Adage d’hiver

17 décembre 2012

« Un  rhume dure une semaine sans soins et 7 jours avec soins ». Les adages sont le vif argent de la sagesse populaire. Dans le cas du rhume, alias coryza, rhinopharyngite ou rhinite, l’adage n’est pas très sage.

En effet, il est beaucoup plus dangereux de soigner un rhume que de s’en abstenir. Tous les traitements par voie nasale ou buccale présentent un rapport bénéfice/risque très défavorable.

Il convient de rappeler qu’au décours d’un rhume, l’épaississement du mucus est normal ainsi que sa couleur jaunâtre ou verdâtre qui n’est pas un signe d’infection.

L’oreille rouge est également normale chez l’enfant, comme les douleurs sinusiennes chez l’adulte. Rien de tout cela ne nécessite un traitement pour surinfection auto-proclamée.  Quant à la toux, sa persistance pendant plusieurs semaines fait partie de l’évolution normale de cette pathologie hivernale qui touche chaque adulte sain en moyenne une à deux fois par an, contre deux à six fois pour un enfant sain.

Cela peut sembler parfois trop. Alors pourquoi se priver de médicaments pour atténuer les symptômes gênants ? L’idée me paraît bonne. Hélas la science exacte (s’il en est) confirme deux types de faits. La plupart des médicaments utilisés ne sont pas plus efficaces que les placebos et la grande majorité d’entre eux ont des effets secondaires particulièrement dangereux.

Aucun sirop antitussif, antihistaminique, expectorant ou mucolytique n’a jamais démontré une action supérieure à une cuiller de miel donnée par une main amie. C’est ainsi. Par contre, de nombreux antitussifs et antihistaminiques provoquent des accidents cardio-vasculaires, troubles de la conscience, convulsions, et autres misères bien moins rares que l’on ne voudrait le croire.

Savez-vous que la généralisation de l’excellent vaccin contre la méningite C sauverait à peine plus de vies d’enfants en France que l’arrêt total des médicaments du rhume ?

La palme revient aux vaso-constricteurs dérivés de l’éphédrine utilisés par voie nasale. Le bref soulagement qu’ils procurent se paie souvent au prix fort. Aux accidents précédemment cités, il faut ajouter la rétention urinaire aiguë sur adénome de la prostate, et la dépendance à vie avec destruction de la muqueuse nasale.

La question est : pourquoi ces vasoconstricteurs nasaux sont-ils en vente libre ? Il n’y a pas de réponse intelligente à cette question, comme à toutes les questions autour de l’articulation entre la santé et le marché.

Cependant, il y a un espoir, car la commission nationale de pharmacovigilance vient de se prononcer en faveur de l’inscription de ces médicaments sur la liste des produits à prescription obligatoire. Attendons l’application éventuelle de cette recommandation.

Dans cette attente, en cas de rhume, l’adage populaire est trop timide, il faut absolument éviter le médecin et le pharmacien. Sauf ceux qui se contentent du sérum physiologique et du paracétamol comme médiateurs de soins pour leurs patients les plus réticents à l’abstention totale.

Déficits légers

3 décembre 2012

Avec les années, je constate que ma peau est moins élastique, plus rêche, et plus constellée de taches diverses. Je suppose que je dois être atteint d’un déficit cutané léger lié à l’âge.

Je constate également une perte d’audition sur les graves et une moins bonne discrimination auditive dans un contexte bruyant. Je crois savoir que ce phénomène est lié à un déficit auditif normal pour mon âge.

Je sais aussi que la difficulté que j’éprouve à lire de près est due à la perte d’élasticité de mon cristallin.

Au-delà de ma peau et de mon cristallin, il semble bien que cette perte d’élasticité concerne également mes tendons et mes cartilages.

Je ne voudrais pas me voiler la face et j’ai bien peur que la perte d’élasticité ne soit un trait lié à la sénescence de divers tissus biologiques chez l’homme, comme chez l’animal.

