Effet week-end

3 juin 2020

L’urgence médicale est une notion relative, dépendante du patient, de l’observateur et de l’époque. L’élévation de notre niveau de santé en a augmenté les impératifs. Dans les années 1980, les SAMU en ont augmenté la visibilité, donc la consommation. Electroménager ou urgence vitale, rien ne peut échapper aux effets de la communication.

Les généralistes, modérateurs idéaux de l’inflation urgentiste, ont progressivement disparu du grand ballet des gyrophares. Les services d’urgence sont désormais sursaturés au point de mettre en péril le système et ses acteurs. Pour évaluer les effets de la fatigue, du manque de personnel ou de sa compétence, il faut examiner les situations où ces paramètres dominent : nuits, week-end et vacances. C’est le fameux « effet week-end » désormais bien documenté.

Une étude montre que le taux de mortalité à 90 jours après un passage en réanimation passe de 41% à 44% selon qu’il a eu lieu en semaine ou le week-end. Une autre que la surmortalité est de 6% la nuit et de 10% le week-end.

En réanimation cardio-respiratoire, le taux de survie à 24h chute de 35% à 29% entre le jour et la nuit ou le week-end. Les séquelles neurologiques passent de 85% à 89%. L’effet week-end augmente la mortalité des AVC de 15%

Le taux de décès dans les 30 jours suivant une intervention chirurgicale urgente est d’environ 0,7%, il monte à 1% si l’intervention a eu lieu un vendredi et à 1,3% le week-end (soit des augmentations de 44% et 82% pour le dire de façon plus spectaculaire !)

La très faible mortalité périnatale augmente tout de même de 7% pour les accouchements du week-end.

Pour les pathologies aiguës, certains calculs montrent que la mortalité augmente de 80% quand le délai d’attente est de 6 heures au lieu de moins d’une heure ; d’autres révèlent que chaque heure d’attente augmente la mortalité de 6,5%.

Je me risque à une extrapolation hasardeuse.

En France, 60 000 personnes meurent chaque année en service de réanimation. Soit 15000 personnes dont les soins intensifs ont été affectés par la sursaturation des trois mois d’épidémie de covid. Si nous supposons que cet « effet week-end » particulier n’a augmenté la mortalité que de 10%, il faut ajouter 1500 personnes à la liste mortuaire du Covid.

Par ailleurs 10 000 personnes sont ressorties vivantes des 15000 réanimations supplémentaires pour covid. Malgré le stress et la surcharge, le bilan de réanimation de cette triste période est donc positif.

Il nous reste à évaluer la durée et la qualité de ces survies. Il faudra aussi compter les pertes et gains collatéraux. Pertes (ou gains) par arrêt d’autres soins. Gains par limitation de la circulation et de la pollution. Pertes par violence conjugale ou suicide lié au chômage. Etc.

La réanimation est la plus triviale des équations épidémiologiques. Le monde vivant n’est pas réductible à la mathématique. Un ami, brillant mathématicien, me confirme que le monde physique ne l’est pas non plus. Je m’en serai douté.  

Références

L’enseignement du soin est impossible

27 mai 2020

La question de l’enseignement des médecines alternatives à l’université est un serpent de mer. Ce débat impose de dissocier les deux grands domaines de la médecine : diagnostic et soin.

Le diagnostic est basé depuis longtemps sur de solides preuves, grâce à la riche sémiologie issue de la méthode anatomoclinique et aux apports de l’imagerie et des analyses biologiques.

Inversement le soin a toujours été empirique, donc très difficile à formaliser pour un enseignement universitaire.

Dans les années 1960, l’EBM (evidence based medicine) a introduit les statistiques dans l’évaluation des soins, permettant de comparer entre abstention ou placebo et action thérapeutique. Le soin ainsi formalisé devenait plus académique.

L’anglais « medicine » signifie médecine ou médicament. L’EBM a concerné exclusivement les médicaments, car eux seuls pouvaient être comparés à des placebos.

