Maladies de légende

9 décembre 2019

En juillet 1969, lors de la mission Apollo 11, Neil Armstrong a fait les premiers pas de l’homme sur la lune. La médiatisation de cet évènement a fait le tour du monde.

Dans les jours suivants, une épidémie de conjonctivite hémorragique virale s’est répandue dans toute l’Afrique de l’Ouest et au-delà. Les populations ont alors fait le rapprochement entre cette épidémie et la marche sur la lune. Le lien est évident ! Comme celui d’avoir été renversé par un autobus après une vaccination.

Le virus a vite été identifié, il s’agissait de l’entérovirus EV70, mais rien n’empêcha la population de le nommer ‘virus Apollo’. C’est le nom qu’il porte encore aujourd’hui.

Le candiru est une maladie connue depuis le XVIII° siècle, elle est provoquée par un petit poisson qui vit dans les eaux douces d’Amazonie. Elle se contracte en urinant dans une rivière, car le petit poisson peut remonter le long du jet, atteindre l’urètre et la vessie où il se fixe grâce à de puissants crochets. Il grossit alors et produit des milliers d’œufs qui provoquent de graves troubles de l’appareil urinaire.

Cette maladie est répertoriée dans l’index américain des maladies sous le numéro B88.8. Les tour-operator recommandent de ne pas uriner dans les rivières d’Amazonie. Internet diffuse des commentaires alarmants de patients et de témoins. Les poissons éclosent par millions. Ils dévorent les muqueuses de la vessie. Ils provoquent des hémorragies souvent mortelles.

Curieusement, aucun cas importé n’a été recensé à ce jour.

Le candiru est évidemment une légende que les indigènes avaient inventée pour faire peur aux premiers colons. L’idée était subtile, mais elle n’a pas empêché des millions de touristes de venir piétiner la biodiversité amazonienne sans savoir qu’une photo de smartphone n’en fournit aucune clé de compréhension. On finira par regretter que le candiru n’existe pas.

Je me souviens de mes patients prétendant avoir attrapé leur chaude-pisse sur la cuvette des WC. Je me souviens aussi du dahu de mon enfance, cet animal dont les pattes sont plus courtes d’un côté pour lui permettre de marcher à flanc de montagne. Il est ainsi condamné à faire le tour des monts toujours dans le même sens. Il suffisait de revenir bredouille de sa première chasse au dahu pour comprendre le jeu subtil de la légende qui nous avait fait marcher au vrai sens du terme.

Les contes enfantins sont devenus des fake news pour adultes. Tant de maladies nous guettent, tapies au fond de nos smartphones. Et il n’y a même plus besoin de marcher pour aller en vérifier l’existence.

Dangers de la vie et prodigalité des maladies.

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Vie et mort des dogmes du soin

4 décembre 2019

La philosophie enseigne la différence entre dogme et théorie scientifique. Le dogme est irréfutable et immuable, alors que la science s’enrichit de l’opposition et de la mouvance. Tenter de consolider ou de détruire un dogme par une démarche d’allure scientifique conduit au grotesque, ou pire, à l’aliénation.

Inversement, certaines académies sont tentées par les dogmes. Les sciences biomédicales offrent de pittoresques exemples de cette tentation dogmatique. 

L’impératif du couchage du nourrisson sur le ventre a duré deux ou trois générations avant que les bébés retrouvent la sérénité du décubitus dorsal. La mort subite du nourrisson est ainsi revenue à sa fréquence d’avant le dogme.

Empiriquement lié à l’acidité gastrique, puis modèle de maladie psychosomatique, l’ulcère de l’estomac est désormais exclusivement dû à un microbe. Le prestige du prix Nobel, attribué à ce troisième dogme, va probablement retarder la théorie multifactorielle unificatrice, le seule dont la longévité pourrait rivaliser avec celle du dogme de la Sainte Trinité.

Pendant longtemps, il a fallu exorciser par le bistouri les amygdales et les végétations responsables de tous les maux de nos enfants. Combien de parents fidèles ont ainsi conduit leurs enfants au martyre. Certains les ont conduits jusqu’à la mort en écoutant les ‘prêtres’ qui avaient préconisé la destruction du thymus. Véritable djihadisme biomédical.

