Archive pour la catégorie ‘Non classé’

Le petit robot de la publicité

mardi 3 novembre 2009

Depuis quelques mois, un petit robot, dont la voix rappelle celle du célèbre droïde « R2 D2 » de « La guerre des étoiles », sévit régulièrement sur les ondes publiques. Il nous indique, comment nous rendre, pas à pas, dans les W-C de notre propre appartement, ensuite, il nous exhorte à effectuer un prélèvement de selles dans le but de dépister une maladie susceptible de nous détruire de l’intérieur alors même que nous ignorons tout de son existence.

Cette publicité m’amuse, tout simplement. Il serait mesquin de parler des sommes conséquentes investies dans cette communication en insinuant qu’elles pourraient être utilisées pour des actions de santé publique plus urgentes, car, dans un système décisionnaire complexe, une action n’est jamais interchangeable avec une autre. Il serait encore plus mesquin de moquer le côté gadget du message délivré par un ministère à l’austérité revendiquée, car tout ce qui rapproche du peuple est forcément bon pour le peuple.

Cette publicité m’amuse doublement, car je suis certain que les experts en communication qui l’ont élaborée, n’ont pas imaginé à quel point elle pouvait atteindre le public ciblé.

Elle s’adresse, en effet, prioritairement, à ceux qui pensent que la robotisation du soin est la forme suprême de l’action sanitaire, à ceux qui sont convaincus que la composante cybernétique du dépistage de masse suffit à lui conférer sa pertinence, à ceux qui considèrent la signature d’un ministère comme une validation, a priori, d’un résultat futur et escompté.

De la publicité à la vérité, il y a du chemin à parcourir. Nous avons de bonnes raisons de penser que celui-ci sera très long, si l’on en juge par les résultats médiocres de toutes les études indépendantes sur le ratio coût/bénéfice des précédentes actions de dépistage de masse.

Dans quelques années, au moment du bilan, il faudrait encore être mesquin pour parler de chiffres, alors qu’il sera tellement plus simple et consensuel d’évoquer le souvenir de ce petit robot qui était un bien sympathique personnage de fiction.

La meilleure façon de compter

mardi 6 octobre 2009

Science des sciences, les mathématiques ont une froide rigueur. Le chiffre est souvent cruel et intolérable, car il est vécu comme une privation de la liberté de penser, surtout s’il est statistique et a fortiori s’il concerne l’homme.

L’individu, vitaliste par nature, refuse d’être réductible à ses propriétés physico-chimiques et les populations, frondeuses par culture, refusent le carcan des biostatistiques.

Pour expier son invention du nombre, l’homme a peaufiné tout un art de sa présentation afin d’y réintroduire la subjectivité et la politique, apparemment indispensables l’une et l’autre à sa survie.

Dire que 98% des assassins/violeurs récidivent n’a pas la même signification que de dire qu’un très faible pourcentage ne récidive pas. Si les deux formulations sont exactes, la première est une invective à légiférer, la seconde, malgré l’inconnue d’un subtil pourcentage, ouvre grand la porte de l’espoir et de la rédemption.

Le marchand préfère affirmer que son médicament diminue de 22% le risque de maladie, alors que le consommateur, nauséeux à chaque prise, n’apprécierait pas d’apprendre que ce risque passe de 1,8% à 1,4%. En gros, que ce médicament si désagréable à prendre, ne sert pas à grand chose !

Quant à la comparaison de deux chiffres, elle est un véritable programme électoral. Les schizophrènes représentent 2% de la population, et ils sont impliqués dans un assassinat sur dix. Dire que neuf assassinats sur dix sont commis par des gens « normaux» ou que chaque schizophrène a un potentiel assassin cinq fois supérieur à la « normale » sont deux assertions mathématiquement vraies qui en disent long sur les intentions et la compassion de chaque locuteur…

L’épidémiologie et le peuple

vendredi 18 septembre 2009

De toutes les disciplines de la médecine, l’épidémiologie est la plus complexe. Elle nécessite de solides bases mathématiques et statistiques, un sens de l’analyse et de la synthèse et une grande rigueur dans la sémiologie. Les experts doivent en outre posséder des qualités personnelles de placidité et une propension naturelle à la dialectique et à l’épistémologie.

Les universitaires en comprennent souvent mal les données et rares sont les médecins qui savent les utiliser en pratique. Quand à la pénétration de cette science dans le grand public, elle est aussi faible que celle de la physique quantique.