Cependant – et ce n’est pas pour me vanter – j’ai parfois l’impression que mon cerveau subit plus lentement toutes ces avanies, et je me sens moins « écervelé » que par le passé. La plasticité neuronale serait-elle moins dépendante de l’âge que l’élasticité mécanique ? Je n’ai pas les compétences pour répondre à cette question.

D’autres que moi ont les compétences requises, car ils affirment que le déficit cognitif léger (DCL) n’a rien à voir avec le déficit cutané léger ou le déficit cartilagineux léger.

La chose doit être scientifiquement très sérieuse, car c’est désormais un terme américain qui est utilisé pour en parler : mild cognitive impairment (MCI). Le nombre d’études publiées sur le MCI est entrain de rivaliser avec celui des études sur l’hypercholestérolémie.

Sans vouloir me vanter davantage, j’ai l’impression que l’on cherche à nous alerter sur les liens possibles entre le MCI et une maladie plus grave et plus anxiogène…

Les lecteurs qui trouveront le nom de cette maladie n’ont rien à craindre, ils ne sont pas encore atteints par le MCI, même s’ils ne se rappellent plus où diable ils ont bien pu lire le dernier article qui en parlait.

Pour toute la vie

24 novembre 2012

Mon petit-fils de trois ans venait d’écraser une fourmi. Constatant qu’elle ne bougeait plus, il tourne vers moi un regard inquiet. « Elle est morte » lui dis-je. Il me demande alors si elle est morte pour toute la vie. Réprimant un sourire inadéquat en pareille circonstance, je lui réponds qu’il a parfaitement raison, elle est bien morte pour toute la vie.

Le lendemain, je pensais encore à ce bon mot, en renouvelant les prescriptions de patients à qui l’on avait bien dit de prendre leurs hypocholestérolémiants, leurs hypoglycémiants ou leurs antihypertenseurs pour toute la vie.

Seuls deux ou trois traitements, comme l’insuline chez les vrais diabétiques de type 1, doivent être pris pour toute la vie. La formulation de « traitement à vie » est probablement perçue comme un succédané de l’éternité qui rassure certains patients. Prévenir la mort par d’illusoires incantations ou de naïves pharmacologies « à vie » est assimilable à un mode de vie. Malgré mes critiques, j’ignore toujours si ce comportement est anxiogène ou apaisant.

Depuis que ces patients, encouragés par les marchands, les médias et leurs ministères m’ont assigné à prescrire des « traitements à vie », l’espace de mon libre-arbitre est de plus en plus restreint ; je lui ouvre parfois l’humour pour qu’il s’y ébroue un peu.

J’avais donc envie de paraphraser mon petit-fils en leur affirmant que quand on est vivant, c’est bien pour toute la vie. Au risque d’être incompris.

Appelez vite le SAMU

8 novembre 2012

Depuis peu, France Inter diffuse un message sur l’accident vasculaire cérébral (AVC), au prétexte que cette pathologie est devenue l’une des premières causes de mortalité en Occident.

Nous savions depuis plus d’un siècle que l’hypertension en était le principal facteur de risque. C’est pourquoi, les médecins disciplinés, alertés par de précédents messages, ont  prescrit chaque jour des tonnes d’anti-hypertenseurs.

Malgré cette précaution, la persistance des AVC nous obligea à réfléchir plus intensément.

La première idée fut de considérer que les chiffres de l’hypertension étaient faux. Les diagnostics étaient trop timides. Il fallait traiter des chiffres de pression artérielle beaucoup plus bas, car nul ne doutait qu’il existât une pression en dessous de laquelle il n’y aurait plus jamais d’AVC…

Comment la pharmacologie avait-elle pu négliger une telle évidence ?

