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Les césariennes, l’âne et le lion.

lundi 28 février 2011

Le nombre de césarienne s’accroît de façon vertigineuse dans le monde. Cette augmentation vient essentiellement de l’augmentation du nombre de césariennes dites de « confort »

Il y a deux ou trois décennies, le pourcentage de césariennes pour raisons médicales était inférieur à 10% des naissances dans tous les pays du monde.

Aujourd’hui, ce taux est de 14% en Suède, de 21% en France, de 28% en Allemagne, de 38% en Italie, de 47% en Chine, de 50% dans certaines régions d’Amérique latine. Le record se situe dans les cliniques privées du Brésil avec un taux de 80% [1] !

Le risque de complications sévères de ces césariennes double si elles sont réalisées à la date prévue de l’accouchement et triple si elles sont réalisées avant.[2]

Le risque de morbidité respiratoire globale et sévère du nouveau-né est multiplié par 2 à 5 selon l’âge de la grossesse.[3]

Le taux de morts nés pour les deuxièmes enfants chez les femmes ayant eu une première césarienne est le double de celui des deuxièmes enfants après un premier né par voie vaginale.[4]

En France, le risque de décès maternel du post-partum se révèle 3 fois plus élevé après césarienne qu’après accouchement vaginal. Dans d’autres pays, 4 fois plus[5].

Tous ces chiffres, largement méconnus du public, donnent le frisson. Nous ne parlons pas ici de l’augmentation de nombreuses autres pathologies chez l’enfant après césarienne ou accouchement déclenché, dont le niveau de preuve est moins élevé que pour les pathologies précédemment citées.

Il est époustouflant de constater que l’anesthésie péridurale n’a rien changé à cette augmentation de demandes de confort, elle l’a au contraire aggravée !

Parmi les facteurs qui favorisent cette inflation de la médicalisation outrancière de l’accouchement, le premier est évidemment la certitude que cette solution est sans risque. Il serait bon de diffuser les informations sur les risques réels et d’informer nos parturientes que la grossesse et l’accouchement ne sont pas des maladies, même si plus personne ne doute de la réelle douleur d’un accouchement. Les autres facteurs sont les publicités dans les journaux féminins et bien évidemment la cupidité des obstétriciens comme en témoignent les chiffres cliniques privées de Chine, d’Italie ou du Brésil.

Seule l’Afrique noire est encore épargnée par ce fléau médical, puisque le taux de césarienne excède rarement 12%.

Tout cela me rappelle ce conte que je tiens d’un vieux sage africain. Un âne et un lion sont devenus amis et se promettent fidélité. Puis un jour le lion, ayant très envie de manger l’âne, lui demande ce que l’on risque si l’on trahit une promesse. L’âne lui dit : « toi tu ne risque rien, mais tes enfants paieront pour toi ». En se précipitant alors pour dévorer l’âne, le lion s’embroche sur un pieu. Pendant son agonie, il dit à l’âne « tu m’as menti, tu m’as dit que ce seraient mes enfants qui paieraient pour ma trahison. »

L’âne lui répond : « tu es peut-être en train de payer pour les fautes de ton père. »

En racontant aujourd’hui cette histoire ailleurs qu’en Afrique, n’oubliez pas de rajouter : « et pour les fautes de ta mère et de son obstétricien ou obstétricienne. »


[1] Torloni MR et coll.: Portrayal of caesarean section in Brazilian women’s magazines: 20 year review
BMJ 2011;342:d276.

[2] Souza J.P. et coll.: Caesarean section without medical indications is associated with an increased risk of adverse short-term maternal outcomes: the 2004-2008 WHO Global Survey on Maternal and Perinatal Health. BMC Medecine 2010; 8: 71.

[3] Hansen A K et coll.: Risk of respiratory morbidity in term infants delivered by elective caesarean section: cohort study. BMJ 200.

[4] Smith G et coll.: Caesarean section and risk of unexplained stillbirth in subséquent pregnancy. Lancet 2003; 362: 1779-84.

