Archive pour la catégorie ‘Non classé’

Modèle de l’antibiorésistance

samedi 9 avril 2022

La résistance à la pénicilline était identifiée en laboratoire en 1940 avant même sa commercialisation en 1943. Mais ce médicament miraculeux a empêché la mort par septicémie après les blessures de guerre et il a neutralisé la syphilis, sans compter quelques autres miracles en pédiatrie et pneumologie.

Après avoir enfin compris que l’antibiorésistance était un processus lié aux lois de la sélection naturelle, donc inévitable, on a commencé une course aux armements entre bactéries toujours plus résistantes et antibiotiques toujours plus puissants. Chaque camp a gagné des batailles, mais il a fallu plus d’un demi-siècle pour admettre la supériorité définitive des bactéries et proposer de nouvelles stratégies.

Interdiction des antibiotiques dans l’élevage, diminution de la consommation médicale, avec le fameux slogan « les antibiotiques c’est pas systématique ». Rien n’y fit, malgré quelques pauses, la consommation s’est accrue. Les miracles ont la vie dure dans nos processus cognitifs.

Les dégâts ont été considérables à l’hôpital et en chirurgie, avec les maladies nosocomiales dont le coût et la mortalité ne cessent d’augmenter. On compte des centaines de milliers de morts annuelles rien que pour la diarrhée à clostridium. 

En ultime recours, on a procédé à des études cliniques mieux contrôlées. Permettant ainsi de prouver l’inutilité des antibiotiques dans les angines (même à streptocoques), les bronchiolites, la majorité des maladies respiratoires, les infections urinaires, l’acné. On a montré la dangerosité de leurs excès dans les services de néonatologie ou dans la prévention des complications des viroses saisonnières. Certains ont suggéré de ne plus les prescrire dans l’ulcère de l’estomac où la résistance est encore plus forte. On a même définitivement détruit le dogme de la prise obligatoire de toute la boîte. Oui, on ne peut prendre qu’un ou deux comprimés, et seulement pendant un jour dans de nombreux cas, mêmes graves.

Des hôpitaux ont essayé la suppression totale d’un type d’antibiotique pendant 6 mois ou un an, révélant une baisse de l’antibiorésistance à la reprise… Trop brève hélas.

On a compris que les antibiotiques dans l’enfance sont la première cause de la recrudescence des maladies allergiques et de plusieurs maladies auto-immunes de l’adulte.

Aujourd’hui, l’antibiorésistance est considérée comme un problème majeur de santé publique. Peut-être à tort. D’une part, quelques décisions peu coercitives pourraient limiter massivement la consommation d’antibiotiques. D’autre part, la menace pèse peu sur le grand public, l’antibiorésistance est surtout un frein à la chirurgie complexe et à la protection des personnes fragiles hospitalisées. En bref, à ce qui fait la modernité de la médecine.

L’histoire de l’antibiorésistance fournit ainsi un modèle original de réflexion en écologie politique. La méconnaissance et le mépris des lois de l’évolution ont conduit à ralentir notre maîtrise sur la biologie humaine. Une forme d’autorégulation.

Bibliographie

L’énigme du colostrum

lundi 28 mars 2022

Il est communément admis que la sélection naturelle a conduit chaque espèce à une adaptation optimale, et que, dans le cas particulier de notre espèce, la culture a profondément modifié le cours de l’évolution. Cette interférence a conduit certains idéologues à d’hasardeuses hypothèses. La protection des plus faibles serait une menace pour notre espèce… La sélection n’aurait plus de prise sur nous… Nous aurions perdu nos défenses naturelles… etc.

Loin de ces élucubrations, la science a quelques certitudes, par exemple le feu a profondément modifié notre alimentation et notre système digestif. L’urbanisation a été délétère en favorisant les épidémies, mais elle a été bénéfique en augmentant le brassage génétique. L’élevage des bovins a fourni le lait, excellent substitut alimentaire en cas de famine, mais il a conduit à l’effondrement de l’allaitement maternel lorsque le commerce a pris le pouvoir. Les religions ont renforcé les liens sociaux, mais elles ont tué plus que les famines. Bref, les déterminants culturels semblent avoir été aussi hasardeux que ceux de l’environnement naturel. Et il faudra certainement plus de temps pour résoudre les énigmes de la sélection culturelle qu’il n’en a fallu pour celles de la sélection naturelle.