Les médecins ont donc redoublé leurs efforts jusqu’à traiter la moitié de la population adulte (14 millions de personnes traitées aujourd’hui en France). L’effort de prévention a été planétaire puisque le marché mondial des antihypertenseurs approche les trente milliards de dollars.

Pourtant, malgré ces tonnes et ces milliards, l’AVC continue de caracoler en tête de la mortalité. Qu’avons-nous encore négligé pour que cet échec nous contraigne à alerter l’humanité sur les risques majeurs qu’elle court, au point de reléguer les infections tropicales à de la littérature ?

La pharmacologie vient enfin de trouver les trois raisons principales de cet échec. Elles viennent de nous être révélées par la Fédération Française de Cardiologie dans le cahier N° 21081 du très sérieux journal « Le Monde » daté du 30/10/2012.

1/ Les AVC surviennent de plus en plus jeune, c’est donc qu’il ne suffisait pas de traiter de plus en plus bas, il fallait traiter de plus en plus tôt.

2/ Les patients ne prennent pas assez de médicaments, car leurs médecins n’associent pas assez de classes thérapeutiques. Parfois des patients inconscients oublient de prendre leurs médicaments, ou les arrêtent parce que le traitement est trop cher ou mal toléré.

3/ Enfin, et surtout, les médecins sont trop inertes face à ce problème. Rien qu’en France, il y a encore quatre millions d’hypertendus sans traitement. En toute liberté ! Je vous laisse imaginer combien il y en a en Chine et au Nigeria. Certains médecins vont même jusqu’à penser que si le tonnage des anti-hypertenseurs n’a pas d’effets notoires sur les AVC, c’est peut-être que cette pathologie a des causes plus précises, telles que l’arythmie, ou plus générales, telles que les modes de vie. Ces médecins-là sont aussi en liberté.

Maintenant, je comprends mieux l’étonnante teneur du message de France Inter : « Dès que vous êtes témoins d’une bouche tordue, d’une difficulté à parler ou à marcher, chez l’un de vos concitoyens, appelez vite le SAMU. » Il faut désormais éviter les médecins qui risquent de négliger votre AVC comme ils ont négligé l’hypertension préalable qui l’a provoqué. Le SAMU débouchera vos artères en urgence, ainsi la mort qui n’avait pas été anticipée par votre médecin négligeant, pourra être évitée.

Malgré la honte qui m’accable, je suis ravi de savoir que le problème des AVC va pouvoir enfin être réglé. Ce message fait suite à ceux d’octobre rose sur le cancer du sein. Les dépistages généralisés de plus en plus précoces vont donc éradiquer tous les cancers et toutes les maladies cardio-vasculaires.

La mort n’aura désormais qu’une seule cause : la vieillesse. Les symptômes d’alerte médiatique pourront alors être encore plus simples : « si vous constatez que quelqu’un est vieux… »

D’ici là, n’égarez pas le numéro du SAMU…

Après l’étude de Tuskegee

19 octobre 2012

En 1932, à Tuskegee en Alabama, quelques médecins américains souhaitèrent étudier plus à fond la syphilis, un des deux fléaux d’alors avec la tuberculose.

Leur étude visait tous les stades évolutifs de la syphilis et de ses complications, par l’examen détaillé des signes cliniques biologiques et radiologiques, jusqu’à l’autopsie finale des patients.

Pour en observer l’évolution « naturelle », il fallait supprimer tous les traitements et laisser les patients vaquer à leurs occupations. Si nous jugeons cela avec les yeux de cette époque où les traitements, à base d’arsenic,  étaient toxiques et peu efficaces, l’éthique est presque sauve.

Ils avaient sélectionné un groupe de métayers afro-américains, c’est une façon élégante de dire de « pauvres noirs ». Même avec les lunettes de l’époque, l’éthique venait de prendre un premier mauvais coup. Soyons encore indulgents puisque les patients recevaient un repas chaud par jour ainsi que des soins gratuits pour leurs autres maladies. La famille recevait même 100 dollars pour les obsèques, à condition de donner son accord pour l’autopsie.

