Archive pour la catégorie ‘Non classé’

Marketing pharmaceutique direct

mardi 22 février 2022

La pharmacie est scindée en deux marchés. Les médicaments dits « éthiques » délivrés sur ordonnance et supposés plus dangereux. Et ceux en vente libre, nommés « OTC » (over the counter), théoriquement anodins. La publicité des premiers est interdite auprès du grand public.

Cependant, la limite entre ces deux marchés est floue et fluctuante. Les antiinflammatoires ont varié d’éthique à OTC selon leur dosage, il suffisait alors d’aller plus souvent à la pharmacie pour avoir sa dose. L’aspirine, les vasoconstricteurs nasaux ou les laxatifs stimulants sont en vente libre malgré leur dangerosité.

Quant à la barrière publicitaire, elle est franchie allègrement dans les deux sens. Diverses « pressions » sur les médecins ont abouti aux addictions aux benzodiazépines, antidépresseurs et opiacés qui sont un problème majeur de santé publique. Dans l’autre sens, lorsque les médecins sont trop timides pour prescrire un produit coûteux et peu efficace, le marché passe par les associations de patients pour afficher une compassion outrancière.

Ces manœuvres ont bien fonctionné pendant des années : ni prescripteurs, ni patients ne percevaient la trivialité d’un marché ostensiblement dédié au bien de l’humanité souffrante.

Puis la grossièreté de quelques manipulations est apparue aux plus avertis. La migraine devenait la maladie du siècle sur les médias juste avant la sortie d’un nouvel antimigraineux. La publicité interdite pour les médicaments était remplacée par la publicité pour une maladie. Notre radio publique avait ainsi promu la DMLA dont un traitement au prix indécent était proposé pour un bénéfice négligeable. La même radio avait alerté contre les AVC en incitant les citoyens à appeler le SAMU s’ils voyaient une personne avec la bouche tordue dans la rue. J’ignore quel a été l’impact de ces campagnes sur la santé publique. Les défibrillateurs qui ornent nos gares et nos ruelles seront dégradés avant d’avoir sauvé une vie, mais ils contribuent aussi à concrétiser la fragilité de nos vies.

Bien qu’ils soient bénéficiaires de cette médicalisation de la société, certains médecins s’en inquiètent. Ceci conduit le marché à écarter progressivement les praticiens des circuits de la distribution pharmaceutique. J’en ai pris conscience la première fois en 2011 en lisant cet encart sur un prestigieux quotidien :

« Recherche patients en état dépressif. Vous avez plus de 18 ans et moins de 65 ans, vous vous sentez triste, fatigué et déprimé. Vous ne suivez pas ou suivez un traitement antidépresseur qui ne vous convient pas. Si vous ou une personne de votre entourage se sent concerné(e) par les critères ci-dessus contactez le numéro vert suivant […] Nous évaluerons votre possibilité de participation à notre recherche clinique en vue d’une prise en charge thérapeutique. Participez pour que la dépression ne nous résiste plus ! » Garanti verbatim !

Pourquoi s’embarrasser d’hypocrisies éthiques, puisque le producteur peut désormais recruter directement ses consommateurs ?

Bibliographie

Valse des normes

mercredi 9 février 2022

Dans les années 1970, la pression artérielle systolique à 60 ans ne devait pas dépasser 160 mm Hg, aujourd’hui le chiffre est de 140. Le nombre d’hypertendus était estimé à 9% de la population. Ce taux est monté à 30% à la fin du XX° siècle, puis à 46% en 2019, par l’abaissement des normes. Il en est de même pour la glycémie à jeun dont le chiffre à ne pas franchir est passé de 1,40 g/l à 1,20 g/l. Le changement des normes pour le cholestérol en 2014 a fait brutalement passer de 42% à 57% le pourcentage d’Américains souffrant d’hypercholestérolémie.

Deux amusantes publications ont montré que 90% des Norvégiens étaient hors des normes cardio-vasculaires, et 99% des Américains. Il reste tout de même 10% des Norvégiens et 1% des Américains qui peuvent prétendre à l’immortalité. Le hamburger doit être plus meurtrier que le poisson.

