Archive pour la catégorie ‘Non classé’

Épiques équipées coronaires

mercredi 20 janvier 2021

Le cœur des humains semble trop gros pour les fines artères chargées de l’irriguer. Ces artères coronaires se révèlent aussi très sensibles au stress. Elles s’encrassent plus vite que les autres et sont particulièrement sensibles aux milles poisons du tabac.

Les ennuis que cause cette singulière tuyauterie ont incité les cardiologues à la déboucher, réparer, dilater, remplacer, récurer. Cette logique plombière est conforme à celle de leurs patients qui, pour déboucher leur lavabos, utilisent la ventouse ou la soude selon leur sensibilité mécaniste ou chimiste.  

Certains chirurgiens ont osé remplacer les coronaires par des artères mammaires, plus grosses, donc supposées plus efficaces. D’autres, plus aventuriers, les ont ouvertes pour les râcler. Dans les années 1960, elles ont été remplacées par des veines dont on espérait naïvement qu’elles pourraient se transformer en artères.

Toutes ces chirurgies lourdes nécessitaient une circulation extracorporelle. L’exploit technique masquait les maigres résultats sur l’espérance de vie.

Cette médiocrité a enfin été dénoncée lorsque les progrès de la miniaturisation ont permis d’aller fouiller dans les artères coronaires sans ouvrir le thorax. En 1977, un médecin eut l’audace de dilater une coronaire en gonflant un ballonnet fixé sur un cathéter. Idée saugrenue qui révolutionna la chirurgie coronaire, la faisant passer de la barbarie à l’orfèvrerie. Changement de statut qui a donné des ailes aux cardiologues et à leurs patients, sans jamais entamer leur logique plombière…

Les innovations se sont succédé à un rythme de paradis. On a remplacé le ballonnet par de petits ressorts (stents). Double avantage, pour les patients dont l’artère restait dilatée et pour les fabricants de cet acier inoxydable facturé à cinq millions d’euros le kilo. Puis, constatant que ces stents se rebouchaient presqu’autant que les artères, on les a enduit de produits chimiques pour limiter cet encrassement secondaire. On parla de « stents actifs », dont le coût, cinq fois plus élevé, se justifiait par l’alliance entre mécanique et chimie, conciliant les adeptes de la ventouse et ceux de la soude. Hélas, tout cela modifiait peu la mortalité coronaire. Aujourd’hui des armatures résorbables ont remplacé l’acier permettant de rendre, à terme, sa virginité morbide à l’artère coronaire.

Les cardiologues pourraient avec raison juger mes sarcasmes injustes. Qui ne tente rien n’a rien. Ces merveilles de technologie imposent le respect, et leur effet placebo sur les chirurgiens se répercute logiquement sur leurs patients. Mais comme je tiens à mon esprit critique autant qu’à mes coronaires, maintes publications m’ont confirmé que la chirurgie coronaire est une coûteuse futilité en termes de gain de quantité/qualité de vie.

Enfin, un ami cardiologue m’a confié que la suppression du tabac et des sofas est bien plus efficace, mais que sans eux, il serait au chômage.

Il m’a fait promettre de ne pas le répéter.

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Je suis un virus

lundi 11 janvier 2021

Il est difficile de se mettre dans la tête des virus : ils sont les plus éloignés de nous dans la généalogie du vivant et n’ont pas de tête. Néanmoins, ils répondent comme nous à la première loi de l’évolution : se reproduire et diffuser. Sur ces deux points, nous sommes experts parmi les vertébrés, ils le sont parmi les microorganismes. Notre supériorité est l’autonomie reproductrice, alors qu’eux dépendent d’un hôte pour se reproduire. L’évolution a compensé ce handicap majeur des virus par de multiples avantages patiemment sélectionnés, comme s’ils avaient finalement une « petite tête » dans laquelle je vais tenter de m’immiscer.

