisoirement banni le Mediator de mes prescriptions. Ce bannissement est devenu définitif lorsque les indications de cette molécule ont, subrepticement d’abord, puis franchement ensuite, basculé vers l’obésité. Non pas que je néglige mes patients obèses, bien au contraire, je refuse d’ajouter un fardeau à celui qu’ils ont déjà à porter. Ainsi, la mollesse des hasards et la rigidité de mes principes ont réussi à m’épargner toute prescription de Mediator. C’est la vraie vérité. Pas un seul petit comprimé.

Pardonnez cette fierté dérisoire. Lorsque, comme tous mes confrères, je ressasse mes fautes, mes négligences et mes erreurs, dont certaines ont peut-être été des pertes de chances ou de vie, il est si bon de pouvoir s’extraire avec certitude d’une nouvelle culpabilité de la médecine.

Je souhaite de tout mon cœur que la liste des morts du Mediator n’augmente pas. Je compatis aux problèmes majeurs que doit affronter le personnel du laboratoire Servier. Je regrette pour eux qu’ils aient eu un ministère laxiste qui n’a pas su les arrêter à temps. Nous savons depuis bien longtemps qu’un marchand ne sait jamais s’arrêter tout seul, il faut l’aider. D’autres pays d’Europe ont réagi bien avant.  La franchouillardise, la peur d’augmenter le chômage ou de diminuer le PIB sont de vraies qualités jusqu’au moment de l’aveuglement qui les transforme en défaut.


[1] Boussageon R., Boissel J.P. Le traitement pharmacologique du diabète de type 2. Médecine. 2009 ; 5(10) : 443-8.

[2] Luc Perino. Diabète de type 2, une aberration nosographique. Médecine. 2010. 6(7) : 331-3.

Cancers : le slogan est grossier.

4 novembre 2010

Toutes les campagnes incitant au dépistage des cancers répètent invariablement la même phrase. Chaque nouvelle découverte diagnostique ou thérapeutique en cancérologie est inévitablement encadrée par cette phrase : « 90% des cancers dépistés tôt guérissent ». Véritable « slogan » qui semble devoir résumer toute la communication autour de ce grave problème de santé individuelle et publique.

Cela est à la fois une vérité absolue et une déconcertante stupidité. Pour rendre ces deux assertions compatibles, il suffit de définir les mots et les concepts.

Qu’est-ce qu’un cancer ? Dans l’acception actuelle, un cancer est une tumeur qui évolue irrémédiablement vers la métastase et la mort. Peu importe que ce cancer soit clinique ou infra-clinique, c’est-à-dire perçu ou non par le patient. Le consensus actuel ne fait aucune différence entre un cancer dépisté et un cancer diagnostiqué.

Qu’est-ce que la guérison d’un cancer ? Ministères et spécialistes affirment d’un commun accord qu’un cancer est guéri lorsqu’en l’absence de récidive, le patient est vivant cinq ans après la découverte de la tumeur.

Ces deux définitions étant les piliers du paradigme, la phrase des 90% est exacte. On peut se permettre d’en faire un slogan et de le faire courir sur toutes les ondes sans risque d’être accusé de mensonge. Tout est pour le mieux.

Permettez-moi cependant de poursuivre…

Choisissons comme définition de la stérilité : une femme qui atteint l’âge de trente ans sans avoir eu d’enfants. Sur cette base terminologique, une femme qui a un enfant à l’âge de trente-deux est une femme stérile qui a eu un enfant. C’est absolument stupide, je le concède. C’est pourtant très exactement, et sans nuance, ce qui se passe en cancérologie.

Si une tumeur infraclinique, découverte par dépistage, est supposée apparaître cliniquement dans dix ans et vous tuer dans vingt ans, vous serez guéri cinq ans avant d’être cliniquement malade et quinze ans avant d’en mourir. Et si cette tumeur microscopique ne doit jamais évoluer ni vous tuer, vous en serez tout de même guéri et j’en suis ravi pour vous.

Pardon, je n’ai pas vraiment envie de plaisanter sur un sujet aussi dramatique, cependant, dans les deux cas, votre diagnostic et votre guérison seront comptabilisés de la même façon !

Etonnant, non !

