Archive pour la catégorie ‘Non classé’

Violences et cultures héritables

lundi 13 décembre 2021

La différence entre « hérédité » et « héritabilité » permet d’évaluer l’importance de l’environnement. Ces deux mots sont trompeurs et souvent mal compris. L’héritabilité est une mesure populationnelle qui estime la part génétique de la variance d’un trait. Avoir dix orteils est héréditaire mais ce n’est pas héritable car la variance de ce trait est nulle dans toutes les populations. L’héritabilité de la schizophrénie est de 75%, mais le risque individuel n’est que de 6% si l’un de ses parents est atteint. L’héritabilité se rapporte à la variance du trait, pas au trait lui-même. Ce concept développé bien avant la découverte de l’ADN, n’a pas été modifié depuis. La découverte des gènes a paradoxalement permis de confirmer que l’environnement reste prioritaire pour transformer un génotype en phénotype, même lorsque l’héritabilité est très élevée.

Tout est devenu encore plus complexe lorsque l’on a compris que l’environnement agissait en déposant des marques épigénétiques sur les gènes pour permettre ou non leur expression, et que ces marques étaient elles-mêmes héritables. Les premières preuves en été fournies avec l’obésité ou les cancers génitaux féminins dus au Distilbène dont les marquages épigénétiques traversent plusieurs générations.

Il est désormais bien admis que la maltraitance infantile pose ses marques sur tout le génome et que la violence franchit les générations. L’élevage « à la dure » est héritable. Les mères soumises à des violences marquent de maintes façons les gènes de leur fœtus et nouveau-né. Les enfants ayant vécu sur des zones de guerre ont plus de troubles psychiatriques qu’ils transmettent à leur tour.

Ces marquages épigénétiques ne sont pas encore aussi bien identifiés que d’autres, mais leur preuve indirecte en est donnée par le nombre supérieur de symptômes psychiques chez des enfants ayant vécu dans un pays en paix, mais dont l’un des parents souffre d’un syndrome de stress post-traumatique. Certains chercheurs vont jusqu’à dire que la guerre est héréditaire. Le terme est inexact, mais son héritabilité est certaine. Les abus sexuels dans l’enfance marquent les gènes des récepteurs aux glucocorticoïdes. Même si la résilience est toujours possible, on a du mal à penser qu’un enfant de djihadiste ou de père violent effacera miraculeusement tous les épigènes de son éducation avant d’avoir lui-même des descendants.

Plus récemment encore, nous avons découvert que ce sont des marquages épigénétiques qui façonnent la mémoire, donc l’identité culturelle et sociale. Ainsi, la culture ne se transmet pas seulement par l’éducation, comme on le croyait, mais aussi par l’épigénome.

Ces réflexions éparses ont commencé à se rassembler dans mon esprit après l’élection de Trump. Comme l’isolement géographique a favorisé des dérives génétiques, l’isolement culturel peut-il conduire à des dérives épigénétiques irréversibles ? La menace du réchauffement climatique sur l’humanité m’a soudain paru bien dérisoire.  

Bibliographie

Plaisir de la mathématique et de la clinique élémentaires

dimanche 28 novembre 2021

Toute analyse biologique comporte un pourcentage de résultats erronés de deux types : soit des faux positifs, soit des faux négatifs. La sensibilité d’un test est définie par le taux de positifs chez les vrais malades. La spécificité d’un test est définie par le taux de négatifs chez les non-malades.

Les tests PCR du coronavirus ont une sensibilité d’environ 70% (variant de 56 à 83% selon les études), c’est-à-dire que 70% des porteurs du virus ont un résultat de test positif. Leur spécificité est d’environ 95%, c’est-à-dire que 95% des sujets non-porteurs ont un test négatif. Chacun peut comprendre qu’il y a en conséquence 30% de faux négatifs et 5% de faux positifs.

Pour connaître la valeur prédictive de maladie lorsqu’un test est positif chez un individu, il faut aussi connaître la prévalence de la maladie étudiée, c’est-à-dire le pourcentage de personnes porteuses dans la population à une période donnée. Pour la Covid-19, la prévalence varie autour de 10%. Donc sur 1 million de personnes, il y a 100 000 porteurs dont 70 000 tests positifs. Sur ce même million de personnes, il y a 5% de faux positifs, soit 50 000.

