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Appelez vite le SAMU

jeudi 8 novembre 2012

Depuis peu, France Inter diffuse un message sur l’accident vasculaire cérébral (AVC), au prétexte que cette pathologie est devenue l’une des premières causes de mortalité en Occident.

Nous savions depuis plus d’un siècle que l’hypertension en était le principal facteur de risque. C’est pourquoi, les médecins disciplinés, alertés par de précédents messages, ont  prescrit chaque jour des tonnes d’anti-hypertenseurs.

Malgré cette précaution, la persistance des AVC nous obligea à réfléchir plus intensément.

La première idée fut de considérer que les chiffres de l’hypertension étaient faux. Les diagnostics étaient trop timides. Il fallait traiter des chiffres de pression artérielle beaucoup plus bas, car nul ne doutait qu’il existât une pression en dessous de laquelle il n’y aurait plus jamais d’AVC…

Comment la pharmacologie avait-elle pu négliger une telle évidence ?

Les médecins ont donc redoublé leurs efforts jusqu’à traiter la moitié de la population adulte (14 millions de personnes traitées aujourd’hui en France). L’effort de prévention a été planétaire puisque le marché mondial des antihypertenseurs approche les trente milliards de dollars.

Pourtant, malgré ces tonnes et ces milliards, l’AVC continue de caracoler en tête de la mortalité. Qu’avons-nous encore négligé pour que cet échec nous contraigne à alerter l’humanité sur les risques majeurs qu’elle court, au point de reléguer les infections tropicales à de la littérature ?

La pharmacologie vient enfin de trouver les trois raisons principales de cet échec. Elles viennent de nous être révélées par la Fédération Française de Cardiologie dans le cahier N° 21081 du très sérieux journal « Le Monde » daté du 30/10/2012.

1/ Les AVC surviennent de plus en plus jeune, c’est donc qu’il ne suffisait pas de traiter de plus en plus bas, il fallait traiter de plus en plus tôt.

2/ Les patients ne prennent pas assez de médicaments, car leurs médecins n’associent pas assez de classes thérapeutiques. Parfois des patients inconscients oublient de prendre leurs médicaments, ou les arrêtent parce que le traitement est trop cher ou mal toléré.

3/ Enfin, et surtout, les médecins sont trop inertes face à ce problème. Rien qu’en France, il y a encore quatre millions d’hypertendus sans traitement. En toute liberté ! Je vous laisse imaginer combien il y en a en Chine et au Nigeria. Certains médecins vont même jusqu’à penser que si le tonnage des anti-hypertenseurs n’a pas d’effets notoires sur les AVC, c’est peut-être que cette pathologie a des causes plus précises, telles que l’arythmie, ou plus générales, telles que les modes de vie. Ces médecins-là sont aussi en liberté.

Maintenant, je comprends mieux l’étonnante teneur du message de France Inter : « Dès que vous êtes témoins d’une bouche tordue, d’une difficulté à parler ou à marcher, chez l’un de vos concitoyens, appelez vite le SAMU. » Il faut désormais éviter les médecins qui risquent de négliger votre AVC comme ils ont négligé l’hypertension préalable qui l’a provoqué. Le SAMU débouchera vos artères en urgence, ainsi la mort qui n’avait pas été anticipée par votre médecin négligeant, pourra être évitée.

Malgré la honte qui m’accable, je suis ravi de savoir que le problème des AVC va pouvoir enfin être réglé. Ce message fait suite à ceux d’octobre rose sur le cancer du sein. Les dépistages généralisés de plus en plus précoces vont donc éradiquer tous les cancers et toutes les maladies cardio-vasculaires.

La mort n’aura désormais qu’une seule cause : la vieillesse. Les symptômes d’alerte médiatique pourront alors être encore plus simples : « si vous constatez que quelqu’un est vieux… »

D’ici là, n’égarez pas le numéro du SAMU…

Après l’étude de Tuskegee

vendredi 19 octobre 2012

En 1932, à Tuskegee en Alabama, quelques médecins américains souhaitèrent étudier plus à fond la syphilis, un des deux fléaux d’alors avec la tuberculose.

Leur étude visait tous les stades évolutifs de la syphilis et de ses complications, par l’examen détaillé des signes cliniques biologiques et radiologiques, jusqu’à l’autopsie finale des patients.