La rigueur scientifique devrait commencer par définir le cancer et sa guérison. Un slogan pour inciter au dépistage relève de bons sentiments, pas de la science, sauf si le dépistage de masse fait la preuve de son efficacité. Hélas, les publications sont de plus en plus nombreuses pour dénoncer la très faible rentabilité en QALY[1] des dépistages de masse – je dis bien de masse – que plusieurs pays abandonnent. [2]

Les voies de recherche en cancérologie ne manquent pas. L’énorme affect qui entoure ce sujet en fait naturellement une cible politique et commerciale de premier plan. Alors, pour n’être jamais suspect de démagogie ni de vénalité, préférons la rigueur terminologique à une compassion vaine et désordonnée.

Ne prenons pas le risque majeur d’être contre-productifs. Souvenons-nous d’un excès de promotion vaccinale contre la grippe dont les premiers résultats néfatses apparaissent déjà en diminuant la couverture vaccinale d’autres vaccins très utiles.


[1] Quality adjusted life year. Ce qui signifie en bon français : années-qualité de vie gagnées.

[2] On trouvera une riche bibliographie dans : L. Perino. Il est urgent de repenser la cancérologie. Médecine, Vol 6, N° 4, 2010, p 170-174 et N° 5, p 228-232.

Médecine contre indicateurs sanitaires.

25 octobre 2010

Les indicateurs sanitaires sont les instruments de la science épidémiologique. Ils sont utiles pour évaluer une action sanitaire au niveau national ou mondial. Le grand public en connaît un certain nombre comme le taux de fécondité ou de mortalité. Les médecins utilisent souvent les notions de prévalence et d’incidence d’une maladie. Certains indicateurs tels que l’espérance de vie à la naissance ou la mortalité néo-natale ont également une dimension politique pour les nations. On découvre par exemple que la Suisse, le Japon et la France sont bien classés pour ces indicateurs, alors que les USA sont à la traîne. Même si cela pèse moins que la puissance militaire ou économique dans les négociations internationales, l’aspect éthique et moral de ces indicateurs leur confère une petite valeur géopolitique. Les premiers de la classe ont toujours une certaine fierté à le faire savoir.

Plusieurs publications récentes obligent à reconsidérer la promotion de ces indicateurs sanitaires. Après césarienne, par exemple, le risque plus élevé de mort d’un second enfant[1] ou la mortalité maternelle multipliée par trois[2]. La mortalité néo-natale plus élevée après une fécondation in vitro (FIV) avec injection de spermatozoïde dans l’ovule (ICSI)[3]. Les malformations néo-natales augmentées par le traitement de l’infertilité[4]. Sans parler des multiples études sur les handicaps désormais bien connus liés à la grande prématurité.

Il n’est évidemment pas question d’amoindrir ces progrès de la médecine qui ont permis d’offrir des enfants à des couples stériles ou plus simplement de permettre la vie à des nouveau-nés fragiles.

Mais force est de constater que ces même progrès médicaux deviennent un facteur de détérioration des indicateurs sanitaires, tout particulièrement en ce qui concerne la mortalité néo-natale.

En plus du paradoxe d’une médecine qui participe elle-même à faire baisser sa note, la question risque de se poser bientôt en termes géopolitiques…

Faudra-t-il faire la promotion de notre médecine ou de nos indicateurs sanitaires ?


[1] Smith G et coll. Caesarean section and risk of unexplained stillbirth in subséquent pregnancy. Lancet 2003, 362, p 1779-84.

[2] Deneux-Tharaux C et coll. Postpartum Maternal Mortality and Cesarean Delivery. Obstet Gynecol, 2006,108, p 541-548.

[3] Wisborg K et coll. IVF and stillbirth: a prospective follow-up study. Hum Reprod, 2010, 25, p 1312-6.

[4] Zhu JL et coll. : “Infertility, infertility treatment, and congenital malformations : Danish national birth cohort.” Br Med J 2006; 355: 679-81.

Contraception : où est passé le mode d’emploi ?

30 septembre 2010

 Depuis l’introduction de la pilule, dans les années soixante, notre pays fait partie de ceux où l’utilisation de la contraception est la plus répandue. Les moyens contraceptifs se sont multipliés, stérilets, implants, anneaux vaginaux, préservatif, patchs, pilules du lendemain et du surlendemain, de nombreuses méthodes sont désormais proposées et facilement disponibles.

L’avortement n’étant ni médicalement ni psychologiquement anodin, le principal avantage médical attendu de ces différentes méthodes contraceptives était de pouvoir diminuer le nombre d’avortements clandestins dans un premier temps, puis le nombre d’IVG après leur légalisation.