Ainsi, les soins non pharmacologiques ou sans preuve statistique ont été négligés par les facultés. Non seulement l’acupuncture ou l’homéopathie, mais aussi étonnamment, la chirurgie, les psychothérapies, les thérapies comportementales, le sport, la nutrition, la kinésithérapie, etc.

Les progrès de la biologie moléculaire ont majoré cette domination, puisque l’action enzymatique ou synaptique des médicaments pouvait apporter un support théorique séduisant, avant tout essai clinique.

Hélas, les cliniciens de terrain ont assez vite constaté la non-concordance entre l’expérience clinique (ancien empirisme), la preuve statistique et la démonstration théorique. Le « feeling » ou l’abstention pouvaient avoir autant de réussite qu’un protocole chirurgical. La preuve statistique était sans intérêt devant l’individu. La validité théorique ne garantissait pas le succès clinique. Bref, le diagnostic était une science, mais le soin restait une pratique.

Il en est encore ainsi aujourd’hui, tant pour les troubles fonctionnels et les douleurs existentielles que pour la chirurgie cardio-vasculaire ou la cancérologie. Les biais affectifs, statistiques, cognitifs, mercatiques et culturels sont innombrables.

Les diagnostics de certitude peuvent conduire à des soins d’une certaine rigueur scientifique. Mais pour les diagnostics flous ou en attente, pour les symptômes, pour la prévention, les corrections métaboliques, les dépistages, chaque médiateur de soin possède sa pertinence individuelle. Le cadre supérieur fait confiance à l’oncologue, le plombier au cardiologue, l’instituteur à l’homéopathe, l’ingénieur au pharmacologue, le sportif à l’ostéopathe, l’internaute au gourou, l’avocat au psychanalyste, le comptable au confesseur, le notaire au ministère, le préfet au généticien, le ministre au magnétiseur etc. La vérité du soin se trouve au sein de ces couples improbables.

Les facultés peuvent enseigner les diagnostics, mais pour les soins, académiques ou alternatifs, elles sont bien loin de la qualité qu’exige la rigueur universitaire.

Références

La mort est plurifactorielle, même en période de crise

17 mai 2020

Guerres, famines, épidémies ou chocs climatiques provoquent des pics de mortalité. Lors des guerres, ce sont les jeunes qui paient le plus lourd tribut de cette mortalité. Dans les autres cas, la répartition par tranche d’âge dépend des conditions sociales et sanitaires des pays

Dans les pays à faible niveau sanitaire, les épidémies, famines et chocs climatiques tuent dans toutes les tranches d’âge, avec une prédominance pour les enfants.

Dans les pays développés, le fait que les décès se comptent exclusivement dans des tranches d’âge très élevées signifie une forte probabilité d’atteindre ces grands âges avec comme unique risque, celui, précisément, de l’âge. Les autres facteurs de risque ayant été préalablement éliminés par nos bonnes conditions socio-sanitaires. Donc une surmortalité ponctuelle quasi-exclusive dans le grand âge peut être considérée comme un excellent indicateur sanitaire.

J’avais défendu cette hypothèse dans un article de 2003, au décours du pic de mortalité de la canicule. Je suggérais que la chaleur écrasante et sèche avait joué le rôle de la goutte d’eau (sic) qui avait fait déborder le vase. J’en concluais logiquement que ces 17000 morts excédentaires seraient logiquement « récupérées » en 2004. Mais dans le grand jeu de l’escalade compassionnelle, ces propos avaient été jugés politiquement incorrects.

Lorsque l’ambiance est celle du drame, chaque larme en moins est une barbarie.