Aujourd’hui, HDL cholestérol, télomères, génomique et probiotiques ravivent le mythe de l’immortalité avec un surprenant succès.

Pendant un certain temps, les corticoïdes pour faire baisser la fièvre des enfants ont bénéficié à la fois de l’apparence du dogme et de celle de la science. Après avoir aggravé les infections, ils sont désormais essentiellement prescrits par des ‘théologiens’.  

Le traitement des lombalgies et sciatiques exigeait une immobilité absolue en position allongée. Après deux siècles d’escarres et de phlébites, les malheureux reclus sont désormais encouragés à marcher. Ici, tout est pour le mieux, puisque ce retour salutaire à la marche rejoint la volonté divine de notre bipédie.

Après avoir immolé des tonnes d’utérus, les pourfendeurs de la ménopause ont exigé un traitement hormonal pour éradiquer ce mal diabolique. On ne saura jamais combien d’innocentes ont été sacrifiées sur ces nouveaux bûchers. Aujourd’hui c’est l’ostéoporose qui a pris le relais de la rédemption ménopausique. Espérons vivement que ce nouveau dogme n’aura pas la longévité de celui de la conception virginale.

Les sciences modernes, biologie comprise, de plus en plus précises et solides, ont désormais des théories dont la durée de validité rivalise avec celle des dogmes. Seule la biomédecine se permet encore d’élaborer des théories fugaces mêlant poésie scientifique et rigueur dogmatique, avec un nombre toujours impressionnant d’affidés.

C’est toute la magie du soin.

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L’allégé fait grossir

15 novembre 2019

Dans chaque pays existe une parfaite corrélation entre les chiffres de vente d’aliments allégés (light) et le pourcentage de citoyens en surpoids et d’obèses morbides. Cette constatation, sans idée préconçue, peut conduire à deux conclusions très différentes.

Les uns trouveront logique que la vente de produits light se développe lorsque l’obésité augmente. Les autres concluront que le light n’a aucun effet sur l’incidence de l’obésité. L’idée première du commerçant est de voir le light comme un marché porteur dans un pays ou l’obésité est fréquente. Alors que le constat du clinicien est de voir l’échec des produits allégés sur la réduction d’incidence de l’obésité.

Ces deux conclusions sont exactes et chaque observateur peut se féliciter de sa logique. Oui, le light est un marché porteur. Non, le light ne sert à rien.

Mais dans l’imbroglio des relations entre le commerce sanitaire et les sciences biomédicales, il serait surprenant que des conclusions aussi instinctives puissent être validées par la science.

La vérité est en effet plus complexe : le light fait grossir.

Les marchands peuvent se réjouir d’une telle conclusion favorisant un marché circulaire qui prospère du seul fait de son existence (comme ceux des sucres, jeux-vidéos, psychotropes, ou déodorants qui s’autopromeuvent par la dépendance qu’ils créent). Par contre, les cliniciens doivent s’alarmer de cette découverte contre-intuitive puisque leur prescription devient alors nuisible aux patients.

Après avoir montré que le traitement de l’obésité ne peut passer ni par des alicaments, ni par des médicaments, la science a cherché à comprendre le paradoxe du light qui fait grossir. Elle a déjà plusieurs réponses.

Les édulcorants de synthèse sont non seulement inefficaces, ils sont aussi nuisibles en favorisant l’intolérance au glucose par un mécanisme probablement lié à des modifications du microbiote.

Chez les enfants, les boissons light au goût sucré sont encore plus toxiques que les boissons sucrées, car elles affectent encore plus négativement et plus durablement leur comportement alimentaire. Chez l’adulte les sodas light favorisent l’insulino-résistance et le diabète de type 2. Chez les femmes enceintes, elles augmentent, en sus, le risque d’accouchement prématuré pour des raisons encore imprécises.

Enfin la physiologie éclaire ce paradoxe. Un édulcorant de synthèse émet dans la bouche un signal sucré qui informe l’organisme d’une arrivée prochaine de sucre, il mobilise donc l’insuline et limite la libération des réserves de sucre ; et comme l’apport sucré n’a pas lieu, il s’ensuit une authentique hypoglycémie qui stimule l’appétit. Ce qui n’était pas le but !

