La cigarette au cinéma

13 avril 2011

Les producteurs de films ont une obsession budgétaire bien compréhensible. La concurrence est rude, les tournages coûtent cher et le retour sur investissement n’est jamais garanti même avec les réalisateurs les plus talentueux ou les plus racoleurs. Ce septième art est beaucoup plus budgétivore que ses six illustres ancêtres. Cet aspect financier est possiblement l’une des facettes de sa modernité.

En France, le centre national de la cinématographie, alias CNC, est un bailleur public connu pour son action auprès des jeunes producteurs et réalisateurs indépendants. Pour les séniors, les sponsors privés ne manquent pas, mais ils influencent lourdement l’œuvre artistique. La publicité dans une fiction cinématographique est une manœuvre délicate entre la discrétion et la grossièreté académiques. Gros plans sur la marque d’une automobile ou d’une compagnie aérienne, longue séquence sur une région touristique ou un complexe hôtelier, adoration d’un champagne, banalisation d’une bière. Rythme d’une scène calqué sur les ondulations du prêt-à-porter, érotisme confiné dans le bas-nylon ou l’after-shave.   

La cigarette est certainement la meilleure alliée financière du producteur et l’aide la plus précieuse du réalisateur. De quel policier n’a-t-elle pas ponctué la réflexion ? Combien de fois a-t-elle validé une complicité que le dialogue avait mal esquissée ? De quel héros n’a-t-elle pas été la compagne lascive et de quelle héroïne n’a-t-elle pas été le flambeau de la virilité ?  

Après les différentes lois visant à limiter le tabac, on aurait pu craindre que l’industrie du tabac ne règne plus que sur la formule 1. C’eut été mal connaître ses ressources. Le septième art est plus gorgé de tabac qu’il ne l’a jamais été.  

Ne reprochons rien aux romanciers et scénaristes, ils n’ont pas pour vocation de poser les questions éthiques d’une protection sanitaire de leurs jeunes concitoyennes et concitoyens. Cependant, avec l’accroissement des connaissances sur les affres du tabac et l’évolution législative à son endroit, les producteurs et réalisateurs pouvaient craindre que le CNC, cousin ministériel de la santé publique, ne les prive de subsides pour des scénarios où la cigarette serait un personnage majeur.  Il n’en est rien, le CNC et la cigarette semblent devoir faire bon ménage pour longtemps encore. Quels que soient les problèmes sanitaires ou éthiques à venir, il semble bien que les ministères et les industries en soient dédouanés d’avance. Le septième art n’a rien à craindre.

Tant mieux ou tant pis, comme l’on voudra.

Je suis un névropathe électro-dépendant.

25 mars 2011

 Comme pour toutes les addictions, je n’ai pas vu venir celle-ci. Je n’ai pas voulu vraiment y croire. Je suis devenu totalement dépendant de l’électricité…

Un sevrage sera difficile, car mes plaisirs s’émoussent. La jouissance que j’avais à manœuvrer l’interrupteur pour voir jaillir la lumière a disparu. Désormais, pendant que le TGV dévore des ampères, je ne regarde même plus défiler le paysage. Ma radio reste allumée sur des ondes sans fin d’où je n’arrive plus à discerner les fadaises. Mon ordinateur tourne à vide sur les millions de disques du web qui se recopient mutuellement. Je garde des aliments pendant des mois au congélateur alors que les magasins sont à ma porte. Je vais parfois jusqu’à sniffer l’air des climatiseurs. Tout mon ménager est électro, je bricole électro, je jardine électro. Je n’ai même plus d’enfantines fiertés, comme celles des jours où j’avais décidé de ne pas succomber à la tentation du sèche-cheveux ou du souffleur de feuilles mortes. Cette addiction paraît irréversible, car il me faut de plus en plus d’électricité pour des plaisirs de plus en plus sommaires.

