Contorsions neurologiques et psychiatriques

29 février 2024

En 1968, la neurologie et la psychiatrie ont été séparées, car l’une répondait au modèle biomédical, alors que l’autre y restait hermétique. Les maladies neurologiques avaient quelque substrat anatomique ou physiologique alors que les maladies psychiatriques en étaient dépourvues. Néanmoins, la psychiatrie est restée médicale, car on avait pris l’habitude de confier les troubles mentaux et psychiques aux médecins. La prévalence de ces troubles a été très profitable au commerce médical, mais elle a confronté la biomédecine aux limites de son modèle anatomoclinique.

Errant entre les mythologies du psychisme et les obsessions moléculaires de la neurophysiologie, les diagnostics subissent de pittoresques contorsions.

Les grandes crises d’hystérie sont devenues les « crises psychogènes non épileptiques » (CPNE), admettant l’origine psychique, mais introduisant une épilepsie en négatif avec électroencéphalogramme normal. Une sémantique plus politique que biomédicale !

L’épilepsie est devenue un mal neurologique après avoir été un mal divin. La mortalité prématurée y est onze fois plus élevée que dans la population générale, mais les ¾ des décès semblent liés à une comorbidité psychiatrique de type dépression ou toxicomanie (4 fois plus de suicides, 4 fois plus d’accidents de la circulation, 8 fois plus de chutes, 8 fois plus de noyades). Par ailleurs, il existe une relation significative entre l’épilepsie temporale et les troubles bipolaires. Certaines manifestations paroxystiques (fugues, vols, agitation psychomotrice ou actes impulsifs) succèdent aux crises épileptiques. L’arrêt du traitement s’accompagne souvent de troubles bipolaires. La fréquence d’antécédents familiaux pour ces deux affections autorise à évoquer un substrat neurobiologique.

D’autres recherches de comorbidité sont plus surprenantes. De nombreux patients atteint de sclérose en plaques ont un trouble de l’humeur ou un trouble anxieux, ce qui n’est pas étonnant au regard de la gravité de cette maladie. Mais en insistant sur le fait que ces troubles aggravent l’invalidité, on leur confère une valence organique.

Chez les migraineux, la dépression est 3 fois plus fréquente, le syndrome d’anxiété généralisée et le trouble panique, 4 fois plus, et les troubles bipolaires de 3 à 7 fois plus. La relation entre migraine et maladie bipolaire est si forte que certains ont proposé d’en faire un sous-type nommé trouble bipolaire à cycles rapides (TBCR). Voilà qui ne simplifie pas le diagnostic instable de la maladie bipolaire.

Les uns notent la forte relation entre dépression et seuil de douleur, les autres évoquent une prédisposition neurophysiologique à la douleur chronique.

Une dépression chronique quadruple le risque de démence vasculaire. Une dépression d’apparition tardive double le risque de maladie d’Alzheimer, et pour certains, elle en serait un signe précurseur.

Après leur séparation sur le critère du substrat, la neurologie et la psychiatrie doivent-elles être réunies sur le critère de notre ignorance ? 

Bibliographie

Haro sur les arbres

17 février 2024

Un élu, soucieux de la survie de ses électeurs, propose de couper tous les arbres bordant les routes de son département. Selon certaines sources, les collisions entre véhicules et arbres seraient responsables de 250 morts par an. Mais les arbres ont bénéficié de la loi de légitime défense, car les expertises qui ont suivi ces drames ont toujours confirmé que le mouvement à l’origine de la collision meurtrière venait exclusivement du véhicule.

D’autres élus de départements d’outre-mer avaient proposé d’exterminer tous les requins, car certains d’entre eux avaient mortellement mordu des surfeurs. Cette extermination des requins n’aurait été que justice, puisqu’à l’inverse des arbres, ce sont toujours eux qui avaient mordu les premiers. Hélas, l’abattage des requins est plus difficile que celui des arbres pour des raisons cinétiques que chacun peut comprendre.

Comme dans la fable, il faut trouver un coupable pour ces malheurs qui frappent régulièrement les humains qui roulent ou surfent. La foule des animaux épargna le lion qui avait mangé un berger et condamna l’âne qui n’avait brouté qu’une langue d’herbe. On épargne les requins qui fuient la sentence, pour sacrifier les arbres qui l’attendent sans bouger.