J’en profite pour disculper la majorité des obèses qui ne sont pas responsables de leur obésité, car cette pathologie se forge avant l’âge de 6 ans et même dans la vie intra-utérine. Pardonnons aussi aux parents auxquels on n’avait pas dit que le Bon Dieu a mis Homo sapiens debout pour qu’il ne cesse jamais de marcher.

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Sélection naturelle de la mauvaise science

6 novembre 2019

Le système actuel de publication en biomédecine favorise et encourage les résultats faussement positifs et ignore les résultats négatifs. Cette médiocrité méthodologique persiste dans les articles des plus prestigieuses revues médicales malgré les alertes répétées et une réelle volonté de changer les choses.

La persistance d’une telle médiocrité résulte donc forcément d’autre chose que de l’incompréhension ou de la corruption. C’est ce qu’ont démontré Smaldino et McElreath dans leur fameux article.

En réalité, de multiples mesures incitatives conduisent à une « sélection naturelle » de la mauvaise science, sélection que ces auteurs démontrent sur le modèle même de la biologie évolutionniste. En médecine hospitalo-universitaire, l’avancement professionnel passe fort peu par l’expertise clinique ou relationnelle, mais essentiellement par les publications. La conception des essais et les méthodes d’analyse ne sont pas déduites du chevet des patients mais elles sont choisies pour une future publication qui répondra aux normes et exigences des financeurs et des revues qui en dépendent.

Les deux auteurs font une méta-analyse de la puissance statistique sur 60 années de publications et montrent que cette puissance ne s’est pas améliorée malgré les démonstrations répétées de la nécessité de l’accroître. Ils élaborent ensuite un modèle dynamique de communautés scientifiques et montrent que les laboratoires les plus « normatifs », c’est-à-dire ceux dont les méthodes de recherche sont « dictées », sont logiquement les plus « performants » en termes de publications. Et poursuivant sur le modèle de la sélection naturelle, ils montrent que ces laboratoires ont la plus grande « progéniture », c’est-à-dire plus d’étudiants qui ouvriront leur propre laboratoire sur le même modèle. Cette sélection pour un rendement élevé conduit à un lent processus de détérioration méthodologique et à des taux de fausses découvertes de plus en plus élevés.

Ce biais se poursuit dramatiquement dans les comités de recherche destinés à élaborer les bonnes pratiques médicales. Les articles ne sont pas critiqués, voire pas lus, seul compte leur facteur d’impact et les notifications aux agences de presse.

Pourquoi l’amélioration des méthodes de recherche est-elle plus lente en biomédecine qu’en aéronautique ou en électronique ? Car la sanction des erreurs y est moins spectaculaire que ne l’est un crash aérien ou une panne informatique, tout particulièrement pour les maladies dites « chroniques » où l’évaluation est devenue pratiquement impossible.

Ces maladies tumorales, psychiatriques, cardiovasculaires et neurodégénératives sont devenues logiquement la cible du marché, car exagérément la cible de l’espoir. Mais n’espérons pas améliorer les méthodes de recherche les concernant, tant que l’on n’aura pas opéré un changement brutal, radical, violent, menaçant, au niveau institutionnel.

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Merveilleux purificateurs d’air

29 octobre 2019

En décembre 1952, le smog de Londres a fait plus de 10 000 morts. Il s’agit de la première étude épidémiologique sérieuse des nuisances liées à la pollution atmosphérique de l’ère industrielle. On peut supposer que ces nuisances étaient perçues depuis longtemps, puisqu’un siècle auparavant Alphonse Allais avait suggéré de construire les villes à la campagne, car l’air y est plus sain. Cette phrase serait en réalité celle d’un certain Jean Commerson, peu importe, cela prouve que plusieurs esprits libres sonnaient déjà l’alerte sur la qualité de l’air que nous respirons.

Depuis, l’aspect des villes a beaucoup changé, les usines les ont désertées pendant que les urbanistes les remodelaient pour les dédier quasi exclusivement à la circulation automobile et au stationnement des véhicules. La pollution y est désormais plus régulière et plus diffuse.

