Archive pour la catégorie ‘Non classé’

Comité de la fertilité

jeudi 1 février 2024

Tous les présidents de la Vème république ont insisté sur l’impératif d’alléger l’administration et de diminuer le nombre de fonctionnaires. Malgré ce leitmotiv, aucun n’y est parvenu, quelle que soit sa tendance politique. Bien au contraire, le mille-feuille administratif s’est épaissi et le nombre des « assis » – comme les surnommait Rimbaud – n’a cessé d’augmenter.

Dans les hôpitaux, le personnel administratif strict est de 15% et l’ensemble du personnel non soignant est proche de 40%. Dans tous les secteurs, les normes et les procédures, souvent mal interprétées, alourdissent le fardeau du travail et en dégradent la qualité. La nocivité d’une norme est aussi inimaginable que celle d’un médicament, puisque les deux ont été conçus pour notre bien. On préfère ajouter de nouvelles normes ou de nouveaux médicaments pour corriger les effets indésirables des premiers.

Je dois donner au moins un exemple pour que ma critique ne soit pas triviale, voire populiste. La baisse de natalité qui atteint désormais notre pays vient de m’en fournir un. Cocasse.

Ne confondons pas les termes : ce n’est pas notre fertilité qui diminue, mais notre fécondité. La pollution et les perturbateurs endocriniens ont probablement un impact négatif sur la fertilité, mais il est très faible. Quant à la baisse de fécondité, elle relève essentiellement de facteurs sociétaux. Les inquiétudes économiques, écologiques et géopolitiques peuvent l’expliquer, mais toutes ces causes se résument à une seule qui est l’âge de plus en plus élevé de la première grossesse. Si les âges de la puberté et de la ménopause ont pu varier au cours des siècles et des environnements, il apparaît que l’âge du pic de fertilité des femmes n’a jamais varié : il est toujours de 24 ans. Et l’on oublie ou veut oublier trop souvent que le sperme se dégrade lui aussi avec l’âge.

Passés ces pics, la fécondité d’un couple va diminuant inexorablement. La PMA (procréation médicalement assistée) ne peut pas compenser ce déficit, tout en majorant les risques pour l’enfant à naître. Malgré sa large médiatisation, l’impact de la PMA sur la natalité reste faible (environ 3% des naissances en France où elle est beaucoup pratiquée, car remboursée jusqu’à 43 ans).

Devant ce constat, notre président, pourfendeur lui aussi de la pléthore administrative, a cependant décidé de créer un comité de la fertilité. J’ignore combien d’assis, experts, conseillers ou fonctionnaires émargeront à ce comité, quel sera son budget et la technologie mise en œuvre, mais ce sera assurément à fonds perdu. N’ayant aucune prise sur les macro-facteurs qui génèrent l’angoisse de la fécondation, ni sur les éventuels micro-facteurs qui diminuent la fertilité, tous ses membres, après des détours rhétoriques et de lourdes dépenses, finiront par conclure qu’il vaut mieux se féconder à 24 ans qu’à 43 ans.

C’est ce que j’ai tenté d’exposer dans cette très courte chronique, sans obliger le contribuable ni à me payer, ni même à me lire.

Références

Illusoire moléculaire

vendredi 19 janvier 2024

Bien avant Booz et Noé, chacun savait qu’un bon sommeil est gage de bonne santé. Maintenant, nous savons que le manque de sommeil augmente le taux de CRP et que ce marqueur d’inflammation est très mauvais pour la santé.

Bien avant Mathusalem, la vieillesse avait été abondamment vérifiée. Ensuite elle a pu être suivie grâce au calendrier grégorien, et aujourd’hui, on peut la confirmer par le raccourcissement des télomères.

Bien avant que William Harvey n’explique en détail la circulation du sang, chacun savait qu’il avait l’âge de ses artères. Ensuite on a découvert que les plaques d’athérosclérose sont plus fréquentes avec l’âge, puis que la lipoprotéine A favorise la nécrose de ces plaques et donc les accidents vasculaires. On peut désormais regarder vieillir les artères. On a même découvert que tous les marqueurs biologiques de risque cardio-vasculaires augmentent lorsque l’on mange trop, surtout trop de sucre.

Hippocrate n’est pas le premier à avoir compris les dangers de l’obésité, mais il a insisté lourdement sur les excès nutritifs. Aujourd’hui le surpoids est devenu une question de ghréline, de leptine, d’acides gras et de résistine ; cette dernière molécule permet aussi de révéler des liens entre obésité et athérosclérose. Découverte permettant d’affirmer que les obèses vieillissent aussi.