En 1943, la découverte de la pénicilline fit faire un bond historique à la médecine. Ce médicament se révéla immédiatement efficace sur toutes les formes de syphilis et fit disparaître ce fléau en quelques décennies… Sans résistance connue à ce jour.

Les chercheurs de l’étude de Tuskegee ont alors dissimulé les informations sur la pénicilline à leurs patients. Ils ont même réussi à les faire dispenser de la guerre en cours, car l’armée soignait ses soldats avec la pénicilline, ce qui aurait perturbé l’étude. Là, nous ne pouvons plus pardonner, mais nous voulons trouver une circonstance atténuante dans cette guerre terrible où les morts par milliers pouvaient rendre dérisoires les souffrances terminales de quelques patients syphilitiques.

Pourtant, la paix ne modifia pas leur entêtement, puisque cet essai clinique s’est prolongé pendant trente ans. Ici, ni pardon, ni circonstance atténuante. En 1967, un médecin de santé publique du nom de Peter Buxtun, avait alerté les autorités, sans succès, jusqu’à ce qu’il parvienne à faire éclater le scandale par la presse en 1972.

L’intérêt historique de cette étude est d’être à l’origine de l’adaptation des lois de bioéthique aux essais cliniques et de la création des organismes de contrôle des expérimentations humaines à la fin des années 1970.

Elle présente deux autres intérêts moins souvent relevés.

Les « gentils » étaient alors les industriels qui avaient mis au point un traitement miraculeux que de « méchants » médecins interdisaient à leurs patients. Aujourd’hui, la situation est inverse, il faut tricher pour donner des traitements aux bien-portants. Les nouvelles lois de bioéthique ayant « dispersé » les « méchants », l’industrie n’a aucune peine à trouver les « coquins » qui leur succèdent. C’est simplement plus cher.

Cette histoire nous révèle enfin que l’éthique ne semble pas être innée chez les normatifs, puisque l’administration l’ignore tant qu’elle n’a pas été contrainte de pondre des lois pour la définir. C’est pour cela que les affaires et les scandales continuent, puisqu’il subsiste de nombreux registres et sous-registres où la loi reste à (ré) inventer, à défaut de morale primate.

Merci aux normopathes et aux nosophobes

4 octobre 2012

La normopathie se définit comme le trait d’une personnalité qui se conforme aux normes sociales de son époque sans se poser de questions, ni éprouver de culpabilité, de contrainte ou de frustration.  Sans que, jamais, sa subjectivité ne s’exprime d’une quelconque manière.

Même le mal, lorsqu’il est érigé en dogme, comme ce fut le cas à certaines périodes de l’Histoire, peut se répandre sans résistance chez les normopathes. C’est ce qu’a évoqué Hannah Arrendt, spécialiste des dictatures et génocides du XX° siècle, sous le terme de « banalité du mal ».

Pour l’ingénierie biomédicale qui a désormais remplacé la médecine clinique, le normopathe est un patient idéal qui se conforme à tous les mots diagnostiques et à toutes les décisions thérapeutiques sans jamais émettre le moindre doute. Le normopathe finit par ne plus savoir s’il est porteur d’une maladie individuelle, car ses douleurs et ses symptômes sont ceux que la médecine lui a attribués.

Après un scanner, le normopathe perd sa souffrance subjective pour assumer celle que lui dicte la subjectivité du radiologue. Le normopathe accepte sans rechigner toutes les amputations des parties de son corps où l’anatomopathologiste a détecté une cellule suspecte.

Son cousin, le nosophobe diffère par la part de rêve et de romantisme dont le normopathe est dépourvu. La nosophobie (noso = maladie) est la peur omniprésente d’attraper la maladie dont on parle. Beaucoup d’étudiants en médecine ont eu une courte période de nosophobie devant l’énumération sans fin des maladies possibles. Le nosophobe se soumet à tous les dépistages organisés, sa peur du H5N1 ou d’autres virus est proportionnelle à la durée de leur exposition médiatique, il ressent les déficits cognitifs et les excès de cholestérol dès que les épouvantails pharmaceutiques les brandissent.