Pour en observer l’évolution « naturelle », il fallait supprimer tous les traitements et laisser les patients vaquer à leurs occupations. Si nous jugeons cela avec les yeux de cette époque où les traitements, à base d’arsenic,  étaient toxiques et peu efficaces, l’éthique est presque sauve.

Ils avaient sélectionné un groupe de métayers afro-américains, c’est une façon élégante de dire de « pauvres noirs ». Même avec les lunettes de l’époque, l’éthique venait de prendre un premier mauvais coup. Soyons encore indulgents puisque les patients recevaient un repas chaud par jour ainsi que des soins gratuits pour leurs autres maladies. La famille recevait même 100 dollars pour les obsèques, à condition de donner son accord pour l’autopsie.

En 1943, la découverte de la pénicilline fit faire un bond historique à la médecine. Ce médicament se révéla immédiatement efficace sur toutes les formes de syphilis et fit disparaître ce fléau en quelques décennies… Sans résistance connue à ce jour.

Les chercheurs de l’étude de Tuskegee ont alors dissimulé les informations sur la pénicilline à leurs patients. Ils ont même réussi à les faire dispenser de la guerre en cours, car l’armée soignait ses soldats avec la pénicilline, ce qui aurait perturbé l’étude. Là, nous ne pouvons plus pardonner, mais nous voulons trouver une circonstance atténuante dans cette guerre terrible où les morts par milliers pouvaient rendre dérisoires les souffrances terminales de quelques patients syphilitiques.

Pourtant, la paix ne modifia pas leur entêtement, puisque cet essai clinique s’est prolongé pendant trente ans. Ici, ni pardon, ni circonstance atténuante. En 1967, un médecin de santé publique du nom de Peter Buxtun, avait alerté les autorités, sans succès, jusqu’à ce qu’il parvienne à faire éclater le scandale par la presse en 1972.

L’intérêt historique de cette étude est d’être à l’origine de l’adaptation des lois de bioéthique aux essais cliniques et de la création des organismes de contrôle des expérimentations humaines à la fin des années 1970.

Elle présente deux autres intérêts moins souvent relevés.

Les « gentils » étaient alors les industriels qui avaient mis au point un traitement miraculeux que de « méchants » médecins interdisaient à leurs patients. Aujourd’hui, la situation est inverse, il faut tricher pour donner des traitements aux bien-portants. Les nouvelles lois de bioéthique ayant « dispersé » les « méchants », l’industrie n’a aucune peine à trouver les « coquins » qui leur succèdent. C’est simplement plus cher.

Cette histoire nous révèle enfin que l’éthique ne semble pas être innée chez les normatifs, puisque l’administration l’ignore tant qu’elle n’a pas été contrainte de pondre des lois pour la définir. C’est pour cela que les affaires et les scandales continuent, puisqu’il subsiste de nombreux registres et sous-registres où la loi reste à (ré) inventer, à défaut de morale primate.

Merci aux normopathes et aux nosophobes

jeudi 4 octobre 2012

La normopathie se définit comme le trait d’une personnalité qui se conforme aux normes sociales de son époque sans se poser de questions, ni éprouver de culpabilité, de contrainte ou de frustration.  Sans que, jamais, sa subjectivité ne s’exprime d’une quelconque manière.

Même le mal, lorsqu’il est érigé en dogme, comme ce fut le cas à certaines périodes de l’Histoire, peut se répandre sans résistance chez les normopathes. C’est ce qu’a évoqué Hannah Arrendt, spécialiste des dictatures et génocides du XX° siècle, sous le terme de « banalité du mal ».

Pour l’ingénierie biomédicale qui a désormais remplacé la médecine clinique, le normopathe est un patient idéal qui se conforme à tous les mots diagnostiques et à toutes les décisions thérapeutiques sans jamais émettre le moindre doute. Le normopathe finit par ne plus savoir s’il est porteur d’une maladie individuelle, car ses douleurs et ses symptômes sont ceux que la médecine lui a attribués.

Après un scanner, le normopathe perd sa souffrance subjective pour assumer celle que lui dicte la subjectivité du radiologue. Le normopathe accepte sans rechigner toutes les amputations des parties de son corps où l’anatomopathologiste a détecté une cellule suspecte.