Puisqu’aucun pays ne peut se passer du PIB de l’industrie automobile, les autorités mettent en place des mesures des taux de pollution qui permettent de temporiser en affichant la volonté de faire quelque-chose. En médecine aussi, les analyses et les radios sont une façon de tuer le temps lorsque l’on ne sait rien faire d’autre…

Ce qui est nouveau par rapport à l’époque d’Alphonse Allais et du smog londonien, c’est que nous sommes passés d’un marché de la demande à un marché de l’offre, avec une financiarisation dominante qui annule toute réflexion d’ordre éthique ou plus simplement logique.

Dans un marché de l’offre, l’écologie offre d’infinies opportunités. La pollution est une aubaine que savent exploiter de nouveaux marchés pleins d’avenir. Celui des purificateurs d’air et en pleine expansion.

On propose déjà des véhicules dotés de purificateurs ou pseudo-purificateurs supposés permettre de rester plus longtemps dans les embouteillages sans s’empoisonner soi-même. De gros purificateurs sont désormais proposés aux écoles, aux établissements publics et aux collectivités territoriales. Les marchands ont toujours su habilement exploiter l’obligation d’affichage éthique du clientélisme démocratique. Le même procédé est utilisé pour promouvoir et faire rembourser des médicaments à des prix exorbitants ; dans ces cas, ce n’est pas l’efficacité (souvent inconnue) qui sert d’argumentaire commercial, mais la compassion obligatoire des autorités.

Nous ne pouvons pas savoir quelle sera l’efficacité sanitaire réelle de ces purificateurs d’air installés dans les rues ou dans les écoles.  Par contre, nous pouvons déjà avoir la certitude que leur fonctionnement alourdira notre dette et notre empreinte carbone. D’autant qu’ils contiennent souvent des filtres en cartouches jetables, annonçant un marché de consommables aussi lucratif que celui des cartouches d’imprimante.

Voilà donc un merveilleux marché de l’offre : plus nous installerons de purificateurs d’air, plus nous en aurons besoin.

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Grossièreté neuroleptique

19 octobre 2019

Les quatre domaines du soin sont la chirurgie, l’obstétrique, la médecine et la psychiatrie. Nul ne peut contester les extraordinaires progrès des deux premiers. En ce qui concerne la médecine, nous devons louer la morphine, les vaccins, l’insuline et les antibiotiques. Pour la psychiatrie, en dehors des neuroleptiques et des thérapies comportementales, une certaine modestie s’impose.

Les neuroleptiques ont révolutionné le soin en supprimant la camisole de force, transformant les « aliénés » en « patients ». La pharmacologie psychiatrique, trop souvent en échec, a transformé ce succès en une grossièreté mercatique. Lorsque la chlorpromazine (Largactil®) a été découverte dans les années 1950, ce premier neuroleptique a été proposé dans – va-t-on me croire – l’alcoolisme, l’anxiété, l’asthme et toutes les douleurs (arthrose, tendinites, brulures, etc.)

Comprimé magique également promu pour l’hyperactivité infantile et tous les troubles du comportement de l’enfant, décrétés innombrables. Une publicité est allée jusqu’à proposer un dérivé de la chlorpromazine pour les enfants qui détestaient leurs jouets. En cette époque de domination psychanalytique, venger les injustices de la vie sur sa poupée devait être un signe de déséquilibre mental.

Et aussi le hoquet, les nausées y compris celles de la grossesse, les vomissements, l’ulcère gastrique, la ménopause, le psoriasis et les émotions liées à toutes les maladies de la peau.

Le cancer a été particulièrement choyé puisque la chlorpromazine était indiquée pour la phobie du cancer, les souffrances liées à la maladie et à sa radiothérapie. Donc avant, pendant et après !

Sans oublier l’agitation sénile et plus simplement la sénilité. Tous les patients agités ou contestataires, mais aussi les patients apathiques. Et encore, les manies, l’agressivité, les déficiences mentales, le stress. Une publicité vantait la « libération de l’esprit » en décrivant ces comprimés comme des « compagnons » sur lesquels on pouvait compter pendant des mois et des années. Les années étant préférables.

La schizophrénie, seule véritable indication, n’avait pas de priorité particulière. Certes la publicité mentionnait l’action sur les délires, ajoutant que le médicament pouvait aussi aider les personnes distraites à se maintenir dans la réalité.