La démence était une infamie de l’âge avant qu’une technique de coloration permette à Monsieur Alzheimer de découvrir des fibrilles dans les vieux neurones. Aujourd’hui, on découvre des protéines tau et beta-amyloïdes dans les cerveaux des déments. Il ne s’agit donc plus d’une calamité de l’âge, mais d’une calamité moléculaire.

Tout lecteur attentif aura suspecté mes railleries. Certains pourraient même me reprocher de dénigrer la science et la médecine moléculaire. Ce n’est pas vrai. Cependant, le bon sens et un respect immodéré pour l’empirisme me confèrent une modestie de profane.

Jenner et Pasteur ignoraient tout de l’immunologie. La variolisation était déjà pratiquée dans la Chine ancienne et elle fonctionnait assez bien sans que l’on ne sache ni comment, ni pourquoi quelqu’un avait eu une idée aussi géniale et aussi saugrenue.

L’obsession moléculaire de la médecine ne permettra jamais de savoir si la dépression est un problème de sérotonine, de noradrénaline ou de dopamine tant que nous n’aurons pas auparavant défini cette maladie avec précision. Mais cette obsession débouche parfois sur des miracles comme des traitements favorables aux enfants atteints de mucoviscidose, myopathies ou autres maladies rares.

Je n’ai donc aucun droit de railler nos découvertes moléculaires, ne serait-ce que pour leur potentiel de fascination et d’utopies. Et si, à force de confirmer incessamment qu’il est vraiment bénéfique de bien dormir, de manger peu et de bouger beaucoup, elles finissent par nous en convaincre, alors elles n’auront été ni illusoires, ni vaines.  

Bibliographie

Cannabis et psychose

vendredi 15 décembre 2023

Les nostalgiques du « summer of love » ont banalisé le haschich jusqu’à lui donner l’image de drogue douce. On connaissait alors les ravages de l’alcool et pas encore ceux du cannabis. Pourtant dès 1845, Moreau de Tours avait alerté sur le risque de psychose, dans son ouvrage Du haschich et de l’aliénation mentale.

Aujourd’hui, des centaines d’études montrent sans ambiguïté l’association entre cannabis et psychoses, tout particulièrement la schizophrénie. Plus il est consommé tôt, plus il avance la maladie dont on sait que le pronostic est d’autant plus sévère qu’elle survient précocement.

On avait suggéré qu’une prédisposition génétique à la schizophrénie provoquait une attirance vers le cannabis comme automédication, de la même façon qu’un grand généticien avait osé affirmer qu’un seul gène prédisposait à la fois au cancer du poumon et au tabagisme.

Si la génétique de la schizophrénie est largement méconnue, on sait que les vécus douloureux, traumatismes de l’enfance et certains profils psychiques en multiplient le risque. Le haschich, ajouté à ces risques vient encore les multiplier par 2 ou 3. L’IRM constate la diminution du volume cérébral et la perte de substance grise ; ces pertes sont 2 fois plus importantes en cas de consommation de marijuana. Cependant, aucune de ces prédispositions environnementales ou neurophysiologiques n’est prédictive d’une prise ultérieure de cannabis, contredisant l’hypothèse de l’automédication. En revanche, cette idée a la vie dure, augmentant la consommation chez les personnalités schizotypiques et aggravant le cercle vicieux des crises psychotiques et de la dépendance.

Le lien avec les symptômes psychotiques est dose-dépendant. Certains estiment un risque multiplié par 6 après seulement 50 prises de cannabis. Ceux qui ont fumé au moins 3 fois avant l’âge de 15 ans ont un risque 4 fois supérieur dc présenter une schizophrénie à l’âge de 26 ans. La consommation avant 15 ans diminue aussi nettement les performances cognitives, l’attention et le contrôle de l’impulsivité. Evidemment, le risque augmente avec la concentration en THC qui est de 15% dans la skunk contre 5 % dans le hasch.

Toute la sphère mentale est concernée. Le suivi de plus de mille personnes de l’âge de 5 à 38 ans a montré que la consommation de cannabis à l’adolescence est associée à une baisse de QI pouvant aller jusqu’à huit points. Les méta-analyses montrent également l’augmentation notable des troubles anxio-dépressifs, autres psychoses, idées délirantes, hallucinations, déficits cognitifs, agitation psychomotrice, anhédonie, comportements antisociaux.