Son cousin, le nosophobe diffère par la part de rêve et de romantisme dont le normopathe est dépourvu. La nosophobie (noso = maladie) est la peur omniprésente d’attraper la maladie dont on parle. Beaucoup d’étudiants en médecine ont eu une courte période de nosophobie devant l’énumération sans fin des maladies possibles. Le nosophobe se soumet à tous les dépistages organisés, sa peur du H5N1 ou d’autres virus est proportionnelle à la durée de leur exposition médiatique, il ressent les déficits cognitifs et les excès de cholestérol dès que les épouvantails pharmaceutiques les brandissent.

Les normopathes et les nosophobes sont une aubaine pour le commerce médical, car ils permettent de multiplier les actes à l’envi. Dans notre système inflationniste de paiement à l’acte, indépendant de la teneur de l’acte, les normopathes et les nosophobes finissent toujours par dompter les praticiens les plus récalcitrants au lucre… Ma maison, comme celle de mes confrères médecins, radiologues ou chirurgiens a été largement financée par les normopathes et les nosophobes. Nous ne les remercierons jamais assez.

Le ministère de la santé devrait tenter d’éradiquer la nosophobie avant même de s’attaquer à toutes les autres pathologies. La Sécurité Sociale devrait faire la chasse aux normopathes, ces dilapidateurs de deniers publics. Or, il n’en est rien, le Ministère stimule la nosophobie par le truchement des médias qui relaient sa démagogie et la Sécurité Sociale donne des primes aux médecins qui dépistent les maladies inconsistantes que les normopathes endosseront avec discipline. Allez comprendre !

On ne peut même plus montrer du doigt les médecins cupides qui s’engraissent sur le dos des normopathes et des nosophobes, car ils le font avec la bénédiction du Ministère et les encouragements de la Sécurité Sociale

Et toujours plus de résidences secondaires vacantes, ouvertes deux semaines par an, vont venir polluer notre littoral.

Vive mon ADN poubelle.

mercredi 19 septembre 2012

Tout individu vivant s’inscrit dans une double hiérarchie.

Une première hiérarchie, d’ordre généalogique, confère une place précise, dans les rameaux de l’évolution, à l’espèce à laquelle appartient cet individu. C’est sa position dans l’histoire de la vie, cette place phylogénétique est inscrite exclusivement dans ses gènes.

La deuxième hiérarchie est celle de son environnement naturel, dans lequel il établit les conditions de sa survie et de sa reproduction par un jeu complexe de symbioses et de conflits. C’est sa place écologique. Les gènes participent aussi à cette inscription hiérarchique, mais ce sont plus certainement les protéines les métabolismes et les synapses qui sont les acteurs de ces histoires individuelles quotidiennes.

Après quelques décennies de règne absolu de la génétique sur la biomédecine, nous découvrons avec stupéfaction que seulement 2% du génome sert à coder les protéines constitutives d’un individu et de sa physiologie spécifique. Comme nous ne savions pas à quoi servaient les 98% restants, nous l’avons nommé « l’ADN poubelle ». Un peu comme nous avions traitées de « fonctionnelles » toutes les pathologies qui n’étaient pas « anatomiques ».

Nous commençons à comprendre que cet ADN poubelle contribue très certainement à réécrire notre histoire chaque jour. Il reprogramme l’expression du génome, le codage des protéines, les métabolismes et fait des tas d’autres choses dont nous n’avons pas encore les clés d’exploration.

Les 2% d’ADN « officiel » ont servi de base aux recherches qui ont conduit la biomédecine au « génie génétique » qui fait notre admiration.

Les 98% d’ADN restants vont-ils conduire jusqu’au génie écologique ou symbiotique qui permettra à la science de découvrir enfin l’individu dans ses relations à l’environnement ? Espérons-le.

Quel bonheur de constater qu’il nous reste encore 98% de nous-mêmes à découvrir. Je ne peux m’empêcher de penser à la joie des astrophysiciens en découvrant, avec la matière noire, que 90% de la masse de l’univers leur était inconnue. Que de beaux programmes scientifiques en perspective !