La plus étonnante des énigmes culturelles est celle du rejet du colostrum. Le colostrum possède plus de vertus nutritives et immunologiques que tout aliment, vaccin ou médicament. Le réflexe de la tétée, présent dès la première minute de vie, garantit l’attachement et augmente la lactation. Pourtant, indépendamment des influences des religions et du marché, et dans la quasi-totalité des ethnies et cultures, le colostrum a été rejeté, même lorsqu’il n’y avait pas d’alternative au sein maternel.

Ce rejet universel a suscité des hypothèses dont la fantaisie est à la hauteur du mystère. Margaret Mead y a vu une sélection des nouveau-nés les plus aptes à survivre à cette privation. Michel Odent a suggéré que la privation de ce premier lien à la mère avait pour but d’augmenter l’agressivité, donc l’esprit de conquête. On peut en émettre d’aussi contestables, quoique plus plausibles. L’accouchement étant une épreuve difficile, on a pu vouloir accorder un repos à la mère en la libérant des exigences de son nourrisson. Cette soustraction du nouveau-né permettant au père de prendre sa revanche de progéniteur exclu de la grossesse. Mais, il se pourrait tout simplement que l’aspect jaunâtre et peu ragoutant du colostrum ait heurté le sens esthétique ou l’ait fait considérer comme un sous-produit, voire comme un poison, surtout en comparaison avec le lait au blanc immaculé. La culture du beau et du bon peut conduire à toutes les dérives… L’énigme du rejet du colostrum reste entière. Néanmoins, la science nous a donné une certitude : en redonnant le colostrum à tous les nouveau-nés, nous réorienterions l’évolution dans un sens favorable à notre espèce sans risque d’effet indésirable social, sanitaire ou mental.

Bibliographie

Monogamie évolutionniste

dimanche 13 mars 2022

Les statistiques déplaisent, car elles ignorent les cas particuliers ; chacun assimilant l’ignorance de son cas à du mépris. Lorsque les statistiques affirment que « l’effet cendrillon » et les infanticides sont plus fréquents dans les familles recomposées, les beaux-parents adoptifs, parfois plus affectueux que les géniteurs, vivent cette assertion comme abjecte. Lorsque les statistiques confirment que le divorce entraîne des conséquences négatives à long terme sur l’équilibre affectif et la santé mentale de la progéniture, cela est inaudible par les parents qui peuvent vivre et citer d’innombrables contre-exemples.

Les critères psychosociaux étant toujours soumis à de vives polémiques, il est tentant de suspecter les auteurs de ces études de vouloir prôner une idéologie monogamique.

Il faut alors convoquer la biologie, avec des critères plus pertinents, pour essayer de savoir si notre espèce a subi des pressions sélectives positives pour la monogamie.

Il est par exemple admis que les maladies sexuellement transmissibles trop visibles ont un effet repoussoir lors du choix d’un partenaire. Cela a probablement favorisé une sélection positive dans deux directions, d’une part, les individus les plus résistants aux infections, d’autre part, les moins volages. 

L’anthropologie a démontré qu’un père au foyer était un facteur favorable à la survie de la progéniture. La biologie confirme que le célibat maternel a un impact négatif sur le poids de naissance, la croissance in utero et la prématurité. Cs critères biologiques peu contestables surenchérissent sur les anthropologues, en montrant un effet bénéfique du père pendant la vie in utero. Voilà de quoi rassurer les pères qui se sentent exclus de la grossesse.

Encore plus surprenante est la constatation au sujet de la prééclampsie, cette redoutable maladie de la grossesse qui ne risque de survenir que pour le premier enfant d’un couple, et jamais pour les suivants. Comme si le couple ayant réussi son premier test d’histocompatibilité pouvait continuer à procréer en toute sérénité… Et l’immunologie remettra les compteurs à zéro en cas de couple recomposé.

D’autres « subtilités » de la nature sont aussi mesurables, comme la chute du taux de testostérone au contact du nouveau-né, limitant la probabilité d’ensemencer d’autres femmes et d’éparpiller l’attention paternelle.