Enfin, ce médicament faisant somnoler les patients avant l’anesthésie, on pouvait vanter son action aux quatre « point cardinaux » : obstétrique, chirurgie, médecine et psychiatrie.

Hygie et Panacée, les deux filles d’Asclepios dieu de la santé, étaient rivales, l’une prévenait les maladies, l’autre les guérissait toutes. Avec les neuroleptiques, Panacée a failli gagner. Aujourd’hui Hygie a repris de l’influence. Mais Panacée n’a certainement pas dit son dernier mot. En prescrivant largement des neuroleptiques, dès le plus jeune âge, notre efficacité sur les pathologies serait globale : avant, en supprimant la crainte, pendant, en masquant les symptômes, et après, en effaçant le souvenir.

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Djihadisme ou psychotropes

15 octobre 2019

Après chaque tuerie barbare, se pose l’inévitable question de son lien avec le terrorisme islamiste. Chaque enquête commence par cette interrogation dont la réponse conditionne toutes les suites juridiques et sociopolitiques. Cela est compréhensible puisque le lien entre la radicalisation islamiste et la barbarie a été dûment établi par une longue succession de faits.

Cependant, aucune science, qu’elle soit sociale, biologique ou physique ne peut progresser en se contentant de rabâcher de vieilles corrélations. Les réflexions circulaires conduisent à des paradigmes qui finissent par ressembler à des dogmes. Il faut ouvrir de nouvelles portes.

Rechercher la motivation (prosélytisme, mission divine, radicalisation) des homicides barbares, c’est n’en traiter que l’aspect cognitif, en projetant notre rationalité d’observateur, de commentateur ou d’enquêteur sur l’auteur de l’homicide. C’est en négliger la barbarie, l’irrationalité, le délire, l’impulsivité, le caractère irrépressible, la folie suicidaire, autant d’aspects qui ne relèvent plus de processus cognitifs mais d’évènements neurophysiologiques.

Nous avons déjà de nombreuses données et de nouvelles pistes de recherche pour mieux comprendre ce phénomène. Les psychotropes et toutes les substances psychoactives sont connues depuis longtemps pour provoquer des actes « insensés » chez des personnes dont on semble se plaire à répéter que rien ne les y prédisposait.

La secte des islamistes haschischins est historiquement connue pour nous avoir fourni le mot « assassin ». Nous connaissons le rôle de l’alcool sur la témérité des poilus, l’usage de diverses drogues dans les grandes offensives militaires et celui des amphétamines dans les réseaux djihadistes. Le risque suicidaire des antidépresseurs est désormais bien documenté, comme le sont les homicides sous benzodiazépines, l’induction psychotique du cannabis, et les hallucinations de divers psychédéliques.

Dans le dernier attentat qui a fait 4 victimes, on sait même que l’assassin avait entendu des voix la veille de son acte. Etonnant non !

Pourtant, en écoutant les enquêteurs, en ouvrant les radios, en lisant les journaux, en écoutant les préfets et ministres, je n’ai jamais entendu parler de recherches sur la prise possible de psychotropes.

Lorsque l’on avait réalisé que plus de la moitié des accidents de la route étaient liés à l’alcool, on avait généralisé les éthylotests après chaque accident ou infraction. Nos données sur les liens entre substances psychoactives et barbaries sont aujourd’hui bien meilleures. Pourquoi aucune enquête ne commence par le dosage de ces substances ? Pourquoi aucun préfet ne le suggère, pourquoi aucun enquêteur ne semble même se poser la question ? Pourquoi aucun député n’a l’idée d’aborder ce thème ?

Un tel niveau de silence sur les psychotropes dépasse l’entendement. On ne peut plus parler de négligence ou d’ignorance, il faut presque parler d’omerta.

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Psycho-immunologie

1 octobre 2019

La psycho-immunologie est un nouveau domaine de recherche clinique et biologique en plein essor. Il s’agit de comprendre la nature des liens entre le système immunitaire et les maladies mentales.