Grande est ma joie d’individu d’avoir enfin la preuve que mon génie symbiotique est supérieur à mon génie génétique, car si l’histoire de l’évolution me fascine en tant que biologiste, je ne me désintéresse pas totalement de mon histoire personnelle.

Le médecin que je suis peut désormais sourire librement des marchands de gènes qui continuent à chercher ceux de l’obésité, de la schizophrénie, de l’Alzheimer, voire de l’allergie ou de l’homosexualité !

En tant que clinicien, je supputais que le génie symbiotique de mes patients n’avait jamais été considéré avec l’égard qui lui était dû. Aujourd’hui, ces suppositions se transforment en certitude et la « matière noire » de la clinique nous offre les plus belles promesses de progrès…

Soyons donc aussi enthousiastes que les astrophysiciens.

Quelles générations futures ?

mercredi 5 septembre 2012

Le problème des « générations futures » accompagne les débats médiatiques autour des deux thèmes actuels que sont la dette et l’écologie.

Deux questions culpabilisantes reviennent comme un leitmotiv. Pouvons-nous laisser s’accumuler une telle dette sur le dos de nos enfants ? Que diront les générations futures en constatant l’état du monde que nous leur avons laissé ?

Les études démographiques réalisées depuis ½ siècle sont unanimes : le niveau de fécondité d’une société est strictement corrélé à son niveau de pauvreté et donc inversement corrélé à sa richesse.

Des analyses plus précises révèlent que la fécondité d’une société baisse lorsque son économie s’éloigne du secteur primaire, pour atteindre un minimum dans les sociétés financières où l’économie est devenue virtuelle. Pour le niveau de la dette, on observe un rapport inverse. Les sociétés agricoles sont les plus fécondes et les économies tertiaires et virtuelles sont les moins endettées.

Quant au facteur écologique, les preuves s’accumulent pour pointer les pesticides et perturbateurs endocriniens comme responsables de l’infertilité et de la baisse de la spermatogenèse. La contribution de ces nouveaux agents polluants à la baisse de la fécondité est certes plus faible que l’enrichissement des sociétés, mais elle y contribue certainement.

Si la financiarisation et la pollution se révèlent bien être les deux principaux facteurs de la baisse de la natalité dans le monde, le leitmotiv des générations futures devient soudain moins pertinent lorsque c’est le monde Occidental qui pose cette question… En effet, y aura-t-il des générations futures en Occident pour constater la dette et la pollution ?

Quant aux peuples qui ne sont pas concernés par ces deux sujets, ils pourraient s’étonner de nous voir soudain préoccupés par le sort des enfants qu’ils continuent à nous faire, alors que leur sort actuel ne fait pas l’objet d’une telle attention.

De toute évidence, les générations futures ne sont pas notre problème, mais le leur. Ils sont donc en droit de dire à nos débatteurs financiers et écologistes :

–                     mais de quoi je me mêle ?

Erreurs grossières de la cancérologie

lundi 20 août 2012

En cancérologie, il importe de bien distinguer les cancers cliniques et les cancers dépistés. Un cancer clinique est celui qui s’est manifesté par un signe ou symptôme quelconque auprès du patient qui en est porteur. Un cancer dépisté est celui qui ne s’est jamais manifesté et que l’on a cherché à révéler par diverses méthodes. Par définition un cancer dépisté n’est pas clinique, on dit qu’il est infraclinique ou préclinique.

Il ne faut pas mélanger ces deux types de cancer pour au moins une raison majeure : personne ne peut, aujourd’hui, connaître le devenir clinique des cancers dépistés, précliniques ou infracliniques. Certains d’entre eux deviendront, hélas, cliniques, métastatiques ou mortels, d’autres, au contraire ne deviendront jamais cliniques, ni, a fortiori, métastatiques ou mortels. Cette inconnue transforme en erreur grossière le fait de les prendre en bloc comme objet d’étude ou comme objet statistique.

Toujours en cancérologie, on mesure les résultats de l’action médicale en parlant d’années de survie après le diagnostic. Il est bien évident que le taux de survie d’un cancer dépisté est supérieur à celui d’un cancer clinique. Mais, contrairement à ce qui est répété à l’unisson par les cancérologues et les médias, cela ne donne aucune indication sur notre réelle action médicale sur les cancers au niveau de la population. Cela ne fait que confirmer une évidence d’ordre temporel : il s’écoule plus de temps de vie après un cancer dépisté qu’après un cancer clinique.