Diderot disait que « l’homme est le terme unique d’où il faut partir et auquel il faut tout ramener ». Doit-on pour autant considérer que l’élu qui propose l’extermination des arbres de son département est un humaniste ? J’hésite…

Sans même vérifier, je pense qu’un élu qui préfère les automobilistes aux arbres est d’abord de droite avant d’être humaniste. On me rétorquera, sans vérifier davantage, qu’un citoyen qui s’oppose à une telle décision est d’abord de gauche avant d’être arboriste.

En matière de mortalité, les politiciens pourfendeurs d’arbres ne sont pas de meilleurs épidémiologistes que les marchands d’alcool, de tranquillisants et de cannabis. Mes connaissances en ce domaine plaident pour accorder un sursis aux arbres en attendant une enquête plus rigoureuse sur la cause des accidents de la route.

Toujours en ma qualité d’épidémiologiste, je propose l’éradication des moustiques qui sont assurément responsables de millions de morts chaque année. Hélas, la chose est encore plus difficile que pour les requins, car les moustiques sont de plus fieffés coquins…

Protéger les arbres où nichent les oiseaux qui mangent les moustiques pourrait être un bon début, même si cela sera certainement insuffisant…

Pour le contrôle des petits malheurs ou des grandes malédictions, il semble bien que les écologistes et les politiciens n’aient pas de meilleure option que de crier « haro sur le baudet ».

Références

De panacées en blockbusters

9 février 2024

Les panacées sont définies comme des médicaments pouvant tout guérir. L’Histoire en regorge : centaurée, thériaque, ginseng, snake-oil et poudre de sympathie sont les plus célèbres. Mais leur commerce était fort peu lucratif, faute de business plan.

La thériaque contenait plus de cent substances destinées à soigner tous les maux, mais elle contenait surtout une bonne dose d’opium. Les pharmaciens qui la distribuaient à la louche n’avaient pas encore compris tout l’argent que pouvait faire gagner l’addiction aux opiacés. La poudre de sympathie guérissait toutes les plaies, hélas, elle pouvait guérir à distance, ce qui n’était pas favorable au commerce. La snake-oil garantissait la vie éternelle à tous les conquérants du far-west, mais les docteurs camelots la bradaient bien souvent.

Jusque dans les années 1980, les Européens ont été les seuls à fabriquer les vaccins qui sauvaient des millions de vies. Mais leur prix dérisoire n’attirait ni les marchands ni les actionnaires. Lorsque les Américains s’y sont intéressés, leur prix a été multiplié par dix ou cent pour le même service rendu. Les Etats-Unis ont véritablement sauvé l’honneur du marché de la santé. Les camelots sont devenus experts de mercatique, les pharmaciens ont compris l’addiction, les boniments se sont parés de science diagnostique et les louches d’opium sont devenues des gélules bicolores.

A la fin du XIXe siècle, la cocaïne a été promue comme anesthésique, mais aussi pour soigner le mal de mer, la dyspepsie, l’asthme, la cachexie, l’impuissance, l’alcoolisme, la timidité, l’hystérie, la neurasthénie et la morphinomanie. Freud en a été un promoteur enthousiaste.

En 1950 le premier neuroleptique, le Largactil® a été proposé dans l’alcoolisme, l’anxiété, l’asthme, les troubles du comportement de l’enfant, le hoquet, les vomissements, l’ulcère gastrique, la ménopause, le psoriasis, la phobie du cancer, l’agitation, la sénilité, l’apathie, les manies, l’agressivité, les déficiences mentales, le stress, les délires, sans oublier toutes les douleurs.

À la fin du XXe siècle, un autre neuroleptique, le Zyprexa® a profité sans vergogne de cet engouement pour la psychiatrie, eldorado des pharmacologues. Il été validé contre la schizophrénie, troubles schizo-affectifs et personnalités schizotypiques, mais il a aussi été promu dans le trouble bipolaire, les psychoses du Parkinson et de la sénilité, la dépression unipolaire, les dysthymies, les toxicomanies et syndromes de sevrage, l’anxiété, les personnalité borderline, l’agressivité, l’anorexie, les mouvements involontaires, l’autisme, le TDAH, la boulimie, les troubles musculosquelettiques, les dysfonctions sexuelles, les troubles somatomorphes, les troubles vestibulaires, les nausées et vomissements, et bien évidemment toutes les douleurs.