Enfin, plus l’âge de procréation avance, naturelle ou assistée, tant pour le père que pour la mère, plus convergent de risques sur la progéniture. Pour un couple recomposé jeune, aucune étude ne pourra jamais mettre en balance l’avantage de la jeunesse pour une nouvelle fratrie avec la diminution des soins parentaux sur la ou les fratries précédentes.     En tant que mammifères, nous avons un lourd passif de polygamie et l’évolution ignore le concept culturel de monogamie stable à vie. Cependant notre espèce a mis en place plusieurs moyens pour favoriser la monogamie jusqu’à la puberté ou l’autonomie du dernier enfant d’une fratrie.

Bibliographie

Mots de la méconnaissance et fibromyalgie

vendredi 4 mars 2022

Plusieurs maladies ont changé de nom lorsque leur physiopathologie a été mieux comprise, passant ainsi d’un nom littéraire à un nom scientifique. L’angine de poitrine est devenue coronaropathie lorsque l’on a compris le rôle des coronaires. L’apoplexie est devenue accident vasculaire cérébral pour une raison identique. Le mal sacré est devenu épilepsie lorsque les dieux ont été plus discrets. L’hystérie s’est muée en divers troubles somatoformes lorsque l’utérus est devenu un organe moins vagabond. La phtisie galopante a cessé de galoper en devenant tuberculose.

Des changements plus récents de sigles ont suivi les caprices de la mode ou de la communication. La PCR (polyarthrite chronique rhumatismale » est devenue PR (polyarthrite rhumatoïde), perdant le C de la chronicité sans en perdre la nature ; et cela bien avant que le PCR ne devienne un test célèbre. Les MST (maladies sexuellement transmissibles) sont devenues les IST (infections) pour encourager au dépistage des infections sans symptômes.

Dans le domaine de la psychiatrie, la sémantique a varié au gré des interprétations, elles-mêmes très fluctuantes. La démence précoce devint schizophrénie pendant que la démence sénile devint maladie dès que la coloration argentique de monsieur Alzheimer permit de voir les neurones au microscope.

Le concept des deux pôles extrêmes de l’humeur a transformé la mélancolie en dépression unipolaire et la psychose maniaco-dépressive en maladie bipolaire.

La fibromyalgie se situe au pinacle de ces remaniements. Cette maladie dont on n’arrive toujours pas à savoir si elle est neurologique, psychiatrique, auto-immune ou somatoforme a connu diverses appellations dissimulant toujours mal l’embarras des nosologistes.  Rhumatisme psychogène, polyentésopathie, rhumatisme musculaire chronique et fibrosite sont quelques-uns des anciens termes utilisés pour enluminer la méconnaissance de cette maladie, laquelle a longtemps été confondue avec le syndrome de fatigue chronique, tout aussi énigmatique et aujourd’hui pompeusement renommé encéphalomyélite myalgique.

Le terme psychogène était classiquement utilisé pour désigner les symptômes dont on ignorait la cause ; son usage a progressivement diminué en corrélation inverse avec les connaissances, et il est remplacé aujourd’hui par idiopathique (du grec « idio » : propre, spécial ou particulier). Changement politiquement correct qui suggère que l’idio(t) n’est pas celui que l’on croit.

Ainsi la fibromyalgie, dont on continue à tout ignorer, a peut-être enfin son terme adéquat en sacrifiant à la mode des sigles et de l’idiopathique ; elle se nomme dorénavant SPID (syndrome polyalgique idiopathique diffus). L’identité phonétique avec speed est une pure coïncidence bien que le stress soit certainement un facteur de risque.

Attendons le prochain épisode de cette saga terminologique…

Référence

Marketing pharmaceutique direct

mardi 22 février 2022

La pharmacie est scindée en deux marchés. Les médicaments dits « éthiques » délivrés sur ordonnance et supposés plus dangereux. Et ceux en vente libre, nommés « OTC » (over the counter), théoriquement anodins. La publicité des premiers est interdite auprès du grand public.

Cependant, la limite entre ces deux marchés est floue et fluctuante. Les antiinflammatoires ont varié d’éthique à OTC selon leur dosage, il suffisait alors d’aller plus souvent à la pharmacie pour avoir sa dose. L’aspirine, les vasoconstricteurs nasaux ou les laxatifs stimulants sont en vente libre malgré leur dangerosité.

