Economie d’hier et santé d’aujourd’hui

30 septembre 2011

« Pendant sa grossesse, la future mère ne doit pas se livrer à un travail pénible, ne pas porter de jarretières, de vêtements serrant la taille, mais un corset de grossesse, une ceinture soutenant le bas-ventre, un soutien-gorge. Elle a besoin de grand air, de repos au lit ; elle fera chaque jour une petite promenade. Son alimentation sera abondante : peu de viande ; pas d’épices, de conserves, d’aliments indigestes, de liqueurs, de café ; pas plus d’une bouteille de vin par jour. II faut combattre soigneusement la constipation, mais il ne faut pas de purgations. Dans les derniers mois, pétrir tous les jours les bouts de sein et les laver à l’eau de Cologne. »

Ce texte peut être lu sur les livrets de famille distribués aux jeunes mariés en 1940. Il est signé du Bureau Municipal d’Hygiène de Saint-Etienne.

En 1940, les gestantes pouvaient boire une bouteille de vin par jour avec l’agrément du ministère. Ne sourions pas de ce laxisme sanitaire, car il est inélégant de regarder hier avec les yeux d’aujourd’hui. L’analyse n’en reste pas moins intéressante. Un autre passage de ce même texte précise que 10% des nouveau-nés français mourraient au cours de la première année – quel progrès en un demi siècle ! – et cite parmi les deux causes majeures de ces morts prématurées, les maladies chroniques et l’alcoolisme des parents. Le problème de l’alcoolisme parental avait donc été bien identifié par les autorités sanitaires.

Le texte poursuit : « Tout ce qui éloigne l’enfant de sa mère le met en danger. L’envoyer en nourrice lui fait courir les plus grands risques de mort ou d’infirmités ; il meurt presque dix fois plus de nourrissons séparés de leur mère que d’enfants recevant le lait maternel. » Nous pourrions penser que la nourrice pouvait présenter un avantage en cas d’alcoolisme maternel, mais ce n’était pas le cas, car un peu plus loin, dans le chapitre concernant l’hygiène de la nourrice on peut lire : « Elle ne doit pas boire plus d’une bouteille de vin par jour ; jamais d’alcool, qui passe dans le lait et présente de graves dangers pour l’enfant. »

Nous voyons encore que le problème de l’alcool avait été bien identifié, mais que le vin n’était pas considéré comme de l’alcool. Le vin était, et reste, l’un des fleurons de l’économie française et de sa renommée internationale.

Aujourd’hui comme hier, les problèmes sanitaires sont bien identifiés. Seule leur formulation et leur vulgarisation diffèrent selon l’environnement économique et les besoins du marché. Que cela ne nous empêche pas aujourd’hui d’être certains que le vin est bon pour le système cardio-vasculaire et la bière excellente pour les nourrices.

Quant au tabac, nous avons désormais la certitude qu’il est mauvais pour tout. Comment expliquer avec nos mots d’aujourd’hui que sa consommation augmente considérablement chez les jeunes futures gestantes. Il nous faut attendre d’avoir les mots de demain.

Injustice des diagnostics

5 septembre 2011

Le diagnostic officiel de Jacques Chirac est celui d’anosognosie qui signifie la non reconnaissance par un patient de son état pathologique.

Ce rapport médical ne contient probablement que des vérités, il souffre cependant d’une grave lacune : l’anosognosie n’est pas une maladie mais un symptôme.

Quel que soit son intérêt ou son désintérêt pour l’épistémologie médicale, le professeur qui a officialisé ce diagnostic à l’intention des médias ne peut pas ignorer la différence entre une maladie et un symptôme.

D’après les dires de son entourage, notre ancien président souffre aussi de troubles importants de la mémoire immédiate, il ne reconnait pas les visages familiers (prosopagnosie) et n’est plus en prise avec la réalité (agnosie). Lors de diverses apparitions publiques, il a été facile de constater aussi sa perte des convenances et la levée des inhibitions les plus fondamentales.

Tous ces symptômes réunis chez le même patient ne laissent aucun doute sur le diagnostic réel que la plupart de mes confrères ont fait depuis longtemps.