Or, la situation est paradoxale. Nous constatons que le nombre annuel d’IVG ne diminue pas depuis des décennies. Il est environ de 200 000 par an dont presque 20 000 avant l’âge de 18 ans. Il y a une IVG pour trois naissances. Presque la moitié des femmes (45%) ont une IVG dans leur vie. Une grossesse sur trois est imprévue dont deux tiers chez des femmes sous contraception.

Ces chiffres donnent le vertige et soulignent une situation paradoxale et assez difficile à comprendre.

Il est probable que la libération des mœurs n’est qu’apparente : aborder le problème de la conception reste délicat. Par ailleurs, la mauvaise utilisation des différentes méthodes est responsable de la majorité des échecs.

Situation qui souligne l’illusion de certains progrès et la nécessité d’une harmonisation avec la culture.

Aucune avancée technologique ou biologique n’en est réellement une sans l’éducation correspondante.

Recrues obèses

15 septembre 2010

L’armée américaine se trouve confrontée à un problème nouveau et insolite.

Le taux très élevé d’obésité des jeunes hommes diminue fortement le nombre de recrues potentielles. Les standards pondéraux des militaires ne sont plus adaptés à la réalité de la population.

Voilà que le « way of life » pour lequel les américains se sont battus sur tous les fronts dans le monde entier est devenu le facteur d’une possible limitation de leur puissance militaire.

Le problème est d’autant plus crucial que les soldats sont le plus souvent issus de classes défavorisées, celles précisément où l’obésité fait des ravages.

Plusieurs solutions sont envisageables pour remédier à ce problème…

Faire maigrir les pauvres serait une remise en question fondamentale de tout le système du marketing, de la consommation et de la culture outre-Atlantique.

Recruter parmi les classes plus aisées serait un choix difficile à mettre en place, car – répétons-le – en Amérique comme ailleurs, la chair à canon est traditionnellement d’origine modeste.

Rectifier à la hausse, les standards pondéraux des recrues risque de pénaliser, voire ridiculiser, l’armée lors des affrontements le plus souvent télévisés.

La solution à terme pourrait être celle d’une diminution du nombre des recrues progressivement remplacées par les drones ou droïdes de toutes sortes. Ceci aurait l’avantage de protéger le « way of life » tout en sauvegardant l’image très télégénique d’une armée hyper technicisée.

L’exportation du modèle américain vers tous les pays agresseurs potentiels afin d’assurer un équilibre pondéral entre les adversaires est un processus en cours, mais dont les résultats sont à beaucoup plus long terme.

L’ultime solution, en cas d’échec de toutes les précédentes, pourrait être une diminution du nombre des batailles…

Devoir de vulgarisation

20 août 2010

Beaucoup de scientifiques pensent que la vulgarisation est une perte de temps et d’efficacité pour la recherche. En plus de l’élitisme qu’elle dissimule, cette idée reçue est doublement fausse.

 Les rares études réalisées sur ce sujet montrent clairement que les chercheurs vulgarisateurs sont aussi les plus productifs et les plus souvent cités par leurs pairs. (1)

De plus, les processus cognitifs obligeant à reformuler son savoir afin d’être mieux compris par le profane, sont très bénéfiques par leur effet rétroactif sur l’organisation générale de ce savoir. Ainsi, la pédagogie n’est pas seulement un luxe ou une faculté, elle fait partie intégrante de l’organisation globale des processus mentaux qui régissent un domaine de compétence. (2)

La vulgarisation est donc doublement bénéfique pour le chercheur lui-même.

 Enfin, bien évidemment, la vulgarisation scientifique est utile à la nation puisqu’elle peut susciter des vocations, au même titre que le fait une brillante équipe de football dans une ville.

Enfin et surtout, la vulgarisation est un devoir citoyen, car il en est des populations comme de tout objet soumis à la gravitation : quand on le tire vers le haut, il monte, et quand on le lâche, il tombe.

 Pour toutes ces raisons, le ministère devrait également évaluer les chercheurs et les laboratoires sur la qualité et l’efficacité de leur vulgarisation. Pour l’instant, les astronomes ont la médaille d’or tandis que biologistes, chimistes et médecins sont à la traîne. 

(1) P. Jensen, La recherche, N° 407, Avril 2007, p 20-21

(2) Saczynski JS et coll. Am. J. Epidemiol. 2006, 163, p 433-40.

LUCA et le Big Bang

8 août 2010

Depuis Galilée, qui avait tant agacé nos papes, la vulgarisation de l’astronomie a fait florès. Faites un test vous-mêmes auprès de vos amis ou patients en posant des questions simples. Le Big Bang, par exemple, a un taux de pénétration de plus de 99% dans la population. Il n’est plus un seul adulte qui ne sache grossièrement exposer de quoi il s’agit.