Je sais pourtant que chaque année des dizaines de milliers de mineurs meurent en extrayant le charbon pour fabriquer ma drogue. Quand je me promène dans les cimetières proches des barrages alpins, je suis effaré en comptant le nombre de morts pour l’hydroélectricité. Par centaines pour construire les barrages, et ensuite, par dizaines de milliers, lorsque les barrages se rompent. Le pétrole de mes indispensables centrales produit autant de guerres qu’en produisaient les vieilles idéologies dont je me moque si souvent. Il produit des marées encore plus noires que mon obscure avidité.  Il détruit une faune plus réelle que celle de mes rêves d’électromane.

Régulièrement, j’allais à confesse écologique en rapportant tout le plomb, le nickel et le lithium de mes batteries aux prêtres du recyclage. Leur absolution me permettait de recommencer de plus belle, ils ne me parlaient jamais de sevrage. Et mon mal empirait…

Alors que j’envisageais sérieusement une cure de désintoxication, le nucléaire si beau, si propre, m’a brutalement libéré de ma honte. Je pouvais enfin donner libre cours à mes addictions. Mais voilà, qu’au pire de ma déchéance, alors que tout espoir de guérison a disparu, il menace vicieusement mes petits enfants, comme pour  mieux alourdir mon morbide fardeau.  

C’est désormais trop tard. Malgré tous ces morts passés et à venir, je suis définitivement incapable de me sevrer. Je suis un névropathe inconscient, quasi monstrueux…

Seuls ceux qui, comme moi, connaissent les affres de l’addiction pourront vraiment me comprendre…

Après le taylorisme : le prozacisme.

8 mars 2011

Le taylorisme, puis le fordisme ont été les piliers de la productivité et de la consommation. Baisser les coûts de production favorise la consommation, laquelle favorise à son tour la production de masse qui permet de trouver de nouveaux moyens d’améliorer la productivité donc les coûts, ce qui a pour effet de relancer la consommation et de relancer ce processus binaire.

Poursuivons nos simplismes. Cette merveilleuse machinerie fonctionne bien tant que les revendications sociales des salariés se maintiennent à minima et que la production correspond à des besoins considérés comme essentiels. L’accès du salarié à une conscience autre que celle de producteur et de consommateur est une rupture de la binarité qui oblige à rehausser le niveau de la consommation puisque le gain de productivité est ralenti par les exigences salariales.

Le marketing, en rendant indispensables des biens qui ne l’étaient pas, réussit alors à rehausser le niveau de consommation. La conscience de consommateur du salarié redevient supérieure à sa conscience syndicale et sociale et la machine peut alors reprendre son cercle vertueux en sens inverse.

Taylorisme, fordisme et marketing ont bien fonctionné jusqu’à la financiarisation des entreprises. Lorsque le profit est devenu l’objectif prioritaire, dépassant tous les autres plaisirs : celui d’entreprendre, celui de produire des biens, celui de produire des consommateurs et celui de les satisfaire.

On a licencié les salariés sans souci de l’impact de ces licenciements sur le nombre des consommateurs et sur la baisse des demandes. On a cessé des productions non rentables sans souci de la satisfaction des consommateurs.

Le principal effet de la financiarisation des entreprises a été l’augmentation de la dépression au travail. Les licenciements massifs ont ensuite favorisé l’extension de la maladie dépressive aux individus à leur domicile. Puis l’extension faramineuse des profits a creusé les inégalités sociales en généralisant la dépression à toute la société.

La consommation en a un peu pâti, excepté pour des produits comme le Prozac, l’alcool, les drogues, les antidépresseurs divers et autres psychotropes où elle a considérablement augmenté.

Le « prozacisme » pourrait être un nouveau levier pour relancer la machine. Majorer le marketing des psychotropes par la promotion du pessimisme. Continuer à licencier pour avoir un grand nombre de consommateurs de Prozac, mais cependant pas trop, car la solidarité sociale qui rembourse les psychotropes risquerait de crouler et de ne plus servir de carburant à ce nouveau modèle économique.

Cependant, si nous remplaçons la solidarité nationale menacée par le manque de cotisations salariales et patronales, par une solidarité basée sur les fondations privées nées de la démesure des profits devenus inutilisables, la machine pourra alors repartir.