Sachant que 1,2 millions de français en font un usage régulier et que la consommation chez les 12-18 ans a été multiplié par trois entre 1993 et 2003. Sachant enfin que l’adolescence est une période de vulnérabilité et d’apprentissages, et que le cannabis thérapeutique est annoncé à grands renforts de publicité, voilà un sujet digne du réchauffement climatique.

Bibliographie

Grand pas dans l’histoire des médicaments

lundi 30 octobre 2023

Lorsque l’on ignorait la cause des maladies, on essayait d’en soigner les symptômes. La quinine faisait baisser la fièvre et la belladone calmait les maux de ventre. Nul ne savait ni pourquoi ni comment.

Le premier médicament conçu après avoir compris une maladie a été l’insuline en 1921. Puis vinrent les antibiotiques, hormones, vitamines, etc. Tous ces médicaments cumulaient une base théorique solide avec des bénéfices cliniques incontestables.

Puis, avec la compréhension des mécanismes moléculaires intimes de certaines maladies, on a conçu des médicaments à l’efficacité théoriquement prévisible. Le premier exemple est celui des bétabloquants en 1970 pour soigner l’angor, mais ses effets inattendus, bénéfiques sur l’hypertension artérielle et néfastes sur l’insuffisance cardiaque, on fait l’objet de longs débats cliniques. D’autres, comme la L-Dopa pour soigner le Parkinson et les anit-H2 pour soigner l’ulcère de l’estomac sont de beaux exemples de mariage réussi entre théorie et clinique.

Pour les maladies chroniques auxquelles s’intéresse actuellement la médecine (tumorales, neurodégénératives, auto-immunes, cardiovasculaires ou psychiatriques), les théories moléculaires sont multiples et souvent mal étayées, obligeant les fabricants à choisir la plus présentable pour proposer un médicament susceptible d’attirer l’attention des cliniciens. Mais comme le bénéfice clinique global est très difficile ou très long à mettre en évidence, on choisit des critères intermédiaires de preuve, également appelés critères de substitution. Par exemple, on montre qu’un médicament diminue le volume d’une tumeur, qu’il baisse la glycémie ou qu’il modifie l’humeur. Faute de preuves sur la durée de la vie ou de la maladie, ces critères de substitution sont généralement acceptés avec bienveillance par les médecins et vécus positivement par les patients.  Le plus souvent, ces critères intermédiaires font l’objet d’annonces médiatiques enthousiastes, ajoutant à leur vertu temporaire. Quant aux essais cliniques susceptibles de confirmer ou d’infirmer les bénéfices sur de longues durées, ils ne sont tout simplement jamais réalisés.

Un nouveau pas vient d’être franchi. La maladie d’Alzheimer s’accompagne de trois faits moléculaires : fibrilles neuronales, dépôt de corps beta-amyloïdes entre les neurones et présence excessive de protéine tau. Nul ne sait si ces trois faits sont cause ou conséquence de la dégénérescence des neurones. Cependant on a trouvé un anticorps monoclonal qui détruit les beta-amyloïdes. Bien que le fabricant lui-même constate l’absence d’efficacité clinique, ce produit vient d’être autorisé à la vente en raison de son action moléculaire.  

Ainsi, après des médicaments parfois efficaces sans explication, puis des médicaments efficaces basés sur des théories solides, la grande histoire des médicaments vient de franchir une nouvelle étape, celle des médicaments inefficaces basés sur des théories hasardeuses.

On n’arrête pas le progrès.

Bibliographie

Association de malfaiteurs biologiques et économiques

mardi 17 octobre 2023

L’héritage parental peut se résumer en quatre points-clés. Le plus connu est l’héritage génétique dont la part relative apparaît de plus en plus faible. Nous héritons aussi des marques épigénétiques que notre père a laissées sur ses spermatozoïdes et notre mère sur ses ovules, plus précisément, des marques qui ne sont pas effacées au moment de la fécondation ; et il y en a beaucoup plus qu’on ne le pensait. Nous héritons aussi des marques épigénétiques de notre vie intra-utérine. Enfin, nous héritons de l’éducation parentale et de l’environnement de notre enfance qui posent aussi leurs multiples marques sur nos gènes et en modulent l’expression.