Parmi les thèmes d’application de cette science, celui de l’infectiologie est bien plus ardu que celui des maladies cardio-vasculaires, par exemple, ou que tout autre thème du domaine sanitaire. En effet, l’histoire naturelle des maladies infectieuses est plus chaotique, compte tenu de la variabilité – au sens darwinien du terme – des agents infectieux et de l’état immunitaire des populations, tous deux influencés par de nombreux facteurs écologiques et sociaux.

Enfin, parmi les maladies infectieuses, la complexité physiopathologique va croissant des parasitaires aux bactériennes, pour atteindre le niveau maximum avec les maladies virales où les variations individuelles de l’hôte sont les plus fortes.

Tenter de vulgariser l’épidémiologie des maladies virales est un défi aussi téméraire que vouloir expliquer les différences entre les deux principales théories d’unification des particules : la théorie des cordes et sa concurrente de la gravité quantique à boucles. Pour ma part, après quelques essais infructueux, j’ai abandonné lucidement ma quête de savoir dans ces deux domaines.

Mon ultime question sans réponse est pourquoi les tentatives de vulgarisation de l’épidémiologie des maladies virales sont pluriquotidiennes alors que la gravitation quantique à boucles est dédaignée par tous les vulgarisateurs cathodiques ?

L’avenir du syndrome grippal

samedi 5 septembre 2009

Dans les dossiers de nos patients, nous avons chacun nos petites manies pour résumer en quelque mots l’essentiel de la consultation du jour : douleurs abdominales banales, crise migraineuse majeure, malaise de type vagal, contrôle d’hypertension, rhino-pharyngite, SEP en poussée, etc.

Pour la multitude des fièvres inexpliquées qui nous arrivent en hiver ou à la mi-saison, j’avais pris l’habitude, comme la plupart de mes confrères, de gribouiller le fameux « syndrome grippal » qui, bien que pouvant correspondre à une multitude d’étiologies virales ou non, avait le pragmatisme de dire exactement ce qu’il voulait dire, c’est-à-dire en termes clairs : « on ne panique pas, on attend et on laisse faire la nature. »

S’il s’agissait d’une vraie grippe, on le saurait bientôt, car la fièvre augmenterait et les désagréables symptômes classiques apparaîtraient, qu’il faudrait évidemment savoir moduler en fonction de la pusillanimité du patient.

Les temps ont changé. Le poids sémantique du « syndrome grippal » a augmenté considérablement en proportion du poids médiatique et économique de la terrible maladie qu’il est supposé taire ou annoncer. Aucun de nos mots et de nos gribouillages ne peut plus être anodin dans le nouvel inconscient sanitaire. Nous devrons donc apprendre la parcimonie dans chacun de nos propos. Le moindre dérapage verbal pourrait entraîner la fermeture d’une école ou d’une usine et paralyser l’économie d’un village, voire d’une région tout entière. Quelle énorme responsabilité civique !

J’encourage donc mes confrères à rédiger leurs fiches à la manière d’un discours politique, avec une méticuleuse prudence. Nous pourrions par exemple parler de FPI (fièvre provisoirement inexpliquée) ou FPA (fièvre provisoirement anodine) ou mieux FAJ (fièvre en attente de jugement.)

Essai sur les électrohypersensibles

mardi 1 septembre 2009

Les téléphones portables et leurs inélégantes antennes relai étaient déjà la proie des médias. Ils sont récemment devenus la proie des magistrats avec l’application du principe de précaution.

Pour les cigarettes, le principe de précaution a consisté à inscrire sur les paquets que fumer tue. Je ne vois donc pas de raison majeure à cesser la commercialisation des téléphones portables. Il suffit d’inscrire sur le boîtier que téléphoner peut tuer.

Cette boutade ne fait pas avancer le problème et il est bien difficile d’avoir une opinion, car tout ce que l’on dit peut se retourner contre nous. On est dans le camp des barbares si on soupçonne la moindre hystérie pour les symptômes des électrohypersensibles ou la moindre phobie pour les tumeurs cérébrales à venir. Inversement, on est mis dans le camp des écolos fanatiques si on suggère qu’il faudrait faire quelques études sérieuses pour s’assurer de l’innocuité de cette envahissante modernité.

Pour les cancers à venir, c’est certain, je n’ai pas d’opinion et je ne pourrais sans doute pas en avoir de sitôt, car l’étude qui permettrait de conclure avec certitude exigerait une telle rigueur méthodologique et inclure un nombre si élevé de personnes qu’il paraît mathématiquement impossible de savoir avant un demi-siècle. Prenons-en pour preuve les sévères critiques envers l’étude de cohorte « Interphone », dirigée par le très sérieux CIRC.