Plusieurs démographes ont décrété que cette mortalité supplémentaire serait irrécupérable ; l’un d’eux a même tenté de le prouver en se basant sur les chiffres du premier trimestre 2004. La suite est savoureuse. En 2004, on a compté 43000 morts de moins qu’en 2003. Bien moins que tout ce que j’aurais osé imaginer. Ce bénéfice secondaire a duré jusqu’en 2010, année où la mortalité a enfin rejoint son niveau d’avant la canicule.

Constatons que la canicule a été paradoxalement bénéfique. Nous avons probablement été, par la suite, plus vigilants sur l’hydratation de nos ancêtres et sur le nombre de nos câlins ; diminuant ainsi la pression de plusieurs autres facteurs de risque, innombrables et inconnus, tant la mort est multifactorielle.

Aurons-nous le même étrange bénéfice après le covid19 ? L’hypothèse est recevable à court-terme ; elle est plus osée et plus contestable à moyen-terme, car ce drame se  double d’une grave crise économique. Possiblement bénéfique pour les personnes âgées et les nourrissons par baisse des nuisances environnementales. Possiblement délétère pour les jeunes adultes, par le désordre social et professionnel.

Le cerveau est façonné pour le monofactoriel et prisonnier du déterminisme immédiat. Il nous est très difficile de détacher un évènement de celui qui le précède, particulièrement la mort.  

Nous voulons trouver une cause à l’heure fatale pour en nier la fatalité

Références

Deux histoires

11 mai 2020

Deux histoires

La première histoire se passe en mars 1970. Un jeune médecin fraichement installé dans un village d’Auvergne est appelé au chevet d’une mamie nonagénaire. Elle a eu une grippe et son état se dégrade rapidement depuis 2 jours. Le médecin constatant un essoufflement assez inquiétant prend la peine de téléphoner à son ancien professeur, chef du service de réanimation à Clermont-Ferrand. Il lui expose le cas et suggère timidement une assistance respiratoire.

Mon cher ami, lui répond avec bienveillance le professeur, votre dévouement est louable, mais vous savez comme moi que nos services ne sont pas destinés à ce genre de cas. Puis il expose de sages conseils : ouvrir les fenêtres, donner du paracétamol et des antalgiques pour éviter toute souffrance.

 Le médecin résume le tout aux enfants qui lui disent avoir bien compris qu’il n’y avait rien à faire, mais le remercient tout de même vivement d’avoir essayé.

La deuxième scène se déroule seulement cinquante ans plus tard en mars 2020. Un vieux médecin expérimenté est appelé par les enfants d’un nonagénaire fébrile et très fatigué. Il constate un syndrome grippal assez sévère en rapport avec l’âge, mais sans grave trouble respiratoire. Il explique aux enfants que c’est possiblement la Covid19, mais qu’il importe peu de le savoir. La situation comporte un risque évident d’aggravation, mais il n’y a pas lieu de l’hospitaliser, car il sera mieux chez lui pour récupérer.

La famille le congédie et appelle directement le 15 avant d’entamer une procédure juridique contre le médecin…

J’ai menti. Ces deux histoires ne sont pas tout à fait véridiques. Le premier médecin n’a pas appelé son professeur, car personne ne lui avait enseigné cela et qu’il aurait eu peur du ridicule. Le deuxième médecin a immédiatement appelé le 15, sans conviction, mais parce qu’il savait, par sa longue expérience, que les décisions médicales ne sont plus du ressort du clinicien.

Dans les deux cas, la famille a apprécié le civisme. Dans le premier cas, elle a en outre apprécié la compassion et dans le second, le panurgisme.

Sur la route du retour, le vieux médecin a allumé la radio pour se détendre. N’importe laquelle ferait l’affaire. Puis, après quelques minutes, constatant que le jeu pervers de l’escalade compassionnelle entre médias, urgentistes et politiques s’aggravait dangereusement, il a zappé. Sur une autre fréquence, un épidémiologiste, moitié normatif, moitié dissident, osait préciser que l’âge moyen de mort par Covid était de 80 ans et que l’espérance de vie dans notre pays était de 81 ans. Le médecin a alors éteint le poste en souriant. Il allait bientôt prendre sa retraite. Covid ou pas, il lui restait raisonnablement au moins 15 ans à vivre.