Tous ces morts que nous allons pleurer vont être une nouvelle cause de maladie, car les normes du deuil pathologique ont, elles aussi, été modifiées à la baisse. Dans la version III du manuel de référence en psychiatrie (DSM), la durée au-delà de laquelle il fallait considérer le deuil comme un trouble dépressif avait été rabaissée à un an. Dans la version IV, cette durée était de deux mois. Et enfin dans la version V, il est écrit que le deuil est pathologique s’il dure plus de deux semaines. Dans un autre registre de la psychiatrie, certains considèrent que la dépression du post-partum est l’une des formes de la tentaculaire maladie bipolaire. Ainsi, le nombre de personnes souffrant de troubles mentaux, estimé à plus de 25%, va certainement s’accroître dramatiquement.

La densité osseuse est également sujette à caution normative, l’ostéopénie physiologique des personnes âgées est devenue ostéoporose, indépendamment du risque de fracture.  

Très rarement, la situation est inverse, ce n’est pas l’abaissement des normes qui crée une augmentation de la morbidité, c’est l’augmentation réelle de fréquence d’une anomalie qui oblige à changer les normes. L’exemple caricatural est celui du sperme. En 1940, le nombre de spermatozoïdes par ml était de 113 millions. Cinquante ans plus tard, en 1990, il était de 66 millions. Pendant la même période, le volume de l’éjaculat est passé de 3.40 ml à 2.75 ml. Devant la baisse continue de ces chiffres, l’OMS a tout simplement modifié les normes de l’hypospermie. Le taux normal de spermatozoïdes par ml est passé à 20 millions en 1999 et à 15 en 2010. Pour l’éjaculat, la norme est passée à 2ml en 1999 et 1,5 ml en 2010.

Malgré la morbidité qu’elle accumule, cette valse des normes fait tout de même des heureux. D’une part, chaque spermatozoïde se réjouit d’avoir de moins en moins de concurrents dans sa course à l’ovule. D’autre part les marchands de chimie gagnent sur deux fronts, ils sont innocentés par la renormalisation de la catastrophe spermatique, et ils sont sollicités pour soigner les détresses médicales consécutives à l’abaissement des normes.

Bibliographie

Dépistages inutiles

mercredi 2 février 2022

Un dépistage est dit systématique, organisé ou généralisé quand il s’applique à tous sans distinction. Par exemple, celui du cancer du côlon chez tous les individus de 50 à 74 ans. L’inverse est un dépistage ciblé, par exemple celui du cancer du sein chez des femmes ayant un gène BRCA1 muté.

Je ne parle ici que des résultats des dépistages systématiques en me référant à des méta-analyses institutionnelles (Cochrane, USPSTF, HAS, CDC, etc.).

Il est désormais bien connu que de tels dépistages sont inutiles pour plusieurs cancers (mélanome, thyroïde, endomètre ou prostate), car ils ne modifient pas la mortalité globale. Il suffit d’attendre le premier symptôme pour agir, le taux de survie sera toujours le même. Pour le redoutable cancer du pancréas, l’inutilité du dépistage a été confirmée en 2004 et réaffirmée en 2019. Celui du cancer de l’ovaire est délétère, c’est-à-dire en défaveur des dépistées. Celui du cancer du poumon aggraverait dangereusement la confusion entre dépistage et prévention chez les fumeurs…

Certaines études, non des moindres, ont osé affirmer l’inutilité du dépistage de tous les cancers sans exception. Je n’ose pas encore faire une telle assertion tant que le dépistage du cancer du côlon n’a pas encore livré tous ses secrets.

Hors cancers, on est surpris de découvrir l’inefficacité du dépistage des anévrysmes de l’aorte abdominale. Leur rupture ayant une létalité de 80%, la chirurgie préventive parait logique. Eh bien non, l’arrêt du tabac après diagnostic offre une meilleure survie pour cette maladie des gros fumeurs.

En 2015, une grande étude a évalué 39 tests de dépistage de 19 maladies incluant cancers, diabète de type 2, maladies cardiovasculaires et bronchiques. Résultat : aucun de ces tests n’a eu d’impact sur la mortalité.

Continuons cette liste, toujours institutionnelle.

Inutilité de l’électrocardiogramme de repos ou d’effort. Inutilité du dosage des lipides avant 21 ans. Aucun bénéfice du dépistage des troubles cognitifs. L’examen annuel des femmes asymptomatiques – le mot est important – n’apporte rien pour le dépistage des infections génitales (vaginose, herpès et trichomonase).