Pour les symptômes présents des électrohypersensibles, je n’ai pas d’opinion non plus, car il m’est tout à fait impossible de me mettre dans leur peau. Par contre l’étude qui permettrait de dévoiler avec une certitude absolue la moindre hystérisation des symptômes ressentis est extrêmement facile à faire. En appliquant la méthode du double insu contre placebo, il suffirait de quelques centaines d’individus répartis au hasard dans deux chambres émettant ou non des ondes. Un formulaire neutre permettrait ensuite de noter les symptômes ressentis. Il serait également possible d’émettre de légers bruits comme leurre dans l’une ou l’autre chambre alternativement. Un tel essai dont le coût ne me paraît pas exorbitant suffirait à définir avec une irréprochable précision statistique, la réalité des symptômes allégués.

La seule question qui doit donc se poser dans ce dossier du téléphone portable est celle de savoir pourquoi un essai aussi simpliste sur la réalité des nuisances immédiates n’a pas été fait avant d’entamer la longue coûteuse et hasardeuse étude interphone sur les nuisances à long terme.

Sur les différentes réponses possibles à cette question, j’avoue ne pas avoir d’opinion non plus. On pourrait me dire qu’avec si peu d’opinion, j’aurai mieux fait de me taire.

En effet…

Sauf si vraiment personne n’a jamais eu l’idée de faire une étude aussi évidente.

Reconnaissons que c’est peu probable…

Spermatozoïdes sous le charme

lundi 23 mars 2009

Les catastrophes écologiques à venir emplissent nos médias : réchauffement climatique, montée des eaux de mer, pénurie d’eau douce, trou d’ozone. Ces périls nous préoccupent à juste titre, car ils pèsent sur notre économie et menacent la survie de quelques espèces ou paysages qui nous sont chers. Pour homo sapiens, si l’on accepte le mot « écologie » dans sa signification biologique exclusive, la réussite est exemplaire : six milliards de gros mammifères ayant réussi à coloniser toute la planète et dont la longévité ne cesse de croître. Voilà qui devrait nous rassurer…

Les seules alarmes écologiques pour notre espèce seraient une réduction de sa capacité de colonisation ou une diminution de son effectif. Cette menace existe précisément sous forme d’une baisse drastique de la spermatogenèse humaine qui a diminué d’un facteur dix en l’espace de cinquante ans.

Curieusement les médias semblent presque taire ce péril majeur qui réduit les autres à de la littérature. Nous en ignorons totalement les raisons. Par contre nous connaissons déjà très bien quelques responsables de la mort des spermatozoïdes. Les pesticides sont clairement identifiés et les agriculteurs en sont les premières victimes. Les phtalates sont également de plus en plus souvent incriminés, ces substances « stérilisantes » se retrouvent dans de nombreuses matières plastiques et dans la plupart des cosmétiques. Ironie de l’évolution : la séduction, premier facilitateur de la reproduction, recèle, en son sein, une arme fatale aux spermatozoïdes.

Je suppose, dans ma naïveté, que les femmes qui consomment de plus en plus outrageusement le fard, les onguents et les poudres, ignorent les dangers qu’elles font subir à nos spermatozoïdes. A moins que l’évolution n’ait déjà, en germe, une parade à ce désastre. Les femmes qui, souvent, assurent les revenus de la famille et gèrent la maison, pendant que leurs conjoints regardent le foot ou jouent aux jeux vidéo, ont-elles déjà la prémonition biologique intime du clonage ou de la parthénogenèse.

Si tel est le cas, les cosmétiques ne seraient plus criminels pour notre espèce. Tout au plus pourrait-il manquer à nos compagnes quelques bras pour les travaux du bâtiment ; mais sur ce point là aussi, sachons leur faire confiance.

L’ultime blason des déserts médicaux

mardi 3 mars 2009

La maternité rurale et le petit hôpital ont fermé pour des raisons de sécurité, car les taux de mortalité y étaient prétendument supérieurs aux standards nationaux. La fermeture des lignes ferroviaires régionales n’empêche cependant pas d’atteindre le magnifique hôpital situé à cent kilomètres, car les routes sont déneigées en permanence, garantissant une survie en accord avec les standards nationaux…

Avec la concurrence des tomates andalouses et après la fermeture de l’école et de l’épicerie, un paysan célibataire et sans enfants s’est tourné vers la conservation de semences rares pour les zones rurales atypiques. Il a commencé par faire de la vente par correspondance, mais avec la fermeture du bureau de poste, il a dû abandonner et faire de la vente directe à d’autres paysans. Hélas, il vient de perdre son procès, car la vente de semences non validées par un certificat est interdite. Il a dû vendre sa voiture pour payer l’avocat, un grand spécialiste de la ville. Son fils est parti quand son usine du chef-lieu de canton a fermé, il ne pourra plus l’emmener en voiture à l’hôpital. Il reste encore les hélicoptères, il les voit à la télévision, on lui a certifié qu’ils viennent même lorsque la télévision n’est pas là. Quant aux médecins ruraux, ils ont été les derniers à partir, mais ils ont fini par faire comme tout le monde, surtout les jeunes qui avaient besoin d’écoles pour leurs enfants.