Pas plus, car même si ce sont les GAFA transhumanistes qui financent et orientent désormais la politique sanitaire internationale, l’OMS n’a pas encore déclenché le programme d’immortalité qu’ils préconisent.

Références

Les « diablogues » des essais cliniques

3 avril 2020

Le zona guérit naturellement en 6 semaines. Tous les médicaments pris la première semaine sont inefficaces, tous ceux pris la sixième semaine sont efficaces. Pourquoi ?

Mon collègue a fait une poussée de sclérose en plaques après un vaccin contre l’hépatite B et sa cousine en a fait une après avoir mangé de la crème au chocolat. Pourquoi le gouvernement n’interdit-il pas le vaccin contre l’hépatite B et la crème au chocolat ?

Ceux qui prennent des antidépresseurs se sentent très mal quand ils cessent d’en prendre. Ceux qui boivent beaucoup de pastis se sentent aussi très mal quand ils arrêtent. C’est donc bien la preuve que ces deux médicaments sont efficaces.

Un maire a guéri du coronavirus après avoir pris de la chloroquine, un notaire a guéri après avoir pris de la fleur d’oranger et un prisonnier a guéri après avoir pris l’air. Il faut en informer au plus tôt la communauté scientifique.

Mon voisin me dit que le cancer est un fléau contre lequel il faut absolument faire quelque-chose. Je lui réponds que l’on fait absolument quelque chose depuis longtemps. Mais alors, pourquoi meurt-on toujours du cancer ?

Son grand-père est mort de la canicule en 2003 à 90 ans. Sa grand-mère est morte de la grippe en 2009 à 92 ans. Sans la canicule et sans la grippe, ils seraient toujours là.

Les somnifères de mon oncle ne lui font plus effet. Quand je lui demande pourquoi il continue à en prendre, il me dit qu’il a peur que ce soit pire s’il arrête. Pire comme avant qu’il en prenne.

Un cardiologue me dit que les maladies cardio-vasculaires sont une priorité de santé publique. Mon ami infectiologue le dit aussi pour les maladies infectieuses. Le gériatre et le pédiatre estiment qu’Alzheimer et autisme sont des urgences sociales. Un urgentiste donne l’alerte, car nous ne sommes pas prêts pour un nouveau Verdun. Les algologues ne cessent de répéter que la douleur est trop négligée. Pourquoi le gouvernement ne traite-t-il pas chacun de ces problèmes en priorité ?

La probabilité d’avoir une maladie d’Alzheimer après 75 ans est de 15%. Lorsque l’on prend de la poudre de rhinocéros à titre préventif à partir de l’âge de 50 ans, elle est efficace dans 85% des cas, et inefficace dans seulement 15% des cas.

Le Covid 19 guérit sans séquelles dans 95% des cas et tue dans 2% des cas. Lorsque l’on prend de la chloroquine dès les premiers symptômes, elle est efficace dans 95% des cas. Si on la prend trop tard, lorsque les symptômes sont graves, elle n’est efficace que 6 fois sur 10. Attention, c’est plus difficile.   

Pourquoi un jeune ténor des mathématiques se ridiculise en faisant de la politique ? Comment un vieux prix Nobel de médecine peut-il perdre la raison quand il parle de vaccination ? Qu’est-ce qui peut pousser un brillant et respectable chercheur à devenir pistachier ? Je ne le sais évidemment pas.

Je sais juste que statistique et foi sont inconciliables et que la pratique médicale est incompatible avec notre finitude.

Références

Parlons chiffres

29 mars 2020

Le langage est un élément majeur de communication dans notre espèce. Cependant, la communication non verbale reste plus efficace : ce n’est pas la vérité qui fait l’audience, ce n’est pas la sémantique qui engendre les guerres. Les attitudes du tribun, plus que ses mots, font les dictatures.