Les cliniciens ont toujours observé des relations complexes entre, d’une part, maladies auto-immunes et infections à répétition, et d’autre part, dépressions et troubles de l’humeur. Ils en ont aujourd’hui la confirmation statistique. Il existe une parfaite relation de type dose-réponse entre le nombre d’épisodes infectieux sévères et le risque de schizophrénie. La même relation existe entre le nombre d’hospitalisations pour infection ou maladie auto-immune et le risque de troubles de l’humeur.

Malgré ces corrélations, il reste hasardeux de vouloir établir des causalités. Est-ce la dépression qui favorise les infections ? Est-ce la polyarthrite rhumatoïde qui favorise de façon compréhensible les troubles anxieux ? Est-ce l’inverse ? Ou encore, les deux types de morbidité résultent-ils d’une conjonction d’autres facteurs génétiques et environnementaux ?

Ce genre de question est récurrent en médecine clinique, on fait alors appel à la biologie. Celle-ci nous a déjà confirmé que le taux de cytokines pro-inflammatoires est plus élevé en cas de dépression, de comportements agressifs et dans la majorité des troubles mentaux.  Ces résultats ne doivent pas nous faire perdre notre lucidité de clinicien face aux empressements thérapeutiques.

Il est trop tôt pour proposer des anti-inflammatoires à toutes les dépressions, comme certains se sont empressés de le faire après avoir constaté quelques améliorations passagères.

Même si le lien entre infections et schizophrénie peut s’expliquer par la présence d’autoanticorps cérébraux, il serait prématuré de traiter cette maladie avec des antibiotiques ou des immunosuppresseurs. Pourtant un dérivé mixte est déjà à l’étude, car il agirait à la fois sur les cellules gliales du cerveau et sur le microbiote intestinal.

D’autres vont jusqu’à proposer le dosage des autoanticorps pour diagnostiquer les dépressions. Ici l’enthousiasme confine au délire.

Plus lucidement : les maladies mentales augmentent en fréquence et en durée, cette réalité épidémiologique est un cuisant constat d’échec. Il en est de même pour les maladies auto-immune où mon ignorance globale n’a d’égale que celle des autres.

L’importance du marché dans le financement des études est devenue le talon d’Achille de la connaissance. Le but n’est plus d’intégrer de nouveaux niveaux de compréhension, mais de trouver rapidement une hypothèse réductionniste susceptible de faire valider un traitement. Donner des antiinflammatoires à tous les déprimés provoquera assurément des épidémies d’ulcère gastrique et d’insuffisance rénale.

Nos échecs pour les maladies mentales et auto-immunes doivent inciter à plus de prudence. Deux négatifs conduisent à un positif, mais je doute fort que cette mathématique s’applique aux sciences biomédicales.

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Perturbateurs de l’appariement

23 septembre 2019

Sachant que la pilule contraceptive est un puissant perturbateur endocrinien, nous supposions logiquement, depuis des années, qu’elle pouvait modifier ou perturber les processus de l’appariement.

La chose est désormais bien établie. La pilule oestro-progestative diminue la sensibilité aux émotions, elle diminue la reconnaissance des expressions faciales, elle modifie les critères d’attirance sexuelle. En conséquence elle modifie profondément le choix des partenaires sexuels.

Certains supposent que cette « dénaturation » de l’appariement peut avoir des conséquences sur la fertilité du couple et sur la qualité de la progéniture. Mais pour l’instant, les preuves manquent.

En revanche, nous avons évidemment la certitude que l’utilisation de la pilule retarde l’âge de la maternité et corrélativement celui de la paternité. Ce retard à la procréation diminue logiquement la fertilité du couple, obligeant de plus en plus souvent d’avoir recours à la PMA. Par ailleurs, même si cette vérité peut choquer, ces paternités et maternités tardives ont des conséquences statistiquement significatives sur la descendance, en augmentant la morbidité, particulièrement psychiatrique.

Quant aux hommes, si leur appareil reproducteur a été épargné par la pilule, ils ont malheureusement été les principales victimes des pesticides et autres perturbateurs endocriniens. Les conséquences les mieux documentées sont la forte diminution de la spermatogénèse et les diverses anomalies morphologiques de l’appareil génital masculin.