Longtemps avant ces découvertes, on avait constaté que le comportement des enfants est très dépendant de leur éducation. Il est déjà écrit dans la bible que Dieu punit l’iniquité des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et quatrième génération.

L’épigénétique a fait beaucoup plus que de cautionner ces évidences. Elle a permis de révéler que les stress vécus par les parents, tels que l’holocauste, les guerres ou les attentats, entraînent des répercussions sur leur progéniture, même si ces évènements ont eu lieu avant la conception.

Les maltraitances infantiles vécues par la mère retentissent sur le volume de matière grise cérébrale de ses enfants et sur la structure des neurones. L’anxiété des mères pendant la grossesse double le risque de troubles psychologiques chez l’enfant. Une étude vieille de 35 ans révélait déjà que les enfants de singes abusés pendant leur enfance étaient plus souvent abuseurs à leur tour. Ce fait a été largement confirmé chez l’homme, tant par l’observation que par l’épigénétique.

Le tabagisme maternel pendant la grossesse laisse des marques épigénétiques qui persistent au moins jusqu’à l’adolescence et augmentent le risque de tabagisme par la suite.   

L’héritage épigénétique de l’obésité et des famines est largement démontré. Les plus connus sont les ravages de l’alcoolisme fœtal et les dramatiques syndromes de sevrage des nouveau-nés de mère droguées. Les antidépresseurs, benzodiazépines et autres psychotropes prescrits pendant la grossesse provoquent également ces syndromes chez les nouveau-nés.

Tout cela permet d’affirmer qu’un enfant adopté à la naissance est certainement plus le vôtre qu’un enfant de vos gènes né par GPA.

Enfin, du côté social, nous découvrons les liens entre le statut économique et des troubles mentaux comme l’hyperactivité ou la schizophrénie. Les social-démocraties des années 1970 avaient réussi à limiter ces inégalités de naissance. Hélas, la droitisation, la financiarisation et la mondialisation tendent à les réaggraver dramatiquement.

Ainsi, la biologie moderne nous fournit des preuves encore plus tangibles du cycle infernal auto-entretenu des inégalités psycho-sociales.

Devant cette cohésion de la biologie, du marché et de la politique, confinant à une association de malfaiteurs, il est plus important que jamais de naître riche et en bonne santé.

Bibliographie

Mots et lieux de l’hystérie

samedi 7 octobre 2023

Les noms des maladies ont varié au gré des connaissances. Mais plus souvent, c’est l’ignorance qui a contribué à la valse des noms, particulièrement en psychiatrie. La sémantique de l’hystérie est assurément la plus facétieuse.

Cette maladie que les anciens attribuaient à l’errance de l’utérus est restée exclusivement féminine jusqu’au pittoresque complexe de castration de Freud. Puis, on a fini par admettre qu’elle pouvait aussi être masculine, mais le pénis, les testicules et la prostate n’ont jamais été suspectés d’en être la cause.

Ses symptômes neurologiques sont très impressionnants : paralysies, convulsions, cécité, aphasie, syncopes, dysphagies, déficits sensitifs, douleurs, etc. Mais comme on n’a jamais trouvé de lésion neurologique, on les a nommés troubles somatomorphes, vocable passe-partout pour signifier leur ressemblance avec des troubles somatiques.

La tétanie était le nom donné aux crises d’Augustine, la célèbre hystérique que Charcot exhibait dans son théâtre universitaire. Cette tétanie est devenue spasmophilie, puis enfin « attaque de panique », trouble psychiatrique désormais détaché du registre hystérique.

Les douleurs de l’hystérie ont été longtemps confondues avec celles de la fibromyalgie, un nouveau diagnostic qui a, lui aussi, connu des noms divers : rhumatisme psychogène, polyentésopathie, rhumatisme musculaire chronique, fibrosite, encéphalomyélite myalgique. Le terme actuel est « syndrome polyalgique idiopathique diffus » ou SPID. Notons ici l’adjectif psychogène et le préfixe « idio » signifiant que la cause est inconnue. Enfin un aveu.

La fatigue, les troubles d’attention et de concentration ont été confondus avec le syndrome de fatigue chronique, désormais indépendant de l’hystérie.

Les psychiatres ont modifié l’hystérie en « syndrome de conversion » pour signifier la conversion d’un trouble psychiatrique en trouble physique. Un élégant aveu d’ignorance.