Et surtout – mille fois confirmé – une totale inutilité de tous les bilans de santé proposés par les mutuelles, ces fameux check-up dont le but est obscur et douteux.

Qui pourrait encore argumenter pour la systématisation d’un dépistage ?

Cette vacuité me désole moi-même. Heureusement, il existe encore quelques registres où le dépistage peut ouvrir un espace de progrès sanitaire. Par exemple les dépistages anténataux, celui du cannabis au volant, des violences conjugales, du mal logement ou encore de la pédophilie. 

Mais le plus grand espace de progrès consiste à enseigner que dépistage et prévention n’ont strictement rien de commun. Le dépistage n’est pas de la prévention, pire : le dépistage dégrade la prévention. Un dépistage généralisé de l’incompréhension de ces deux mots conduirait assurément à une baisse de la mortalité.

Références

Circoncision et SIDA

mercredi 19 janvier 2022

Nous ne connaissons pas la lointaine origine de la circoncision, car le pénis ne laisse aucune trace fossile. Nous sommes certains qu’elle a au moins 5000 ans puisqu’on la décèle sur des momies et des bas-reliefs égyptiens. Elle est certainement plus ancienne, car la bible mentionne par deux fois sa pratique avec un silex, alors que les outils tranchants en métal étaient utilisés depuis longtemps. Nos lointains ancêtres devaient avoir des audaces chirurgicales si l’on en juge par les trous de trépanation découverts sur des crânes du mésolithique. La circoncision devait leur paraître aussi banale que l’incision d’un abcès, et sa pratique devait être exclusivement curative. La première hypothèse qui vient à l’esprit est l’accumulation de smegma sous le prépuce des jeunes garçons, prévention naturelle contre le phimosis, pouvant cependant provoquer des infections en cas de mauvaise hygiène.

L’extension de la circoncision a plusieurs explications dans le temps et l’espace : acte d’hygiène préventive, rituel de la puberté, initiation au mariage, acte magique contre la stérilité, et autres interprétations historiennes toutes crédibles.

La première mention de l’aspect rituel d’ordre religieux apparaît évidemment dans la Genèse avec les mots sans équivoque de Dieu à Abraham « Voici l’obligation que j’impose à toi et tes descendants : quiconque de sexe masculin devra être circoncis. Votre circoncision sera le signe de l’alliance établie entre vous et moi.  Quant à l’homme non circoncis, il sera exclu du peuple pour n’avoir pas respecté les obligations de mon alliance. » Il ne s’agissait manifestement plus d’une bagatelle d’ordre hygiénique. On ne plaisante pas avec les rites, ils effacent les traces d’hygiène aussi sûrement que le cheval d’Attila efface les traces d’herbe.

L’hygiène a pourtant fait une réapparition tapageuse dans les années 2000 avec des études montrant que la circoncision diminuait la transmission du SIDA. Circoncision et SIDA : deux mots si lourds de troubles évocations qu’ils ne pouvaient que déchaîner les médias et les polémistes. Après une décennie de publications contradictoires, le débat fut clos. La circoncision ne diminue pas le risque de transmission des infections sexuelles, elle limite cependant la transmission du SIDA aux femmes dont le partenaire est atteint. Les raisons en sont encore imprécises.

Cela ne suffit pas à prétexter l’hygiène pour étendre le rite à tous les nouveau-nés. Même si plusieurs rites religieux, jeûne du ramadan, maigre du vendredi, refus du porc, ont une origine d’ordre hygiénique, il serait hasardeux de vouloir remélanger les rites et la science avec des sauces plus modernes. Je redoute toujours les abus dans les deux camps.

Rendons les évocations aux évocateurs, les rites aux religieux et la science aux chercheurs.

Références

Effet moisson

vendredi 7 janvier 2022

En épidémiologie, l’effet moisson désigne la compensation qui suit un excédent de mortalité dû à un évènement extraordinaire tel que canicule, grand froid, pic de pollution ou épidémie. Si cet effet est important, cela signifie que l’essentiel de la mortalité a concerné des personnes fragiles qui seraient décédées quelques mois plus tard. On ne peut le mesurer qu’après le pic de mortalité, l’effet moisson est alors considéré comme d’autant plus important que le creux de mortalité est proche du pic en temps et en valeur.