[5] Deneux-Tharaux C et coll.: Postpartum Maternal Mortality and Cesarean Delivery.  Obstet Gynecol 2006;108:541-548

Publicité anti-tabac

mardi 15 février 2011

Récemment entendu sur un grand média : « la publicité contre le tabac est efficace puisque les ventes de substituts nicotiniques et de médicaments d’aide au sevrage du tabac sont en constante augmentation ».

Cette phrase, présente toutes les caractéristiques de la logique borgne utilisée par le marché, parfois même sans aucun cynisme, hélas !

 La seule façon d’affirmer que la publicité contre le tabac marche serait de constater que les ventes de tabac baissent. Voilà une logique implacable que nulle lapalissade ne saurait surpasser. Cette logique là est inaccessible à des esprits mercatiques, non pas qu’ils soient trop frustes pour la comprendre si on la leur explique bien, mais plus étonnamment parce que l’éventualité d’une baisse des ventes de quoique ce soit, se situe dans la zone aveugle de leur champ cognitif.

 Inversement, nous pouvons affirmer que la publicité pour les produits d’aide au sevrage tabagique marche très bien puisque leurs ventes augmentent régulièrement. Le succès est tel que les différentes marques peuvent s’offrir des publicités coûteuses de promotion de la « tabacologie » dont l’effet est d’augmenter encore les ventes. Ce commerce du sevrage présente le rare privilège de la double vertu. La vertu tacite du profit et la vraie Vertu majuscule des bienfaiteurs de l’humanité. Sans parler de la dimension quasi mystique de cette nouvelle discipline scientifique qu’est la « tabacologie ».

 Personne ne doute que le tabac soit un fléau, y compris les fumeurs eux-mêmes. Tous ignorent que les produits d’aide au sevrage n’ont guère plus que l’efficacité de l’autosuggestion qu’ils induisent, à l’instar de nombreuses substances diverses et variées. Enfin, la plupart ignorent encore les dangers réels des produits d’aide au sevrage tabagique. Pourtant, ils semblent être très nombreux et chaque nouvelle étude en décèle de pires. Nous savons désormais qu’il faudra des décennies pour qu’ils soient retirés du marché, le temps nécessaire au vagabondage du profit. Il ne reste plus qu’à espérer qu’ils ne seront pas plus toxiques que le tabac lui-même ! Aujourd’hui, nous ne le savons pas.

 N’étant pas un gourou anti-tabac, je suis triste de constater que seul le législateur arrive à faire baisser provisoirement la consommation du tabac. L’augmentation du prix ou le bannissement des lieux publics avaient eu quelque effet provisoire, mais les ventes reprennent toujours, car les méthodes de marketing indirect sont aussi inépuisables que les facteurs de risque sanitaire. Il suffit d’aller au cinéma pour y voir nos magnifiques actrices et acteurs fumer ad nauseam

 Je voudrais pouvoir dire aux fumeurs de fumer tranquillement et modérément… Certes ça les tuera tout aussi tranquillement et modérément… Cependant je leur conseille de ne pas ajouter d’inutiles nuisances à celles du tabac. Si un jour, ils arrivent à comprendre l’intérêt de s’arrêter, je suis certain qu’ils se débrouilleront tous seuls comme des grands. Non seulement ils gagneront quelques années de vie, mais ils seront fiers de n’avoir pas été, par deux fois, les jouets du marketing.

Même l’eau !

mardi 1 février 2011

L’histoire de la science n’a pas été linéaire, cependant l’historien est dans l’obligation de mentionner les faits qui ont marqué ses progrès plus que ceux qui en ont constitué une régression.

Ce sont souvent les découvertes majeures qui font s’opérer les plus grands reculs, comme si une contre-réaction populaire à des progrès trop rapides finissait par atteindre les scientifiques et les faiseurs d’opinion.

L’un des exemples les plus connus est celui de l’eugénisme prôné par certains scientifiques et mis en œuvre dans certains états pour diminuer la variabilité de notre espèce, juste après que Darwin eût démontré que la variabilité était le moteur essentiel de l’évolution.