Je suis un virus. Mon hôte est tout pour moi : transport, nid, garde-manger, diffusion de ma progéniture. Je dois le chérir, le respecter, voire l’assister ou le protéger de mes méchants concurrents. Ma réussite est totale lorsque mon hôte arrive à ignorer ma présence. Je dois bien choisir l’espèce à coloniser, certaines m’éliminent vite, d’autres comptent trop peu d’individus – les ours blancs risquent d’être une impasse pour ma progéniture. La virulence est la pire des stratégies, car la mort de l’hôte signe la mienne. Je peux me permettre d’être virulent avec les bactéries, car elles se reproduisent souvent avant que je les tue. L’idéal est de coloniser plusieurs espèces, mais c’est ardu. Je sais utiliser les comportements de mon hôte au profit de ma diffusion. Les copulations des mammifères sont un excellent passeport d’un individu à l’autre. Le sang peut être utilisé chez les animaux qui se mordent, ou la peau chez ceux qui s’entassent dans la même niche.

Homo sapiens est le diffuseur idéal : des milliards d’individus qui se frottent à toutes les espèces et se mélangent de mille façons. Chez lui, je dois éviter les symptômes trop visibles qui le conduisent à se réfugier au fond d’un lit, gênant ainsi ma diffusion. Il a aussi ajouté des armes techniques à son armada immunitaire. Je dois alors savoir profiter des symptômes que j’ai parfois provoqué, malgré moi. La toux a longtemps été ma meilleure alliée pour passer d’un homme à l’autre. Mais maintenant qu’ils sont très nombreux et ne cessent de bouger, leur peau et leur respiration suffisent à garantir mon avenir sur toute la planète. Hélas, la discrétion devient difficile, car ils sont de plus en plus vigilants. J’ai beau sélectionner les moins virulents de ma progéniture, épargner leurs embryons et leurs enfants, les hommes cherchent maintenant à me détecter même quand ils n’ont pas de symptômes. Ils ont désormais des comportements imprévisibles, comme cesser de bouger, de se réunir, de se toucher ou de parler, jusqu’à bouleverser dangereusement leur écologie comportementale.

J’ai déjà commencé à sélectionner mes descendants les plus contagieux et ceux qui peuvent échapper à leurs tests. Mais la route sera longue, car les hommes vont jusqu’à accuser injustement ceux d’entre mes frères qui se sont malheureusement fourvoyés chez un mourant ou un hôte sans avenir.

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Le babouin de Buffon

vendredi 1 janvier 2021

L’Histoire des sciences de l’évolution cite toujours l’impétueux Lamarck et le méticuleux Darwin, mais elle oublie souvent le pragmatique Buffon, véritable précurseur de la modernité dans les sciences de la vie et de la terre. Premier naturaliste à oser affirmer que les espèces se transformaient, il est aussi celui qui les a définies selon le critère unique de réussite de la reproduction. La définition d’une espèce comme un ensemble d’individus interféconds est toujours d’actualité. Écologue, avant l’heure, il a noté le rôle des oiseaux dans la dispersion des graines.

Buffon était convaincu que la Terre ne s’était pas transformée par une suite de catastrophes géologiques, comme on le croyait alors, mais que sa transformation était lente et graduelle. Il a suggéré, le premier, une possible dislocation et dérive des continents. Comme il possédait une forge, il a évalué l’âge de la Terre à près d’un milliard d’années, en extrapolant à partir du temps de refroidissement d’une boule de métal chauffé au rouge. Pour lui, le temps était le « grand ouvrier de la Nature ». Mais, pour la Monarchie et l’Église, l’âge officiel de la Terre était de 6000 ans, il n’osa donc pas publier ses travaux par crainte de perdre les subsides de ses protecteurs conservateurs et religieux.

Son plus grand talent a été celui de vulgarisateur. Ses 36 volumes de l’Histoire naturelle sont incontestablement le premier grand ouvrage de vulgarisation. Ses pairs lui ont reproché d’avoir trop voulu plaire au grand public. Il en est ainsi de certains chercheurs qui confondent rigueur et austérité. C’est pourtant grâce à Buffon que sont nées de nombreuses vocations de chercheurs et que les souverains du monde entier ont financé le Muséum d’Histoire naturelle de Paris dont il fit le plus beau musée de son époque et le plus dynamique centre d’enseignement et de recherche en sciences de la vie.

