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Prévalence et herborisation

mercredi 10 décembre 2008

Prévalence et herborisation.

La prévalence, plus difficile à déterminer que l’incidence, donne la photographie d’une population à un instant donné. La prévalence générale ne tient compte ni du sexe ni de l’âge, elle indique le pourcentage de personnes atteintes d’une maladie au jour J.

Pour la France, voici des chiffres moyens dans les publications les plus sérieuses pour quelques maladies courantes : psychoses: 3%, TOC: 3%, phobie sociale: 8%, autres phobies: 6%, dépressions majeures: 8%, dépressions mineures: 15%, Alzheimer : 2%, Parkinson: 1%, AVC: 0.3%, SEP: 0.2%, fibromyalgie: 15%, migraine: 10%, hypertension artérielle: 30%, valvulopathie: 2%, insuffisance cardiaque: 1%, coronaropathies: 1,5%, diabète de type 2: 4%, dyslipidémies: 8%, SAOS: 20%, obésité et surpoids: 30%, tous les cancers (dépistés et cliniques): 1.5%, hypothyroïdie: 3%, ostéoporose: 10%, etc.

Cessons ici cette énumération fastidieuse en constatant que nous avons déjà largement dépassé les 100% en étant bien loin d’avoir couvert tous les champs de la pathologie. Une conclusion s’impose : les patients sont atteints de plusieurs pathologies. Nous le savions déjà pour l’obésité et le SAOS, la fibromyalgie et la dépression ou encore la dyslipidémie et l’hypertension. En voici une preuve définitive. Tout bien réfléchi, il n’existe probablement que des patients polypathologiques. Voilà qui est rassurant pour ceux qui ont eu la chance de passer au travers de toutes ces pathologies, car ça leur laisse encore une petite chance de mourir de vieillesse…

Si nous en profitions pour nous offrir, avec ou sans humour, une petite réflexion épistémologique sur la classification de nos « objets-maladie », il est probable que nous en conclurions que nous sommes en train de nous fourvoyer.

Les historiens de la médecine mentionnent souvent avec amusement la «nosologie méthodique » de François Boissier de Sauvages, publiée en 1763 et dans laquelle il recensait 10 classes, 44 ordres, 315 genres et 2400 espèces de maladies. Cette « herborisation » de la médecine, comme la nommait Michel Foucault, est-elle vraiment dépassée aujourd’hui ?

Le marronier d’hiver

mercredi 26 novembre 2008

Le marronnier d’hiver

Le nombre de SDF qui meurent chaque année dans la rue est d’environ 300. Les causes sont multiples : agressions, misère physiologique arrivée à son terme, coma éthylique, intoxications diverses et froid aussi bien sûr.

En plus d’être un arbre dont nous apprécions les marrons chauds en hiver, le marronnier est un terme utilisé pour désigner un thème journalistique récurrent et inévitable. La baisse du niveau scolaire lors du bac en juin, les troubles digestifs et la dangerosité des jouets à Noël, la méningite à chaque mort suspecte ou le syndicaliste marseillais à chaque grève sont des marronniers indispensables et familiers. La mort des SDF aux premiers froids est l’un des plus coriaces. Dès que le thermomètre baisse au dessous de cinq degrés, les médias guettent le premier mort et son arrivée fait le tour des rédactions en quelques heures. Ce sujet est grave puisqu’il révèle plusieurs de nos insuffisances allant du logement social au chômage en passant par les psychoses et l’alcoolisme. L’interdiction que nous avons de le traiter à la légère ne doit pas nous empêcher de garder notre sang-froid de scientifique adepte de la médecine basée sur les preuves. Les quatre morts largement médiatisés de ce mois de novembre nous révèlent, par cette baisse brutale de la moyenne mensuelle, que les premiers froids ont pour conséquence une baisse significative de la mortalité urbaine des SDF. En effet, la plupart d’entre eux n’étant pas complètement idiots ou suicidaires, tentent de se réfugier dans des abris plus confortables dès les premiers froids. Ces lieux ou foyers d’accueil sont l’occasion de soins inhabituels, d’une douche limitant les infections ou d’un soutien moral susceptible de diminuer l’éthylisme aigu. Ces soins, hélas toujours insuffisants, révèlent la charité dont font preuve les associations qui les pratiquent toute l’année. Le créneau du marketing gratuit pour ce business de la charité est très étroit, il se situe fin novembre ou début décembre, aucune association caritative ne peut se permettre de le rater, car elle sait qu’il lui faudra attendre un an pour une nouvelle promotion. Tant pis si l’épidémiologie en prend un coup, puisque c’est pour la bonne cause. Ne reprochons pas aux grands médias leur manque de rigueur scientifique, ils ne sont pas faits pour cela, ils sont le lieu de la promotion et ils s’en acquittent plutôt bien.