L’histoire de l’hygiène offre un exemple étonnant de régression due aux progrès de l’épidémiologie.

Même l’eau, corollaire de la vie, s’est offert les caprices d’une histoire non linéaire !

Alors que les bienfaits des thermes étaient connus depuis l’antiquité, la découverte de la notion de « contagion » comme facteur essentiel de transmission des épidémies entraîna une régression de l’hygiène.

Georges Vigarello rapporte qu’aux XVII° et XVIII° siècles en France, nombreux étaient ceux qui considéraient l’eau comme néfaste pour l’hygiène et la santé !

Elle fragilisait un corps supposé « poreux » et son usage permettait aux agents infectieux de franchir les barrières naturelles de la peau, de s’immiscer au cœur de l’organisme humain, de le déséquilibrer et de l’altérer. Se laver pouvait nuire à la vue, engendrer des maux de dents et des catarrhes, pâlir le visage, le rendre plus vulnérable au froid en hiver et au hâle en été.[1]

Il fallait éviter l’immersion et pour protéger son corps des méfaits de l’eau, il fallait en boucher les pores. Les nourrissons étaient parfois enduits de cendre de moule, de cendre corne de veau ou de cendre de plomb mêlée avec du vin pour obturer leurs pores. L’histoire ne dit pas pourquoi le vin ne traversait pas les pores, ni combien de nourrissons en sont morts.

La toilette sèche était recommandée. L’idéal étant de changer la chemise lorsqu’elle devenait noire, car la blancheur restait un signe de civilité !

L’histoire ne dit pas non plus si la triste réputation des français autour de l’hygiène leur vient de cette époque.

Nous savons aujourd’hui que l’excès d’hygiène est l’un des facteurs du développement des maladies auto-immunes et allergiques.

Faut-il avoir peur de la science ou seulement regretter son mésusage et notre manque de tact et de mesure à son égard ?


[1] Georges Vigarello, Le Propre et le sale, Seuil, 1985

Effets secondaires des médicaments et baisse des impôts

samedi 15 janvier 2011

Lorsqu’une classe pharmaceutique existe, les nouveaux médicaments qui arrivent sur ce marché sont toujours promus de la même façon : efficacité équivalente ou meilleure avec moins d’effets secondaires que leurs prédécesseurs.

Tous les médicaments d’une même classe ayant la même efficacité ou inefficacité, les promoteurs n’ont pas d’autre choix que de vanter l’innocuité du leur.

Et ça marche toujours, le ministère accepte, une partie du corps médical se jette sur le nouveau venu et les patients font pression pour l’obtenir, par le biais de leurs associations souvent financées par l’industrie.

Puis les années passant, les effets secondaires se révèlent un à un, souvent pires que ceux des anciens médicaments, car la pharmacovigilance était moins vigilante à l’époque des médicaments pionniers.

Dans l’année qui vient, les grandes manœuvres électorales vont commencer, envahissant les médias et ralentissant l’évolution cognitive dans les autres thèmes. Tous les candidats vont proposer plus d’avantages avec moins d’impôts et cela fonctionnera comme depuis l’invention de l’électoralisme.    

On ne voit pas pourquoi les laboratoires pharmaceutiques et les candidats électoraux se priveraient d’une recette qui demande si peu d’investissement industriel et humain avec d’aussi bons résultats.

En pharmacologie, la seule question à poser est celle du rapport bénéfice-risque. Cette notion reste ignorée du public et d’une partie du corps médical. Quel que soit le médicament nouveau promu contre l’obésité, on peut déjà être certain que son rapport bénéfice/risque sera négatif pour des raisons de physiologie primaire.

Une étude britannique indépendante révèle qu’un quart des chimiothérapies anticancéreuses de fin de vie accélèrent le décès des patients et presque la moitié ont des effets indésirables qui diminuent gravement la qualité de cette fin de vie[1].