Produire des psychotropes en abondance  au coût le plus bas pour des citoyens licenciés et dépressifs auxquels la nouvelle solidarité privée à la Bill Gates et Warren Buffet pourrait fournir gracieusement les antidépresseurs.

Aucun doute, après le taylorisme et le fordisme, seul le « prozacisme » peut désormais relancer une machine qui n’est plus binaire.

Les césariennes, l’âne et le lion.

28 février 2011

Le nombre de césarienne s’accroît de façon vertigineuse dans le monde. Cette augmentation vient essentiellement de l’augmentation du nombre de césariennes dites de « confort »

Il y a deux ou trois décennies, le pourcentage de césariennes pour raisons médicales était inférieur à 10% des naissances dans tous les pays du monde.

Aujourd’hui, ce taux est de 14% en Suède, de 21% en France, de 28% en Allemagne, de 38% en Italie, de 47% en Chine, de 50% dans certaines régions d’Amérique latine. Le record se situe dans les cliniques privées du Brésil avec un taux de 80% [1] !

Le risque de complications sévères de ces césariennes double si elles sont réalisées à la date prévue de l’accouchement et triple si elles sont réalisées avant.[2]

Le risque de morbidité respiratoire globale et sévère du nouveau-né est multiplié par 2 à 5 selon l’âge de la grossesse.[3]

Le taux de morts nés pour les deuxièmes enfants chez les femmes ayant eu une première césarienne est le double de celui des deuxièmes enfants après un premier né par voie vaginale.[4]

En France, le risque de décès maternel du post-partum se révèle 3 fois plus élevé après césarienne qu’après accouchement vaginal. Dans d’autres pays, 4 fois plus[5].

Tous ces chiffres, largement méconnus du public, donnent le frisson. Nous ne parlons pas ici de l’augmentation de nombreuses autres pathologies chez l’enfant après césarienne ou accouchement déclenché, dont le niveau de preuve est moins élevé que pour les pathologies précédemment citées.

Il est époustouflant de constater que l’anesthésie péridurale n’a rien changé à cette augmentation de demandes de confort, elle l’a au contraire aggravée !

Parmi les facteurs qui favorisent cette inflation de la médicalisation outrancière de l’accouchement, le premier est évidemment la certitude que cette solution est sans risque. Il serait bon de diffuser les informations sur les risques réels et d’informer nos parturientes que la grossesse et l’accouchement ne sont pas des maladies, même si plus personne ne doute de la réelle douleur d’un accouchement. Les autres facteurs sont les publicités dans les journaux féminins et bien évidemment la cupidité des obstétriciens comme en témoignent les chiffres cliniques privées de Chine, d’Italie ou du Brésil.

Seule l’Afrique noire est encore épargnée par ce fléau médical, puisque le taux de césarienne excède rarement 12%.

Tout cela me rappelle ce conte que je tiens d’un vieux sage africain. Un âne et un lion sont devenus amis et se promettent fidélité. Puis un jour le lion, ayant très envie de manger l’âne, lui demande ce que l’on risque si l’on trahit une promesse. L’âne lui dit : « toi tu ne risque rien, mais tes enfants paieront pour toi ». En se précipitant alors pour dévorer l’âne, le lion s’embroche sur un pieu. Pendant son agonie, il dit à l’âne « tu m’as menti, tu m’as dit que ce seraient mes enfants qui paieraient pour ma trahison. »

L’âne lui répond : « tu es peut-être en train de payer pour les fautes de ton père. »

En racontant aujourd’hui cette histoire ailleurs qu’en Afrique, n’oubliez pas de rajouter : « et pour les fautes de ta mère et de son obstétricien ou obstétricienne. »


[1] Torloni MR et coll.: Portrayal of caesarean section in Brazilian women’s magazines: 20 year review
BMJ 2011;342:d276.

[2] Souza J.P. et coll.: Caesarean section without medical indications is associated with an increased risk of adverse short-term maternal outcomes: the 2004-2008 WHO Global Survey on Maternal and Perinatal Health. BMC Medecine 2010; 8: 71.

[3] Hansen A K et coll.: Risk of respiratory morbidity in term infants delivered by elective caesarean section: cohort study. BMJ 200.