L’expression verbale recèle de nombreux leurres et manipulations au sommet desquels se trouvent les chiffres. Dire la même chose avec une valeur absolue est plus convaincant qu’avec un taux. Une létalité de 2% est moins convaincante qu’un nombre de 20 000 morts. Une incidence de 0,0005% est ridicule aux côté de 35 000 malades. Même en ne parlant qu’avec des taux, la même vérité peut modifier profondément l’impact : dire qu’une chance progresse de 30% est plus convaincant que de dire qu’elle passe de 1% à 1,3%.

Les courbes suscitent les mêmes fourberies. Les exponentielles dont le sommet est absent ou infini peuvent rendre compte d’un phénomène cosmique, mais jamais d’un phénomène vivant. La variabilité et les déséquilibres du vivant peuvent généralement être représentés par des fonctions logistiques ou gaussiennes. Ces deux courbes apprises à l’école suffisent à rendre compte de la plupart des domaines biomédicaux : morphologie, étiologie, sémiologie, pathologie, épidémiologie, bénéfices, facteurs de risques, etc. Certes, la partie gauche de ces courbes ressemble étrangement à celle des courbes exponentielles. Mais les confondre est une grossière erreur. Les exponentielles ont un relent d’apocalypse, les pics épidémiques ont de banales allures de cloches au sommet plus ou moins pointu, les endémies répondent à une modeste régression logistique. L’exponentielle n’existe pas en épidémiologie.

Enfin, la plus grande source d’erreur ou de malhonnêteté est de mélanger les carottes et les lapins. On ne peut pas additionner le nombre d’hospitalisations d’une contrée avec celui d’une autre si les critères d’hospitalisation sont dissemblables. On ne peut pas additionner des malades avec des tests positifs, on ne peut pas additionner des détresses respiratoires avec des assistances ventilatoires, on ne peut pas additionner des décès par sénescence ou immunodépression avec ceux résultant d’une pneumonie aiguë chez un adulte sain.

La médecine doit traiter avec la même éthique les sportifs et les tabagiques, les obèses morbides et les octogénaires polypathologiques, les athées et les obscurantistes, les profanes indécrottables et les chercheurs insolents, mais la mathématique ne peut pas les additionner.  L’éthique, la non-discrimination et la compassion font la grandeur de la médecine, la froide rigueur fait la grandeur des mathématiques.

Politiciens, soignants et informateurs se débattent entre les deux, usant de postures et d’impostures au gré de leur humeur et de leurs angoisses. Ne critiquons pas leur inaptitude à concilier médecine, biologie et mathématique, car cela semble définitivement impossible.

Références

Covid 19 : simples et moins simples vérités.

20 mars 2020

La vulgarisation médicale impose de vérifier ses sources et de définir ses mots pour éviter l’affect. Celle de l’astrophysique est plus facile, car nul n’est intimement concerné par la vie des étoiles. Une période de crise sanitaire est donc le pire moment pour apprendre, car des oreilles émues n’entendent plus. L’actualité brouille les messages.

Je voudrais cependant aborder le sujet passionnant du choix difficile entre confinement maximum et laxisme délibéré, cela sans émettre la moindre critique sur nos autorités dont les décisions reposent sur d’autres paramètres hors de mes compétences.

Le confinement étête le pic de l’épidémie, il diminue donc relativement la mortalité en l’étalant dans le temps, et surtout, il évite un engorgement des hôpitaux qui créerait d’autres problèmes sanitaires. C’est le meilleur choix à court terme dans les villes et les régions très peuplées, et lorsque la létalité est élevée (> 1% ?).