 Jacques Chirac n’est donc pas atteint d’un symptôme unique au nom ésotérique et médiatique, mais d’une maladie fort courante dont tout médecin peut établir le diagnostic clinique avec certitude.

Il y a certainement des raisons très louables pour lesquelles ses médecins n’ont pas prononcé le nom de la maladie. La première est de ne pas heurter l’entourage qui ne souhaitait pas entendre ce nom, car il est des mots qui aggravent la douleur des proches. La seconde consiste à respecter un illustre personnage en ne l’affublant pas d’un diagnostic que l’on considère comme dévalorisant.

C’est ici qu’il convient de critiquer ce bulletin de santé. Il est en effet insultant pour tous les patients atteints de démence de suggérer un aspect péjoratif de cette pathologie. Cela est également irrespectueux pour la souffrance terrible et bien réelle de leur entourage. Enfin, cela est irrespectueux pour les médecins qui osent nommer et affronter cette terrible réalité avec les familles.

La maladie de Waldenström à laquelle avaient succombé le Shah D’Iran et les présidents Boumediene et Pompidou, avait fini par être assimilée à une maladie de chef d’état.

Le nom de Jacques Chirac ne sera pas ajouté à cette illustre liste, il viendra s’ajouter à celui de Ronald Reagan, Margaret Thatcher ou Annie Girardot.

Il est regrettable de ne pas prononcer le nom de démence vasculaire ou celui de maladie d’Alzheimer qui n’ont ni l’une ni l’autre de relation avec le statut social et les capacités cognitives passées des patients atteints. Ces manipulations grossières embrouillent le peuple et l’éloignent encore plus de la médecine et de la politique.

Le diagnostic ne sera pas le même selon que vous serez puissant ou misérable, on pourra déguiser un symptôme au nom complexe pour en faire une maladie.

Nul ne s’étonnera ensuite que le peuple dénonce une justice ou une médecine à deux vitesses, alors que l’injustice envahit aussi le domaine diagnostique.

Qui détient la médecine

30 août 2011

La médecine a deux buts : prolonger la vie et améliorer sa qualité. Comme pour toute science, la preuve est reine, tout le reste est littérature. Mesurer l’efficacité médicale au niveau d’une population, revient à calculer le nombre d’années de vies gagnées en corrigeant par le facteur de la qualité. De nos jours, seuls des sigles anglophones sont capables de nous fournir une unité de mesure : ce sont les QALY (quality adjusted life years)

Sortons donc notre double-décimètre…

Depuis son instauration, le permis à points a sauvé plus 25000 vies et évité autant de handicaps graves soit environ 2000 vies et 2000 handicaps par an.

L’année même de leur mise en place, les radars routiers ont permis de sauver 3000 vies.

Le tabagisme passif étant responsable d’environ 1% de la mortalité mondiale, plusieurs pays ont mis en place des lois anti-tabac dans les lieux publics. Les premiers résultats concrets de ces mesures surprennent tous les analystes. Entre 1500 et 2000 vies sauvées dès la première année en Angleterre, comme en France et une baisse moyenne de 15% des hospitalisations pour accident cardiaques dans tous les pays étudiés.

Les résultats du dépistage du cancer du sein sont plus difficiles à établir avec précision en raison de la multitude des paramètres à prendre en compte. Les statistiques les plus optimistes font état de quelques centaines de vie épargnées chaque année. Le traitement de ce même cancer évolué a permis de gagner deux années de vie en moyenne pour chaque patiente depuis vingt. Il s’agit ici de morts différées, contrairement à celles épargnées sur la route où l’on peut supposer que l’espérance de vie reste intacte après l’évitement de l’accident.

Les méta-analyses confirment que le dépistage du cancer de la prostate ne sauve aucune vie, et provoque une baisse de la qualité de vie. De même pour les traitements médicamenteux de l’hypertension ou du diabète de type 2 qui évitent quelques accidents vasculaires mais n’ont aucun impact sur la mortalité générale sur laquelle seule l’hygiène a une de vie a une influence.