Une première évidence de cette erreur conceptuelle apparait bien dans les chiffres de survie habituellement cités. Les meilleurs survies sont celles des cancers généralement dépistés (sein, prostate) et les moins bonnes, celles des cancers diagnostiqués (foie, poumon, pancréas). Nous avons déjà des preuves incontestables que de nombreux cancers du sein et de la prostate ne deviennent jamais cliniques.

L’autre erreur grossière de la cancérologie est de définir la guérison par une survie supérieure à 5 ans après le diagnostic, sans aucune récidive ni métastase. Cette définition conventionnelle signifie, de façon ridicule, qu’un cancer dépisté plus de 10 ans avant de devenir clinique sera guéri 5 ans avant même d’exister.

Un jour, n’en doutons pas, nous arriverons à dépister chacune des cellules cancéreuses de l’organisme. Ainsi, avec la terminologie actuelle, tous les cancers seront guéris longtemps avant d’apparaître. Qui peut être assez stupide pour croire que cela signifiera la disparition totale et définitive de tous les cancers ?

Entretenir de telles confusions dans l’esprit du public n’est pas conforme à l’image de la science et comporte même un risque de contre-productivité sanitaire en nous éloignant d’une véritable recherche fondamentale sur ce fléau de l’humanité.

Garder sa tête

lundi 6 août 2012

Enfant, j’entendais les adultes parler de certains vieillards avec une admiration qui se résumait en une phrase : « il a gardé toute sa tête. » Ne pas avoir perdu une partie de sa tête devait être un exploit dont je mesurais mal l’importance.

Un peu plus tard, je compris la synonymie entre « tête » et « raison ». Une telle synonymie n’existait pas pour les jambes ou les yeux,  on disait rarement de ceux qui marchaient mal ou voyaient mal qu’ils avaient perdu leurs jambes ou leurs yeux.  La vacuité de la tête semblait plus dramatique que celle des jambes ou des yeux.

La suprématie de la raison chez l’homme m’apparut logiquement avec l’âge de raison. Cependant, je ne percevais pas encore les subtiles différences de sénilité. Pourquoi disait-on de ceux qui avaient « perdu leur tête » qu’ils étaient séniles ? Les autres ne devaient donc pas être de véritables vieux… L’adolescence me fit comprendre enfin qu’il fallait être un proche parent pour percevoir ces nuances de la sénilité.

Mes années d’études en médecine m’amenèrent à mieux réfléchir. Tous les organes vieillissent et s’usent irrémédiablement, le cerveau comme les cartilages, la peau ou les oreilles. Les causes sont multiples : insuffisance d’irrigation vasculaire, dégénérescence cellulaire, usure mécanique, etc.

On m’apprit à distinguer deux démences : la maladie d’Alzheimer et la démence vasculaire, l’une dégénérative et l’autre vasculaire. Lors de mon internat, il y avait beaucoup de démences vasculaires et très  peu d’Alzheimer. Aujourd’hui, le rapport des diagnostics s’est complètement inversé. S’agit-il d’une découverte médicale, d’une stratégie diagnostique ou d’un changement de façon de vieillir ? Je n’en sais rien.

Je viens d’apprendre récemment que les causes de la maladie d’Alzheimer sont multiples, mais que la cause vasculaire y est, en fin de compte, prépondérante.

Quel ébahissement de ma maturité que de constater que malgré la finesse des diagnostics étiologiques et malgré le désordre chronologique du vieillissement des organes, on finit toujours par vieillir par tous les bouts.

Auto-immunité

lundi 16 juillet 2012

Les anti TNF font partie des avancées thérapeutiques notables de ces dernières années.  Prescrits essentiellement dans la polyartrhrite rhumatoïde, Ils améliorent la qualité de vie des patients. Nous n’avons pas encore assez de recul pour connaître leur impact sur la quantité de vie, mais les patients soulagés de leurs douleurs ne se préoccupent guère de cet aspect à long terme. On les comprend.

Les anti TNF sont aussi prescrits dans d’autres maladies auto-immunes telles que les colites inflammatoires, (Crohn, RCH), la spondylarthrite ankylosante, le rhumatisme psoriasique ou même le psoriasis.