[4] Smith G et coll.: Caesarean section and risk of unexplained stillbirth in subséquent pregnancy. Lancet 2003; 362: 1779-84.

[5] Deneux-Tharaux C et coll.: Postpartum Maternal Mortality and Cesarean Delivery.  Obstet Gynecol 2006;108:541-548

Publicité anti-tabac

15 février 2011

Récemment entendu sur un grand média : « la publicité contre le tabac est efficace puisque les ventes de substituts nicotiniques et de médicaments d’aide au sevrage du tabac sont en constante augmentation ».

Cette phrase, présente toutes les caractéristiques de la logique borgne utilisée par le marché, parfois même sans aucun cynisme, hélas !

 La seule façon d’affirmer que la publicité contre le tabac marche serait de constater que les ventes de tabac baissent. Voilà une logique implacable que nulle lapalissade ne saurait surpasser. Cette logique là est inaccessible à des esprits mercatiques, non pas qu’ils soient trop frustes pour la comprendre si on la leur explique bien, mais plus étonnamment parce que l’éventualité d’une baisse des ventes de quoique ce soit, se situe dans la zone aveugle de leur champ cognitif.

 Inversement, nous pouvons affirmer que la publicité pour les produits d’aide au sevrage tabagique marche très bien puisque leurs ventes augmentent régulièrement. Le succès est tel que les différentes marques peuvent s’offrir des publicités coûteuses de promotion de la « tabacologie » dont l’effet est d’augmenter encore les ventes. Ce commerce du sevrage présente le rare privilège de la double vertu. La vertu tacite du profit et la vraie Vertu majuscule des bienfaiteurs de l’humanité. Sans parler de la dimension quasi mystique de cette nouvelle discipline scientifique qu’est la « tabacologie ».

 Personne ne doute que le tabac soit un fléau, y compris les fumeurs eux-mêmes. Tous ignorent que les produits d’aide au sevrage n’ont guère plus que l’efficacité de l’autosuggestion qu’ils induisent, à l’instar de nombreuses substances diverses et variées. Enfin, la plupart ignorent encore les dangers réels des produits d’aide au sevrage tabagique. Pourtant, ils semblent être très nombreux et chaque nouvelle étude en décèle de pires. Nous savons désormais qu’il faudra des décennies pour qu’ils soient retirés du marché, le temps nécessaire au vagabondage du profit. Il ne reste plus qu’à espérer qu’ils ne seront pas plus toxiques que le tabac lui-même ! Aujourd’hui, nous ne le savons pas.

 N’étant pas un gourou anti-tabac, je suis triste de constater que seul le législateur arrive à faire baisser provisoirement la consommation du tabac. L’augmentation du prix ou le bannissement des lieux publics avaient eu quelque effet provisoire, mais les ventes reprennent toujours, car les méthodes de marketing indirect sont aussi inépuisables que les facteurs de risque sanitaire. Il suffit d’aller au cinéma pour y voir nos magnifiques actrices et acteurs fumer ad nauseam

 Je voudrais pouvoir dire aux fumeurs de fumer tranquillement et modérément… Certes ça les tuera tout aussi tranquillement et modérément… Cependant je leur conseille de ne pas ajouter d’inutiles nuisances à celles du tabac. Si un jour, ils arrivent à comprendre l’intérêt de s’arrêter, je suis certain qu’ils se débrouilleront tous seuls comme des grands. Non seulement ils gagneront quelques années de vie, mais ils seront fiers de n’avoir pas été, par deux fois, les jouets du marketing.

Même l’eau !

1 février 2011

L’histoire de la science n’a pas été linéaire, cependant l’historien est dans l’obligation de mentionner les faits qui ont marqué ses progrès plus que ceux qui en ont constitué une régression.

Ce sont souvent les découvertes majeures qui font s’opérer les plus grands reculs, comme si une contre-réaction populaire à des progrès trop rapides finissait par atteindre les scientifiques et les faiseurs d’opinion.

L’un des exemples les plus connus est celui de l’eugénisme prôné par certains scientifiques et mis en œuvre dans certains états pour diminuer la variabilité de notre espèce, juste après que Darwin eût démontré que la variabilité était le moteur essentiel de l’évolution.