Les camelots avaient transformé les placebos en panacées et la psychiatrie a transformé les panacées en blockbusters. Le cerveau est l’organe le plus facile à corrompre, dans tous les sens du terme.

Références

Comité de la fertilité

1 février 2024

Tous les présidents de la Vème république ont insisté sur l’impératif d’alléger l’administration et de diminuer le nombre de fonctionnaires. Malgré ce leitmotiv, aucun n’y est parvenu, quelle que soit sa tendance politique. Bien au contraire, le mille-feuille administratif s’est épaissi et le nombre des « assis » – comme les surnommait Rimbaud – n’a cessé d’augmenter.

Dans les hôpitaux, le personnel administratif strict est de 15% et l’ensemble du personnel non soignant est proche de 40%. Dans tous les secteurs, les normes et les procédures, souvent mal interprétées, alourdissent le fardeau du travail et en dégradent la qualité. La nocivité d’une norme est aussi inimaginable que celle d’un médicament, puisque les deux ont été conçus pour notre bien. On préfère ajouter de nouvelles normes ou de nouveaux médicaments pour corriger les effets indésirables des premiers.

Je dois donner au moins un exemple pour que ma critique ne soit pas triviale, voire populiste. La baisse de natalité qui atteint désormais notre pays vient de m’en fournir un. Cocasse.

Ne confondons pas les termes : ce n’est pas notre fertilité qui diminue, mais notre fécondité. La pollution et les perturbateurs endocriniens ont probablement un impact négatif sur la fertilité, mais il est très faible. Quant à la baisse de fécondité, elle relève essentiellement de facteurs sociétaux. Les inquiétudes économiques, écologiques et géopolitiques peuvent l’expliquer, mais toutes ces causes se résument à une seule qui est l’âge de plus en plus élevé de la première grossesse. Si les âges de la puberté et de la ménopause ont pu varier au cours des siècles et des environnements, il apparaît que l’âge du pic de fertilité des femmes n’a jamais varié : il est toujours de 24 ans. Et l’on oublie ou veut oublier trop souvent que le sperme se dégrade lui aussi avec l’âge.

Passés ces pics, la fécondité d’un couple va diminuant inexorablement. La PMA (procréation médicalement assistée) ne peut pas compenser ce déficit, tout en majorant les risques pour l’enfant à naître. Malgré sa large médiatisation, l’impact de la PMA sur la natalité reste faible (environ 3% des naissances en France où elle est beaucoup pratiquée, car remboursée jusqu’à 43 ans).

Devant ce constat, notre président, pourfendeur lui aussi de la pléthore administrative, a cependant décidé de créer un comité de la fertilité. J’ignore combien d’assis, experts, conseillers ou fonctionnaires émargeront à ce comité, quel sera son budget et la technologie mise en œuvre, mais ce sera assurément à fonds perdu. N’ayant aucune prise sur les macro-facteurs qui génèrent l’angoisse de la fécondation, ni sur les éventuels micro-facteurs qui diminuent la fertilité, tous ses membres, après des détours rhétoriques et de lourdes dépenses, finiront par conclure qu’il vaut mieux se féconder à 24 ans qu’à 43 ans.

C’est ce que j’ai tenté d’exposer dans cette très courte chronique, sans obliger le contribuable ni à me payer, ni même à me lire.

Références

Illusoire moléculaire

19 janvier 2024

Bien avant Booz et Noé, chacun savait qu’un bon sommeil est gage de bonne santé. Maintenant, nous savons que le manque de sommeil augmente le taux de CRP et que ce marqueur d’inflammation est très mauvais pour la santé.

Bien avant Mathusalem, la vieillesse avait été abondamment vérifiée. Ensuite elle a pu être suivie grâce au calendrier grégorien, et aujourd’hui, on peut la confirmer par le raccourcissement des télomères.

Bien avant que William Harvey n’explique en détail la circulation du sang, chacun savait qu’il avait l’âge de ses artères. Ensuite on a découvert que les plaques d’athérosclérose sont plus fréquentes avec l’âge, puis que la lipoprotéine A favorise la nécrose de ces plaques et donc les accidents vasculaires. On peut désormais regarder vieillir les artères. On a même découvert que tous les marqueurs biologiques de risque cardio-vasculaires augmentent lorsque l’on mange trop, surtout trop de sucre.