Quant à la barrière publicitaire, elle est franchie allègrement dans les deux sens. Diverses « pressions » sur les médecins ont abouti aux addictions aux benzodiazépines, antidépresseurs et opiacés qui sont un problème majeur de santé publique. Dans l’autre sens, lorsque les médecins sont trop timides pour prescrire un produit coûteux et peu efficace, le marché passe par les associations de patients pour afficher une compassion outrancière.

Ces manœuvres ont bien fonctionné pendant des années : ni prescripteurs, ni patients ne percevaient la trivialité d’un marché ostensiblement dédié au bien de l’humanité souffrante.

Puis la grossièreté de quelques manipulations est apparue aux plus avertis. La migraine devenait la maladie du siècle sur les médias juste avant la sortie d’un nouvel antimigraineux. La publicité interdite pour les médicaments était remplacée par la publicité pour une maladie. Notre radio publique avait ainsi promu la DMLA dont un traitement au prix indécent était proposé pour un bénéfice négligeable. La même radio avait alerté contre les AVC en incitant les citoyens à appeler le SAMU s’ils voyaient une personne avec la bouche tordue dans la rue. J’ignore quel a été l’impact de ces campagnes sur la santé publique. Les défibrillateurs qui ornent nos gares et nos ruelles seront dégradés avant d’avoir sauvé une vie, mais ils contribuent aussi à concrétiser la fragilité de nos vies.

Bien qu’ils soient bénéficiaires de cette médicalisation de la société, certains médecins s’en inquiètent. Ceci conduit le marché à écarter progressivement les praticiens des circuits de la distribution pharmaceutique. J’en ai pris conscience la première fois en 2011 en lisant cet encart sur un prestigieux quotidien :

« Recherche patients en état dépressif. Vous avez plus de 18 ans et moins de 65 ans, vous vous sentez triste, fatigué et déprimé. Vous ne suivez pas ou suivez un traitement antidépresseur qui ne vous convient pas. Si vous ou une personne de votre entourage se sent concerné(e) par les critères ci-dessus contactez le numéro vert suivant […] Nous évaluerons votre possibilité de participation à notre recherche clinique en vue d’une prise en charge thérapeutique. Participez pour que la dépression ne nous résiste plus ! » Garanti verbatim !

Pourquoi s’embarrasser d’hypocrisies éthiques, puisque le producteur peut désormais recruter directement ses consommateurs ?

Bibliographie

Valse des normes

mercredi 9 février 2022

Dans les années 1970, la pression artérielle systolique à 60 ans ne devait pas dépasser 160 mm Hg, aujourd’hui le chiffre est de 140. Le nombre d’hypertendus était estimé à 9% de la population. Ce taux est monté à 30% à la fin du XX° siècle, puis à 46% en 2019, par l’abaissement des normes. Il en est de même pour la glycémie à jeun dont le chiffre à ne pas franchir est passé de 1,40 g/l à 1,20 g/l. Le changement des normes pour le cholestérol en 2014 a fait brutalement passer de 42% à 57% le pourcentage d’Américains souffrant d’hypercholestérolémie.

Deux amusantes publications ont montré que 90% des Norvégiens étaient hors des normes cardio-vasculaires, et 99% des Américains. Il reste tout de même 10% des Norvégiens et 1% des Américains qui peuvent prétendre à l’immortalité. Le hamburger doit être plus meurtrier que le poisson.

Tous ces morts que nous allons pleurer vont être une nouvelle cause de maladie, car les normes du deuil pathologique ont, elles aussi, été modifiées à la baisse. Dans la version III du manuel de référence en psychiatrie (DSM), la durée au-delà de laquelle il fallait considérer le deuil comme un trouble dépressif avait été rabaissée à un an. Dans la version IV, cette durée était de deux mois. Et enfin dans la version V, il est écrit que le deuil est pathologique s’il dure plus de deux semaines. Dans un autre registre de la psychiatrie, certains considèrent que la dépression du post-partum est l’une des formes de la tentaculaire maladie bipolaire. Ainsi, le nombre de personnes souffrant de troubles mentaux, estimé à plus de 25%, va certainement s’accroître dramatiquement.

La densité osseuse est également sujette à caution normative, l’ostéopénie physiologique des personnes âgées est devenue ostéoporose, indépendamment du risque de fracture.  