Un concept équivalent à celui du big-bang a vu le jour en biologie depuis la découverte des lois de l’évolution, il s’agit de LUCA.

Le modèle scientifique actuel des lois biologiques, malgré son ancrage conceptuel encore plus solide que le modèle astrophysique n’a pourtant pas réussi sa vulgarisation.

Faites la même expérience avec vos amis ou confrères au sujet de LUCA et vous verrez leur bouche béer comme, possiblement, la vôtre à la lecture de ces lignes.

LUCA est le sigle de (Last Universal Common Ancestor) qui correspond à la cellule procaryote définie comme l’ancêtre commun de toutes les formes de vie actuelles, selon le modèle évolutif admis par tous les chercheurs. Sa définition est à la fois aussi précise et aussi imprécise que celle du Big-Bang.

La question qui se pose alors est celle de la persistance d’un tel fossé entre la connaissance biologique et sa vulgarisation. Certes, il y a bien deux siècles d’écart entre l’astronomie moderne et la biologie moderne, cependant le Big Bang n’a qu’un demi-siècle alors que LUCA avait déjà été clairement évoqué dans la « soupe primitive » de Darwin il y a 150 ans.

La raison essentielle relève d’une intimité sommaire. La biologie nous concerne trop directement. Nos individualités acceptent volontiers l’idée d’un ancêtre commun à toutes nos étoiles, mais rechignent à partager un ancêtre avec un voisin, un bédouin, une fourmi ou une asperge.

En médecine où l’intimité biologique n’a plus rien de sommaire, le fossé devient insondable. Celui qui essaie de faire de la vulgarisation médicale en mesure chaque jour toute l’importance.

Au travail.

Le sens des retours et la maladie d’Alzheimer.

25 juillet 2010

Chaque été, lorsque la France vadrouille et que se taisent les législateurs et les syndicats, l’information continue avec ses deux marronniers de vacances que sont la météo et le trafic routier. Nous entendons, sans surprise, qu’il pleut en Bretagne et qu’il fait beau en Corse. Nous apprenons aussi, par exemple, que les routes sont dégagées dans le sens des départs et qu’elles sont embouteillées dans le sens des retours.

Les cinquante millions de français qui n’habitent pas en Île de France, sont habitués depuis longtemps à la gymnastique cérébrale consistant à situer leur ville sur l’un des grands axes de migrations traditionnels vus par un informateur parisien : Paris-Océan, Paris-Alpes ou Paris-Allemagne pour le sens des départs, ou bien Méditerranée-Paris, Pyrénées-Paris ou Auvergne-Paris pour le sens des retours.

Les Toulousains, les Nantais et les Lyonnais peuvent alors grossièrement évaluer quelle part de ces perturbations qui leur revient de droit.

Cependant, l’exercice n’est pas anodin, il nécessite au préalable une représentation cérébrale de la carte de France sur laquelle le raisonnement sera souvent inversé. Cette mentalisation obligatoire est un atout non-négligeable pour les habitants des régions, car chaque entraînement cognitif retarde quelque peu l’apparition de la maladie d’Alzheimer.

Réjouissons-nous donc de cet égocentrisme parisien, comme il faut nous réjouir aussi que la langue française s’éloigne définitivement de son élection comme idiome international, car cela nous oblige à manier au moins deux langues pour survivre dans le monde moderne. Réjouissons-nous aussi que l’Europe n’ait pas encore réussi à éradiquer les microbes de nos fromages qui nous protègent un peu des allergies et des maladies auto-immunes.

Bref, tout ce qui nous éloigne des uniformisations culturelles, des centralismes rassis et des hygiénismes administratifs est bon pour notre santé.

La mort dans le PIB

2 juillet 2010

D’après le CNPS, la santé représente 11% du PIB. Diverses études de caisses d’assurance évaluent entre 10% et 15% la part des dépenses de santé concernent la dernière année de vie pour des actions thérapeutiques dont le bénéfice s’évalue en mois, voire jours, de survie de qualité médiocre.

Ce serait une manipulation perverse de rapprocher, sans plus de précisions, ces deux chiffres qui soulèvent deux questions fondamentales. Est-il logique de se consacrer énergiquement à la gestion de la dernière année de vie de nos patients ? Est-il logique de lui consacrer une telle part du PIB ?

À la première question, la réponse est évidemment oui.