 Si l’on juge la médecine à l’aune des années/qualité de vie qu’elle permet de faire gagner à une population donnée, il apparaît de façon claire, que depuis l’invention des vaccins et des antibiotiques, l’impact des médecins et de leur ministère est quasi négligeable comparé à celui des autres ministères. Le rapport est de 1 à 100 pour ne pas dire de 1 à 1000.

Cela va peut-être faire un peu de mal aux médecins, mais aussi conforter ceux pour qui la santé est un objectif prioritaire, en leur rappelant l’extrême simplicité, voire trivialité, archaïque de ce qui est vraiment bon pour la santé.

La seule véritable inconnue de toutes ces analyses est le pourcentage de ceux pour qui la santé est un objectif prioritaire.

Être sous

7 août 2011

Prendre le train, prendre sa valise, prendre des photos ou prendre le pain et les enfants à l’école en revenant du boulot.

Le verbe prendre, décidément ubiquitaire, concerne aussi l’oralité primaire : prendre le sein ou son biberon, puis l’oralité secondaire : prendre l’apéritif ou reprendre du gigot.  

Lorsque l’on prend des vitamines, c’est pour prendre des forces.  Cependant, la plupart des produits pharmaceutiques pris oralement n’ont pas toujours cette connotation volontaire.  La disparition du verbe « prendre » signe une dépendance à la volonté du médecin.

Je suis « sous antidépresseurs ». Ces psychotropes  semblent n’être jamais pris. Le patient s’estompe sous une volonté qui le recouvre. Le patient qui se déclare sous antidépresseurs est probablement plus atteint que celui qui les prend.

« Prendre des antibiotiques » est quasiment l’aveu d’une automédication, alors qu’être  « sous antibiotiques » veut signifier la gravité du mal à l’entourage.

On ne prend presque jamais d’anticoagulants, on est « sous anticoagulants » pour bien marquer cette soumission à la médecine garante de la survie.

Pour l’insuline, où la soumission est pourtant définitive, les choses sont différentes, car le traitement a été si bien compris par le patient que le médecin en est exclu. Les patients ne sont pas sous insuline, ils la prennent et se l’injectent seuls.  Idéal de la réussite médicale : des patients qui ne sont pas « sous » ?

Personne n’est sous somnifère, mais on se vante d’en prendre de plus en plus, comme si l’insomnie était l’ennemie qu’il fallait intimider par ces actes de bravoure pharmaceutique. La même vanité entoure la prise de tranquillisants. Quant aux neuroleptiques, ni on est sous, ni on ne les prend, le patient donne juste le nom commercial d’un médicament qui ne doit appartenir à aucune famille.

Il est des classes pharmacologiques qui ne sont ni dominatrices, ni dominées, tels que les hypolipémiants, les antihypertenseurs, les hypoglycémiants oraux. Dans ces cas, on ne cite ni la famille, ni le nom commercial, mais seulement leur cible supposée. On prend des médicaments pour le cholestérol, la tension, le cœur, les artères. Dans ces cas, ni le patient, ni le médecin ne peuvent afficher leur suprématie définitive. Il y a comme un doute permanent, une sorte de statu quo de l’objectif thérapeutique.

Le langage parlé n’est jamais anodin.

Félicitons la bonne santé chronique de ceux qui affirment ne jamais rien prendre. Il faudra tenir compte de leur refus d’être « sous » influence en cas de détresse aigue. Lorsque leur langage sera devenu plus insignifiant que leur mal.

Prolactine, testostérone et viagra

11 juillet 2011

 Le saviez-vous ?

Tout homme, quel que soit son âge, mis en présence d’un nourrisson, a une augmentation de son taux de prolactine (hormone de l’allaitement) et une diminution de son taux de testostérone (hormone de la virilité).

Ce processus a été minutieusement mis en place par l’évolution biologique et sociobiologique au fil des millénaires pour augmenter les sources « d’attachement » au nourrisson en cas de carence maternelle temporaire ou définitive.

Ce phénomène est constaté avec la même régularité et la même intensité chez l’éleveur Massaï, le chasseur Hadza, le golden boy newyorkais ou le parrain russe. Tout homme subit une féminisation physiologique en présence d’un bébé. C’est comme cela.