Si vous avez un test positif, votre probabilité d’être porteur du virus est le rapport du nombre de vrais positifs (70000) sur le total des positifs (vrais et faux : 70000 + 50000), soit environ 58%.  En sachant que 80% des porteurs sont asymptomatiques, la probabilité d’être malade en cas de test positif est inférieure à 12%.

Seulement 5% des patients symptomatiques nécessitent une hospitalisation, en conséquence, la probabilité d’être hospitalisé en cas de test positif tombe à 0,6%. Enfin si vous avez la double chance d’être jeune et en bon état général, un test positif n’a pratiquement plus aucune valeur prédictive, quant au risque morbide en relation avec ce virus.  

Ce retour à une statistique à une clinique sommaires n’a pas l’intention de dénigrer l’importance de cette épidémie, il a deux autres buts. Le premier est de retrouver le plaisir de la mathématique élémentaire dénuée de tripatouilles médiatiques et d’oripeaux politiques. Le second est de rassurer les plus anxieux de nos concitoyens, davantage perturbés par les analyses produites par la médecine que par les symptômes issus de leur propre corps.

De prochaines viroses respiratoires nous menaceront encore. Dans tous les cas, le retour aux fondamentaux de l’épidémiologie en diminuera le stress. 

Certains, dont moi, tentent d’évaluer avec discernement et modération la gravité sanitaire de cette épidémie. Sa gravité sociale et administrative est bien supérieure, elle est liée à l’évolution de nos pratiques médicales et à l’élévation du niveau de nos exigences. Nous sommes tous responsables, dont vous et moi, de l’encombrement des hôpitaux qui est le problème majeur, voire exclusif, qu’ont à résoudre nos dirigeants.

Cependant, pour passer d’un test positif chez un écolier à la modélisation d’une future surcharge hospitalière, le chemin est mathématiquement hasardeux.

Référence

Robots contre enfants

dimanche 21 novembre 2021

Les fabricants d’ordinateurs et les ingénieurs en intelligence artificielle (IA) ont communiqué leur enthousiasme au monde entier lorsqu’en 1996 l’ordinateur deep blue a gagné une partie d’échec contre le champion du monde Garry Kasparov.

Deep blue pesait 700 kg et possédait 256 processeurs consommant environ 200 watt-heures chacun. Le cerveau de Kasparov pesait au mieux 1,5 kg, et une heure de réflexion intensive lui coûtait cent calories, soit 0,12 w-h. Le coût énergétique d’un cerveau humain est donc plus de 425 000 fois plus faible que celui d’un ordinateur, et sa performance par kilo est 450 fois plus forte. Kasparov avait donc un cerveau 190 millions de fois plus rentable que son adversaire technologique. Ajoutons que deep blue ne savait rien faire d’autre que jouer aux échecs, alors qu’on peut supposer que Kasparov avait des milliers d’autres aptitudes. Le ratio des rentabilités respectives doit alors s’exprimer en dizaines de milliards. Je néglige le coût financier (deep blue avait coûté 25 millions de dollars).

Cette grossière mathématique n’a pas amoindri la portée symbolique de ce succès qui confirmait les extraordinaires capacités cognitives de l’être humain, à défaut de pouvoir prouver celles de l’ordinateur.

Lorsqu’en 2017, alphago a battu le champion du jeu de go, les louanges furent quasi-délirantes, car ce logiciel était capable d’auto-apprentissage et utilisait des microprocesseurs moins voraces en énergie. On osa affirmer que l’IA finirait par dépasser le cerveau humain. Il avait tout de même fallu 20 ans pour passer d’un jeu de stratégie à un autre jeu aux combinaisons plus nombreuses et où chaque nouveau coup nécessite une totale reconsidération spatiale du terrain d’affrontement. Certes, les jeux de stratégie sont fascinants, mais ils ne résument pas nos facultés mentales.

L’IA avait débuté en 1642 avec la calculatrice de Blaise Pascal. Ne doutons pas que quatre siècles plus tard, elle permettra d’assurer des tâches médicales fastidieuses et codifiées avec plus de précision que les médecins et chirurgiens.