Hippocrate n’est pas le premier à avoir compris les dangers de l’obésité, mais il a insisté lourdement sur les excès nutritifs. Aujourd’hui le surpoids est devenu une question de ghréline, de leptine, d’acides gras et de résistine ; cette dernière molécule permet aussi de révéler des liens entre obésité et athérosclérose. Découverte permettant d’affirmer que les obèses vieillissent aussi.

La démence était une infamie de l’âge avant qu’une technique de coloration permette à Monsieur Alzheimer de découvrir des fibrilles dans les vieux neurones. Aujourd’hui, on découvre des protéines tau et beta-amyloïdes dans les cerveaux des déments. Il ne s’agit donc plus d’une calamité de l’âge, mais d’une calamité moléculaire.

Tout lecteur attentif aura suspecté mes railleries. Certains pourraient même me reprocher de dénigrer la science et la médecine moléculaire. Ce n’est pas vrai. Cependant, le bon sens et un respect immodéré pour l’empirisme me confèrent une modestie de profane.

Jenner et Pasteur ignoraient tout de l’immunologie. La variolisation était déjà pratiquée dans la Chine ancienne et elle fonctionnait assez bien sans que l’on ne sache ni comment, ni pourquoi quelqu’un avait eu une idée aussi géniale et aussi saugrenue.

L’obsession moléculaire de la médecine ne permettra jamais de savoir si la dépression est un problème de sérotonine, de noradrénaline ou de dopamine tant que nous n’aurons pas auparavant défini cette maladie avec précision. Mais cette obsession débouche parfois sur des miracles comme des traitements favorables aux enfants atteints de mucoviscidose, myopathies ou autres maladies rares.

Je n’ai donc aucun droit de railler nos découvertes moléculaires, ne serait-ce que pour leur potentiel de fascination et d’utopies. Et si, à force de confirmer incessamment qu’il est vraiment bénéfique de bien dormir, de manger peu et de bouger beaucoup, elles finissent par nous en convaincre, alors elles n’auront été ni illusoires, ni vaines.  

Bibliographie

Nouvelle médecine préventive

6 janvier 2024

Hippocrate pensait qu’il était impossible d’étudier et de connaître tout ou partie du corps sans prendre en considération son milieu. « Pour approfondir la médecine, il faut considérer d’abord les saisons, connaître la qualité des eaux, des vents, étudier les divers états du sol et le genre de vie des habitants ». Dans le même temps, de l’autre côté du monde, Confucius enseignait le « Ge wu », consistant à scruter la nature concrète des êtres et des choses : « L’efficacité du milieu juste est suprême, mais la plupart des gens en ont perdu la notion depuis longtemps ». Un peu plus tard, les taoïstes disaient que « le sage devrait imiter les saisons, l’eau, la terre, etc. ». L’individu et l’environnement étaient jugés indissociables bien avant Darwin.

De vagues notions notion d’hygiène, de souillures, de contagion et d’infection ont traversé les civilisations avec plus ou moins de succès au gré des croyances et des modes. Les romains, urbanistes de génie, géraient leurs eaux et leurs égouts. Lucrèce affirmait que la contagion pouvait faire mourir autant que le châtiment divin. En l’an mille, dans le monde arabe, Avicenne enseignait l’hygiène dans son Canon de médecine pendant que l’Europe jetait ses immondices dans les rues et dans les rivières dont elle buvait l’eau. Les Vénitiens, à la fin du XVème siècle, faisaient subir la quarantaine aux navires venant d’orient.

Au XVIème siècle, Girolamo Fracastoro parle des « seminaria prima » capables de passer d’un individu à l’autre et de se multiplier pour donner des maladies comme la peste, la syphilis, la tuberculose ou le typhus. Les idées de ce poète et médecin italien furent oubliées avant de renaître avec Pasteur et Koch.

Au XVIIIème siècle, la France des Lumières développe l’idée que le destin des épidémies n’est peut-être pas inexorable. La société royale de médecine essaie de secouer la léthargie des médecins en leur demandant de faire des relevés précis de la cartographie et de la « météorologie » des épidémies.

Au XIXème siècle, deux mille ans après les romains, les hygiénistes anglais se remettent à considérer la « saleté » de la cité et mettent en place l’alimentation en eau potable et le tout-à-l’égout. Prémices d’un courant appelé hygiène sociale attribuant la maladie aux comportements et aux agents infectieux. La vaccine de Jenner et l’apothéose pastorienne établiront l’irréversibilité de ce concept qui définira le rôle essentiel du médecin moderne.