Les normopathes et les nosophobes sont une aubaine pour le commerce médical, car ils permettent de multiplier les actes à l’envi. Dans notre système inflationniste de paiement à l’acte, indépendant de la teneur de l’acte, les normopathes et les nosophobes finissent toujours par dompter les praticiens les plus récalcitrants au lucre… Ma maison, comme celle de mes confrères médecins, radiologues ou chirurgiens a été largement financée par les normopathes et les nosophobes. Nous ne les remercierons jamais assez.

Le ministère de la santé devrait tenter d’éradiquer la nosophobie avant même de s’attaquer à toutes les autres pathologies. La Sécurité Sociale devrait faire la chasse aux normopathes, ces dilapidateurs de deniers publics. Or, il n’en est rien, le Ministère stimule la nosophobie par le truchement des médias qui relaient sa démagogie et la Sécurité Sociale donne des primes aux médecins qui dépistent les maladies inconsistantes que les normopathes endosseront avec discipline. Allez comprendre !

On ne peut même plus montrer du doigt les médecins cupides qui s’engraissent sur le dos des normopathes et des nosophobes, car ils le font avec la bénédiction du Ministère et les encouragements de la Sécurité Sociale

Et toujours plus de résidences secondaires vacantes, ouvertes deux semaines par an, vont venir polluer notre littoral.

Vive mon ADN poubelle.

19 septembre 2012

Tout individu vivant s’inscrit dans une double hiérarchie.

Une première hiérarchie, d’ordre généalogique, confère une place précise, dans les rameaux de l’évolution, à l’espèce à laquelle appartient cet individu. C’est sa position dans l’histoire de la vie, cette place phylogénétique est inscrite exclusivement dans ses gènes.

La deuxième hiérarchie est celle de son environnement naturel, dans lequel il établit les conditions de sa survie et de sa reproduction par un jeu complexe de symbioses et de conflits. C’est sa place écologique. Les gènes participent aussi à cette inscription hiérarchique, mais ce sont plus certainement les protéines les métabolismes et les synapses qui sont les acteurs de ces histoires individuelles quotidiennes.

Après quelques décennies de règne absolu de la génétique sur la biomédecine, nous découvrons avec stupéfaction que seulement 2% du génome sert à coder les protéines constitutives d’un individu et de sa physiologie spécifique. Comme nous ne savions pas à quoi servaient les 98% restants, nous l’avons nommé « l’ADN poubelle ». Un peu comme nous avions traitées de « fonctionnelles » toutes les pathologies qui n’étaient pas « anatomiques ».

Nous commençons à comprendre que cet ADN poubelle contribue très certainement à réécrire notre histoire chaque jour. Il reprogramme l’expression du génome, le codage des protéines, les métabolismes et fait des tas d’autres choses dont nous n’avons pas encore les clés d’exploration.

Les 2% d’ADN « officiel » ont servi de base aux recherches qui ont conduit la biomédecine au « génie génétique » qui fait notre admiration.

Les 98% d’ADN restants vont-ils conduire jusqu’au génie écologique ou symbiotique qui permettra à la science de découvrir enfin l’individu dans ses relations à l’environnement ? Espérons-le.

Quel bonheur de constater qu’il nous reste encore 98% de nous-mêmes à découvrir. Je ne peux m’empêcher de penser à la joie des astrophysiciens en découvrant, avec la matière noire, que 90% de la masse de l’univers leur était inconnue. Que de beaux programmes scientifiques en perspective !

Grande est ma joie d’individu d’avoir enfin la preuve que mon génie symbiotique est supérieur à mon génie génétique, car si l’histoire de l’évolution me fascine en tant que biologiste, je ne me désintéresse pas totalement de mon histoire personnelle.