Tout est question de créneau.

Nous y revoilà

mercredi 19 novembre 2008

Google est un outil extraordinaire qui me permet d’accéder à presque tous les livres de notre patrimoine culturel. Merci. Hélas Google gagne beaucoup d’argent, la pire des malédictions pour les génies. L’argent corrompt tout, nous le savions déjà, aujourd’hui, nous savons qu’il finit par cannibaliser ses propres géniteurs.

Google vient d’investir beaucoup d’argent dans une start-up qui se propose d’étudier l’ADN de chacun de ses clients pour lui fournir une mine d’informations de première importance. Veuillez cracher dans le flacon qui vous est envoyé et vous saurez quel est votre risque individuel pour les maladies les plus redoutables, quelle est la communauté ethnique dont vous êtes le plus proche, quelle est votre proximité avec les célébrités de l’histoire, votre lien généalogique avec Lucy ou Toumaï. Vous pourrez, par échange avec les autres internautes, finir par connaître les caractéristiques socioculturelles de ceux qui vous sont génétiquement le plus proches et la publicité ajoute que vous pourrez vous amuser à comparer vos ADN lors des réunions familiales ou des soirées mondaines… Un jeu dont je vous laisse imaginer la folle excitation…

Rien n’a été négligé, jusqu’au dollar en dessous de la centaine, comme dans les boutiques de prêt à porter, le coût de l’opération est de 399 dollars. Bien évidemment, tout est fait de façon éthique, puisque cette société à signé l’acte génétique de non discrimination et s’engage au secret de l’information. L’un des buts affichés, est de faire progresser la recherche scientifique. Nul ne pouvait en douter.

Nous ne dirons pas que cette start-up a été fondée par l’épouse d’un des fondateurs de Google, car ce serait mesquin. En ce qui concerne le gène de la mesquinerie, je suis homozygote, puisque j’ai le phénotype qui fait dire ce que l’on prétend ne pas dire.

Nous y revoilà donc, après Darwin, quelques fanatiques, en mariant la sociologie avec le « tout sélection » avaient inventé le fort mal nommé « darwinisme social » qui a débouché sur les génocides du XX° siècle. Que nous donnera le XXI° siècle avec le mariage du web et du « tout génétique » ?

Une seule bonne note, la touche d’humour – les fondateurs l’ont-ils voulue – dans le nom de cette société « 23andme. » J’y vois la recherche de ma paire à moi en plus des 23 paires de chromosomes de tout le monde. Paire de quoi ? Cela reste à définir. J’aurai bien aimé aussi « KnockIsBack » puisque tous les internautes qui mordront à l’hameçon ne seront plus des malades qui s’ignorent mais deviendront de vrais malades.

Il me restait l’espoir qu’Obama, craignant le risque potentiel de discrimination, y mette un terme, mais j’avais oublié qu’en plus d’être le premier président noir, il est le premier président internet !

Décidément, le monde est trop complexe pour un malade ignorant comme moi !

Légiférer sur le vivant est arbitraire

dimanche 12 octobre 2008

Entre le plus petit des homo sapiens (120 cm) et le plus grand (240 cm), le rapport est de deux. Entre le plus léger et le plus lourd, le rapport est de 8. Entre le plus rapide et le plus lent, il est environ de 10. Nous pourrions estimer d’autres rapports entre personnes sans handicap, par exemple 15 pour le saut en hauteur et 20 pour l’haltérophilie, et à l’avenant pour toutes les performances physiques.

Quant aux capacités sensorielles, mnésiques, cognitives, oniriques, créatrices ou affectives il est évidemment difficile de les chiffrer, car les instruments et leurs mesures sont toujours contestables. Mais au vu des ratios physiques sus mentionnés, il semble difficile ici d’en imaginer un seul qui soit supérieur à 30. Le XX° siècle qui a tenté des évaluations pseudo-scientifiques en ces domaines ayant conduit aux horreurs totalitaires que l’on sait, il ne nous reste donc plus que la législation pour décréter, par exemple, qu’aucun homme ne peut en valoir plus de trente fois un autre.