Un des effets secondaires  les plus paradoxaux de ces molécules est l’induction d’un psoriasis. Ce n’est certes pas la première fois qu’un traitement induit une maladie, mais il est rarissime qu’il induise la maladie qu’il est supposé guérir.

Les maladies auto-immunes continuent à garder leur secret. Même si l’on a esquissé le principe physiopathologique général, le clinicien reste ignare devant leur évolution cyclique et capricieuse et l’énorme disparité de leurs formes et de leur gravité.

Les spécialistes, garants des prescriptions difficiles dans ces maladies auto-immunes, doivent se méfier des tentatives de banalisation. Que ceux, qui verraient cette mise en garde d’un praticien de terrain comme un crime de lèse-majesté, veuillent bien poursuivre…

Ce n’est pas par hasard que les diagnostics de spondylarthrite et de rhumatismes psoriasiques ont augmenté depuis l’apparition de ces molécules.  Les incitations à l’éveil clinique autour de ces pathologies ont été nombreuses. Tel clinicien est fier d’avoir enfin trouvé le diagnostic exact de cette « lombalgie » traînante que ses confrères avaient négligée. Tel autre se félicite d’avoir fait le lien entre ces douleurs articulaires fugaces et la dermatose des plis dont nul n’avait suspecté l’origine psoriasique.

C’est vrai, l’expertise clinique n’en finit pas de s’améliorer et de forcer mon admiration. Piètre clinicien que celui qui a décelé la spondylarthrite de son patient à 35 ans, alors que son histoire montre a posteriori que la pathologie a débuté quand il avait 15 ans.

Depuis que les anti-TNF sont sur le marché, ces retards diagnostiques « coupables » ne se verront plus. Tous les spécialistes sont en éveil pour ne plus rater les diagnostics subtilement déplacés sous les feux de la rampe.

Lorsqu’existe un traitement pour des pathologies où le diagnostic progresse plus vite que nos connaissances physiopathologiques, la prudence est la première règle. Nous savons que la frontière est parfois ténue entre diagnostic précoce, surdiagnostic et surtraitement.

Ce psoriasis paradoxal induit vient-il opportunément nous rappeler que l’auto-immunité est encore plus complexe que tout ce que nous supposions?

Débats entre soi

lundi 2 juillet 2012

Débats entre soi

Un grand média organise un débat d’opinion sur la parité hommes-femmes dans l’entreprise. Les trois invités sont trois mâles caucasiens, directeurs d’entreprise, à costume gris sombre et cravate.

Supposons que ces hommes aient réellement des idées modernes sur la libération de la femme et soient sincèrement favorables à l’égalité des sexes. Supposons enfin que nous croyions à leur sincérité. Ces deux présuppositions n’empêcheront pas la pauvreté du dialogue. Nos interlocuteurs devant réajuster en permanence le fond et la forme de leurs propos pour contraindre leur sincérité et contourner leur statut.

Un autre média organise un débat politique où les trois invités sont trois membres actifs du front national ou d’un quelconque autre parti. Nous n’avons rien à présupposer pour imaginer l’ennui mortel du débat.

Imaginons à l’envi un débat sur la dépénalisation de la drogue où les trois invités seraient des dealers, ou un autre sur l’euthanasie où les trois invités seraient des prêtres, etc.

Il serait injuste de me reprocher quelque fantaisie de chroniqueur ou d’agitateur d’idée. Les sujets médicaux sont régulièrement à l’origine de ce genre de débat sans contradicteur sur les plus grands médias et pour le plus large public. Les invités y sont mâles et caucasiens, hauts responsables dans leur spécialité, ingénieurs biomédicaux, fort éloignés de la médecine basée sur le réel et adaptant volontiers les preuves à la promotion de leur spécialité.

Il convient de préciser ici que chaque spécialiste considère sa spécialité comme une priorité de santé publique. Le nombre de priorités de santé publique va donc croissant régulièrement comme le nombre de spécialités et d’hyper-spécialités.

Je dois fournir des preuves. Leur liste est interminable. J’en choisis une au hasard sur un sujet qui méritait au moins l’intervention d’un médecin généraliste ou d’un patient inutilement mutilé.