On comprend aisément qu’il n’y a pas d’effet moisson après une guerre qui tue essentiellement des personnes jeunes. Cet effet a été faible après le smog de 1952 à Londres, laissant supposer que la surmortalité a concerné toutes les tranches d’âge. En revanche, il y a eu un important effet moisson en France après la grippe de 1957 et après la canicule de 2003. On le constate aussi après les surmortalités constatées en hiver dans tous les pays d’Europe, car le froid et les viroses saisonnières tuent plus volontiers les personnes âgées.

Si l’on raisonne en nombre d’années de vie perdues, les guerres et la pollution sont évidemment pires que les variations climatiques et les virus. Cela laisse supposer que si la santé publique, dans tous les pays, s’acharne avec tant d’obstination sur les virus, c’est possiblement pour compenser un sentiment de culpabilité lié à l’impossibilité d’agir sur les autres causes. Cela me rappelle l’histoire du type qui cherche ses clés sous un réverbère, bien qu’il les ait perdues ailleurs, car c’est là qu’il y a de la lumière.  

Plus sérieusement, espérons que cette épidémie n’aura pas fait perdre trop d’années de vie, chacune d’elles étant si précieuse. Mais nous ne le saurons qu’après, car en science, les modélisations émotionnelles du futur sont toujours moins pertinentes que la froide analyse des faits passés.

Quant aux années/qualité de vie perdues par les jeunes adultes et les enfants, nous ne le saurons pas pour au moins trois raisons. La première est que le long terme n’intéresse pas les décideurs de la santé publique. La deuxième est que de telles études nécessitent des critères difficiles à définir. La troisième est que l’analyse des résultats est toujours beaucoup moins flamboyante que les polémiques qu’ils suscitent.

Nous ne saurons donc jamais combien d’années de vie ont été perdues, mais nous pourrons en avoir une première estimation après examen de la mortalité en 2022 et 2023. Pourrons-nous patienter un à deux ans pour avoir un résultat approximatif ?

Je n’ose même pas imaginer la variété des stupidités que les chaînes d’information continue vont devoir moissonner pour meubler tout ce temps.

Bibliographie

Coût des années/qualité de vie

jeudi 23 décembre 2021

L’année/qualité de vie est l’unité qui établit le rapport entre le coût financier d’une action médicale et son bénéfice sanitaire. On utilise souvent QALY (quality adjusted life years).

L’amputation d’un membre pour éviter la gangrène peut faire gagner 20 ans de vie dont la qualité diminuera de 25% par exemple, le gain sera de 15 QALYs pour environ 2000 € dépensés. La rentabilité est excellente. En Afrique, une perfusion intra-péritonéale d’eau bouillie peut sauver un nourrisson et lui faire gagner de 30 à 50 QALY pour un coût de cinquante centimes. Dans ce même continent, un euro dépensé pour la scolarisation d’une petite fille a une rentabilité encore supérieure si l’on ajoute les QALY gagnées par ses futurs enfants. On a calculé que faire gagner un kilo à un enfant ougandais coutait 15 centimes.

Les anticancéreux représentent un marché mondial de 180 milliards d’euros, évalué à 270 milliards en 2025. Trois des produits les plus prescrits (pembrolizumab, lenalidomide et ibrutinib) font gagner respectivement 1 mois, zéro et zéro par rapport à des traitements anciens et moins coûteux.

Le rendement du traitement de la maladie de Parkinson est assez bon (5 000 € par QALY). Un antiviral efficace contre l’hépatite C coûte 50 000 euros par patient. On vient d’autoriser un médicament préventif contre les formes graves de covid-19 au prix de 3000 €, sur des bases purement théoriques. Les progrès fulgurants des biotechnologies permettent de synthétiser les protéines manquantes de certaines maladies rares. L’une d’elles a été commercialisée dans l’amyotrophie spinale, horrible maladie génétique qui entraîne de grandes souffrances suivies de la mort des nourrissons avant l’âge de deux ans. Les autorités ont accepté son prix de 2 millions € par injection, sans avoir eu la preuve d’une amélioration de la qualité de vie, ni une prolongation significative de sa durée.

En Europe, il ne faut plus parler en années depuis longtemps mais en mois/qualité ou jour/qualité gagnés, sans compter que certaines actions médicales entraînent une perte. Tous les traitements fort coûteux proposés dans la maladie d’Alzheimer ont eu une rentabilité nulle, voire négative.