Le laxisme parie sur l’immunité de groupe. Plus un virus circule vite, plus le taux de personnes immunisées est élevé, tant chez les malades que chez ceux qui n’ont eu aucun symptôme. Le prix à payer pour ce choix de « vaccination naturelle » est une mortalité élevée en un temps bref. Ce choix est justifié si la létalité et la population sont faibles. C’est un bon choix à moyen et long terme, car un nouveau passage du virus trouvera une population apte à se défendre.

On pourrait alors un jour se reprocher le choix du confinement, car un nouveau passage de virus pourrait créer un nouveau pic épidémique. Rien n’est moins certain. En effet l’Histoire révèle que la virulence des virus diminue généralement au cours des épidémies. Ceci est conforme aux lois de l’évolution, puisque les souches les plus virulentes sont progressivement contre-sélectionnées par les défenses immunitaires de leurs hôtes. De plus, les populations qui ont subi le confinement seront indirectement protégées par les laxistes, puisque, grâce à elles, le virus circulera plus difficilement. C’est la même logique qui incite à la vaccination pour protéger les autres.

Le cas du Covid 19 impose d’autres remarques, ni provocatrices, ni à contre-courant, mais dans le seul but d’insuffler un peu d’optimisme dans l’angoisse et un soupçon de sérénité dans la panique. Juste des vérités de l’instant à énumérer. Dans notre pays, le nombre total de morts est inférieur à 200. Il n’y a pas de « transmission verticale » de la maladie, c’est-à-dire d’une femme enceinte à son embryon. Ni de contamination par le lait maternel. Les nourrissons et jeunes enfants sont épargnés. Enfin, 90% de la mortalité concerne des personnes polypathologiques et/ou âgées. Au risque d’être jugé politiquement incorrect : dans toutes les pathologies cardio-vasculaires, tumorales, neurodégénératives ou infectieuses, 90% de la mortalité concerne aussi ces personnes.

Nos progrès en virologie et en épidémiologie nous confirment que ce sont surtout les personnes âgées qui meurent.

Références bibliographiques

Évolution des épidémies

17 mars 2020

Lors d’une épidémie, les autorités n’ont pas d’autre choix que celui de la prudence, en ajustant progressivement les contraintes aux données des experts. Cela indépendamment de l’inflation médiatique et sans se préoccuper des conséquences économiques. Il n’y a donc rien à reprocher à notre ministère dans la crise actuelle.

Le risque de cet exercice imposé est de créer une inquiétude démesurée. Étrangement, le comportement général est assez serein. La France apparaît plus disciplinée et moins dépressive que ne l’est sa réputation sur ces deux traits. Serions-nous un peuple mûr, rompu aux folies et mensonges du web ? Aurions-nous tout compris des récupérations individuelles politiques et professionnelles inhérentes à ces crises ? Il semble que presque…

Pour aller dans le sens de plus de sérénité sans perdre celui de la réalité, parlons ici de l’aspect évolutionniste des épidémies, logiquement peu abordé en situation d’urgence.

La pression parasitaire désigne l’ensemble des nuisances provoquées par les microorganismes et leurs vecteurs (bactéries, virus, protozoaires, insectes et acariens). Cette pression est évidemment plus faible dans nos pays que dans les pays tropicaux, et nous avons développé divers moyens pour la maintenir au niveau le plus bas possible. Cependant, il y aura toujours de nouvelles souches de virus et de bactéries qui viendront troubler notre récente sérénité. Heureusement, car l’inverse signifierait la disparition de toute vie.

Ce qui a changé au cours des cinquante dernières années n’est pas le nombre ou la virulence des attaques, mais notre capacité clinique, épidémiologique et technologique à les détecter et à en préciser le germe. Il existe une sorte de hiérarchie de la détection. Lors d’une forte épidémie, il n’est pas besoin d’experts pour que le peuple constate l’augmentation de la mortalité. Au niveau inférieur, ce sont les cliniciens et les épidémiologistes qui font le constat. Puis au niveau le plus bas, seuls les microbiologistes peuvent détecter le risque.