C’était sur un grand média au sujet du cancer de la prostate. Les trois invités étaient trois professeurs d’urologie dont l’un était le président de l’association française d’urologie ! [1] Qui dit mieux ?

La polémique n’a même pas eu lieu. A vrai dire, la polémique est déjà dépassée, tant la médecine est prise en défaut sur ce dossier. Nos trois urologues pouvaient-ils en convenir au cours d’une si belle émission promotionnelle de leur spécialité ?

Ce débat a fini comme prévisible par tourner avec une discrète subtilité autour du spectre du « n’attendez pas qu’il soit trop tard pour vous informer »…

Et en plus de toutes ces menaces qui pèsent sur nous, il y a des trains qui n’arrivent pas à l’heure.


[1] France Inter. Mercredi 15/09/2010. Emission « Le téléphone sonne ». Invités :

– Professeur Pascal Richman : Président de l’Association française d’urologie

– Professeur Laurent Salomon, professeur d’urologie à Henri Mondor.

– Professeur Stéphane Droupy, professeur d’urologie au CHU de Nîmes.

Somatogenèse ou psychogenèse

lundi 18 juin 2012

Cela fait vingt ans déjà que dans son « anthropologie de la maladie »[1], Laplantine affirmait que la médecine accepte de plus en plus l’idée d’une somatogenèse des maladies mentales et de moins en moins celle d’une psychogenèse  des maladies somatiques.

Le mouvement s’était amorcé depuis longtemps avec les fissures de plus en plus visibles de la mythologie freudienne. Oui le cerveau était un organe comme les autres soumis à la génétique, aux pathologies congénitales ou gravidiques, à la chimie des drogues et médicaments, aux polluants, aux virus, aux parasites et au système immunitaire.

L’estomac ou le colon, avec leur physiologie orientée vers la digestion, présentent des manifestations pathologiques révélées par des troubles du transit et de la digestion.  Il est naturel que le cerveau, physiologiquement orienté vers des processus mentaux, manifeste ses pathologies par des troubles mentaux. Il faut être théiste pour penser que le cerveau humain a une origine céleste, ou être misogyne, comme l’était Freud, pour penser que ses dysfonctions proviennent de la mère ou de la grand-mère.

N’en doutons pas, le processus de la somatogenèse des maladies psychiatriques est irréversible dans un monde ou l’IRM a remplacé le surmoi. Tant mieux.

Fallait-il pour autant s’empresser de rejeter la psychogenèse des maladies somatiques ?  Il n’y aurait donc plus de psychogenèse pour aucun organe quel qu’il soit, cœur, cerveau, peau ou thyroïde. Le clinicien attentif ne peut s’y résoudre.

Le psychisme existe indépendamment de toute pathologie. Le profil anxieux, l’imagination créatrice, la capacité d’empathie ou la faculté de syntonie sont des caractéristiques individuelles comme le sont la couleur des cheveux, la tonicité veineuse ou le périmètre thoracique. Nul ne peut nier la composante psychique du seuil de douleur, l’effet du stress sur le transit et la tension artérielle ou le rôle de l’émotion sur le niveau de la réaction allergique.

La couleur des yeux oriente l’appariement sexuel, donc la vie de couple qui s’en suit. La taille influence la carrière professionnelle, donc la quantité cumulée de stress. Les parents modulent l’imagination créatrice et le degré d’autonomie qui feront accepter ou refuser une intervention chirurgicale, avec des conséquences majeures sur toute la médicalisation qui peut en découler. L’anxiété porte au dépistage des maladies qui majore à son tour l’anxiété en un interminable cercle vicieux générateur de pathologie iatrogène.

Savoir démêler les subtiles intrications entre la psychogenèse, la somatogenèse, l’environnement et l’histoire individuelle relève d’une grande expertise clinique. Il serait erroné de croire que cette expertise  a disparu. Elle est au contraire mieux aiguisée chez un grand nombre de mes confrères généralistes. Elle n’a simplement plus jamais droit de cité, car la cité adore un nouveau dieu Soma qui règne sur la pathologie comme, en son temps, un certain Yahvé domina l’anthropologie.

Ce dieu-là néglige les patients, les médecins et la science qui se prosternent mal.


[1] François Laplantine. « Anthropologie de la maladie ». Payot. 1992. P 101.