Aujourd’hui, les ordinateurs parlent de façon encore sommaire, à la manière des magnétophones qui déchiffraient une bande magnétique. Après l’auto-apprentissage d’alphago on rêve d’une IA capable d’échanges verbaux circonstanciés. Même si le ratio de performances entre cerveau et ordinateur, tel que ci-avant mentionné, peut encore se réduire, soyons certains que ces machines auront un coût démesuré au regard des capacités énergétiques de la planète.

Un bébé peut acquérir un langage adaptatif en deux ans pour un coût énergétique très modeste. D’un point de vue écologique, pour la conservation du langage, il est largement préférable de faire des enfants que des robots.

Les plus enthousiastes rétorqueront qu’il sera possible de faire des robots parlants capables de se reproduire. Nous serions alors effectivement dépassés et pourrions envisager de disparaître, si ce n’était déjà fait.

Référence

D’une signature à l’autre

samedi 6 novembre 2021

Au XVI° siècle, la théorie des « signatures » s’est développée sur d’antiques croyances qui avaient établi un rapport entre la forme ou la couleur des plantes et leurs propriétés médicinales. Comme la carotte et la chélidoine dont le suc jaune devait être efficace contre la jaunisse.

Cette théorie devint si influente qu’elle en modifia l’appellation de certaines plantes. Une bourrache devint « pulmonaire » en raison de la similitude entre la marbrure de ses feuilles et les poumons ; on alla jusqu’à établir un lien entre les taches de la plante et les nodules tuberculeux. Une autre borraginacée à la tige tachetée et aux graines en forme de tête de vipère fut nommée vipérine et soigna les morsures de ce serpent. L’anémone hépatique soignait le foie, car les lobes de sa feuille ressemblaient à ceux de cet organe. La figue à forme très évocatrice a été proposée dans les hémorroïdes.

Certaines analogies étaient plus alambiquées. Le chou et le laurier chassaient l’ivresse, car les sarments d’une vigne plantée à leur proximité s’en éloignaient naturellement. La reine des prés, comme elle pousse les pieds dans l’eau, devait être efficace contre les rhumatismes, tout comme la graisse de gazelle qui devait receler la vélocité de cet animal. Le polytric, fixé au sol par de nombreuses fibrilles, devait prévenir la calvitie. Les semences de millet, ressemblant au gravier urinaire, étaient utilisées contre la gravelle et les coliques néphrétiques. Les graines de cumin, en forme de reins, étaient donc diurétiques.

Ce sont évidemment les analogies polissonnes qui eurent le plus grand succès. La racine de l’orchidée satyrion, ressemblant aux organes génitaux masculins devait agir contre l’impuissance. La racine de mandragore avait les mêmes vertus, son prix augmentait si la forme était mâle plutôt que femelle, et le prix devenait faramineux lorsque la racine dédoublée évoquait un couple en plein coït. Machiavel s’en est amusé en y ajoutant nombre d’évocations comme un pendu, la queue d’un chien ou le « cri » de la plante.

Ce ne sont que quelques exemples d’un ésotérisme thérapeutique que nous aurions tort de regarder comme appartenant à un passé révolu. Aujourd’hui en Chine, première puissance économique mondiale, la racine de ginseng suscite les mêmes fantasmes que celle de la mandragore. Et la corne de rhinocéros se vend à prix d’or, pour une évocation encore plus triviale qui risque d’entraîner l’extinction de cette espèce.

Dans le domaine thérapeutique, les croyances et la crédulité ne connaissent aucune limite et les signatures n’ont pas fini de nous leurrer de cent façons plus subtiles. Les publications d’essais cliniques entièrement façonnés et rédigés par des industriels, deviennent paroles d’évangile lorsqu’elles sont signées par un leader d’opinion. Lequel ne les a pas toujours lues avant de vendre sa signature. Machiavel s’en serait certainement encore amusé à sa façon.

Références

Fermer les facultés de médecine ?

vendredi 22 octobre 2021

Plusieurs enquêtes l’ont confirmé, 95% des facultés de médecine n’ont aucune politique pour protéger leurs étudiants de l’influence de l’industrie. Et parmi les 5% qui tentent de faire face à la suprématie du marché, les contre-mesures sont timides et peu suivies. Ainsi la totalité de nos carabins accumulent des biais d’éducation tout au long de leur cursus.