Cette façon de calculer n’est ni élégante ni éthique, le proverbe dit que la santé n’a pas de prix, le réalisme oblige cependant à considérer qu’elle a un coût. Certaines thérapies géniques ont déjà permis d’obtenir des gains de quantité/qualité de vie appréciables chez quelques dizaines d’enfants. Nous comprenons la joie des chercheurs et des parents devant ces résultats suscitant l’espoir. Cependant, le gain d’une seule QALY peut coûter plus de 100 millions €. Les plus riches démocraties n’ont ni les moyens de cette médecine, ni l’audace de fixer une limite au coût par QALY.

Une première audace serait de supprimer les traitements à rentabilité nulle ou négative chez les séniors pour mieux investir sur les graves maladies des enfants. C’est notre ultime espoir de progrès médical.

Bibliographie

Violences et cultures héritables

lundi 13 décembre 2021

La différence entre « hérédité » et « héritabilité » permet d’évaluer l’importance de l’environnement. Ces deux mots sont trompeurs et souvent mal compris. L’héritabilité est une mesure populationnelle qui estime la part génétique de la variance d’un trait. Avoir dix orteils est héréditaire mais ce n’est pas héritable car la variance de ce trait est nulle dans toutes les populations. L’héritabilité de la schizophrénie est de 75%, mais le risque individuel n’est que de 6% si l’un de ses parents est atteint. L’héritabilité se rapporte à la variance du trait, pas au trait lui-même. Ce concept développé bien avant la découverte de l’ADN, n’a pas été modifié depuis. La découverte des gènes a paradoxalement permis de confirmer que l’environnement reste prioritaire pour transformer un génotype en phénotype, même lorsque l’héritabilité est très élevée.

Tout est devenu encore plus complexe lorsque l’on a compris que l’environnement agissait en déposant des marques épigénétiques sur les gènes pour permettre ou non leur expression, et que ces marques étaient elles-mêmes héritables. Les premières preuves en été fournies avec l’obésité ou les cancers génitaux féminins dus au Distilbène dont les marquages épigénétiques traversent plusieurs générations.

Il est désormais bien admis que la maltraitance infantile pose ses marques sur tout le génome et que la violence franchit les générations. L’élevage « à la dure » est héritable. Les mères soumises à des violences marquent de maintes façons les gènes de leur fœtus et nouveau-né. Les enfants ayant vécu sur des zones de guerre ont plus de troubles psychiatriques qu’ils transmettent à leur tour.

Ces marquages épigénétiques ne sont pas encore aussi bien identifiés que d’autres, mais leur preuve indirecte en est donnée par le nombre supérieur de symptômes psychiques chez des enfants ayant vécu dans un pays en paix, mais dont l’un des parents souffre d’un syndrome de stress post-traumatique. Certains chercheurs vont jusqu’à dire que la guerre est héréditaire. Le terme est inexact, mais son héritabilité est certaine. Les abus sexuels dans l’enfance marquent les gènes des récepteurs aux glucocorticoïdes. Même si la résilience est toujours possible, on a du mal à penser qu’un enfant de djihadiste ou de père violent effacera miraculeusement tous les épigènes de son éducation avant d’avoir lui-même des descendants.

Plus récemment encore, nous avons découvert que ce sont des marquages épigénétiques qui façonnent la mémoire, donc l’identité culturelle et sociale. Ainsi, la culture ne se transmet pas seulement par l’éducation, comme on le croyait, mais aussi par l’épigénome.

Ces réflexions éparses ont commencé à se rassembler dans mon esprit après l’élection de Trump. Comme l’isolement géographique a favorisé des dérives génétiques, l’isolement culturel peut-il conduire à des dérives épigénétiques irréversibles ? La menace du réchauffement climatique sur l’humanité m’a soudain paru bien dérisoire.  

Bibliographie

Plaisir de la mathématique et de la clinique élémentaires

dimanche 28 novembre 2021

Toute analyse biologique comporte un pourcentage de résultats erronés de deux types : soit des faux positifs, soit des faux négatifs. La sensibilité d’un test est définie par le taux de positifs chez les vrais malades. La spécificité d’un test est définie par le taux de négatifs chez les non-malades.