Nous pouvions logiquement émettre l’hypothèse que les pesticides allaient aussi modifier les processus de l’appariement chez l’homme, mais la démonstration est plus difficile que pour les effets de la pilule chez la femme.

Des expériences récentes sur les rongeurs semblent confirmer cette hypothèse. Chez les mâles, un phtalate, connu sous le nom de DEHP, diminue les vocalisations de séduction ainsi que d’autres traits de leur attractivité sexuelle. Ce phtalate les prive pratiquement de l’accès à la reproduction, puisque les femelles choisissent d’autres partenaires plus entreprenants et plus séduisants.

En ces temps d’écologie envahissante, on s’alarme pour l’avenir de la planète. Que l’on se rassure, la planète nous survivra, ainsi qu’une grande diversité des formes de vie qu’elle abrite. Chacun comprend que « planète » est un artifice euphémique pour ne pas mentionner notre espèce qui affronte effectivement plusieurs changements environnementaux.

Comment aborder concrètement notre écologie comportementale et notre avenir procréatif ? Ouvrir plus d’écoles de PMA relèverait d’un activisme béat. Se réjouir de l’inutilité de la pilule après disparition des spermatozoïdes relèverait d’un catastrophisme cynique.

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18 septembre 2019

Résilience improbable

La cigarette dans sa main gauche, elle téléphonait de sa main droite. La manœuvre était délicate, car son chien tirait sur la laisse passée à son poignet droit. Pour libérer la main du smartphone, il fallait opérer en trois temps : commencer par maintenir la cigarette avec les lèvres, puis changer la laisse de côté sans perdre le fil de la conversation. Disons plutôt de la dispute téléphonique : le ton ne laissait aucun doute. Ensuite reprendre la cigarette avec la main de la laisse.

Les deux enfants avaient 4 et 6 ans à vue d’œil. Ils suivaient en cherchant sans conviction un motif de jeu. Sait-on jamais ? À cet âge, il suffit d’un rien pour tromper l’ennui. Le jeu est un instinct, une façon de penser et d’expérimenter le monde.

Ce sont des pigeons qui ont déclenché le drame. Ils sautillaient quelques mètres devant le chien. Leur courir après ou leur lancer des cailloux était une évidence, une nécessité. Dans sa tentative ludique d’autant plus précipitée qu’elle était inespérée, le petit garçon a croisé la laisse du chien, tirant inévitablement sur la main de la cigarette au moment d’une ébauche de bouffée.

D’abord le classique : « tu ne pourrais pas faire attention à ce que tu fais », puis une kyrielle de blâmes classiquement destinées aux « bons à rien » et autres cris de damnation, tous éraillés par des années de tabagisme. Après la gifle au garçon, frayeur ou compassion, je n’ai pas su discerner, c’est la petite fille qui a pleuré. Un garçon ne pleure pas ; son père le lui avait dit, il ne faudrait pas qu’il l’entende, car c’est certainement lui qui tient l’autre téléphone.

J’ai pensé un instant intervenir. Je me suis contenté d’une bouffée de tristesse en regardant ce petit garçon superflu et cette petite fille excédentaire. On n’a pas quatre mains

Puis j’ai pensé au Burkina Fasso, au Gabon et au Congo de mes débuts médicaux où les enfants mouraient sous la pression parasitaire.

Cette comparaison saugrenue n’a pas suffi à me consoler. Je me suis éloigné en dissertant sur les nouvelles pressions qui pèsent sur nos enfants.  La dissertation est le courage des lâches. Quelle chance ont ces enfants de pouvoir un jour gérer leur propre vie ?  Au Congo les rescapés des diarrhées infantiles ont acquis une immunité solide et durable. Chez nous, on disserte volontiers sur la résilience. Cette faculté d’acquérir une immunité sociale qui vous rend plus fort. Les papes de la résilience ont certainement raison, le phénomène existe. Mais leurs dissertations ignorent la statistique. Quel est le taux de résilients ? J’ai bien peur que le taux de rescapés cognitifs soit beaucoup plus faible que le taux de rescapés immunitaires.

Je n’ai rien fait pour ce petit garçon et cette petite fille entrevus dans un jardin public. Pour les petits gabonais ou congolais morts devant moi, j’avais au moins essayé…

Sans doute un peu de fatigue.

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