La médecine moderne a tenu à dissocier les convulsions de l’hystérie de celles de l’épilepsie, car l’électroencéphalogramme est toujours normal. EIles ont été nommées « crises non-épileptiques psychogènes » ou CNEP. Encore du psychogène.

Le dernier manuel du parfait psychiatre a rassemblé cet ensemble disparate sous le terme générique de trouble neurologique fonctionnel ou TNF. « Fonctionnel » peut être considéré comme synonyme de « psychogène » ou « idio », en moins explicite !

L’hystérie a désormais une explication savante : anomalie de fonctionnement du système nerveux central caractérisée par une altération de transmission de l’information entre les régions cérébrales impliquées dans la régulation émotionnelle et la représentation de soi d’une part et le système moteur et sensitif d’autre part. Émouvante synthèse.

Ne doutons pas que les mots et classements des symptômes hystériques vont encore changer pour notre bonheur littéraire, car la sémantique de l’ignorance est toujours plus poétique que celle de la connaissance. Tout particulièrement en médecine.

Bibliographie

Santé et PIB

lundi 25 septembre 2023

Depuis la révolution industrielle, nos progrès se mesurent à l’aune du PIB qui augmente parallèlement aux biens, techniques et services dont disposent les citoyens pour améliorer leur confort, leur éducation et leur santé. Cet indicateur financier est aussi un bon indicateur sanitaire. En effet, dans la majorité des pays, la santé objective de la population s’améliore lorsque le PIB augmente. La règle s’applique également au niveau individuel : l’état de santé est meilleur chez les individus les plus favorisés économiquement.

Pourtant, depuis quelques années, plusieurs études suggèrent que les perceptions subjectives de santé et de bonheur ne sont plus corrélées au PIB. Les enquêtes des économistes Richard Easterlin et Amartya Sen révèlent que la perception de bonheur et de santé n’augmente plus, voire diminue, lorsque le PIB augmente. Ces études ont été contestées, car au niveau individuel, la corrélation entre statut économique et santé reste forte.

Mais ces querelles sont d’un autre âge, car l’augmentation des inégalités sociales dans tous les pays, riches ou pauvres, vient rebattre les données, tant au niveau populationnel qu’au niveau individuel.

D’une part la subjectivité de bonheur varie en fonction des différences perçues en comparaison avec ses concitoyens. Être pauvre et malade semble plus supportable dans un environnement pauvre qu’en étant entouré de riches en bonne santé.

D’autre part, la santé et le bonheur se dégradent également de façon objective, pour toutes les classes sociales, malgré l’augmentation du PIB. Les raisons en sont variées.

Si l’obésité et le tabagisme sont classiquement liées à la misère, l’alcoolisme, les addictions, le diabète, les troubles mentaux et psychiatriques sont en constante augmentation dans toutes les classes sociales. Les toxiques environnementaux touchent toutes les classes, même si les défavorisées y sont souvent plus exposées. Le coût social et financier de ces maladies est si élevé qu’il annule tous les gains de croissance des dernières décennies.

Les dépistages dégradent la santé subjective, mais la surmédicalisation et la pathologie iatrogène qu’ils entraînent dégrade aussi la santé objective. Ce phénomène paradoxal concerne davantage les riches, plus enclins aux dépistages et plus asservis aux soins. Son coût social et financier est également très élevé et annule les gains de PIB.

 Enfin, l’éducation des parents, classiquement protectrice contre la mortalité et la morbidité infantile, contribue désormais à dégrader la subjectivité de bonheur, car l’anxiété face au désastre écologique est transmise par l’éducation, particulièrement dans les classes favorisées. Cette éco-anxiété entraîne un cortège de troubles psychosomatiques, voire psychiatriques débutant de plus en plus jeune.

De toute évidence, le PIB n’a plus d’impact, ni sur la santé subjective, ni sur la santé objective. Osons même affirmer que la décroissance sera bientôt le meilleur moyen d’améliorer les indicateurs sanitaires. 

Références

Psychosocial ferroviaire

mercredi 6 septembre 2023

Nous nous souvenons plus souvent des trains qui sont arrivés en retard que de ceux qui sont arrivés à l’heure. Comme nous tous, j’ai probablement tendance à exagérer ma statistique personnelle, mais je crois pouvoir affirmer que 20% de mes voyages ont subi des retards notables.