Si les virologues n’avaient pas détecté ce coronavirus, les cliniciens auraient constaté une mauvaise grippe et les épidémiologistes n’auraient pas noté de variation de la mortalité par virose saisonnière. Mais les virologues ont eu raison de donner l’alerte, car une mutation chez un virus à transmission respiratoire (grippe, corona ou autre) n’est pas anodine a priori.

Les virus sont à la limite du vivant, car ils n’ont pas d’autonomie reproductive, ils doivent pour cela pénétrer une cellule et utiliser son matériel génétique. Malgré tout, ils répondent aux lois de l’évolution pour optimiser leur diffusion et leur reproduction. Tuer leur hôte n’est jamais un bon choix, car c’est l’équivalent d’un suicide. Inversement, une forte contagiosité est un choix qui leur assure une excellente diffusion, surtout si elle est respiratoire, bien plus efficace que la transmission sexuelle ou sanguine.

Cela peut expliquer que dans la plupart des épidémies, la virulence diminue régulièrement au profit de la contagiosité. D’autant plus si les populations possèdent déjà des anticorps pour des souches voisines et en développent de nouveaux pour la nouvelle souche. Lorsque les pics épidémiques sont passés, les virus continuent à circuler avec la plus grande discrétion possible. C’est leur intérêt.

Mais comme rien ne peut empêcher un virus à transmission respiratoire de faire le tour du monde, il est logique de tout faire pour confiner une épidémie à son début, en attendant que l’évolution ait le temps d’agir à son rythme plus lent. Mille morts en cinq ans sont préférables à mille morts en deux mois. CQFD.

Félicitons donc les autorités pour leurs précautions et les populations pour leur serein pressentiment de l’évolution. Tant que la science aura droit de cité, l’apocalypse virale devra attendre.

Références

Nature de la mort

12 mars 2020

Les épidémies d’autrefois simplifiaient l’épidémiologie de la mort, ceux qui en avaient réchappé accédaient au privilège de la mort de vieillesse. Puis, au fil des progrès diagnostiques et sociaux, la notion de mort naturelle a progressivement disparu pour être remplacée par les divers vocables de l’usure organique : crise d’urémie, apoplexie, arrêt cardiaque, phtisie, démence sénile, pneumonie, emphysème et autres termes sans équivoque ni rédemption.

Le certificat de décès est ensuite devenu un vecteur de science en imposant aux médecins de mentionner la cause primaire de la mort en plus de sa cause immédiate. Non seulement la mort naturelle avait disparu, mais aussi les diagnostics terminaux qui ne pouvaient désormais s’expliquer que par d’autres maladies plus insidieuses, plus anciennes et plus sophistiquées. La fibrillation auriculaire expliquait l’apoplexie, la bronchite chronique expliquait l’emphysème, les cancers et les bacilles expliquaient la phtisie.

Faute de pouvoir dominer la mort, la médecine en dissimulait l’inexorabilité. La trivialité de la cause ultime faisait place à la science de la cause primaire.

Les certificats de décès ont logiquement suivi les modes diagnostiques. Ainsi avec le succès diagnostique de la maladie d’Alzheimer, le taux de mort ultime par démence est passée de 5 à 25% en un quart de siècle. Le vernis de la maladie recouvrait l’infamie de la sénilité.

Les causes primaires ont à leur tour suivi les engouements métaboliques et moléculaires. Les lipides ont remplacé l’athérosclérose, les plaques amyloïdes ont remplacé la neurodégénérescence, les télomères ont remplacé le cours de la vie. Plus qu’un mode de mort, les maladies dites chroniques sont devenues un mode de vie. Arthrose, apnée du sommeil, LDL cholestérol, diabète ou dépression étant de nouvelles rubriques de l’identité.