Les tests PCR du coronavirus ont une sensibilité d’environ 70% (variant de 56 à 83% selon les études), c’est-à-dire que 70% des porteurs du virus ont un résultat de test positif. Leur spécificité est d’environ 95%, c’est-à-dire que 95% des sujets non-porteurs ont un test négatif. Chacun peut comprendre qu’il y a en conséquence 30% de faux négatifs et 5% de faux positifs.

Pour connaître la valeur prédictive de maladie lorsqu’un test est positif chez un individu, il faut aussi connaître la prévalence de la maladie étudiée, c’est-à-dire le pourcentage de personnes porteuses dans la population à une période donnée. Pour la Covid-19, la prévalence varie autour de 10%. Donc sur 1 million de personnes, il y a 100 000 porteurs dont 70 000 tests positifs. Sur ce même million de personnes, il y a 5% de faux positifs, soit 50 000.

Si vous avez un test positif, votre probabilité d’être porteur du virus est le rapport du nombre de vrais positifs (70000) sur le total des positifs (vrais et faux : 70000 + 50000), soit environ 58%.  En sachant que 80% des porteurs sont asymptomatiques, la probabilité d’être malade en cas de test positif est inférieure à 12%.

Seulement 5% des patients symptomatiques nécessitent une hospitalisation, en conséquence, la probabilité d’être hospitalisé en cas de test positif tombe à 0,6%. Enfin si vous avez la double chance d’être jeune et en bon état général, un test positif n’a pratiquement plus aucune valeur prédictive, quant au risque morbide en relation avec ce virus.  

Ce retour à une statistique à une clinique sommaires n’a pas l’intention de dénigrer l’importance de cette épidémie, il a deux autres buts. Le premier est de retrouver le plaisir de la mathématique élémentaire dénuée de tripatouilles médiatiques et d’oripeaux politiques. Le second est de rassurer les plus anxieux de nos concitoyens, davantage perturbés par les analyses produites par la médecine que par les symptômes issus de leur propre corps.

De prochaines viroses respiratoires nous menaceront encore. Dans tous les cas, le retour aux fondamentaux de l’épidémiologie en diminuera le stress. 

Certains, dont moi, tentent d’évaluer avec discernement et modération la gravité sanitaire de cette épidémie. Sa gravité sociale et administrative est bien supérieure, elle est liée à l’évolution de nos pratiques médicales et à l’élévation du niveau de nos exigences. Nous sommes tous responsables, dont vous et moi, de l’encombrement des hôpitaux qui est le problème majeur, voire exclusif, qu’ont à résoudre nos dirigeants.

Cependant, pour passer d’un test positif chez un écolier à la modélisation d’une future surcharge hospitalière, le chemin est mathématiquement hasardeux.

Référence

Robots contre enfants

dimanche 21 novembre 2021

Les fabricants d’ordinateurs et les ingénieurs en intelligence artificielle (IA) ont communiqué leur enthousiasme au monde entier lorsqu’en 1996 l’ordinateur deep blue a gagné une partie d’échec contre le champion du monde Garry Kasparov.

Deep blue pesait 700 kg et possédait 256 processeurs consommant environ 200 watt-heures chacun. Le cerveau de Kasparov pesait au mieux 1,5 kg, et une heure de réflexion intensive lui coûtait cent calories, soit 0,12 w-h. Le coût énergétique d’un cerveau humain est donc plus de 425 000 fois plus faible que celui d’un ordinateur, et sa performance par kilo est 450 fois plus forte. Kasparov avait donc un cerveau 190 millions de fois plus rentable que son adversaire technologique. Ajoutons que deep blue ne savait rien faire d’autre que jouer aux échecs, alors qu’on peut supposer que Kasparov avait des milliers d’autres aptitudes. Le ratio des rentabilités respectives doit alors s’exprimer en dizaines de milliards. Je néglige le coût financier (deep blue avait coûté 25 millions de dollars).

Cette grossière mathématique n’a pas amoindri la portée symbolique de ce succès qui confirmait les extraordinaires capacités cognitives de l’être humain, à défaut de pouvoir prouver celles de l’ordinateur.

Lorsqu’en 2017, alphago a battu le champion du jeu de go, les louanges furent quasi-délirantes, car ce logiciel était capable d’auto-apprentissage et utilisait des microprocesseurs moins voraces en énergie. On osa affirmer que l’IA finirait par dépasser le cerveau humain. Il avait tout de même fallu 20 ans pour passer d’un jeu de stratégie à un autre jeu aux combinaisons plus nombreuses et où chaque nouveau coup nécessite une totale reconsidération spatiale du terrain d’affrontement. Certes, les jeux de stratégie sont fascinants, mais ils ne résument pas nos facultés mentales.