Cette loi ne serait ni plus ni moins arbitraire, ni plus ni moins contestable que toutes celles qui concernent le vivant… Dire que la vie embryonnaire laisse place à la vie fœtale à huit ou douze semaines est un postulat n’ayant d’utilité que pour les lois sur l’IVG. Décider qu’un fœtus de moins de 180 jours ne peut être déclaré à l’état civil relève d’un sens que certains ne trouveront pas être le bon sens. L’âge de la majorité sexuelle, le taux d’alcoolémie compatible avec la vigilance ou encore l’hétérosexualité obligatoire du couple parental semblent désormais ne devoir relever que de décrets ou de lois… A ma connaissance, malgré le caractère toujours arbitraire des ces lois sur le vivant, toutes les nations qui en ont promulgué s’enorgueillissent aujourd’hui de leur œuvre civilisatrice.

Voilà pourquoi je suis surpris par les cris d’effraie que poussent les présidents lorsqu’on leur suggère de légiférer sur la valeur salariale des hommes. Qui pourrait être choqué par un ratio à trente de cette valeur, empêchant tout footballeur, PDG ou comédien d’avoir un revenu annuel (primes et options comprises) dépassant trente fois le SMIC. L’argent serait-il devenu, pour le législateur, plus tabou que le sexe, l’alcool ou la vie embryonnaire ?

Quant aux financiers qui s’alarment de lois qui risquent d’être contre-productives, leur langue de bois ne peut ignorer que toute législation nouvelle entraîne inévitablement sa marge d’hérésies temporaires.

Ce ratio arbitraire de 30 pour la valeur des hommes, en plus de sa valeur morale, pourrait avoir une certaine valeur esthétique, car il siérait au plus grand nombre. Il faudrait cependant s’abstenir d’y adjoindre des valeurs inverses pour incompétence, car le rapport entre le coût de l’incompétence du PDG et celle du cheminot ou du mineur de fond est si élevé que l’établir serait inélégant et franchement inesthétique.

L’oncle Sam est malade

mercredi 24 septembre 2008

L’actualité nous oblige à constater que la finance américaine dirige toute la finance mondiale puisque le collapsus d’une seule banque de New York semble pouvoir ébranler durablement non seulement la finance virtuelle du monde mais aussi son économie réelle.

Force est de le constater également, en matière de médecine, toute information en provenance des Etats-Unis impose un respect immédiat à notre communauté scientifique avant même d’avoir été lue. Il suffit de prononcer des bribes de phrase telles que « une étude américaine le démontre… », « c’est publié sur le JAMA… » pour qu’un garde à vous moral accompagne les mots qui suivront.

Il me paraît assez logique que les économistes et financiers scrutent les éternuement de l’Oncle Sam, car, nul n’en peut douter, ce pays reste bien la première puissance économique mondiale avec le meilleur PIB par habitant de tous les pays (exception faite du Luxembourg et de quelques autres paradis artificiels.)

En ce qui concerne la médecine, notre admiration me paraît plus étonnante, car tous les indicateurs sanitaires placent les Etats-Unis à une place très modeste dans les classements mondiaux. Pour les deux plus importants : la mortalité infantile et l’espérance de vie à la naissance, les Etats-Unis n’arrivent respectivement qu’à la 40ème et 45ème place, et à l’avenant pour les autres indicateurs.

Que faut-il conclure de cet étonnant paradoxe ? Ma naïveté intellectuelle, déjà fortement ébranlée par le fait de l’avoir relevé, m’interdit bien de tirer une quelconque conclusion. Je peux tout au plus me permettre de suggérer timidement quelques pistes parmi lesquelles chacun pourra choisir celle qui lui convient :

– La pertinence intellectuelle des publications a peu d’impact sur la pratique médicale.

– La masse financière du marché de la santé est sans relation avec les indicateurs de santé publique.

– Le niveau de santé d’une population dépend moins de la médecine que de l’action sociale

– Au-delà d’un certain niveau de richesse d’un pays, le bonheur sanitaire individuel de ses habitants décroît.