Notre pays, pionnier du réseau ferré et de la grande vitesse, voit cet avantage historique annulé par le nombre de grèves de cheminots. Néanmoins, je ne comptabilise pas ces mouvements sociaux dans mes griefs de retard, car ils ont une forme de noblesse qui m’interdit de les inclure dans ma statistique grincheuse. D’ailleurs, ils ne s’évaluent pas en heures, mais en jours, semaines, voire mois. Ils sont donc hors-catégorie.

Lors de mon dernier voyage en TGV, un mort trouvé sur la voie a nécessité une enquête sur place qui a bloqué le trafic pendant 5 heures. L’année dernière, c’était un suicide qui avait provoqué un retard similaire.  Quelques années auparavant, c’était un sanglier qui avait franchi les clôtures de la voie sans idée préconçue de suicide. Un ami vient de vivre la même aventure avec un cerf. Il serait cependant mesquin d’accuser la SNCF d’écocide involontaire. Et puisqu’il est question d’écologie, notons que des écologistes extrémistes sabotent régulièrement des caténaires pour protester contre une nouvelle ligne ou pour en réclamer une dans un désert ferroviaire. Les écologistes aiment aussi bloquer les gares qu’ils partagent volontiers avec des extrémistes de droite et des grévistes sans affinité ferroviaire. Les djihadistes s’en prennent plutôt aux voyageurs et sont à l’origine de retards mémorables.

Venons-en à la médecine et à la santé, mes sujets de prédilection. Au total, mes proches ont vécu cinq retards importants pour l’évacuation sanitaire de trois embolies et deux AVC survenus dans leur train. La psychiatrie n’épargne pas nos réseaux ferrés, puisque trois de mes amis ont eu à faire à des psychotiques en phase délirante qui avaient actionné le signal d’alarme

Récemment, une locomotive a été bloquée en gare de Lyon, car une chatte gestante s’était réfugiée dessous. Des membres de la SPA ont exigé son évacuation douce. Douceur qui a nécessité deux heures de diplomatie féline.

Quant aux phénomènes météorologiques qui perturbent régulièrement le réseau ferré, il est difficile de désigner des responsables. On pourrait reprocher à la SNCF de n’être pas assez prévoyante, mais il faudrait aussi accuser toute l’humanité qui est en partie responsable de ces évènements climatiques extrêmes. Décidément, beaucoup d’extrémismes, d’incuries et d’idéologies convergent vers nos trains.

Mes propos dissimulent assez mal un agacement de citoyen voyageur. Je me dois donc d’y adjoindre une question philosophique : à partir de quel niveau de complexité psychosociale il n’est plus ni nécessaire ni rentable d’investir dans le progrès technologique ?

Je vous invite à y réfléchir pendant vos prochaines heures d’attente dans un train bloqué…

Référence

Artisanat clinique

vendredi 18 août 2023

Il existe une différence subtile entre un symptôme et un signe clinique. Le symptôme est vécu comme tel par le patient, alors que le signe clinique est découvert par le médecin. La douleur du pharynx est un symptôme, la rougeur des amygdales est un signe clinique ; la constipation est un symptôme, le fécalome est un signe clinique ; la paralysie est un symptôme, l’aréflexie est un signe clinique. Le vomissement et la diarrhée sont des symptômes, la persistance du pli cutané est un signe clinique de déshydratation. 

En dehors de toute radio ou analyse, la pratique clinique consiste à décrypter les symptômes et à détecter les signes cliniques. Un clinicien peut déceler l’intensité d’une douleur passée ou d’un délire par la gestuelle de leur narration. L’oméga mélancolique était décrit par Darwin comme un signe facial de dépression. L’écologie comportementale nous apprend que les mimiques de la douleur sont d’une étonnante constance et ne trichent pas.

Nombreux sont les médecins qui émettent déjà des hypothèses sur le motif de consultation avant même que le patient ne soit assis en face d’eux. D’autres évaluent la gravité d’une douleur abdominale infantile en scrutant les échanges de regard entre la mère et l’enfant.

Certains signes cliniques résultent d’une pratique longue et attentive. Par exemple, le bâillement n’est pas contagieux chez les autistes. L’incapacité à percevoir les sarcasmes est un signe précoce de la maladie d’Alzheimer. La réapparition des réflexes archaïques est aussi un signe de démence sénile. L’impression d’être espionné est un signe pathognomonique (caractéristique) de la schizophrénie. La force de la poignée de main associé au bonjour aide à établir le pronostic d’une dépression.