Le gouvernement s’attelle aujourd’hui au problème de la désertification médicale. Soyons certains que les solutions ne manquent pas. Il reste encore quelques médecins français ascètes et célibataires ou des médecins chinois ou roumains dont la famille a faim. Le vrai sujet n’est donc pas la solution au problème, mais le fait que le problème soit posé…

Pourquoi veut-on absolument soigner les habitants de nos campagnes ? Ceux qui ont su résister, après tout ce qu’on leur a pris, ne sont certainement pas prêts à se laisser déménager dans un établissement pour personnes âgées dépendantes. Ils ne verraient plus leur environnement familier. Certes le poulailler est vide depuis l’abattage des poules après l’alerte à la grippe aviaire, certes l’usine est vide mais son mur est toujours visible. On leur donnerait, le soir, des neuroleptiques, pour calmer leur agitation devant ce nouvel horizon non familier. Peut-être même voudrait-on soigner à la hussarde leur inéluctable cancer de la prostate…

Chers confrères, ayons au moins l’humanité de les laisser mourir dignement et en silence derrières les rideaux de leurs fenêtres. Promettons-leur de ne jamais aller nous installer dans ces campagnes dont le refus sanitaire pourrait bien être le dernier blason.

Soyons scientifiques ou disciplinés ou les deux.

mardi 3 février 2009

Le cancer est un sujet bien trop grave pour supporter la légèreté.

L’incidence exacte du cancer du colon en France est de 36000 cas par an soit 0,06%. La prévalence (moins exacte) est de l’ordre de 0,3%. Le nouvel hémoccult, plus précis que l’ancien a une sensibilité qui est passé de 50 à 85 soit 15% de faux négatifs. Le taux de faux positifs reste inchangé, il est de 3%.

Ces chiffres de l’incidence et de la prévalence nous indiquent que sur une population de 100 000 personnes : 300 sont porteuses d’un cancer du colon, dont 60 sont apparus dans l’année. L’hémoccult pratiqué sur ces 100 000 personnes sera positif chez 85% des cancéreux soit : 300 x 85/100 = 255 personnes. Il sera aussi positif chez 3% des non-cancéreux soit : 97700 x 3/ 100 = 2931 personnes.

En cas d’hémoccult positif, ma probabilité d’avoir un cancer est le rapport des positifs cancéreux (255) sur le total des positifs (cancéreux et non cancéreux soit 255 + 2931 = 3186)

Le rapport est donc de 255/3186 = soit 8%

Ces chiffres correspondent à la démonstration en valeurs absolues des données du théorème de Bayes qui calcule les probabilités a posteriori, correspondant exactement à la situation du résultat d’un test de dépistage. Pour ceux qui n’ont pas compris, je les rassure, 2% seulement des médecins connaissent ce théorème de Bayes et seulement 5% des médecins universitaires enseignants !! (La recherche, N° 340, mars 2001). Ce chiffre est confirmé par ma pratique sur de futurs médecins agrégés que je suis chargé d’éveiller à l’épistémologie. J’ai également vérifié que plusieurs hauts responsables des centres de dépistage de masse ne connaissaient pas ce théorème.

La rigueur scientifique impose donc de dire à nos patients que s’ils ont un hémoccult positif, ils ont SEULEMENT 8 chances sur 100 d’avoir un cancer du colon. Il faut aussi leur dire que la coloscopie, qui suivra obligatoirement, sera inutile dans 92% des cas. Il faudra aussi les avertir que la coloscopie n’est pas un acte anodin.

Désormais, nous sommes dans l’obligation de proposer ce dépistage de masse à tous nos patients. Nous pouvons donc décider d’être seulement disciplinés et nous taire. Nous pouvons aussi être rigoureux et essayer de ne pas participer à ce dépistage politiquement correct et dont les résultats en termes de santé publique seront nuls ou presque. (Entre 100 et 400 morts différées par an selon les études) Nous pouvons aussi décider d’être à la fois disciplinés et scientifiques, en expliquant tout cela à nos patients, mais la tâche sera très difficile puisque leurs médecins, leurs universitaires et leurs responsables des centres de dépistage ne l’ont pas encore compris !