– La médecine basée sur les preuves et ses comités de lecture ont perdu le contact avec la réalité du terrain.

– Les praticiens et leurs universitaires, en tant qu’hommes, ne sont pas moins que les autres attirés par ce qui brille.

La liste est certainement bien plus longue. Chacune de ses assertions est grossière et contestable. Il n’y a qu’en terme de médecine basée sur les preuves qu’elles peuvent redevenir toutes pertinentes, puisque cette médecine là est basée sur les chiffres, et c’est bien exclusivement de chiffres dont j’ai voulu parler ici.

Luc Perino

La nutritioniste

mercredi 18 juin 2008

Tout seul, je n’aurai jamais osé le dire comme cela. C’est injuste et politiquement incorrect. Et puis en y réfléchissant, je me dis qu’elle a peut-être raison. C’est une femme, elle est nutritionniste, elle est compétente et très connue dans notre région. L’obésité des enfants était notre sujet de formation médicale continue de la soirée. Lorsque je lui ai demandé quelle en était la première cause, elle a répondu sans hésitation : « le travail des femmes ».

Je n’aurai jamais osé.

Puis elle a développé… Les femmes n’ont pas le temps, elles posent les enfants à l’école en voiture en partant au travail, elles les laissent devant la télé, elles passent leurs envies de sucreries pour remplacer leur suave présence, elles culpabilisent, et compensant en gavant leurs enfants.

Elle avait raison, cependant, elle avait fait une grosse lacune en oubliant de parler du père qui fait exactement les mêmes erreurs. Cela me prouvait déjà la prédisposition innée des mères à la culpabilité, donc leur prétention naturelle à la maternité, voire exclusive à la parentalité.

Il nous restait à débattre. Du côté des enfants, tout est vrai, sucres, télé, grignotages et sédentarité sont bien les responsables de la décadence graisseuse. Côté parents, les avis ont divergé. Les extrémistes voulaient visser les femmes à la maison, avec ou sans voile. Les socialistes voulaient un salaire de mère au foyer, ce qui revient au même. Les autoritaires voulaient casser les télévisions. Les écologistes voulaient faire exploser les MacDonald et les usines à grignotis. Certains proposaient l’éducation sanitaire de masse, bonne idée, mais il fallait la télévision…

J’étais perplexe. Avec mon machisme latin résiduel, je suis un défenseur de l’emploi des femmes, car je les trouve encore plus belles quand elles travaillent. Avec ma pédiatrie impénitente, je suis pour un minimum de six mois à un an de présence de la mère auprès du nouveau-né, pour le sein et pour la suavité. Avec ma faible culpabilité de père, j’ai encore de la place pour héberger une partie de celle de la mère. Avec mon moralisme médical, je suis vraiment opposé à la sédentarité sous toutes ses formes.

Alors, il m’est venu une idée, de celles que l’on n’ose pas dire, simpliste, fruste, utopique.

Et si tout le monde allait à l’école et au boulot à pied. Ça ferait un nombre considérable de mains pour aider les enfants à traverser les rues.

Des rues sans voitures.

En tout cas, dire brutalement ce que la nutritionniste a dit au sujet des mères. Je n’aurai jamais osé.

De l’utilité inattendue de l’homéopathie !

mercredi 18 juin 2008

De l’utilité inattendue de l’homéopathie ! Allopathe et clinicien traditionnel, conscient depuis toujours de l’inefficacité tant pharmacologique que physiologique de l’homéopathie, j’ai cependant acquis la conviction du caractère indispensable de cette pratique médicale, pour plusieurs raisons : sanitaires, économiques et expérimentales. La méta analyse récemment publiée dans « The lancet » et démontant l’homéopathie, est très instructive. Ces méta-analyses sont souvent pertinentes, car elles relativisent les résultats des essais cliniques, corrigent leurs nombreux biais et parfois (pas toujours hélas) mettent le doigt sur la partialité de leurs financeurs. Celle-ci conclue, fort logiquement, à l’égalité d’effets entre le placebo et l’homéopathie. Paradoxalement, pour la rigueur des essais cliniques, la granule homéopathique possède un réel avantage, car elle est logiquement dépourvue de tout effet secondaire. Le patient n’ayant aucun moyen de deviner s’il prend le placebo ou la granule, permet une application correcte de l’indispensable principe dit du « double-aveugle ». Ce point est capital si l’on sait qu’une autre méta-analyse publiée dans une autre revue prestigieuse conclue à l’absence de contrôle du double-aveugle dans 98% des essais cliniques dits « sérieux » * . Ainsi, seuls 2% des essais cliniques de médicaments allopathiques en double-aveugle contre placebo sont scientifiquement recevables ! Enfin, les médicaments dits « allopathiques », dont l’effet bénéfique est largement supérieur aux effets secondaires sont très rares et nous pouvons aisément citer leur quasi-totalité : insuline, vaccins, anticoagulants, neuroleptiques, antibiotiques et morphine.