L’histoire de l’hygiène offre un exemple étonnant de régression due aux progrès de l’épidémiologie.

Même l’eau, corollaire de la vie, s’est offert les caprices d’une histoire non linéaire !

Alors que les bienfaits des thermes étaient connus depuis l’antiquité, la découverte de la notion de « contagion » comme facteur essentiel de transmission des épidémies entraîna une régression de l’hygiène.

Georges Vigarello rapporte qu’aux XVII° et XVIII° siècles en France, nombreux étaient ceux qui considéraient l’eau comme néfaste pour l’hygiène et la santé !

Elle fragilisait un corps supposé « poreux » et son usage permettait aux agents infectieux de franchir les barrières naturelles de la peau, de s’immiscer au cœur de l’organisme humain, de le déséquilibrer et de l’altérer. Se laver pouvait nuire à la vue, engendrer des maux de dents et des catarrhes, pâlir le visage, le rendre plus vulnérable au froid en hiver et au hâle en été.[1]

Il fallait éviter l’immersion et pour protéger son corps des méfaits de l’eau, il fallait en boucher les pores. Les nourrissons étaient parfois enduits de cendre de moule, de cendre corne de veau ou de cendre de plomb mêlée avec du vin pour obturer leurs pores. L’histoire ne dit pas pourquoi le vin ne traversait pas les pores, ni combien de nourrissons en sont morts.

La toilette sèche était recommandée. L’idéal étant de changer la chemise lorsqu’elle devenait noire, car la blancheur restait un signe de civilité !

L’histoire ne dit pas non plus si la triste réputation des français autour de l’hygiène leur vient de cette époque.

Nous savons aujourd’hui que l’excès d’hygiène est l’un des facteurs du développement des maladies auto-immunes et allergiques.

Faut-il avoir peur de la science ou seulement regretter son mésusage et notre manque de tact et de mesure à son égard ?


[1] Georges Vigarello, Le Propre et le sale, Seuil, 1985

Effets secondaires des médicaments et baisse des impôts

15 janvier 2011

Lorsqu’une classe pharmaceutique existe, les nouveaux médicaments qui arrivent sur ce marché sont toujours promus de la même façon : efficacité équivalente ou meilleure avec moins d’effets secondaires que leurs prédécesseurs.

Tous les médicaments d’une même classe ayant la même efficacité ou inefficacité, les promoteurs n’ont pas d’autre choix que de vanter l’innocuité du leur.

Et ça marche toujours, le ministère accepte, une partie du corps médical se jette sur le nouveau venu et les patients font pression pour l’obtenir, par le biais de leurs associations souvent financées par l’industrie.

Puis les années passant, les effets secondaires se révèlent un à un, souvent pires que ceux des anciens médicaments, car la pharmacovigilance était moins vigilante à l’époque des médicaments pionniers.

Dans l’année qui vient, les grandes manœuvres électorales vont commencer, envahissant les médias et ralentissant l’évolution cognitive dans les autres thèmes. Tous les candidats vont proposer plus d’avantages avec moins d’impôts et cela fonctionnera comme depuis l’invention de l’électoralisme.    

On ne voit pas pourquoi les laboratoires pharmaceutiques et les candidats électoraux se priveraient d’une recette qui demande si peu d’investissement industriel et humain avec d’aussi bons résultats.

En pharmacologie, la seule question à poser est celle du rapport bénéfice-risque. Cette notion reste ignorée du public et d’une partie du corps médical. Quel que soit le médicament nouveau promu contre l’obésité, on peut déjà être certain que son rapport bénéfice/risque sera négatif pour des raisons de physiologie primaire.

Une étude britannique indépendante révèle qu’un quart des chimiothérapies anticancéreuses de fin de vie accélèrent le décès des patients et presque la moitié ont des effets indésirables qui diminuent gravement la qualité de cette fin de vie[1].

Aujourd’hui, l’avalanche des problèmes liés aux effets secondaires des médicaments provient du fait que la médecine occidentale, forte de ses succès dans plusieurs pathologies graves, s’est engagée dans le traitement des facteurs de risque pour des motivations allant du moins pire au pire.