Ainsi, lorsqu’un sexa ou septuagénaire vient en tapinois, réclamer son ordonnance de viagra, le médecin devrait lui poser la question de son environnement pédiatrique avant de procéder à un dosage de testostérone qui n’aura aucune signification. Ce dosage étant déjà, par ailleurs, sujet à caution, dans beaucoup de cas et à tout âge.

Devant les variations de testostérone et de prolactine, les manuels savants évoquent les plus complexes des pathologies et omettent cette origine qui est pourtant la plus ancienne et la plus constante.

Il ne reste alors que deux alternatives. Soit le papy prend un vrai comprimé de viagra et il risque de faire un accident cardiaque. Soit, ce qui est plus probable, il prend un faux comprimé – ce sont les plus nombreux actuellement vendus dans le monde – et il faut espérer que l’effet placebo lui donnera un peu de plaisir.

La médecine dans une société complexe est un art difficile et la sociobiologie est une science en souffrance.

Ajoutons que l’on ne sait plus à qui se fier puisque même les maffieux qui trafiquent du faux viagra voient leur taux de testostérone diminuer en présence d’un nourrisson.

Ingénierie de la toux

28 juin 2011

 Nous le savons désormais, les antitussifs et fluidifiants sont contre-indiqués ou non indiqués chez l’enfant comme chez l’adulte. Trois siècles de pratique thérapeutique viennent de s’effondrer. Grand-mères, pharmaciens et médecins doivent s’abstenir, la toux est aussi indispensable que la respiration et aucun remède ne peut en modifier le cours naturel si ce n’est dans le sens de l’aggravation. Ce symptôme persiste longtemps après les autres et ne peut devenir médical, au sens académique du terme, qu’après six semaines.

Une grande page de l’histoire de la pharmacie vient de se fermer. C’est souvent grâce à des  préparations magistrales contre la toux, validées par le Codex, que de nombreuses officines sont devenues des entreprises familiales puis des multinationales. 

Le souvenir des milliers d’antitussifs et de fluidifiants qui ont jalonné mes ordonnances, vient douloureusement réveiller mon vieux sentiment d’inutilité. Je remplaçais les produits conseils du pharmacien par des produits dits éthiques et tout aussi inutiles. Je n’avais même pas l’excuse du profit. A moins qu’ayant déjà tacitement compris le caractère nécessaire ou rebelle de la toux, mes inutiles prescriptions – j’ignorais alors qu’elles puissent être nuisibles – aient eu pour seul but de justifier les honoraires d’une inutile consultation. Double gabegie du paiement à l’acte.

Tout récemment, au hasard d’une lecture, j’ai découvert les propositions de l’homéopathie contre la toux.

Les produits doivent être des granules à 5 ou 7 CH à prendre par 3 et 3 fois par jour selon les caractéristiques de la toux. 

D’abord selon la cause déclenchante. En avalant : Bromium, en dormant : Lachesis, en touchant le larynx : Lachesis, à l’effort : Pulsatilla, au moindre courant d’air frais : Rumex Crispus, en parlant ou en riant : Stannum, pendant les règles : Zincum Metallicum, après coup de froid : Causticum, par allergie : Ipéca, par mouvement :  Bryonia 7CH, en entrant dans une pièce surchauffée : Bryonia, en s’allongeant : Drosera, en se baignant : Rhus Toxicodendron, en entrant dans une pièce froide : Rumex Crispus 7CH.

Puis selon la sensation du patient. Toux sèche : Bryonia, toux venant de l’estomac : Bryonia, poitrine pleine de mucus : Causticum, toux incessante ou par salves : Drosera Rotundifolia, irritation ou chatouillement de la trachée : Ipéca, grasse avec expectoration filante : Kalium Bichromicum, avec sensation de miette dans le larynx : Lachesis, toux grasse le jour et sèche la nuit : Pulsatilla, toux rauque, comme un chien qui aboie : Spongia, sensation de gorge écorchée : Argentum Nitric.