Très rarement, la situation est inverse, ce n’est pas l’abaissement des normes qui crée une augmentation de la morbidité, c’est l’augmentation réelle de fréquence d’une anomalie qui oblige à changer les normes. L’exemple caricatural est celui du sperme. En 1940, le nombre de spermatozoïdes par ml était de 113 millions. Cinquante ans plus tard, en 1990, il était de 66 millions. Pendant la même période, le volume de l’éjaculat est passé de 3.40 ml à 2.75 ml. Devant la baisse continue de ces chiffres, l’OMS a tout simplement modifié les normes de l’hypospermie. Le taux normal de spermatozoïdes par ml est passé à 20 millions en 1999 et à 15 en 2010. Pour l’éjaculat, la norme est passée à 2ml en 1999 et 1,5 ml en 2010.

Malgré la morbidité qu’elle accumule, cette valse des normes fait tout de même des heureux. D’une part, chaque spermatozoïde se réjouit d’avoir de moins en moins de concurrents dans sa course à l’ovule. D’autre part les marchands de chimie gagnent sur deux fronts, ils sont innocentés par la renormalisation de la catastrophe spermatique, et ils sont sollicités pour soigner les détresses médicales consécutives à l’abaissement des normes.

Bibliographie

Dépistages inutiles

mercredi 2 février 2022

Un dépistage est dit systématique, organisé ou généralisé quand il s’applique à tous sans distinction. Par exemple, celui du cancer du côlon chez tous les individus de 50 à 74 ans. L’inverse est un dépistage ciblé, par exemple celui du cancer du sein chez des femmes ayant un gène BRCA1 muté.

Je ne parle ici que des résultats des dépistages systématiques en me référant à des méta-analyses institutionnelles (Cochrane, USPSTF, HAS, CDC, etc.).

Il est désormais bien connu que de tels dépistages sont inutiles pour plusieurs cancers (mélanome, thyroïde, endomètre ou prostate), car ils ne modifient pas la mortalité globale. Il suffit d’attendre le premier symptôme pour agir, le taux de survie sera toujours le même. Pour le redoutable cancer du pancréas, l’inutilité du dépistage a été confirmée en 2004 et réaffirmée en 2019. Celui du cancer de l’ovaire est délétère, c’est-à-dire en défaveur des dépistées. Celui du cancer du poumon aggraverait dangereusement la confusion entre dépistage et prévention chez les fumeurs…

Certaines études, non des moindres, ont osé affirmer l’inutilité du dépistage de tous les cancers sans exception. Je n’ose pas encore faire une telle assertion tant que le dépistage du cancer du côlon n’a pas encore livré tous ses secrets.

Hors cancers, on est surpris de découvrir l’inefficacité du dépistage des anévrysmes de l’aorte abdominale. Leur rupture ayant une létalité de 80%, la chirurgie préventive parait logique. Eh bien non, l’arrêt du tabac après diagnostic offre une meilleure survie pour cette maladie des gros fumeurs.

En 2015, une grande étude a évalué 39 tests de dépistage de 19 maladies incluant cancers, diabète de type 2, maladies cardiovasculaires et bronchiques. Résultat : aucun de ces tests n’a eu d’impact sur la mortalité.

Continuons cette liste, toujours institutionnelle.

Inutilité de l’électrocardiogramme de repos ou d’effort. Inutilité du dosage des lipides avant 21 ans. Aucun bénéfice du dépistage des troubles cognitifs. L’examen annuel des femmes asymptomatiques – le mot est important – n’apporte rien pour le dépistage des infections génitales (vaginose, herpès et trichomonase).

Et surtout – mille fois confirmé – une totale inutilité de tous les bilans de santé proposés par les mutuelles, ces fameux check-up dont le but est obscur et douteux.

Qui pourrait encore argumenter pour la systématisation d’un dépistage ?

Cette vacuité me désole moi-même. Heureusement, il existe encore quelques registres où le dépistage peut ouvrir un espace de progrès sanitaire. Par exemple les dépistages anténataux, celui du cannabis au volant, des violences conjugales, du mal logement ou encore de la pédophilie. 

Mais le plus grand espace de progrès consiste à enseigner que dépistage et prévention n’ont strictement rien de commun. Le dépistage n’est pas de la prévention, pire : le dépistage dégrade la prévention. Un dépistage généralisé de l’incompréhension de ces deux mots conduirait assurément à une baisse de la mortalité.