Le scientifique « soignant » et porteur d’un réel « projet » sanitaire doit donc éviter la prescription des autres médicaments allopathiques pour les innombrables pathologies encore « indéterminées ». Ce scientifique là est bien conscient des carences de la médecine moderne dans le soin personnalisé et il ne peut qu’encourager les médecines complémentaires sans s’agacer inutilement de la présence de médiateurs symboliques (granules, aiguilles, gélules colorées, hosties, chimies ou prières) apparemment indissociables du fait humain.

Luc Perino

* Fergusson D et coll. British Medical Journal, 2004 ; 328 : 432-434

Réflexions hygiénistes du haut de mon vélo

lundi 17 mars 2008

Pour mes visites en ville, le vélo, que j’utilise beaucoup plus que l’automobile semble plus propice à mes réflexions. J’y vois au moins quatre raisons. La première, sans doute la moindre, est ma position haute, qui empêche les gaz d’échappements plus lourds que l’air d’atteindre et d’anesthésier mes neurones, comme ils le font chez l’automobiliste assis au ras du sol et confiné dans son habitacle. La deuxième également physiologique est l’afflux de sang cérébral provoqué par l’accélération cardiaque de mon effort. La troisième est la stimulation intellectuelle qui s’associe parfois à la marginalité ; rouler en vélo dans une grande ville en est une incontestablement. La quatrième enfin, la plus importante, est l’éveil cognitif que provoque l’extrême vigilance imposée par ce frêle moyen de transport.

Ma réflexion, bien loin de toute théologie, concerne une trinité laïque : la cité, le citoyen et la citoyenneté. Me voilà donc penseur perché sur mon fragile esquif dans le flot des automobiles.

Qui sont-ils donc ces automobilistes qui me frôlent en prenant bien soin de ne pas me heurter, mais dont les manœuvres soulignent ostensiblement l’incongruité de ma place en leur sein ? Ce cadre dynamique parcourt les deux kilomètres qui le séparent de son lieu de travail ; ce soir, il ira faire du jogging pour parcourir une plus grande distance à une vitesse supérieure. Cette jeune mère emmène en voiture ses enfants à l’école voisine afin que ces chérubins ne soient pas écrasés par une de ces si nombreuses voitures. Ce retraité semble heureux d’être immobilisé dans le flot des véhicules, comme au bon temps de sa pleine activité. Ce jeune employé n’en revient toujours pas de la qualité de la stéréo et de la climatisation qui équipent la limousine qu’il vient d’acquérir à crédit, il voudrait que l’embouteillage dure plus longtemps pour savourer davantage ces instants de confort. Ce couple d’étudiants ne quitterait pour rien au monde la vieille berline, symbole de liberté, qui a abrité, cet été, leurs premiers ébats.

Leur autoradio les empêche tous de penser à l’histoire de la cité que leur grands parents ont rejointe au moment de l’exode rural, car elle présentait l’avantage d’offrir en un seul lieu, tous les services et produits de l’époque. Le paysan grec parcourait des kilomètres pour aller au temple, la femme auvergnate programmait toute une journée pour aller chez le coiffeur et le charbonnier, l’écolier savoyard mettait deux heures pour rejoindre l’école ou le cinéma et autant pour en revenir. L’automobile leur a été miraculeuse, ils l’ont prise pour aller à la ville la plus proche et ils ont décidé d’y rester, cumulant d’un seul coup les deux nuisances. Et comme leurs urbanistes et leurs maires n’arrivaient pas à penser les villes autrement que dédiées exclusivement à l’automobile, ils en avaient pris pour longtemps.