Aujourd’hui, l’avalanche des problèmes liés aux effets secondaires des médicaments provient du fait que la médecine occidentale, forte de ses succès dans plusieurs pathologies graves, s’est engagée dans le traitement des facteurs de risque pour des motivations allant du moins pire au pire.

Au point de nous faire oublier qu’un facteur de risque n’est pas une maladie. Prendre un anticoagulant pour une arythmie n’est pas la même chose que prendre un comprimé pour une hypercholestérolémie. Dans le premier cas, les bénéfices sont tels qu’ils minimisent la notion de risque, dans le second cas, la question du rapport bénéfices/risques n’est toujours pas tranchée.

Vioxx, Sibutral, Médiator et autres délinquants avaient des indications pour lesquelles la notion du rapport bénéfices/risques reste floue.

Tabagisme, hyperlipidémie, excès de poids ou de sucre sont des facteurs de risque. Il convient d’évaluer pour chacun d’eux le risque du facteur et le risque du traitement, ainsi que le rapport entre traitement et prévention. Ceci ne peut jamais se faire sereinement, en raison de la méthode promotionnelle par saturation.

Nous allons être saturés de politique politicienne jusqu’en avril 2012, le populisme va briller de tous ses feux et la saturation fonctionnera encore…

Quel bonheur que de constater cet optimisme qui veut toujours croire à moins d’impôts et moins d’effets secondaires.


[1] Mort D et coll « For better, for worse ? NCEPOD 2008

Un comprimé contre cent kilos de sucre.

dimanche 2 janvier 2011

La consommation annuelle de sucre en Europe en 1830 était de 5 kilos par an et par personne. Aujourd’hui elle est de 35 kilos et de 70 aux Etats-Unis.

On dit volontiers qu’Homo Sapiens a un temps de réponse évolutive trop lent par rapport aux changements brutaux de notre environnement et de nos modes de vie.

Pourtant, en ce qui concerne sa capacité à absorber et métaboliser le sucre, l’adaptation évolutive a été excellente et immédiate. Seulement 10 à 20% d’obésité, pour une consommation multipliée par dix en moins de deux siècles, signifie une réactivité adaptative quasi instantanée, à l’échelle de l’évolution, pour 80 à 90% de la population.

 La médecine s’efforce de prendre en compte ces malheureux laissés pour compte de l’adaptation qui n’ont pas disposé des gènes qu’il fallait pour métaboliser l’arrivée massive d’autant de sucres en si peu de temps. Elle a bien raison de le faire, car ils le méritent et c’est son devoir.

Pour cela, elle essaie de fabriquer des comprimés. C’est touchant de candeur et désolant de lucre.

Comment imaginer que des comprimés puissent compenser un échec adaptatif ?

Nous avons d’ailleurs déjà la réponse à cette tentative aberrante puisque tous les médicaments de l’obésité sont retirés du marché un à un en raison de leur balance bénéfice-risque très défavorable. La physiologie crie au secours chaque fois que l’on veut la contraindre à remonter le temps. Chacun sait que l’évolution ne repasse pas les plats (si j’ose m’exprimer ainsi) !

Il y a peut-être une solution à ce problème, mais elle est si parcimonieuse du point de vue cognitif que j’hésite à l’exprimer.

Puisque 70 kilos de sucre par an est une moyenne. Cela signifie que les extrêmes de consommation peuvent varier entre 10 et 130 kilos. Puisque l’obésité ne touche que 15% de la population, il est licite de supposer qu’elle ne concerne que les 15% de ceux qui consomment le plus.

Ainsi, le déficit adaptatif ne se manifesterait qu’au-delà de 100 kilos de sucre par an, par exemple.

Limiter la consommation à 100 kilos pour les adultes et à 50 kilos pour les enfants pourrait être une première mesure de santé publique timide et possiblement efficace.

Les lobbies sucriers ne s’en plaindraient pas trop et il pourrait suffire de diminuer de 20% le nombre de distributeurs de sucreries à la sortie des écoles ou de diminuer de 20% l’apport de sucre dans l’industrie agro-alimentaire. Je parie que le PIB en souffrirait peu. Je sais que le PIB a une importance capitale pour notre santé et, à ce titre, je le respecte autant que je respecte les obèses qui sont les enfants fragiles de nos sociétés.