Le médecin que je suis peut désormais sourire librement des marchands de gènes qui continuent à chercher ceux de l’obésité, de la schizophrénie, de l’Alzheimer, voire de l’allergie ou de l’homosexualité !

En tant que clinicien, je supputais que le génie symbiotique de mes patients n’avait jamais été considéré avec l’égard qui lui était dû. Aujourd’hui, ces suppositions se transforment en certitude et la « matière noire » de la clinique nous offre les plus belles promesses de progrès…

Soyons donc aussi enthousiastes que les astrophysiciens.

Quelles générations futures ?

5 septembre 2012

Le problème des « générations futures » accompagne les débats médiatiques autour des deux thèmes actuels que sont la dette et l’écologie.

Deux questions culpabilisantes reviennent comme un leitmotiv. Pouvons-nous laisser s’accumuler une telle dette sur le dos de nos enfants ? Que diront les générations futures en constatant l’état du monde que nous leur avons laissé ?

Les études démographiques réalisées depuis ½ siècle sont unanimes : le niveau de fécondité d’une société est strictement corrélé à son niveau de pauvreté et donc inversement corrélé à sa richesse.

Des analyses plus précises révèlent que la fécondité d’une société baisse lorsque son économie s’éloigne du secteur primaire, pour atteindre un minimum dans les sociétés financières où l’économie est devenue virtuelle. Pour le niveau de la dette, on observe un rapport inverse. Les sociétés agricoles sont les plus fécondes et les économies tertiaires et virtuelles sont les moins endettées.

Quant au facteur écologique, les preuves s’accumulent pour pointer les pesticides et perturbateurs endocriniens comme responsables de l’infertilité et de la baisse de la spermatogenèse. La contribution de ces nouveaux agents polluants à la baisse de la fécondité est certes plus faible que l’enrichissement des sociétés, mais elle y contribue certainement.

Si la financiarisation et la pollution se révèlent bien être les deux principaux facteurs de la baisse de la natalité dans le monde, le leitmotiv des générations futures devient soudain moins pertinent lorsque c’est le monde Occidental qui pose cette question… En effet, y aura-t-il des générations futures en Occident pour constater la dette et la pollution ?

Quant aux peuples qui ne sont pas concernés par ces deux sujets, ils pourraient s’étonner de nous voir soudain préoccupés par le sort des enfants qu’ils continuent à nous faire, alors que leur sort actuel ne fait pas l’objet d’une telle attention.

De toute évidence, les générations futures ne sont pas notre problème, mais le leur. Ils sont donc en droit de dire à nos débatteurs financiers et écologistes :

–                     mais de quoi je me mêle ?

Erreurs grossières de la cancérologie

20 août 2012

En cancérologie, il importe de bien distinguer les cancers cliniques et les cancers dépistés. Un cancer clinique est celui qui s’est manifesté par un signe ou symptôme quelconque auprès du patient qui en est porteur. Un cancer dépisté est celui qui ne s’est jamais manifesté et que l’on a cherché à révéler par diverses méthodes. Par définition un cancer dépisté n’est pas clinique, on dit qu’il est infraclinique ou préclinique.

Il ne faut pas mélanger ces deux types de cancer pour au moins une raison majeure : personne ne peut, aujourd’hui, connaître le devenir clinique des cancers dépistés, précliniques ou infracliniques. Certains d’entre eux deviendront, hélas, cliniques, métastatiques ou mortels, d’autres, au contraire ne deviendront jamais cliniques, ni, a fortiori, métastatiques ou mortels. Cette inconnue transforme en erreur grossière le fait de les prendre en bloc comme objet d’étude ou comme objet statistique.