Tempête sur la carte vitale

lundi 26 janvier 2009

La grosse tempête qui vient de secouer le sud-ouest de la France a réellement fait des ravages. Pendant ces derniers jours, les différentes rédactions ont essayé de nous en montrer la gravité. Des centaines de milliers de personnes sans eau, sans électricité ou sans chauffage, trafic routier et ferroviaire interrompus, inondations, maisons détruites, forêt landaise dévastée, quatre morts et de nombreux blessés. Les mots et les images ont réussi à nous faire toucher du doigt la gravité de ces événements pour les malheureuses victimes. C’est vrai qu’il est parfois difficile de réaliser, lorsque l’on est bien installé dans son fauteuil, les souffrances que peuvent endurer ceux qui sont au cœur du drame dont les journalistes essaient de nous faire partager l’émotion. L’interview des victimes, lorsqu’il est possible, est un bon moyen, même si une trop forte subjectivité peut déformer quelque peu les faits. Chaque rédacteur doit, je le suppose, choisir ses séquences le plus judicieusement possible pour éviter à la fois la légèreté et le pathos. En ce qui me concerne, France Inter, une de mes radios préférées, a bien réussi en sélectionnant la séquence d’un pharmacien privé d’électricité expliquant que, son ordinateur ne fonctionnant plus, il ne pouvait plus utiliser la carte vitale de ses clients. C’est alors, et alors seulement que j’ai vraiment compris la gravité de la situation.

Urgences : urgence

lundi 12 janvier 2009

L’urgence médicale a moins de quarante ans. Auparavant, l’exercice médical la contenait tacitement par une optimisation du temps diagnostique dont le résultat intégrait un délai d’intervention thérapeutique. Le concept d’urgence médicale est une construction sociale ayant fort peu de rapport avec les réalités cliniques. Avant la création de ce concept, les praticiens considéraient les appels nocturnes ou dominicaux comme indissociables de leur fonction, donc inéligibles aux motifs de contestation. Le brutal engouement des années 70 pour la spécialisation d’organe peut s’expliquer en partie par les progrès de la médecine notamment en matière diagnostique. Ces progrès sont insuffisants pour expliquer les spécialisations d’âge (pédiatrie, gériatrie) ou de sexe (gynécologie) et ils le sont encore moins pour expliquer la spécialisation de délai (urgentiste). L’impératif de transport ne se justifie pas puisque les écoles de l’urgence se répartissent en deux camps : le « bag and drag » américain (on emballe et on s’arrache) et le « stabiliser sur place » de l’école française. Certes, les progrès thérapeutiques ont quelque peu amélioré la survie de divers infarctus ou autres embolies, mais ils sont infimes aux côtés des progrès de leur diagnostic et de leur prise en charge à long terme. Toutes les études montrent que cette affirmation, susceptible de déclencher des cris d’effraie, reste peu contestable si elle est bien lue et bien comprise. Ainsi, les vecteurs de pénétration sociale du concept d’urgence sont essentiellement médiatiques (marketing outrancier des SMUR et SAMU), romantiques (séries télévisées sur l’urgence), affectifs (amours enfantines pour les pompiers), financiers (service public et paupérisation) et aussi corporatistes. Peu importerait, après tout, que cette analyse soit pertinente ou non, si le résultat était un réel progrès sanitaire. Hélas, la crise actuelle de l’urgence ébranle notre système médical au point de provoquer un recul sanitaire. D’un point de vue social, voire anthropologique, cette crise d’engorgement était prévisible puisque l’altruisme de la file d’attente (sur l’autoroute, au supermarché ou ailleurs) suppose une sérénité évidemment absente des problèmes sanitaires individuels bien ou mal évalués. Désormais, le gouvernement s’agite pour « déspécialiser » l’urgence et la rendre à son régulateur naturel qui est le médecin de l’individu souffrant, j’ai nommé le généraliste. Hélas, l’impossibilité du retour en arrière était tout aussi prévisible, car désormais dissociée de la fonction, l’urgence est devenue éligible aux motifs de controverse. D’autant plus qu’entre temps, les généralistes, débordés par la prescription de statines et d’hypoglycémiants à des sexagénaires en bonne santé, en sont parfois arrivés à refuser jusqu’aux sutures et incisions d’abcès pour le même tarif.

Luc Perino