Pour un biologiste, la mort a toujours été considérée comme le terme naturel de l’évolution des cellules, organes, individus et espèces. Pour un médecin, elle est devenue un accident induit par une pathologie chronique. Une conclusion en forme de syllogisme s’est alors imposée à tous : si la chronicité tue, il faut traiter la chronicité pour éradiquer la mort. Hélas, les médicaments des mille causes primaires ont induit à leur tour de nouvelles pathologies chroniques.  La pathologie iatrogène est devenue la troisième cause de mortalité dans les pays occidentaux.

Enfin, nous redécouvrons avec une feinte naïveté que la plus primaire des toutes les causes est la misère. Une enfance défavorisée double le risque de mort prématurée. Et si la misère se prolonge à l’âge adulte, le risque est multiplié par quatre. Épidémiologie basique.

Arrivés au stade actuel de nos connaissances, nous pouvons affirmer que la chronicité, les médicaments et la misère sont les trois options les plus valides pour documenter la case des causes primaires dans les certificats de décès.

Notre espace de progrès est désormais l’éradication de ces trois causes.  

Références

Épidémiologie économique

5 mars 2020

Il serait stupide de comparer la mortalité des épidémies d’hier avec celle des émergences d’aujourd’hui. Vouloir comparer la peste qui a tué 35% de la population d’Europe en 5 ans, au SIDA qui a tué une personne sur mille en quarante ans, serait ridicule. Le rapport numérique étant de 1 à 3000.

Les différences profondes sont ailleurs. Notre vigilance clinique permet de détecter rapidement une maladie émergente et notre technologie d’en connaître la nature. Nos mesures préventives et curatives semblent devoir nous protéger définitivement de toute velléité d’apocalypse virale. Enfin et surtout, l’information perturbe notre discernement, les citoyens n’avaient nul besoin de médias pour constater l’exacte réalité épidémiologique de la variole ou du choléra, alors que sans eux, nous ne saurions même pas que le SRAS ou Ebola ont un jour fait l’objet de terrifiantes projections.

Mais, il y a aussi des similitudes entre ces différents évènements de notre histoire infectieuse : elles sont d’ordre économique. La crise frumentaire qui a suivi la peste a amplifié sa gravité. Les paysans morts, plus de froment, les boulanger morts, plus de pain, les forgerons morts, plus de charrue, etc. Le désordre socio-économique engendré par les épidémies en aggravait encore la mortalité. Des facteurs économiques et commerciaux se retrouvent également en amont des épidémies. La peste a suivi la route des épices, la syphilis, la syphilis et le choléra ont suivi l’exode rural et l’urbanisation, les zoonoses suivent les déforestations et les viroses respiratoires suivent le trafic aérien. 

Lors de l’émergence du SRAS à Hong-Kong en 2003, c’est la première fois que j’ai noté l’évaluation d’une épidémie en termes de dollars autant qu’en termes de morts. L’épidémie a coûté 700 vies et 30 milliards de dollars. Nous pouvons évaluer aujourd’hui que l’épidémie africaine d’Ebola en 2014 qui a fait plus de 10 000 morts en a provoqué davantage par les effets indirects de la crise économique, la désorganisation hospitalière et l’insécurité alimentaire.

Le coronavirus actuel semble avoir une contagiosité élevée fort heureusement associée à une létalité inférieure à celle des deux précédents (MERS et SRAS). Il fera probablement le tour du monde avec l’inévitable inflation médiatique et les indispensables précautions sanitaires des autorités. On peut raisonnablement émettre l’hypothèse que les répercussions économiques, déjà considérables, peuvent générer plus de morbidité et de mortalité que le virus lui-même. Cette morbidité indirecte est d’autant plus dommageable qu’elle touche ceux qui sont en activité, donc les plus jeunes et les plus sains.

Faudra-t-il complètement repenser l’épidémiologie du futur, faire passer la morbidité psychologique, les addictions et les suicides liés au chômage avant la comptabilité des morts directement liées aux virus émergents ?

La morbidité d’Homo economicus est plus complexe que celle d’Homo sapiens.

Références