La deuxième question ne doit pas être posée sous cette forme fermée (oui/non), car nul n’y répondra de la sorte. Les industriels de la santé et les proches des patients ne verraient pas d’inconvénient à y consacrer 50% du PIB, en arguant que la cause est noble et que l’affection des siens n’a pas de prix. Ce qui est d’une ridicule évidence. Les médecins et soignants qui consacreraient volontiers 90% du PIB à la santé, seraient probablement plus modérés quant à la répartition du budget entre les différents âges de la vie. Ils parleraient aussi de protection maternelle et infantile, d’éducation sanitaire, de prévention, etc. Enfin, nous serions sans doute surpris d’apprendre que les patients concernés ne sont pas les plus revendicateurs quant à l’augmentation de la part de PIB dans la gestion de leurs derniers instants. Dans tous les cas, même IFOP ou SOFRES ne réussiraient pas à obtenir des réponses qui ne soient pas biaisés par l’affect.

Pourtant, il existe déjà au moins deux solutions éthiques à ce dilemme : la loi Leonetti et les soins palliatifs qui représentent de véritables progrès des idées et des mœurs. Sur le terrain, il en va tout autrement : la loi Leonetti est ignorée, voire dissimulée et les unités de soins palliatif ne disposent ni du budget ni du personnel dont disposent chimiothérapies et réanimations  diverses.

Disons le plus simplement : le refus institutionnalisé de l’idée de mort génère des actions inefficaces à un coût déraisonnable et en augmentation régulière sous la pression des acteurs et consommateurs de soin. (Répétons que le résultat objectif de ces dépenses est médiocre, sinon nous n’aurions même pas osé ce sujet.)

Il faut alors poser une question fermée. Est-il souhaitable pour l’avenir d’un pays de consacrer l’essentiel de ses dépenses de santé à la gestion d’un refus illusoire de la mort aux dépens de l’enfance, de la maternité, de la précarité sanitaire ou de l’éducation ?

Si l’on avait le courage d’y répondre, la réponse est évidemment non.

Ce problème est d’autant plus crucial en France que le coût de la protection sociale, qui couvre presque toutes les dépenses de santé, repose sur les salariés et les entrepreneurs qui sont généralement les plus jeunes et les plus indispensables à ce même avenir national.

Le refus de considérer ce problème majeur est une double peine pour les jeunes et pour la nation, car il fragilise l’économie et dégrade la santé publique. L’absence de courage politique et idéologique est le maillon faible de nos riches démocraties. Les ministères confondent volontiers programme et démagogie sanitaire, car leurs électeurs confondent souvent éthique et sensiblerie.

Hépatoscopie pronostique

2 juin 2010

Dans la médecine mésopotamienne, l’hépatoscopie n’avait rien d’un examen anatomo-pathologique. C’était à la fois un art divinatoire pratiqué par les haruspices et un art médical susceptible de donner le pronostic de la maladie du consultant.

Le foie examiné n’était pas celui du patient, mais celui d’un mouton sacrifié pour l’occasion. Le coût de l’opération était assez élevé, puisqu’il fallait payer le mouton, son bourreau et l’haruspice capable de déchiffrer les voies de l’avenir dans les sillons interlobaires du foie.

Une lecture attentive de l’histoire nous apprend deux vérités supplémentaires. L’hépatoscopie était d’autant plus souvent pratiquée que le patient était plus riche et les connaissances anatomiques de l’époque étaient quasi nulles.

La première vérité n’étonnera personne. Chacun sait bien que les riches ont toujours eu l’accès facile au diagnostic et au soin, il semble logique qu’ils aient déjà eu, à cette époque, un meilleur accès au pronostic.

La seconde assertion est plus étonnante. Comment les médecins mésopotamiens qui disposaient de toutes ces entrailles dans un but pronostique, n’en ont pas profité pour étudier l’anatomie qui pouvait avoir un avantage pratique plus immédiat ? Il semble même que l’anatomie du mouton n’ait pas du tout progressé à cette époque, ni même celle de son foie qui était regardé comme un objet symbolique et non comme un organe fonctionnel ?

Aujourd’hui, si nous n’avons pas progressé dans le domaine de la relation commerciale en multipliant toujours les examens chez les patients solvables, osons supposer que nous avons progressé dans la curiosité scientifique et le pragmatisme.

Je veux absolument croire que la multitude et la variété d’examens anatomo-pathologiques pronostiques et préventifs que nous pratiquons, nous font progresser à bonne allure dans la connaissance physiopathologique des cancers et que le niveau sanitaire s’en élève à la hauteur de leur valeur marchande.