Le xanthelasma (dépôt cutané d’esters de cholestérol), la calvitie précoce et le signe de Frank (pli diagonal du lobe de l’oreille) sont d’excellents prédicteurs de risque cardio-vasculaire. L’estimation de l’âge biologique en dix secondes est le meilleur prédicteur du risque de fracture ostéoporotique. L’arrêt spontané du tabac chez un gros fumeur de longue date est un signe en faveur d’un cancer du poumon à son début.

Comment un spécialiste peut-il comprendre un malade qu’une secrétaire a fait déshabiller et qu’elle a installé sur la table d’examen sans que le praticien n’assiste à ce cérémonial ? Comment un vrai clinicien pourrait-il envisager une hypothèse diagnostique s’il n’a pas vu le patient arriver, s’il ne lui a pas serré la main et ouvert la porte, s’il ne l’a pas vu s’asseoir, s’il n’a pas vu la gestuelle du premier mot de sa narration, s’il ne l’a pas vu évoluer dans la salle de consultation ?

L’expertise clinique est celle du tourneur qui éprouve le fil du bois, celle du musicien qui transpose une partition à vue, celle du maçon qui évalue une fissure.

La promotion des hospitalo-universitaires se fait sur le nombre de leurs publications, pas sur leur expertise clinique ; il est logique qu’ils ne sachent ni ne veuillent vraiment l’enseigner.

Références

Électronique embarquée

jeudi 3 août 2023

Les prothèses font partie des grands apports médico-chirurgicaux à la qualité de vie. Les prothèses dentaires d’Egypte semblent être les plus anciennes. Les lunettes de vue ont commencé à se généraliser au bas Moyen Âge. Les cornets acoustiques ont suivi, achevant de pallier trois déficiences de notre espèce.

La jambe de bois est probablement la première prothèse orthopédique, déjà mentionnée dans l’Antiquité, les pirates l’ont rendue célèbre. Les prothèses actuelles sont miraculeuses, au point d’éradiquer les boiteries.

La première cornée synthétique date de la Révolution française. Ce n’est qu’en 1950 que furent implantés les premiers cristallins en plastique, alors que l’opération de la cataracte était pratiquée depuis 4000 ans.

Le rein artificiel date des années 1940, a permis la survie de nombre de patients. Le cœur artificiel n’a pas encore fait ses preuves, mais les valves cardiaques prothétiques ont permis de belles survies. Enfin, l’électronique prothétique a été banalisée en 1958 avec le fameux pacemaker.

Ces audacieuses prouesses ont fait gagner des millions d’années de quantité-qualité de vie pour un coût dérisoire.

Après les années 1980, la rentabilité des prothèses a chuté brutalement, comme beaucoup de fulgurants, brillants et coûteux progrès technologiques à faible rentabilité sanitaire.

L’électronique ajoutée à certaines prothèses orthopédiques a permis de légères améliorations à un coût prohibitif. Les promoteurs d’un exosquelette supposé améliorer la marche après un AVC ne se préoccupent pas de vérifier l’absence d’un feed-back négatif pour la récupération cérébrale. Quant à la prothèse vocale électronique pour laryngectomisés, il faut beaucoup d’enthousiasme pour croire qu’elle aidera quelques vieux fumeurs. Pour l’audition, des implants cochléaires sont proposés, ils visent aussi le gros marché des acouphènes. La circonspection s’impose.

L’audace électronique est désormais sans limites. Une gélule électronique prétend pouvoir stimuler la faim chez les anorexiques. Il faut donc prévoir une augmentation du marché de l’obésité, en attendant l’électronique capable de diminuer l’appétit. L’idéal serait une gélule équipée d’un bouton on/off manipulable depuis son smartphone. Pour l’autre extrémité des intestins, une capsule vibrante est proposée pour traiter la constipation. Si, si.

Un implant électronique de la taille d’un grain de sable peut mesurer les taux sanguins de sucre, cholestérol et diverses protéines et les transférer via bluetooth à un ordinateur. Je vous laisse imaginer l’excitation de ces patients et médecins devant cette communion biologique et électronique. Rectifions cependant les propos de ces transhumanistes béats : les prothèses n’ont pas « augmenté » Homo sapiens, elles ont simplement compensé – parfois avec brio – certaines de ses déficiences.

Toute cette électronique embarquée n’apportera rien à la santé publique. Quant à l’aspect écologique, il faudra prévoir du recyclage dans les chambres funéraires.

bibliographie