Enfin selon les autres symptômes. Voix rauque : Drosera Rotundifolia, expectoration difficile : Senega et Antimonium tartaricum, gorge sèche : Spongia, sans mucus : Drosera, avec mucus : cochenille.

 Les mathématiciens avouent que lorsqu’ils hésitent entre deux formules, la beauté de l’une peut être un élément en faveur de sa justesse.

La poésie de cette liste homéopathique peut-elle être un atout pour l’efficacité ?

Je l’ignore, mais je suis au moins certain de son innocuité.

Quant à l’ésotérisme clinique de cette liste, il nous ramène avec émotion quelques siècles en arrière, à l’époque où l’on ne savait même pas encore que l’on découvrirait un jour des médicaments inutiles contre la toux.

Maintenant que les antitussifs disparaissent, à juste titre, de l’arsenal médical, il ne reste que deux alternatives à l’abstention : la poésie en bobologie et la cortisone en situation extrême. Espérons que les praticiens ne confondent pas trop souvent les deux situations.

Parachutes gériatriques

14 juin 2011

C’est vrai, cela existe. Je n’en ai jamais prescrit, mais je sais que cela se vend puisque j’ai vu des messages publicitaires et que dans un monde d’offres, la publicité se paie par les ventes et vice-versa…

Il s’agit de protection pour prévenir les fractures du col du fémur. Ce sont des coussins aqueux que l’on fixe autour du bassin pour protéger les hanches des personnes âgées en cas de chute.

J’ignore si cette prévention est efficace en pratique, mais en théorie l’idée n’est finalement pas plus ni moins stupide que l’air bag dont on dit qu’il a contribué à diminuer la mortalité et la morbidité routières.

Puisque nous ne pouvons pas prévenir tous les accidents, il est logique d’essayer d’en amoindrir les conséquences.  

Les essais cliniques doivent être difficiles et contestables par manque d’homogénéité des groupes. Les personnes acceptant d’exhiber les coussins aqueux n’ont certainement pas les même capacités cognitives que celles qui les refusent. Sauf, possiblement, certaines mamies encore coquettes, tentées par l’idée de séduire avec ces prothèses de rotondité coxale évoquant les crinolines de leur jeunesse. Le placebo doit être également de mise en œuvre contestable, car les coussins emplis d’air ou de mousse peuvent avoir une action similaire, et y mettre du gravier serait inique et son poids serait accidentogène.

Même si la chute fatale risque de se produire le jour où l’on aura précisément oublié les coussins protecteurs et fait un surdosage accidentel d’antihypertenseurs, acceptons donc cette offre, sans autres preuves, pour la protection de nos vieillards qui sont de plus en plus nombreux. Car, dans une société d’offre, le nombre est très important…

Mais alors, tant qu’à bien faire, soyons plus incisifs. Evitons à nos ancêtres qui hantent les couloirs des maisons de retraite, avec le but louable de susciter le commerce et la compassion autour de leur survie, de chuter lamentablement. Pourquoi ajouter à leur infamie, celle d’une éventuelle attitude grotesque après avoir rebondi sur leur coussin aqueux, affalés, la tête en déclive et les hanches inaptes à toute tentative.

Pourquoi ne pas leur accorder le meilleur de la technologie. Un détecteur de rupture de verticalité qui gonflerait un énorme coussin dorsal d’hélium dont l’ascension brutale éviterait l’humiliation d’une chute et les lombalgies des aides-soignantes.

Cela plairait aussi à leurs petits-enfants qui voudraient immédiatement avoir le même parachute que mamy. Et dans une société d’offre, la demande des enfants est fondatrice…

PS : Une récente méta-analyse Cochrane vient confirmer l’inutilité des protecteurs de hanche ! Je l’ignorais à l’écriture de ce texte !

L’âme des lombalgies

28 mai 2011

L’éventail des causes et traitements proposés pour les lombalgies est une approche amusante de la diversité médicale et des ressorts de la mercatique sanitaire.

Au temps lointain de la médecine sommaire, le mal de dos était lié à l’effort, il était inclus dans l’interminable liste des douleurs articulaires et musculaires dont le seul traitement efficace était le repos.