Toujours en cancérologie, on mesure les résultats de l’action médicale en parlant d’années de survie après le diagnostic. Il est bien évident que le taux de survie d’un cancer dépisté est supérieur à celui d’un cancer clinique. Mais, contrairement à ce qui est répété à l’unisson par les cancérologues et les médias, cela ne donne aucune indication sur notre réelle action médicale sur les cancers au niveau de la population. Cela ne fait que confirmer une évidence d’ordre temporel : il s’écoule plus de temps de vie après un cancer dépisté qu’après un cancer clinique.

Une première évidence de cette erreur conceptuelle apparait bien dans les chiffres de survie habituellement cités. Les meilleurs survies sont celles des cancers généralement dépistés (sein, prostate) et les moins bonnes, celles des cancers diagnostiqués (foie, poumon, pancréas). Nous avons déjà des preuves incontestables que de nombreux cancers du sein et de la prostate ne deviennent jamais cliniques.

L’autre erreur grossière de la cancérologie est de définir la guérison par une survie supérieure à 5 ans après le diagnostic, sans aucune récidive ni métastase. Cette définition conventionnelle signifie, de façon ridicule, qu’un cancer dépisté plus de 10 ans avant de devenir clinique sera guéri 5 ans avant même d’exister.

Un jour, n’en doutons pas, nous arriverons à dépister chacune des cellules cancéreuses de l’organisme. Ainsi, avec la terminologie actuelle, tous les cancers seront guéris longtemps avant d’apparaître. Qui peut être assez stupide pour croire que cela signifiera la disparition totale et définitive de tous les cancers ?

Entretenir de telles confusions dans l’esprit du public n’est pas conforme à l’image de la science et comporte même un risque de contre-productivité sanitaire en nous éloignant d’une véritable recherche fondamentale sur ce fléau de l’humanité.

Garder sa tête

6 août 2012

Enfant, j’entendais les adultes parler de certains vieillards avec une admiration qui se résumait en une phrase : « il a gardé toute sa tête. » Ne pas avoir perdu une partie de sa tête devait être un exploit dont je mesurais mal l’importance.

Un peu plus tard, je compris la synonymie entre « tête » et « raison ». Une telle synonymie n’existait pas pour les jambes ou les yeux,  on disait rarement de ceux qui marchaient mal ou voyaient mal qu’ils avaient perdu leurs jambes ou leurs yeux.  La vacuité de la tête semblait plus dramatique que celle des jambes ou des yeux.

La suprématie de la raison chez l’homme m’apparut logiquement avec l’âge de raison. Cependant, je ne percevais pas encore les subtiles différences de sénilité. Pourquoi disait-on de ceux qui avaient « perdu leur tête » qu’ils étaient séniles ? Les autres ne devaient donc pas être de véritables vieux… L’adolescence me fit comprendre enfin qu’il fallait être un proche parent pour percevoir ces nuances de la sénilité.

Mes années d’études en médecine m’amenèrent à mieux réfléchir. Tous les organes vieillissent et s’usent irrémédiablement, le cerveau comme les cartilages, la peau ou les oreilles. Les causes sont multiples : insuffisance d’irrigation vasculaire, dégénérescence cellulaire, usure mécanique, etc.

On m’apprit à distinguer deux démences : la maladie d’Alzheimer et la démence vasculaire, l’une dégénérative et l’autre vasculaire. Lors de mon internat, il y avait beaucoup de démences vasculaires et très  peu d’Alzheimer. Aujourd’hui, le rapport des diagnostics s’est complètement inversé. S’agit-il d’une découverte médicale, d’une stratégie diagnostique ou d’un changement de façon de vieillir ? Je n’en sais rien.

Je viens d’apprendre récemment que les causes de la maladie d’Alzheimer sont multiples, mais que la cause vasculaire y est, en fin de compte, prépondérante.

Quel ébahissement de ma maturité que de constater que malgré la finesse des diagnostics étiologiques et malgré le désordre chronologique du vieillissement des organes, on finit toujours par vieillir par tous les bouts.