Au point de nous faire oublier qu’un facteur de risque n’est pas une maladie. Prendre un anticoagulant pour une arythmie n’est pas la même chose que prendre un comprimé pour une hypercholestérolémie. Dans le premier cas, les bénéfices sont tels qu’ils minimisent la notion de risque, dans le second cas, la question du rapport bénéfices/risques n’est toujours pas tranchée.

Vioxx, Sibutral, Médiator et autres délinquants avaient des indications pour lesquelles la notion du rapport bénéfices/risques reste floue.

Tabagisme, hyperlipidémie, excès de poids ou de sucre sont des facteurs de risque. Il convient d’évaluer pour chacun d’eux le risque du facteur et le risque du traitement, ainsi que le rapport entre traitement et prévention. Ceci ne peut jamais se faire sereinement, en raison de la méthode promotionnelle par saturation.

Nous allons être saturés de politique politicienne jusqu’en avril 2012, le populisme va briller de tous ses feux et la saturation fonctionnera encore…

Quel bonheur que de constater cet optimisme qui veut toujours croire à moins d’impôts et moins d’effets secondaires.


[1] Mort D et coll « For better, for worse ? NCEPOD 2008

Un comprimé contre cent kilos de sucre.

2 janvier 2011

La consommation annuelle de sucre en Europe en 1830 était de 5 kilos par an et par personne. Aujourd’hui elle est de 35 kilos et de 70 aux Etats-Unis.

On dit volontiers qu’Homo Sapiens a un temps de réponse évolutive trop lent par rapport aux changements brutaux de notre environnement et de nos modes de vie.

Pourtant, en ce qui concerne sa capacité à absorber et métaboliser le sucre, l’adaptation évolutive a été excellente et immédiate. Seulement 10 à 20% d’obésité, pour une consommation multipliée par dix en moins de deux siècles, signifie une réactivité adaptative quasi instantanée, à l’échelle de l’évolution, pour 80 à 90% de la population.

 La médecine s’efforce de prendre en compte ces malheureux laissés pour compte de l’adaptation qui n’ont pas disposé des gènes qu’il fallait pour métaboliser l’arrivée massive d’autant de sucres en si peu de temps. Elle a bien raison de le faire, car ils le méritent et c’est son devoir.

Pour cela, elle essaie de fabriquer des comprimés. C’est touchant de candeur et désolant de lucre.

Comment imaginer que des comprimés puissent compenser un échec adaptatif ?

Nous avons d’ailleurs déjà la réponse à cette tentative aberrante puisque tous les médicaments de l’obésité sont retirés du marché un à un en raison de leur balance bénéfice-risque très défavorable. La physiologie crie au secours chaque fois que l’on veut la contraindre à remonter le temps. Chacun sait que l’évolution ne repasse pas les plats (si j’ose m’exprimer ainsi) !

Il y a peut-être une solution à ce problème, mais elle est si parcimonieuse du point de vue cognitif que j’hésite à l’exprimer.

Puisque 70 kilos de sucre par an est une moyenne. Cela signifie que les extrêmes de consommation peuvent varier entre 10 et 130 kilos. Puisque l’obésité ne touche que 15% de la population, il est licite de supposer qu’elle ne concerne que les 15% de ceux qui consomment le plus.

Ainsi, le déficit adaptatif ne se manifesterait qu’au-delà de 100 kilos de sucre par an, par exemple.

Limiter la consommation à 100 kilos pour les adultes et à 50 kilos pour les enfants pourrait être une première mesure de santé publique timide et possiblement efficace.

Les lobbies sucriers ne s’en plaindraient pas trop et il pourrait suffire de diminuer de 20% le nombre de distributeurs de sucreries à la sortie des écoles ou de diminuer de 20% l’apport de sucre dans l’industrie agro-alimentaire. Je parie que le PIB en souffrirait peu. Je sais que le PIB a une importance capitale pour notre santé et, à ce titre, je le respecte autant que je respecte les obèses qui sont les enfants fragiles de nos sociétés.