Références

Circoncision et SIDA

mercredi 19 janvier 2022

Nous ne connaissons pas la lointaine origine de la circoncision, car le pénis ne laisse aucune trace fossile. Nous sommes certains qu’elle a au moins 5000 ans puisqu’on la décèle sur des momies et des bas-reliefs égyptiens. Elle est certainement plus ancienne, car la bible mentionne par deux fois sa pratique avec un silex, alors que les outils tranchants en métal étaient utilisés depuis longtemps. Nos lointains ancêtres devaient avoir des audaces chirurgicales si l’on en juge par les trous de trépanation découverts sur des crânes du mésolithique. La circoncision devait leur paraître aussi banale que l’incision d’un abcès, et sa pratique devait être exclusivement curative. La première hypothèse qui vient à l’esprit est l’accumulation de smegma sous le prépuce des jeunes garçons, prévention naturelle contre le phimosis, pouvant cependant provoquer des infections en cas de mauvaise hygiène.

L’extension de la circoncision a plusieurs explications dans le temps et l’espace : acte d’hygiène préventive, rituel de la puberté, initiation au mariage, acte magique contre la stérilité, et autres interprétations historiennes toutes crédibles.

La première mention de l’aspect rituel d’ordre religieux apparaît évidemment dans la Genèse avec les mots sans équivoque de Dieu à Abraham « Voici l’obligation que j’impose à toi et tes descendants : quiconque de sexe masculin devra être circoncis. Votre circoncision sera le signe de l’alliance établie entre vous et moi.  Quant à l’homme non circoncis, il sera exclu du peuple pour n’avoir pas respecté les obligations de mon alliance. » Il ne s’agissait manifestement plus d’une bagatelle d’ordre hygiénique. On ne plaisante pas avec les rites, ils effacent les traces d’hygiène aussi sûrement que le cheval d’Attila efface les traces d’herbe.

L’hygiène a pourtant fait une réapparition tapageuse dans les années 2000 avec des études montrant que la circoncision diminuait la transmission du SIDA. Circoncision et SIDA : deux mots si lourds de troubles évocations qu’ils ne pouvaient que déchaîner les médias et les polémistes. Après une décennie de publications contradictoires, le débat fut clos. La circoncision ne diminue pas le risque de transmission des infections sexuelles, elle limite cependant la transmission du SIDA aux femmes dont le partenaire est atteint. Les raisons en sont encore imprécises.

Cela ne suffit pas à prétexter l’hygiène pour étendre le rite à tous les nouveau-nés. Même si plusieurs rites religieux, jeûne du ramadan, maigre du vendredi, refus du porc, ont une origine d’ordre hygiénique, il serait hasardeux de vouloir remélanger les rites et la science avec des sauces plus modernes. Je redoute toujours les abus dans les deux camps.

Rendons les évocations aux évocateurs, les rites aux religieux et la science aux chercheurs.

Références

Effet moisson

vendredi 7 janvier 2022

En épidémiologie, l’effet moisson désigne la compensation qui suit un excédent de mortalité dû à un évènement extraordinaire tel que canicule, grand froid, pic de pollution ou épidémie. Si cet effet est important, cela signifie que l’essentiel de la mortalité a concerné des personnes fragiles qui seraient décédées quelques mois plus tard. On ne peut le mesurer qu’après le pic de mortalité, l’effet moisson est alors considéré comme d’autant plus important que le creux de mortalité est proche du pic en temps et en valeur.

On comprend aisément qu’il n’y a pas d’effet moisson après une guerre qui tue essentiellement des personnes jeunes. Cet effet a été faible après le smog de 1952 à Londres, laissant supposer que la surmortalité a concerné toutes les tranches d’âge. En revanche, il y a eu un important effet moisson en France après la grippe de 1957 et après la canicule de 2003. On le constate aussi après les surmortalités constatées en hiver dans tous les pays d’Europe, car le froid et les viroses saisonnières tuent plus volontiers les personnes âgées.

Si l’on raisonne en nombre d’années de vie perdues, les guerres et la pollution sont évidemment pires que les variations climatiques et les virus. Cela laisse supposer que si la santé publique, dans tous les pays, s’acharne avec tant d’obstination sur les virus, c’est possiblement pour compenser un sentiment de culpabilité lié à l’impossibilité d’agir sur les autres causes. Cela me rappelle l’histoire du type qui cherche ses clés sous un réverbère, bien qu’il les ait perdues ailleurs, car c’est là qu’il y a de la lumière.  