Au XXème, les maladies non transmissibles ont été incluses dans la définition de la médecine préventive : « Spécialité médicale concernant la prévention des maladies, ainsi que la promotion et la préservation de la santé chez l’individu. »

Contre ces « maladies sans microbes », l’éducation prime sur l’hygiène sociale. Et malgré la connaissance des problèmes de nutrition, d’addiction et de sédentarité, ce ne sont plus les scientifiques et les politiques qui mènent la barque.

La route risque d’être plus tortueuse que pour les maladies transmissibles.

Bibliographie

Le seul tort des psychiatres

26 décembre 2023

Les psychiatres qui font certainement leur métier avec empathie et humanité, doivent souffrir devant leur cruel manque de résultats.

On estime à 25% la prévalence des troubles mentaux, et une personne sur trois en aura au moins un au cours de sa vie. Une grande enquête sur des personnes de plus de 65 ans révèle qu’au cours de leur vie, 47% des personnes ont présenté une affection psychiatrique, 26% une dépression majeure, 30 % des troubles anxieux, 11% une anxiété généralisée, 21 % des phobies, 3,7% une tentative de suicide, 4,7 % une psychose.

La prévalence de troubles psychiatriques pendant la grossesse reste inchangée, alors que ces troubles se répercutent très souvent sur leur progéniture.

La prévalence de l’anxiété et des troubles de l’humeur n’a pas diminué, malgré la profusion des traitements. Les ressources importantes allouées aux problèmes psychiatriques n’ont jamais de répercussion sur les indicateurs de la détresse psychologique. Quadrupler les budgets et doubler nombre de psychiatres, comme l’a fait la Nouvelle Zélande, a eu pour seul effet de doubler la consommation de psychotropes sans réduire la morbidité : 13,7 % des citoyens reçoivent des antidépresseurs et 3,1 % des neuroleptiques.

Toutes les méta-analyses montrent un risque de mortalité doublé chez les malades mentaux.  Leur espérance de vie est amputée de 8 à 20 années. Les maladies mentales contribuent à 14 % des décès mondiaux, soit 8 millions par an. Cette surmortalité n’est pas uniquement liée aux suicides et accidents mais aussi aux traitements et à divers facteurs socio-économiques. Ces facteurs, dont l’effet majeur sur le psychisme est connu depuis la Grèce antique, permettent de relativiser l’échec épidémiologique de la psychiatrie.  

On peut reprocher aux psychiatres d’avoir des diagnostics instables et flous. Leurs codages du trouble anxio-dépressif montrent un kappa voisin de zéro. Il n’existe aucun consensus sur la notion de sévérité d’un trouble mental. L’idéation paranoïaque dans la population varie de 2% pour les uns à 30% pour les autres. Pour quatre psychoses graves : schizophrénie, maladie bipolaire, dépression à caractère psychotique et psychose liée à une drogue, la moitié des patients n’ont pas eu le même diagnostic dix ans plus tard. Les 176 critères étudiés dans les deux systèmes de classement des maladies psychiatriques (CIM et DSM), diffèrent pour 99,9% des maladies.

Certes, leur tâche n’est pas aisée, car la moitié des patients atteint d’un trouble psychiatrique répondent également aux critères d’un autre trouble. Les données pangénomiques, neurobiologiques et épidémiologiques suggèrent une architecture de risque partagée pour des diagnostics aussi divers que troubles bipolaires, schizophrénie, TDAH, dépressions majeures et addictions.

Le seul grand tort des psychiatres est de n’avoir pas su empêcher la création de diagnostics pour tous les malheurs de la vie et de n’avoir toujours pas trouvé de mesure objective pour différencier le normal de l’anormal.

Bibliographie

Cannabis et psychose

15 décembre 2023

Les nostalgiques du « summer of love » ont banalisé le haschich jusqu’à lui donner l’image de drogue douce. On connaissait alors les ravages de l’alcool et pas encore ceux du cannabis. Pourtant dès 1845, Moreau de Tours avait alerté sur le risque de psychose, dans son ouvrage Du haschich et de l’aliénation mentale.

Aujourd’hui, des centaines d’études montrent sans ambiguïté l’association entre cannabis et psychoses, tout particulièrement la schizophrénie. Plus il est consommé tôt, plus il avance la maladie dont on sait que le pronostic est d’autant plus sévère qu’elle survient précocement.