Ceux qui pourraient s’en plaindre davantage sont les marchands qui s’acoquinent avec quelques savants pour dénoncer les gènes comme seuls responsables de nos maux.

Ceux-là ne manqueront pas de noter que mes propos ont une certaine tendance à culpabiliser les obèses.

C’est vrai, il m’arrive d’oublier que les marchands ont le monopole de la compassion.

Comment avoir du retard ?

dimanche 19 décembre 2010

–              Docteur, j’ai du retard, m’avait dit cette jeune patiente sénégalaise avec un air triste.

J’hésitais à répondre, car il m’étonnait de constater une déception ou une inquiétude pour un retard de règles chez une jeune femme africaine.

C’est vrai qu’elle était accompagnée de deux enfants de deux et quatre ans et on pouvait imaginer qu’elle souhaitait en rester là, car les temps sont difficiles.

–              Très bien, et de quand datent vos dernières règles, m’enquis-je avec tout le professionnalisme qui convient à ce genre de consultation ?

–              D’hier, je les ai eues hier matin.

–              Excusez-moi, je ne comprends pas. Alors vous n’avez pas de retard.

–              Eh bien si j’ai du retard. J’ai arrêté d’allaiter le dernier depuis plus de trois mois et je ne suis pas encore enceinte.

C’est alors, et alors seulement, que j’ai compris qu’à l’heure de la globalisation, la médecine et le soin resteront toujours les moins exportables des cultures.

Ne martyrisons plus nos obèses

mardi 7 décembre 2010

L’obésité est une maladie où la prise en charge risque d’être blessante pour des patients qui vivent une double exclusion. Sociale en tant qu’enfants fragiles de nos nouveaux modes de vie. Médicale en raison de l’échec de toutes les thérapeutiques.

Lorsque l’obésité est définie comme une maladie environnementale, les obèses ont spontanément tendance à se sentir coupables. Nous devons les rassurer sur ce point, car le mode d’alimentation de l’adulte et la sédentarité ne sont qu’une infime part des causes environnementales de cette pathologie. La vie intra-utérine, le mode d’allaitement du nourrisson, l’alimentation de l’enfance, la sédentarité de petite enfance, les inflammations, les infections et les traitements antibiotiques perturbateurs du microbiote intestinal sont des causes environnementales majeures dont ils n’ont pas à assumer la responsabilité.

Cette déculpabilisation, ne règle hélas aucun des problèmes thérapeutiques, puisque le seul moyen d’espérer une amélioration est l’action sur le ratio calorique : diminution des entrées et augmentation des sorties. Ce qui suppose une volonté farouche et aboutit à de nouveaux échecs qui majorent la culpabilité et aggravent inévitablement la maladie. L’obésité est une ignominie morale et un cercle vicieux physique.

Ainsi, lorsque médecins et marchands leur proposent des traitements ou des régimes miracles, les obèses se jettent dessus avec l’avidité du désespoir. Clientèle captive d’un marché qui sait tirer habilement les ficelles de ces pauvres marionnettes.

Mais là n’est pas encore le pire…

La plupart des médicaments qui ont été proposés dans l’obésité se sont révélés non seulement inefficaces, mais aussi très dangereux. Après les retraits du marché du Pléthoryl en 1988, de l’Isoméride et du Pondéral en 1997, du Triacana en 2004 et du Sibutral en 2010, la récente mésaventure Médiator vient nous confirmer une fois de plus la toxicité de ce genre de traitement.

N’en doutons pas, de nouveaux traitements seront proposés et retirés du marché. Il semble pourtant tellement logique qu’une maladie environnementale ne puisse être traitée par un comprimé !