L’arrivée de la radiographie, avec la découverte des tassements vertébraux, hyperlordoses ou spondylolisthésis, lui a donné une signature anatomique jusqu’à l’étonnant constat de l’absence totale de lien entre la douleur et l’image.

Puisque la grossièreté de l’image n’avait rien à voir avec l’énormité de la douleur, il fallait être moins fruste et ce fut la mode de la bonne longueur des deux jambes. Combien de talonnettes ont-elles été glissées sous combien de chaussures droites ou gauches ? Malgré la liesse des orthopédistes et des marchands de liège, cette étiologie fut mise à mal par les vrais scoliotiques qui se portaient mieux que les faux. Il fallut attendre Coluche, décrétant que la bonne longueur pour les jambes c’est lorsque les deux pieds touchent bien par terre, pour tourner définitivement la page de la bascule du bassin.

Dans une honorable et très subtile démarche holistique, on décida que le mal de dos était en relation avec l’articulé dentaire. Que n’y avait-on pensé plus tôt ? Les dentistes se perfectionnèrent dans l’art de raboter les facettes des molaires et canines à la manière des diamantaires, et à un coût à peine inférieur. Rien n’y fit, le mal de dos persistait et la mastication des aliments n’y avait même pas gagné en élégance.

Dans un registre similaire, on convoqua aussi les orthoptistes pour corriger les problèmes oculomoteurs, mais l’engouement fut bref.

La lombalgie perdit de son intérêt et, sans la sciatique, l’académie de médecine aurait fini par oublier jusqu’à l’existence des vertèbres lombaires.

Le scanner et la hernie discale ont magistralement remis en lumière cette magnifique cambrure d’homo sapiens et de sa femme. Mais là encore, il fallut se rendre à l’évidence, ni la lombalgie, ni la sciatique n’avaient de rapport avec l’image. Non décidément, les images ne font pas mal et la douleur n’a pas d’image.

Le travail redevint, comme dans l’antiquité,  la seule cause des lombalgies, mais sa pénibilité psychique apparut comme supérieure à sa pénibilité physique. Le stress et le harcèlement semblent avoir un poids bien supérieur à celui des pierres des bâtisseurs de cathédrale.

Même après que l’on eût inscrit les radiculalgies chroniques sur la liste des maladies professionnelles et que l’on eût modifié les sièges et dossiers des travailleurs assis, le mal ne fit qu’augmenter, prouvant quil se situait encore bien au-dessus des dents.

Que les marchands d’anti-inflammatoires se réjouissent, la lombalgie n’a toujours pas dit son dernier mot…

Les plus anthropologues de nos physiologistes nous diront que la lombalgie est le tribut que l’espèce humaine paie à la bipédie. C’est sans doute encore trop bête pour être vrai…

Et si nous prenions encore plus de hauteur afin de dépasser définitivement ce réductionnisme scientifique. Et si les vertèbres lombaires étaient le siège de l’âme que l’on cherche depuis si longtemps ?

Illogisme et dépression

19 mai 2011

Selon un sondage BVA, commandé par la chaire Santé de Sciences Po,  les Français sont pessimistes sur leur système de santé, quels que soient leurs convictions politiques, leur âge ou leur niveau de revenus. En effet, plus de 70% des Français estiment que le système de santé s’est dégradé depuis dix ans et qu’il va continuer à le faire dans les dix prochaines années.

 Pendant ces mêmes dix années, la consommation de soins et biens médicaux est passée de 7% à 9% du PIB et le déficit de la sécurité sociale s’est régulièrement aggravé malgré l’augmentation des charges sociales et l’apparition de la CSG.

Ainsi, plus les sommes objectivement investies dans la santé augmentent, plus elles apparaissent comme inefficaces aux yeux des usagers du système sanitaire.

 Pendant cette même décennie, l’espérance de vie à la naissance a continué à augmenter de trois mois par an. Le contraste surprenant entre l’amélioration objective de cet indicateur sanitaire et la perception d’un système de santé dégradé confirme qu’aux yeux des citoyens, les soins médicaux participent faiblement à l’état sanitaire global du pays.