On avait suggéré qu’une prédisposition génétique à la schizophrénie provoquait une attirance vers le cannabis comme automédication, de la même façon qu’un grand généticien avait osé affirmer qu’un seul gène prédisposait à la fois au cancer du poumon et au tabagisme.

Si la génétique de la schizophrénie est largement méconnue, on sait que les vécus douloureux, traumatismes de l’enfance et certains profils psychiques en multiplient le risque. Le haschich, ajouté à ces risques vient encore les multiplier par 2 ou 3. L’IRM constate la diminution du volume cérébral et la perte de substance grise ; ces pertes sont 2 fois plus importantes en cas de consommation de marijuana. Cependant, aucune de ces prédispositions environnementales ou neurophysiologiques n’est prédictive d’une prise ultérieure de cannabis, contredisant l’hypothèse de l’automédication. En revanche, cette idée a la vie dure, augmentant la consommation chez les personnalités schizotypiques et aggravant le cercle vicieux des crises psychotiques et de la dépendance.

Le lien avec les symptômes psychotiques est dose-dépendant. Certains estiment un risque multiplié par 6 après seulement 50 prises de cannabis. Ceux qui ont fumé au moins 3 fois avant l’âge de 15 ans ont un risque 4 fois supérieur dc présenter une schizophrénie à l’âge de 26 ans. La consommation avant 15 ans diminue aussi nettement les performances cognitives, l’attention et le contrôle de l’impulsivité. Evidemment, le risque augmente avec la concentration en THC qui est de 15% dans la skunk contre 5 % dans le hasch.

Toute la sphère mentale est concernée. Le suivi de plus de mille personnes de l’âge de 5 à 38 ans a montré que la consommation de cannabis à l’adolescence est associée à une baisse de QI pouvant aller jusqu’à huit points. Les méta-analyses montrent également l’augmentation notable des troubles anxio-dépressifs, autres psychoses, idées délirantes, hallucinations, déficits cognitifs, agitation psychomotrice, anhédonie, comportements antisociaux.

Sachant que 1,2 millions de français en font un usage régulier et que la consommation chez les 12-18 ans a été multiplié par trois entre 1993 et 2003. Sachant enfin que l’adolescence est une période de vulnérabilité et d’apprentissages, et que le cannabis thérapeutique est annoncé à grands renforts de publicité, voilà un sujet digne du réchauffement climatique.

Bibliographie

Abominable prédiabète

30 novembre 2023

Le dernier congrès européen de diabétologie a donné l’alerte sur un fardeau mondial croissant : le prédiabète.

Précisons avant tout que « diabète » désigne deux maladies totalement différentes. Une maladie auto-immune grave nommée diabète de type 1 (DT1) et une maladie de civilisation très fréquente, liée aux excès de consommation de sucre, nommée diabète de type 2 (DT2). La conservation du même nom pour deux maladies aussi dissemblables fait partie des aberrations qui ne peuvent s’expliquer que par des intérêts n’ayant rien à voir avec la science clinique.

Lorsque les médias ou les médecins parlent de diabète sans mentionner le numéro, ils évoquent toujours le DT2, car il représente 95% de l’ensemble.

A son début le diagnostic de DT2 était posé pour une glycémie à jeun supérieure à 1,4 g/l. Puis ce taux est passé à 1,2g/l, faisant doubler d’un coup le nombre de diabétiques dans le monde.

Le DT2 survient lorsque l’insuline n’arrive plus à faire face à l’excès de consommation de sucre. Tout commence par une insulino-résistance, aujourd’hui détectable, que l’on nomme donc le prédiabète. Quelle extraordinaire découverte : les maladies incubent avant d’être détectables. Nous avons donc tous une pré-surdité, une pré-impuissance, une pré-Alzheimer, voire un pré-cancer.

Mais on peut détecter le prédiabète encore bien plus tôt en observant la consommation de sucre qui est passée de 7 kg par an et par personne au moyen-âge à 30 à 100 kg aujourd’hui.

Les congressistes ont estimé que 20% des prédiabètes évolueront en DT2 dans les 5 ans. Qui aurait pu le croire ? Ils ont osé une prévision de 10 % de prédiabétiques dans la population en 2045. Cela parait bien peu au vu de la consommation de sodas et autres sucreries consommées à tout âge et hors de toute raison.