Ce constat ne devrait pas étonner, puisque les universitaires ont eux-mêmes subi ces biais de formation et que leur carrière ne progresse pas en fonction de leur compétence clinique, mais en fonction du nombre de leurs publications quasi-exclusivement financées et gérées par l’industrie. Le discours de certains universitaires influents ressemble à s’y méprendre à l’argumentaire d’un visiteur médical. Nos étudiants, raisonnablement suspicieux devant un camelot, succombent au charme savant de leur maître.

Dans nos facultés, l’Histoire de la médecine est optionnelle, l’épistémologie du diagnostic est inconnue. La biologie de l’évolution est absente. Les maladies sont enseignées comme des entités fixes en négligeant leur histoire naturelle. Les sciences humaines et sociales sont enseignées en première année alors que c’est en fin de cursus qu’elles pourraient éveiller l’esprit critique nécessaire à l’indépendance.

Malgré l’évidence de la complexité sociale et des nouvelles contraintes environnementales comme causes des maladies, l’enseignement reste basé sur une conception monofactorielle des maladies et de leurs diagnostics. Tout facteur de risque légèrement modifiable par un médicament domine l’enseignement sans rationalité étiologique. Les analyses et mesures s’écartant de la norme dominent l’enseignement diagnostique aux dépens de l’épistémologie et de la nosologie.

Tout l’enseignement est formaté par le réductionnisme scientifique imposé par l’industrie soumise elle-même aux impératifs de preuves réductionnistes. Les thérapies cognitives et comportementales sont négligées derrière la pharmacologie dominante. Les règles hygiéno-diététiques sont simplement mentionnées sans programme de sociologie dédié.

Plutôt que d’apprendre à dépister un cancer du poumon ou une sténose coronaire selon les normes de l’industrie du diagnostic, il faudrait enseigner à déjouer l’agnotologie des industriels du tabac. Plutôt que d’enseigner l’efficacité théorique des anticorps monoclonaux, il faudrait apprendre à mieux juger leurs maigres résultats cliniques. On peut négliger d’enseigner les maladies neurodégénératives, dont tout traitement rapportera a priori plus d’argent que d’années/qualité de vie, au profit des maladies neurodéveloppementales de l’enfant et de l’adolescent où chaque infime progrès est plus prometteur.

Les cliniciens se font rares, les facultés peuvent disparaître, car la conception réductionniste du diagnostic et du soin et très adaptable aux nouveaux marchés de l’intelligence artificielle.

Pourvu qu’il nous reste quelques chirurgiens de guerre pour les traumatismes de la route.

Références

Trouble dissociatif politique

mercredi 13 octobre 2021

Un homme politique ne dit jamais « français » ni « citoyens », il dit « françaises et français » ou « citoyennes et citoyens ». Notre langue possède cette magie du genre qui permet une rapide identification de l’auteur d’un discours. Cependant, ce détail ne permet pas de discerner si cet humain (mâle ou femelle) est en campagne électorale. Le mot qui donne assurément la réponse à cette interrogation est « rassembler ». Ce mot surgit toujours dès les premières secondes d’un discours ou interview. Ces politi (ciennes et ciens) ont l’obsession d’un rassemblement dont ils sont à la fois cible et vecteur : vers eux et par eux. Ce leitmotiv entonne et surpasse tous les programmes et toutes les idéologies. C’est d’ailleurs le sentiment profond d’avoir cette faculté de rassembleur qui a motivé leur candidature. Leur seule véritable idéologie est celle du rassemblement et aucun programme ne pourra se décliner sans ce prérequis.

Cette logique implacable dissimule pourtant un problème de taille. Ces adeptes du rassemblement ont généralement commencé leur carrière de rassembleur en trahissant leur propre camp. Leur prédisposition à désassembler le groupe qui a donné un premier essor à leur carrière est supposée être le garant de leur capacité à rassembler. Pour ceux qui ne suivent pas, disons plus simplement que le deuxième essor d’une carrière politique commence par une action contre-productive en termes de rassemblement. Pour ceux qui peinent encore à suivre, résumons ainsi : plus il y a de rassembleurs, moins il y a de rassemblement.

Dans un pays comme le nôtre où le multipartisme est intangible, cela se traduit par une augmentation progressive du nombre de partis et de candidats à chaque élection. Nous sommes passés de 5 à 6 au début de la cinquième république, à plus d’une trentaine aujourd’hui.

Mais que vient faire cette diatribe dans une chronique médicale ?