Plus sérieusement, espérons que cette épidémie n’aura pas fait perdre trop d’années de vie, chacune d’elles étant si précieuse. Mais nous ne le saurons qu’après, car en science, les modélisations émotionnelles du futur sont toujours moins pertinentes que la froide analyse des faits passés.

Quant aux années/qualité de vie perdues par les jeunes adultes et les enfants, nous ne le saurons pas pour au moins trois raisons. La première est que le long terme n’intéresse pas les décideurs de la santé publique. La deuxième est que de telles études nécessitent des critères difficiles à définir. La troisième est que l’analyse des résultats est toujours beaucoup moins flamboyante que les polémiques qu’ils suscitent.

Nous ne saurons donc jamais combien d’années de vie ont été perdues, mais nous pourrons en avoir une première estimation après examen de la mortalité en 2022 et 2023. Pourrons-nous patienter un à deux ans pour avoir un résultat approximatif ?

Je n’ose même pas imaginer la variété des stupidités que les chaînes d’information continue vont devoir moissonner pour meubler tout ce temps.

Bibliographie

Coût des années/qualité de vie

jeudi 23 décembre 2021

L’année/qualité de vie est l’unité qui établit le rapport entre le coût financier d’une action médicale et son bénéfice sanitaire. On utilise souvent QALY (quality adjusted life years).

L’amputation d’un membre pour éviter la gangrène peut faire gagner 20 ans de vie dont la qualité diminuera de 25% par exemple, le gain sera de 15 QALYs pour environ 2000 € dépensés. La rentabilité est excellente. En Afrique, une perfusion intra-péritonéale d’eau bouillie peut sauver un nourrisson et lui faire gagner de 30 à 50 QALY pour un coût de cinquante centimes. Dans ce même continent, un euro dépensé pour la scolarisation d’une petite fille a une rentabilité encore supérieure si l’on ajoute les QALY gagnées par ses futurs enfants. On a calculé que faire gagner un kilo à un enfant ougandais coutait 15 centimes.

Les anticancéreux représentent un marché mondial de 180 milliards d’euros, évalué à 270 milliards en 2025. Trois des produits les plus prescrits (pembrolizumab, lenalidomide et ibrutinib) font gagner respectivement 1 mois, zéro et zéro par rapport à des traitements anciens et moins coûteux.

Le rendement du traitement de la maladie de Parkinson est assez bon (5 000 € par QALY). Un antiviral efficace contre l’hépatite C coûte 50 000 euros par patient. On vient d’autoriser un médicament préventif contre les formes graves de covid-19 au prix de 3000 €, sur des bases purement théoriques. Les progrès fulgurants des biotechnologies permettent de synthétiser les protéines manquantes de certaines maladies rares. L’une d’elles a été commercialisée dans l’amyotrophie spinale, horrible maladie génétique qui entraîne de grandes souffrances suivies de la mort des nourrissons avant l’âge de deux ans. Les autorités ont accepté son prix de 2 millions € par injection, sans avoir eu la preuve d’une amélioration de la qualité de vie, ni une prolongation significative de sa durée.

En Europe, il ne faut plus parler en années depuis longtemps mais en mois/qualité ou jour/qualité gagnés, sans compter que certaines actions médicales entraînent une perte. Tous les traitements fort coûteux proposés dans la maladie d’Alzheimer ont eu une rentabilité nulle, voire négative.

Cette façon de calculer n’est ni élégante ni éthique, le proverbe dit que la santé n’a pas de prix, le réalisme oblige cependant à considérer qu’elle a un coût. Certaines thérapies géniques ont déjà permis d’obtenir des gains de quantité/qualité de vie appréciables chez quelques dizaines d’enfants. Nous comprenons la joie des chercheurs et des parents devant ces résultats suscitant l’espoir. Cependant, le gain d’une seule QALY peut coûter plus de 100 millions €. Les plus riches démocraties n’ont ni les moyens de cette médecine, ni l’audace de fixer une limite au coût par QALY.

Une première audace serait de supprimer les traitements à rentabilité nulle ou négative chez les séniors pour mieux investir sur les graves maladies des enfants. C’est notre ultime espoir de progrès médical.

Bibliographie