Ceux qui pourraient s’en plaindre davantage sont les marchands qui s’acoquinent avec quelques savants pour dénoncer les gènes comme seuls responsables de nos maux.

Ceux-là ne manqueront pas de noter que mes propos ont une certaine tendance à culpabiliser les obèses.

C’est vrai, il m’arrive d’oublier que les marchands ont le monopole de la compassion.

Comment avoir du retard ?

19 décembre 2010

–              Docteur, j’ai du retard, m’avait dit cette jeune patiente sénégalaise avec un air triste.

J’hésitais à répondre, car il m’étonnait de constater une déception ou une inquiétude pour un retard de règles chez une jeune femme africaine.

C’est vrai qu’elle était accompagnée de deux enfants de deux et quatre ans et on pouvait imaginer qu’elle souhaitait en rester là, car les temps sont difficiles.

–              Très bien, et de quand datent vos dernières règles, m’enquis-je avec tout le professionnalisme qui convient à ce genre de consultation ?

–              D’hier, je les ai eues hier matin.

–              Excusez-moi, je ne comprends pas. Alors vous n’avez pas de retard.

–              Eh bien si j’ai du retard. J’ai arrêté d’allaiter le dernier depuis plus de trois mois et je ne suis pas encore enceinte.

C’est alors, et alors seulement, que j’ai compris qu’à l’heure de la globalisation, la médecine et le soin resteront toujours les moins exportables des cultures.

Ne martyrisons plus nos obèses

7 décembre 2010

L’obésité est une maladie où la prise en charge risque d’être blessante pour des patients qui vivent une double exclusion. Sociale en tant qu’enfants fragiles de nos nouveaux modes de vie. Médicale en raison de l’échec de toutes les thérapeutiques.

Lorsque l’obésité est définie comme une maladie environnementale, les obèses ont spontanément tendance à se sentir coupables. Nous devons les rassurer sur ce point, car le mode d’alimentation de l’adulte et la sédentarité ne sont qu’une infime part des causes environnementales de cette pathologie. La vie intra-utérine, le mode d’allaitement du nourrisson, l’alimentation de l’enfance, la sédentarité de petite enfance, les inflammations, les infections et les traitements antibiotiques perturbateurs du microbiote intestinal sont des causes environnementales majeures dont ils n’ont pas à assumer la responsabilité.

Cette déculpabilisation, ne règle hélas aucun des problèmes thérapeutiques, puisque le seul moyen d’espérer une amélioration est l’action sur le ratio calorique : diminution des entrées et augmentation des sorties. Ce qui suppose une volonté farouche et aboutit à de nouveaux échecs qui majorent la culpabilité et aggravent inévitablement la maladie. L’obésité est une ignominie morale et un cercle vicieux physique.

Ainsi, lorsque médecins et marchands leur proposent des traitements ou des régimes miracles, les obèses se jettent dessus avec l’avidité du désespoir. Clientèle captive d’un marché qui sait tirer habilement les ficelles de ces pauvres marionnettes.

Mais là n’est pas encore le pire…

La plupart des médicaments qui ont été proposés dans l’obésité se sont révélés non seulement inefficaces, mais aussi très dangereux. Après les retraits du marché du Pléthoryl en 1988, de l’Isoméride et du Pondéral en 1997, du Triacana en 2004 et du Sibutral en 2010, la récente mésaventure Médiator vient nous confirmer une fois de plus la toxicité de ce genre de traitement.

N’en doutons pas, de nouveaux traitements seront proposés et retirés du marché. Il semble pourtant tellement logique qu’une maladie environnementale ne puisse être traitée par un comprimé !

Comme nos patients obèses espèrent toujours un traitement actif en dehors de l’action sur le ratio calorique, ils sont définitivement incapables de refuser, par eux-mêmes, les comprimés que nous leur proposons. Ecoutons alors leur physiologie s’exprimer de plus en plus clairement : chaque nouveau traitement médical est un nouveau coup que nous leur portons.

Il est des  domaines de la médecine où, définitivement, seules la prévention et les règles hygiéno-diététiques ont droit de cité.