Comme nos patients obèses espèrent toujours un traitement actif en dehors de l’action sur le ratio calorique, ils sont définitivement incapables de refuser, par eux-mêmes, les comprimés que nous leur proposons. Ecoutons alors leur physiologie s’exprimer de plus en plus clairement : chaque nouveau traitement médical est un nouveau coup que nous leur portons.

Il est des  domaines de la médecine où, définitivement, seules la prévention et les règles hygiéno-diététiques ont droit de cité.

Souvenirs de Médiator

vendredi 19 novembre 2010

Le laboratoire Servier a toujours été un brillant marginal. Je me souviens que c’est le seul laboratoire qui m’a offert un livre écrit par son patron, Jacques Servier, un homme de conviction. Le titre du livre était : Le médicament, inventer ou mourir.  

Le laboratoire Servier se positionnait franchement comme un laboratoire de recherche et d’innovation. Cette image était un point fort de sa stratégie marketing. En cela, il ne différait pas des autres, mais il le faisait avec un petit côté franchouillard qui n’était pas pour me déplaire. J’avoue avoir, moi aussi, une certaine tendance cocorico.

Servier, c’était bien évidemment le gliclazide alias Diamicron®. Quel généraliste n’en a pas prescrit des tonnes ? On l’opposait volontiers au glibenclamide alias Daonil®. Il y avait une tendance qui faisait du Diamicron le sulfamide hypoglycémiant des généralistes et du Daonil celui des spécialistes. Ce genre de subtilités sans véritable base scientifique est difficile à interpréter. Il résulte probablement du marketing. Les mini-jupes des visiteuses Servier auraient-elles eu plus d’impact sur les généralistes que sur leurs éminents confrères ? Il ne me plaît guère de l’admettre. Les omnipraticiens étaient-ils plus patriotes tandis que l’atlantisme scientifique gagnait déjà les spécialistes qui ne pouvaient décemment pas prescrire une molécule à la fois gauloise et généraliste ? Je n’en sais rien, mais à défaut d’être logique, c’était intéressant à décrypter.

Servier, c’était aussi le Daflon® sur lequel, bien évidemment, je n’ai rien à dire.

Servier c’était aussi, hélas, l’interminable déclinaison des dérivés amphétaminiques, Pondéral® et Isoméride®, entre autres, sur le marché juteux de l’obésité qui montre régulièrement sa propension à passer brutalement de la gloire à la déchéance. Je regrette encore les quelques boîtes de Pondéral® que j’ai prescrit dans ma fougueuse jeunesse. Le récent retrait du Sibutral et de bien d’autres à venir, oblige à se poser définitivement la question du curatif en matière d’obésité. La physiologie nous signifierait-elle ainsi certains domaines où seul le préventif aurait droit de cité ?

Servier c’est aussi le Mediator® dont on parle beaucoup en ce moment. Si je cède, à mon tour, au panurgisme – qui n’est pas mon plus gros défaut – ce n’est pas pour tirer sur l’ambulance, mais en raison de souvenirs précis autour de ce désormais bien triste benfluorex.

Je commençais par être quelque-peu agacé par les méthodes de promotion de nos chers laboratoires, en particulier, je n’appréciais pas la fâcheuse habitude qu’avait pris Servier de toujours présenter des médicaments hors-catégorie. Chaque molécule n’appartenait à aucune classe déjà connue et inaugurait un groupe original. Quelle surprenante créativité ! Mediator était de ceux-là : ni sulfamide, ni biguanide, il était proposé dans le diabète de type 2. Je disposais déjà du Glucophage® et du Diamicron® (précisément) pour une pathologie qui ne me paraissait pas justiciable de l’engouement curatif international qu’elle continue de susciter. On a proposé bien d’autres classes thérapeutiques depuis, dont l’Avandia®, avec les nouveaux déboires que nous savons. Tout cela pour de fort maigres résultats, en termes de gain de vie[1], et pour une pathologie qui mérite d’être redéfinie[2].