Mais réjouissons-nous, les temps changent, comme peuvent en témoigner, les petits sigles, représentant des vélos, peints en blancs sur quelques chaussées de nos villes. Certes, il y en a très peu, ils sont régulièrement effacés par les pneus des automobiles, mais ils témoignent d’une velléité, et, en nos temps où l’électoralisme tient lieu de sciences sociales, une velléité est toujours bonne à prendre.

Ces petits vélos blancs sont supposés délimiter des voies exclusivement réservés aux cyclistes ; je les ai donc empruntées et j’ai failli ne jamais en revenir. Avant l’apparition de ces voies, le cycliste était respectable dans sa témérité et il donnait à l’automobiliste l’occasion d’être courtois en lui faisant une petite place. Depuis l’apparition de ces voies cyclables, les rôles se sont progressivement inversés. L’automobiliste a perdu des occasions de courtoisie, car il juge exorbitant, voire indécent, un tel espace de liberté laissé à de rares cyclistes. Qu’elle est accueillante, cette piste cyclable de la grande avenue, avec ses deux mètres de large ; elle est devenue le lieu de rendez-vous de tous les automobilistes en détresse, repérables pour avoir allumé leurs feux du même nom. L’état de détresse pouvant varier du besoin impérieux d’acheter un paquet de cigarettes aux minutes anxieuses d’attente de papy qui descend l’escalier. Les feux de détresse ont très certainement provoqué beaucoup plus d’accidents qu’ils n’en ont épargnés, mais l’étude statistique, impossible, ne sortira jamais. Cette piste accueille également les livreurs, excusés par leur travail, les pompiers et policiers, excusés par leur statut, les égarés, excusés par leur égarement. Les cyclistes, eux s’y font de plus en plus rares, car ils ont compris que ces voies, qui se terminent généralement en impasse cyclable, sont bien plus dangereuses que les voies virtuelles tracées par leur cerveau en éveil cognitif. Ces cyclistes continueront longtemps à griller les feux rouges et les feux verts avec le même danger bien mesuré, mais ils délaisseront de plus en plus les bribes de pistes cyclables que des maires ont été obligés de saupoudrer ça et là pour satisfaire aux modes écologistes.

Mon ultime réflexion de cycliste est le pourquoi de l’impossibilité quasi universelle de sortir la voiture de la ville. Les deux arguments classiques de l’automobiliste électeur et du lobby pétrolier me paraissent faibles par rapport à notre individualisme biologique et à notre impossibilité animale de prévision au delà d’une saison de reproduction.

La technologie n’ayant rien changé à mon animalité, je vais de ce pas faire ma prochaine visite en voiture pour mettre un terme à cette réflexion.

Luc Perino

Vitesse et prostitution

vendredi 8 février 2008

« Interdiction » est un mot délicat à manipuler dans nos pays démocratiques, même lorsqu’il s’agit de santé ou de salubrité publique.

Le gouvernement essaie de prohiber la prostitution, discrètement, et la vitesse, de façon plus ostentatoire. Mais, la façon de traiter ces deux interdits est radicalement différente. L’un frappe l’objet du délit et l’autre son utilisateur.

Le gendarme ne songe jamais à verbaliser le véhicule à la place du conducteur. Notre pays autorise la fabrication et l’importation de véhicules dépassant de plus de deux fois la vitesse légale. Ceci ne fait l’objet d’aucun débat.

A l’inverse, dans la prostitution, on s’en prend au producteur et non au consommateur, bien que les débats sur l’utilité de punir les deux soient nombreux.

Les interdictions sont des sujets chargés d’une affectivité déraisonnable, d’où la logique est constamment exclue. Seules deux conduites sembleraient logiques, soit annuler l’interdiction, soit la maintenir en l’attaquant par ses deux bouts : offre et demande, production et consommation.

Le gendarme devrait ainsi pénaliser monsieur Ducon qui conduit et monsieur BMW qui a fabriqué l’objet du délit. Il devrait punir monsieur Dugland qui consomme et madame Delarue qui offre l’objet du délit.

Pourquoi donc n’en est-il pas ainsi ?

Le moraliste me répondra que l’on ne peut pas comparer la prostituée, être de chair empreint des merveilleux sentiments humains, avec une voiture, objet de métal empreint des merveilles de la technologie. Le moraliste a raison, seul un être de chair peut mériter la damnation.