Constater une augmentation de l’incidence des partis politiques n’est pas vraiment de l’épidémiologie médicale. Même si la sociologie prend une part croissante dans les causes de troubles et souffrances individuelles, inversement, ce bouillonnement partisan pourrait avoir quelque vertu thérapeutique pour les rassembleurs et leurs adeptes en instance de rassemblement. Les ONG ont aussi ce pouvoir de bénéficier à leurs attributaires et à leurs attributeurs, mais elles sont très rarement initiées par une trahison.  

Dans une époque où la médecine étend sans vergogne son emprise sur tous les troubles psychosociaux, ma chronique pourrait être pernicieusement médicale en proposant de rajouter un nouveau trouble mental aux plus de 500 que compte déjà le DSM, manuel de référence de la psychiatrie académique.

Ce pourrait être, par exemple, le trouble dissociatif politique (TDP). Le point commun des divers troubles dissociatifs est un biais de perception de l’identité.  Le TDP consisterait alors à se percevoir rassembleur sur sa faculté à désassembler.

Référence

Splendeur et misère des plaques d’Alzheimer

mercredi 6 octobre 2021

La démence sénile, longtemps considérée comme une banale dégénérescence – ni cartilage, ni peau, ni artères ne peuvent échapper à la sénescence – est devenue maladie lorsque le microscope d’Alzheimer a permis de voir des fibrilles dans les neurones et des plaques dans le cortex. La biomédecine a l’habitude de transformer un processus de sénescence en maladie lorsque la technologie permet d’en dévoiler une partie. DMLA, ménopause, sarcopénie, ostéoporose, athérosclérose ou dysfonction érectile illuminent cette nouvelle sémantique de la sénescence.

Cette maladie d’Alzheimer fait rêver l’industrie pharmaceutique. Elle a tout pour lui plaire : symptômes flamboyants, fréquence en augmentation logique dans les pays solvables, potentiel d’angoisse facile à entretenir, et signes précurseurs d’une telle banalité que tout citoyen est une cible de diagnostic précoce.

Tous les médicaments proposés ont eu un rapport bénéfice/risque négatif. Seules les mesures hygiéno-diététiques, cognitives et comportementales ont une utilité préventive et ralentissent faiblement la progression. 

Les études montrent que la baisse de vascularisation est le facteur le plus important, comme pour les autres dégénérescences. Tous les organes ont l’âge de leurs artères, cerveau y compris. Mais cette vérité est trop triviale pour les chercheurs et fondations que l’industrie alimente.

Les fameuses plaques du microscope d’Alzheimer, aujourd’hui nommées amyloïdes, sont beaucoup plus présentables. Et bien que nul ne sache si elles sont causes ou conséquences de la maladie, le marché les cible obstinément, car elles sont un critère intermédiaire parfait : montrer une action sur ces plaques permet d’extrapoler sur une possible action clinique. 

L’aducanumab est un nouvel anticorps monoclonal qui limite la progression de ces plaques amyloïdes. Biogen, son fabricant vante une diminution de 23% du déficit cognitif quand le traitement est précoce. Précoce est évidemment le mot important. La polémique est déjà lancée puisque d’autres études ne montrent rien du tout. Mais là n’est pas le sujet, la FDA vient d’autoriser une mise sur le marché provisoire, faisant subitement grimper le cours de l’action du laboratoire et mettant tous les médias au diapason.

Il ne faut pas chercher à savoir quels sont les conflits d’intérêt des spécialistes qui s’expriment sur les ondes, car ils sont par eux-mêmes un énorme conflit d’intérêt en faisant la promotion d’un médicament dont le coût annuel est de 50 000 € par an et par patient, pour un bénéfice qui sera nul ou négligeable en termes de quantité-qualité de vie – Je prends date.

Il est des conflits d’intérêts qui commencent avant la première étude, lorsqu’il est certain que le sujet abordé ne fera progresser ni la médecine, ni la solidarité.  

Les actionnaires connaissent la temporalité des polémiques sur les maladies dégénératives, ils savent que le profit sera excellent longtemps avant la confirmation du misérabilisme clinique.

Bibliographie

Sclérose en plaques et infections

mardi 28 septembre 2021

La sclérose en plaques (SEP) est la plus grave des maladies auto-immunes, la démyélinisation de certains nerfs peut conduire à de lourds handicaps. De nombreux liens ont été établis avec les infections passées, la pression parasitaire du pays et le microbiote.  