Le bubble-tea est une nouvelle boisson très sucrée dont la prévision de marché est de 5 milliards € annuels. Le marché des antidiabétiques étant bien plus élevé, les laboratoires peuvent s’offrir des congrès savants, alors que les marchands de soda ne peuvent s’offrir que des publicités télévisées. Fort heureusement pour le commerce, les plus gros buveurs de soda sont aussi les plus téléphiles et les plus savants diabétologues sont aussi les plus congressistes.

Le congrès s’est enfin effrayé de voir des pays inconscients qui ne dépistent pas le prédiabète. Ces mêmes pays ne savent probablement pas mieux dépister les pré-diarrhées, pré-paludismes et pré-tuberculoses qui vont tuer 6 millions de personnes chaque année.

Les publications triviales de ces congrès sponsorisés répondent aux critères exigibles pour être publiés par des revues scientifiques. Prouesse de la mercatique médicale consistant à bafouer le bon sens sans véritablement corrompre la science. Rien à redire. Même l’OMS approuve ces rapports.

Avez-vous remarqué que le verbe « durer » a disparu des médias ? Aujourd’hui, malgré notre société de zapping, tout « perdure ».

L’humanité pourra-t-elle perdurer après la découverte du prédiabète ?

Bibliographie

Epigènes héritables

20 novembre 2023

Les lois darwiniennes de l’évolution ont tardé à pénétrer les esprits ; inversement, la génétique a connu un succès rapide. L’expression « c’est dans son ADN » suffit à résumer l’engouement des médias et du grand public pour le déterminisme par les gènes.

Pourtant, si l’ADN est responsable de traits biologiques et morphologiques, il intervient moins sur nos traits comportementaux. Les progrès de l’épigénétique nous confirment la primauté de l’environnement sur le comportement.

Il faut distinguer les marquages épigénétiques selon qu’ils opèrent sur des cellules somatiques ou germinales. Dans le premier cas, ils n’entraînent évidemment aucune répercussion sur la génération suivante. Inversement, lorsque des cellules germinales sont marquées, une transmission intergénérationnelle est possible. Cependant, la plupart de ces marques germinales s’effacent avant, pendant ou juste après la fécondation, laissant à l’embryon un ADN « nettoyé » issu de ses deux parents. Puis, la vie in utero, l’éducation et l’environnement viendront poser de nouvelles marques épigénétiques sur cet ADN.

Freud et Lamarck ignoraient la génétique et l’épigénétique. Freud a supposé à raison que des marques posées sur l’ADN de cellules cérébrales entraînent des répercussions sur l’humeur et le comportement. Quant à Lamarck, s’il avait tort pour les marquages somatiques, il avait raison pour certains marquages germinaux.

Aujourd’hui, nous avons maintes preuves de marques germinales non reprogrammées, donc héritables. Certaines concernent l’alimentation dont les marques sur le sperme et les ovules peuvent être transmises à la progéniture. L’exemple le plus connu est celui de la famine hollandaise dont les stigmates sont vécus par la génération suivante.

Nous savons aussi que l’exposition à des médicaments comme le distilbène ou à des pesticides, ont marqué les cellules germinales sur plus de deux générations. Le stress vécu par les parents marque leurs cellules cérébrales, mais peut aussi marquer leurs cellules germinales. Par exemple, les survivants de l’holocauste ont transmis à leurs enfants des épigènes du traumatisme qu’ils ont vécu.

Dans le cas du stress ou de la nutrition, on comprend aisément que l’éducation peut ajouter d’autres marques qui modifieront l’expression des gènes déjà marqués par héritage. Ainsi, l’obésité et l’anxiété peuvent être à la fois héritées et modulées ou aggravées par l’éducation.

L’hérédité épigénétique intergénérationnelle est définie comme une hérédité qui ne traverse qu’une ou deux générations, alors que la transgénérationnelle est celle qui en traverse plusieurs. Nous avons de nombreuses preuves d’hérédité épigénétique transgénérationnelle chez les plantes, mais encore très peu chez l’homme.

Ainsi, malgré les grandes perturbations environnementales que nous subissons, il semble que la reprogrammation de notre lignée germinale fonctionne encore assez bien pour éliminer les marques épigénétiques les plus délétères.

Pourvu que ça dure…

Références