L’historien me répondra que la prostitution est si ancienne qu’elle est un objet de culture qui ne peut plus être soumis à la loi, alors que la vitesse, toute récente, n’est pas encore assimilée par nos lentes biologies. L’historien a raison, la seule loi humaine possible est la force de l’habitude.

Le médecin condamne la vitesse, beaucoup plus dangereuse que la chair, malgré le Sida. Par contre, il s’incline devant le constructeur automobile qui prétend offrir aux amateurs, la vitesse comme un luxe (réserve de puissance), et non comme une nécessité. Le sexe est-il un luxe ou une nécessité ? Peu importe, car en cas de compulsion, luxe et nécessité se confondent.

D’autres explications, enfin, sont plus réalistes, donc plus triviales. Les nations peuvent taxer la vitesse par ses deux bouts (essence et amendes), mais ils n’osent taxer aucun bout de la chair, surtout pas le bout du gland, de peur d’être grossiers. Pourtant, l’idée d’un état proxénète ne me paraît ni plus choquante, ni moins dérisoirement utile que celle d’un état fabricant d’armes, si les buts clairement avoués, sont d’éviter l’esclavage sexuel ou la terreur nucléaire.

Il ne faut enfin pas oublier, que derrière tous les interdits, se cachent les privilèges de l’impunité. J’imagine fort bien nos élus, aller sans honte, se faire sauter un PV pour excès de vitesse…

Mon imagination s’arrête là.?

Les vrais risques du syndrome d’hyperactivité infantile

vendredi 8 février 2008

La mode éditoriale du syndrome d’hyperactivité infantile (TDAH*) n’est pas un hasard, car chacun perçoit, derrière cette « nouvelle » maladie, l’occasion de fougueux débats épistémologiques et politiques. Si les plus polémistes des psychiatres ont envie de contester la réalité biologique d’un tel syndrome, ils seraient bien imprudents de le faire. On ne peut qu’évoquer les imprudences historiques et ridicules de certains psychanalystes qui avaient osé contester la réalité organique de certaines maladies ; citons entre autres : la mère « schizophrénogène » de Fromm-Reichmann, l’autisme par carence affective de Bettelheim ou la schizophrénie issue des névroses parentales de Françoise Dolto.

Cette agonie de la psychanalyse ne doit nous réjouir que sur deux points : d’une part, la fin d’un impérialisme intellectuel mérite d’être saluée, d’autre part, les mères ont dû être ravies d’apprendre qu’elles n’étaient plus la cause de ces deux terribles maladies. Cependant, restons vigilants sur ce champ libre laissé aux chimistes et aux généticiens, qui, enfin libérés de l’impérialisme psychanalytique, vont pouvoir s’adonner à leurs obsessions synaptiques et à leur ivresse génétique.

Aujourd’hui, les plus humanistes des cliniciens sont encore obligés de choisir entre le dogme du gène ou le dogme du psy. Cette guéguerre durera certainement aussi longtemps que les pharmacologues auront le pouvoir, car la synapse est la seule cible qui se laisse manipuler sans trop rechigner.

Cela me conduit à deux réflexions.

L’autisme et la schizophrénie avaient été parfaitement décrits dans les traités de médecine de l’antiquité, alors que rien n’évoque l’existence d’un quelconque TDAH décrit pour la première fois en 1870. Sachant que les mères existaient déjà dans l’antiquité, il est possible de supposer timidement que de nouveaux facteurs socioculturels puissent avoir favorisé l’émergence de cette maladie chez nos chérubins et son épidémie dans notre nosologie.

Ma deuxième réflexion concerne la Ritaline® dont il n’est pas question de contester ici la probable utilité, malgré le danger de sur-diagnostic et de sur-traitement auquel expose chaque nouveau médicament de ce type.

En effet, le risque, bien plus redoutable et plus insidieux, de ces nouvelles molécules est celui de la négligence progressive, vite acceptée par tous, des autres pistes thérapeutiques et étiologiques. Les cent-vingt années de silence écoulées entre les premières descriptions du TDAH et la commercialisation de la Ritaline® nous prouvent bien que seule la chimie est aujourd’hui capable de susciter la médiatisation et la recherche et de financer leur avenir. Les autres pistes n’auront jamais, pour les piètres cliniciens que nous sommes devenus, cette perfection mercatique et causale.

* Trouble Déficitaire de l’Attention avec Hyperactivité infantile