Le plus évident est le gradient de latitude. Plus on s’éloigne de l’équateur, plus la prévalence de SEP augmente. Deux explications sont proposées. La première est une carence en vitamine D par manque d’ensoleillement, bien que sa prescription ne diminue pas le risque de SEP. La deuxième suggère que la forte pression parasitaire des pays tropicaux offrirait une protection dès l’enfance ; ceci est en rapport avec l’hypothèse hygiéniste qui stipule que la baisse des infections dans l’enfance favorise les maladies allergiques et auto-immunes. Hypothèse confortée dans nos pays où les enfants des grandes fratries rurales, donc plus souvent infectés, sont moins atteints.

L’âge des infections semble jouer un rôle important. Le risque de SEP augmente lorsque des maladies comme la rougeole, la rubéole ou les oreillons sont contractées à un âge tardif ; les réponses immunitaires seraient « aberrantes ». La vaccination contre ces maladies annule ce risque, mais elle augmente celui d’une infection tardive chez les non-vaccinés, donc leur risque de SEP. Le rôle de l’âge est conforté par le fait que les personnes qui migrent après l’âge de 15 ans conservent le risque de SEP de leur pays d’origine et celles qui migrent avant cet âge acquièrent le risque du pays d’adoption.

Une surprenante corrélation montrant un risque plus élevé chez les enfants nés en mai, a fait émettre l’hypothèse d’une infection hivernale pendant la grossesse.

Il existe une forte relation avec le virus Epstein-Barr puisque tous les patients atteints de SEP en sont porteurs. L’âge de leur infection joue aussi un rôle, puisqu’une mononucléose tardive augmente le risque de SEP.

La protéine MOG (myeline oligodendrocyte glycoprotein), fortement impliquée dans la myélinisation, ressemble beaucoup à une protéine du lait de vache et du virus de la rougeole. Un nourrisson en contact avec ces dernières pourrait développer une réponse auto-immune pathogène. Evoquée au début des années 1990, cette hypothèse a été curieusement peu explorée par la suite. 

Une bactérie bien connue dans les gingivites sécrète des lipides qui aggravent expérimentalement la démyélinisation chez les souris. Enfin, les altérations du microbiote sont désormais bien établies dans la SEP.

Les avancées de la génomique permettent désormais d’identifier rapidement les antigènes de chaque nouveau virus et les protéines de membrane qui leur permettent de pénétrer nos cellules. On peut s’étonner que les solides hypothèses infectieuses de la SEP restent encore si mal explorées. Les maladies auto-immunes sont-elles un échec de l’infectiologie, une négligence de la recherche ou l’ultime terra incognita de la biomédecine ?

Bibliographie

Pathologie

vendredi 17 septembre 2021

Un de mes fidèles lecteurs, féru comme moi de terminologie scientifique, m’a fait remarquer avec raison que je mélangeais régulièrement les termes « maladie » et « pathologie ». L’erreur est classique, la météorologie est confondue avec le climat qu’elle étudie. On parle d’une mauvaise météo. L’écologie, elle aussi, est régulièrement assimilée à ses sujets d’étude.

En toute rigueur, la pathologie est une science qui étudie les objets que sont les maladies. Il existe une classification internationale des maladies dont la onzième édition (CIM-11) compte environ 160 000 objets d’étude identifiés par un code de 3 caractères et classés en 23 groupes.

Un chapitre supplémentaire a été intitulé : autres motifs de recours aux systèmes de santé, entérinant le fait que la médecine intervient aussi hors du cadre des maladies. Un autre chapitre est consacré aux maladies iatrogènes, c’est-à-dire provoquées par la médecine. Un autre est consacré aux causes externes d’accident.

En réalité, les deux sciences médicales consacrées à la classification des maladies sont la nosologie qui élabore les méthodes, principes et critères permettant de classer symptômes et maladies, et la nosographie qui en est le catalogue résultant où figurent les noms et définitions de tous les troubles reconnus comme pathologiques.