 Faut-il en conclure que le système de santé de notre pays échoue lamentablement aussi bien sous l’aspect de sa gestion que sous celui des messages de son action ?

Aucun observateur externe n’hésiterait à le faire. Les économistes évoqueraient une gabegie financière et les publicistes un désastre de communication.

Quant aux médecins, ils sont encore plus sévères, puisqu’ils sont 82% à estimer que le système de santé se dégrade. Voilà une belle unanimité !

Pendant ce temps, les fonctionnaires du ministère de la santé s’activent à promouvoir le dépistage pour insérer la maladie dans nos boîtes aux lettres et au cœur de nos rares journées d’insouciance.

Leur activisme risque d’augmenter encore la déferlante dépressive et finir par dégrader objectivement nos indicateurs sanitaires. Seule la logique sera victorieuse puisque les observateurs externes trouveront  enfin normal qu’un aussi mauvais système produise une aussi mauvaise santé.

Nous vivons dangereusement

30 avril 2011

Monsieur Rolf Sievert a beaucoup fait parler de lui ces derniers temps. C’est lui qui a déterminé l’unité de mesure la plus pertinente des doses radioactives reçue par nos tissus vivants. Il a détrôné madame Curie, messieurs Gray, Joule,  Becquerel et Roentgen. Il a même réussi à éliminer Rad, bien que les acronymes soient encore plus résistants que les savants.

L’acronyme immortel de Sievert est le mSv (milliSievert) qui nous rappelle, avec raison, que nous vivons dangereusement. Certains d’entre nous plus que d’autres. Ainsi les centaines de « liquidateurs » de Tchernobyl et de Fukushima qui ont reçu plus de 6000 mSv sont morts en quelques jours. Ils sont morts en héros, ce qui n’est pas le cas des centaines de milliers de victimes civiles de Hiroshima et Nagasaki. Les liquidateurs sont aussi morts pour la patrie comme les millions de poilus de 14/18. L’extrême précision du mSv nous rappelle, avec justesse, que le nucléaire civil est mille fois moins dangereux que le nucléaire militaire et cent-mille fois moins dangereux que le fusil à baïonnette.

Tout dépend de l’utilisation que l’on n’en fait. Ainsi, pour le nucléaire civil, il faut éviter les dictatures – cela est encore possible – les tremblements de terre et la consommation d’énergie – cela est définitivement impossible. Pour le nucléaire militaire et le fusil à baïonnette, il faut éviter les guerres – on essaie sans succès depuis longtemps –.  

Lorsque l’on atteint la dose de 300 à 400 mSv par heure (seuil d’évacuation des civils de Tchernobyl et Fukushima), il faut partir en courant – cela on peut souvent le faire – car on risque beaucoup plus de cancers comme avec les cigarettes – que l’on peut éviter – et avec les années – que l’on ne peut pas éviter.  Les années qui passent sont un double risque, car notre immunité au cancer diminue et la dose de radioactivité naturelle que nous absorbons augmente de 3 mSv par an.  Toujours selon les experts, on peut accepter de 100 à 200 mSv dans une vie sans augmenter significativement le risque de cancer. Le calcul est simple, après 50 ans, on a largement dépassé le seuil acceptable et le risque de cancer augmente. Qui l’aurait cru avant Fukushima ? La tectonique des plaques est riche d’enseignements en épidémiologie.

Enfin chaque scanner nous fait absorber environ 10 mSv (de 5 à 15) ce qui équivaut à trois années de vie normale, et à un trois-centième de Tchernobyl ou de Fukushima. Il faut donc aussi éviter les scanners. Peut-on le faire ? Un récent sondage du Journal international de médecine montre que 70% des patients ne s’inquiètent toujours pas de la radioactivité des scanners. C’est donc aux médecins qu’incombe cette responsabilité de soustraire leurs patients à ce risque souvent inutile et qui peut réveiller des angoisses au lieu de les apaiser comme le prétend la cigarette.

Trois conclusions s’imposent à cette courte réflexion sur la dangerosité de la vie : mort à la guerre, attention au progrès et vive la médecine clinique.