Bref, j’avais provisoirement banni le Mediator de mes prescriptions. Ce bannissement est devenu définitif lorsque les indications de cette molécule ont, subrepticement d’abord, puis franchement ensuite, basculé vers l’obésité. Non pas que je néglige mes patients obèses, bien au contraire, je refuse d’ajouter un fardeau à celui qu’ils ont déjà à porter. Ainsi, la mollesse des hasards et la rigidité de mes principes ont réussi à m’épargner toute prescription de Mediator. C’est la vraie vérité. Pas un seul petit comprimé.

Pardonnez cette fierté dérisoire. Lorsque, comme tous mes confrères, je ressasse mes fautes, mes négligences et mes erreurs, dont certaines ont peut-être été des pertes de chances ou de vie, il est si bon de pouvoir s’extraire avec certitude d’une nouvelle culpabilité de la médecine.

Je souhaite de tout mon cœur que la liste des morts du Mediator n’augmente pas. Je compatis aux problèmes majeurs que doit affronter le personnel du laboratoire Servier. Je regrette pour eux qu’ils aient eu un ministère laxiste qui n’a pas su les arrêter à temps. Nous savons depuis bien longtemps qu’un marchand ne sait jamais s’arrêter tout seul, il faut l’aider. D’autres pays d’Europe ont réagi bien avant.  La franchouillardise, la peur d’augmenter le chômage ou de diminuer le PIB sont de vraies qualités jusqu’au moment de l’aveuglement qui les transforme en défaut.


[1] Boussageon R., Boissel J.P. Le traitement pharmacologique du diabète de type 2. Médecine. 2009 ; 5(10) : 443-8.

[2] Luc Perino. Diabète de type 2, une aberration nosographique. Médecine. 2010. 6(7) : 331-3.

Cancers : le slogan est grossier.

jeudi 4 novembre 2010

Toutes les campagnes incitant au dépistage des cancers répètent invariablement la même phrase. Chaque nouvelle découverte diagnostique ou thérapeutique en cancérologie est inévitablement encadrée par cette phrase : « 90% des cancers dépistés tôt guérissent ». Véritable « slogan » qui semble devoir résumer toute la communication autour de ce grave problème de santé individuelle et publique.

Cela est à la fois une vérité absolue et une déconcertante stupidité. Pour rendre ces deux assertions compatibles, il suffit de définir les mots et les concepts.

Qu’est-ce qu’un cancer ? Dans l’acception actuelle, un cancer est une tumeur qui évolue irrémédiablement vers la métastase et la mort. Peu importe que ce cancer soit clinique ou infra-clinique, c’est-à-dire perçu ou non par le patient. Le consensus actuel ne fait aucune différence entre un cancer dépisté et un cancer diagnostiqué.

Qu’est-ce que la guérison d’un cancer ? Ministères et spécialistes affirment d’un commun accord qu’un cancer est guéri lorsqu’en l’absence de récidive, le patient est vivant cinq ans après la découverte de la tumeur.

Ces deux définitions étant les piliers du paradigme, la phrase des 90% est exacte. On peut se permettre d’en faire un slogan et de le faire courir sur toutes les ondes sans risque d’être accusé de mensonge. Tout est pour le mieux.

Permettez-moi cependant de poursuivre…

Choisissons comme définition de la stérilité : une femme qui atteint l’âge de trente ans sans avoir eu d’enfants. Sur cette base terminologique, une femme qui a un enfant à l’âge de trente-deux est une femme stérile qui a eu un enfant. C’est absolument stupide, je le concède. C’est pourtant très exactement, et sans nuance, ce qui se passe en cancérologie.

Si une tumeur infraclinique, découverte par dépistage, est supposée apparaître cliniquement dans dix ans et vous tuer dans vingt ans, vous serez guéri cinq ans avant d’être cliniquement malade et quinze ans avant d’en mourir. Et si cette tumeur microscopique ne doit jamais évoluer ni vous tuer, vous en serez tout de même guéri et j’en suis ravi pour vous.

Pardon, je n’ai pas vraiment envie de plaisanter sur un sujet aussi dramatique, cependant, dans les deux cas, votre diagnostic et votre guérison seront comptabilisés de la même façon !