Tous ces troubles et maladies sont labiles dans le temps et l’espace. Aussi bête que cela puisse paraître, l’hypertension artérielle (codée I10) n’a pu apparaître qu’après l’invention du tensiomètre. Aujourd’hui, être gaucher ou homosexuel ne sont plus des maladies, alors qu’elles l’étaient encore il y a seulement quelques décennies. Inversement, l’épisode dépressif léger (F32), l’état de stress post-traumatique (F43), la DMLA (H35), et bien d’autres ont fait une apparition récente dans ce catalogue sous diverses influences n’ayant pas toujours de rapport avec la science.

 Parfois la maladie est nommée par le nom propre de son découvreur (Parkinson, Charcot), parfois le mot « maladie » lui-même a disparu, remplacé par souffrance, syndrome, trouble, désordre, dysfonctionnement, handicap, carence, affection, anomalie, etc.

Assurément, les trois sciences de la nomenclature (pathologie, nosologie et nosographie) sont d’une extrême complexité, elles dépassent largement le cadre de la biomédecine et relèvent aussi de la sociologie, de l’économie et de la géopolitique.

La pratique médicale, qui peine déjà à maîtriser la physiologie, la psychologie et la biologie, est dans l’incapacité d’englober toutes les sciences intervenant dans la définition des souffrances et maladies. C’est pourquoi elle s’intéresse de plus en plus aux personnes en bonne santé pour dépister tous les marqueurs prédictifs d’une maladie du CIM, et leur éviter d’ouvrir un jour l’une de ces 160 000 portes.   

Référence

Le malheur est dans le pré

lundi 6 septembre 2021

L’évolution des pratiques médicales a conduit à une inversion du déterminisme des diagnostics. Ce n’est plus une plainte issue du patient qui conduit à un diagnostic éventuel, c’est inversement un diagnostic biomédical qui est proposé à des citoyens sans plainte. Les diagnostics d’hypertension, de diabète de type 2 (DT2), d’ostéoporose ou de leucémie lymphoïde chronique, sont unanimement vécus comme de redoutables maladies par ceux qui n’en ont jamais ressenti et n’en ressentiront jamais le moindre symptôme.  

Nous acceptons cette suprématie paraclinique, car elle s’inscrit dans la domination des chiffres et des images sur tous les secteurs sociaux. Ce que nos sens perçoivent est moins prégnant que ce qu’il leur est suggéré de percevoir.

Dans le domaine de la santé, cette mercatique de l’intime a parfaitement atteint ses objectifs. Mais aucune réussite ne peut rassasier le marché sanitaire, si l’on en juge par les innombrables publications destinées à élargir la cible de ces maladies virtuelles. Ce sont désormais, le prédiabète, la pré-hypertension ou la pré-hypercholestérolémie qui doivent alerter les médecins.  En 2005, une étude célèbre a démontré que les Norvégiens (entre autres) avaient toutes les pré-maladies induisant un haut risque cardio-vasculaire. En 2009, l’étrange concept de pression artérielle normale haute a été défini sans faire broncher les nosologistes. En 2014, douze millions d’Américains ont soudainement franchi le seuil pathologique par décret d’une nouvelle norme du LDL cholestérol. En 2019, ce sont 46% des Américains qui sont devenus hypertendus au lieu de 32% auparavant, car la pré-hypertension, qui couvait depuis longtemps, a fini par éclore. Nous connaissions l’hypertension de la blouse blanche qui n’existe que chez le médecin, il nous faut désormais affronter l’hypertension masquée qui n’existe qu’à la maison et pas en consultation. La greffe de tensiomètre apparaît comme une mesure indispensable de santé publique. Préservatifs et masques ne sont que des gadgets transitoires d’infectiologues.

Si les cardiologues sont les héros de la précaution, les psychiatres ne sont pas en reste. Lors de l’élaboration du DSM5, le diagnostic de pré-psychose a été proposé puis abandonné in extremis sous la pression de certains psychiatres plus modérés, ou plus mièvres.

Cependant cette inflation diagnostique, frisant trop souvent le grotesque, commence doucement à être dénoncée. Une étude de 2020 démontre que le pré-diabète évolue très rarement vers le DT2. En pédiatrie, nous avons désormais la preuve que la majorité des diagnostics d’allergie alimentaires et d’asthme sont portés par excès et que ces « maladies » disparaissent après arrêt de tout traitement. Mais n’en doutons pas, la pré-psychose, le pré-diabète ou le pré-asthme auront de nombreux successeurs, car notre vrai malheur est dans le pré. Aucun être vivant n’a encore survécu au pré.  

Bibliographie