L’IA avait débuté en 1642 avec la calculatrice de Blaise Pascal. Ne doutons pas que quatre siècles plus tard, elle permettra d’assurer des tâches médicales fastidieuses et codifiées avec plus de précision que les médecins et chirurgiens.

Aujourd’hui, les ordinateurs parlent de façon encore sommaire, à la manière des magnétophones qui déchiffraient une bande magnétique. Après l’auto-apprentissage d’alphago on rêve d’une IA capable d’échanges verbaux circonstanciés. Même si le ratio de performances entre cerveau et ordinateur, tel que ci-avant mentionné, peut encore se réduire, soyons certains que ces machines auront un coût démesuré au regard des capacités énergétiques de la planète.

Un bébé peut acquérir un langage adaptatif en deux ans pour un coût énergétique très modeste. D’un point de vue écologique, pour la conservation du langage, il est largement préférable de faire des enfants que des robots.

Les plus enthousiastes rétorqueront qu’il sera possible de faire des robots parlants capables de se reproduire. Nous serions alors effectivement dépassés et pourrions envisager de disparaître, si ce n’était déjà fait.

Référence

D’une signature à l’autre

samedi 6 novembre 2021

Au XVI° siècle, la théorie des « signatures » s’est développée sur d’antiques croyances qui avaient établi un rapport entre la forme ou la couleur des plantes et leurs propriétés médicinales. Comme la carotte et la chélidoine dont le suc jaune devait être efficace contre la jaunisse.

Cette théorie devint si influente qu’elle en modifia l’appellation de certaines plantes. Une bourrache devint « pulmonaire » en raison de la similitude entre la marbrure de ses feuilles et les poumons ; on alla jusqu’à établir un lien entre les taches de la plante et les nodules tuberculeux. Une autre borraginacée à la tige tachetée et aux graines en forme de tête de vipère fut nommée vipérine et soigna les morsures de ce serpent. L’anémone hépatique soignait le foie, car les lobes de sa feuille ressemblaient à ceux de cet organe. La figue à forme très évocatrice a été proposée dans les hémorroïdes.

Certaines analogies étaient plus alambiquées. Le chou et le laurier chassaient l’ivresse, car les sarments d’une vigne plantée à leur proximité s’en éloignaient naturellement. La reine des prés, comme elle pousse les pieds dans l’eau, devait être efficace contre les rhumatismes, tout comme la graisse de gazelle qui devait receler la vélocité de cet animal. Le polytric, fixé au sol par de nombreuses fibrilles, devait prévenir la calvitie. Les semences de millet, ressemblant au gravier urinaire, étaient utilisées contre la gravelle et les coliques néphrétiques. Les graines de cumin, en forme de reins, étaient donc diurétiques.

Ce sont évidemment les analogies polissonnes qui eurent le plus grand succès. La racine de l’orchidée satyrion, ressemblant aux organes génitaux masculins devait agir contre l’impuissance. La racine de mandragore avait les mêmes vertus, son prix augmentait si la forme était mâle plutôt que femelle, et le prix devenait faramineux lorsque la racine dédoublée évoquait un couple en plein coït. Machiavel s’en est amusé en y ajoutant nombre d’évocations comme un pendu, la queue d’un chien ou le « cri » de la plante.

Ce ne sont que quelques exemples d’un ésotérisme thérapeutique que nous aurions tort de regarder comme appartenant à un passé révolu. Aujourd’hui en Chine, première puissance économique mondiale, la racine de ginseng suscite les mêmes fantasmes que celle de la mandragore. Et la corne de rhinocéros se vend à prix d’or, pour une évocation encore plus triviale qui risque d’entraîner l’extinction de cette espèce.

Dans le domaine thérapeutique, les croyances et la crédulité ne connaissent aucune limite et les signatures n’ont pas fini de nous leurrer de cent façons plus subtiles. Les publications d’essais cliniques entièrement façonnés et rédigés par des industriels, deviennent paroles d’évangile lorsqu’elles sont signées par un leader d’opinion. Lequel ne les a pas toujours lues avant de vendre sa signature. Machiavel s’en serait certainement encore amusé à sa façon.

Références