Etonnant, non !

La rigueur scientifique devrait commencer par définir le cancer et sa guérison. Un slogan pour inciter au dépistage relève de bons sentiments, pas de la science, sauf si le dépistage de masse fait la preuve de son efficacité. Hélas, les publications sont de plus en plus nombreuses pour dénoncer la très faible rentabilité en QALY[1] des dépistages de masse – je dis bien de masse – que plusieurs pays abandonnent. [2]

Les voies de recherche en cancérologie ne manquent pas. L’énorme affect qui entoure ce sujet en fait naturellement une cible politique et commerciale de premier plan. Alors, pour n’être jamais suspect de démagogie ni de vénalité, préférons la rigueur terminologique à une compassion vaine et désordonnée.

Ne prenons pas le risque majeur d’être contre-productifs. Souvenons-nous d’un excès de promotion vaccinale contre la grippe dont les premiers résultats néfatses apparaissent déjà en diminuant la couverture vaccinale d’autres vaccins très utiles.


[1] Quality adjusted life year. Ce qui signifie en bon français : années-qualité de vie gagnées.

[2] On trouvera une riche bibliographie dans : L. Perino. Il est urgent de repenser la cancérologie. Médecine, Vol 6, N° 4, 2010, p 170-174 et N° 5, p 228-232.

Médecine contre indicateurs sanitaires.

lundi 25 octobre 2010

Les indicateurs sanitaires sont les instruments de la science épidémiologique. Ils sont utiles pour évaluer une action sanitaire au niveau national ou mondial. Le grand public en connaît un certain nombre comme le taux de fécondité ou de mortalité. Les médecins utilisent souvent les notions de prévalence et d’incidence d’une maladie. Certains indicateurs tels que l’espérance de vie à la naissance ou la mortalité néo-natale ont également une dimension politique pour les nations. On découvre par exemple que la Suisse, le Japon et la France sont bien classés pour ces indicateurs, alors que les USA sont à la traîne. Même si cela pèse moins que la puissance militaire ou économique dans les négociations internationales, l’aspect éthique et moral de ces indicateurs leur confère une petite valeur géopolitique. Les premiers de la classe ont toujours une certaine fierté à le faire savoir.

Plusieurs publications récentes obligent à reconsidérer la promotion de ces indicateurs sanitaires. Après césarienne, par exemple, le risque plus élevé de mort d’un second enfant[1] ou la mortalité maternelle multipliée par trois[2]. La mortalité néo-natale plus élevée après une fécondation in vitro (FIV) avec injection de spermatozoïde dans l’ovule (ICSI)[3]. Les malformations néo-natales augmentées par le traitement de l’infertilité[4]. Sans parler des multiples études sur les handicaps désormais bien connus liés à la grande prématurité.

Il n’est évidemment pas question d’amoindrir ces progrès de la médecine qui ont permis d’offrir des enfants à des couples stériles ou plus simplement de permettre la vie à des nouveau-nés fragiles.

Mais force est de constater que ces même progrès médicaux deviennent un facteur de détérioration des indicateurs sanitaires, tout particulièrement en ce qui concerne la mortalité néo-natale.

En plus du paradoxe d’une médecine qui participe elle-même à faire baisser sa note, la question risque de se poser bientôt en termes géopolitiques…

Faudra-t-il faire la promotion de notre médecine ou de nos indicateurs sanitaires ?


[1] Smith G et coll. Caesarean section and risk of unexplained stillbirth in subséquent pregnancy. Lancet 2003, 362, p 1779-84.

[2] Deneux-Tharaux C et coll. Postpartum Maternal Mortality and Cesarean Delivery. Obstet Gynecol, 2006,108, p 541-548.

[3] Wisborg K et coll. IVF and stillbirth: a prospective follow-up study. Hum Reprod, 2010, 25, p 1312-6.

[4] Zhu JL et coll. : “Infertility, infertility treatment, and congenital malformations : Danish national birth cohort.” Br Med J 2006; 355: 679-81.