Sa seule « erreur » a été de refuser une quelconque parenté entre l’Homme et les animaux. Il a pourtant enfreint cette règle au moins une fois d’une amusante manière. Ruiné par le gestionnaire de sa forge, il dut passer par des bailleurs de fonds pour financer ses recherches. L’un d’entre eux, un soyeux lyonnais, nommé Babouin, lui intenta un procès pour le remboursement de ses créances. Il s’est vengé dans la rédaction de son Histoire naturelle, en donnant le nom de « babouin » au singe cynocéphale que chacun connait, et il en fit une description abominable. Les naturalistes ignoraient alors la pratique de l’infanticide chez certains mammifères et primates. Or le babouin est l’une des espèces ou l’infanticide pour soumettre les femelles est un comportement fréquent. Si Buffon l’avait su, ne doutons pas que sa description eut été encore plus abominable.

Comme les croyances religieuses ou les soumissions politiques, les problèmes financiers peuvent pervertir la science. Buffon, qui refusait toute ascendance commune entre hommes et singes, a fait descendre le babouin d’un soyeux lyonnais !

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Tapettes à mouches

lundi 21 décembre 2020

Dans les années 1990, après avoir constaté la similitude entre la maladie de la vache folle et la maladie rare de Creutzfeldt-Jakob, 5 millions de bovins ont été abattus. Puis, les contestations des paysans et la connaissance des prions ont conduit à un abattage plus sélectif. Chaque nouveau mutant de grippe aviaire conduit à l’abattage de dizaines de millions de poules, canards, dindes et autres volailles. Ce sont là des animaux domestiques dont la surproduction est la cause des maladies. La logique économique engendre une punition économique : rien que de bien « naturel ».

 Mais en 2014, une épidémie de brucellose chez les bouquetins du Bargy a conduit à une campagne d’abattage, alors qu’on dénombrait un seul cas humain, non décédé. Les vétérinaires ont violemment réagi, car cette mesure risquait a contrario de disséminer la maladie ; les animaux fuyant au lieu de développer leur immunité de groupe.

Pendant que l’on sacrifiait la « nature sauvage » des bouquetins on réhabilitait celle des ours dans les Pyrénées. Laissant penser logiquement que les ours ne doivent pas porter de maladie transmissible, ou que l’économie des moutons est moins cruciale que celle des vaches.

On a tué des millions de renards chaque année pour lutter contre l’échinococcose, jusqu’à ce que les écologues vantent l’utilité des renards et que les médecins notent l’incidence négligeable et stable de cette maladie.

Les mouches ont aussi été victimes de cet engouement pour la protection de notre espèce. Elles sont les meilleures propagatrices des diarrhées à campylobacter. Les villages qui ont généralisé la pulvérisation d’insecticides ont vu l’incidence des diarrhées infantiles diminuer de 25%, par rapport aux villages qui ont épargné ces diptères. Ces banales gastro-entérites guérissent pourtant sans traitement et ne tuent jamais. Il y a de meilleures raisons d’exterminer les mouches : elles transportent quantité de dangereux parasites (sarcocystis, toxoplasma, isospora et amibes). L’éradication des moustiques, vecteurs du redoutable paludisme et autres fléaux, serait encore plus rentable.

Par contre, les chauve-souris, vecteurs de la majorité des viroses émergentes, bénéficient d’une totale impunité ; mieux, leurs diverses espèces jouissent du meilleur statut dans le programme de protection de la biodiversité. Si elles doivent cette faveur à leur statut de « cousin » mammifère, les bouquetins, innocents de tout homicide, auraient raison de hurler à l’injustice sanitaire. Les platanes rasés et les requins tués pour éviter l’encastrement de  motards et de surfeurs ont moins de protecteurs.

Enfin, les femmes enceintes jouent un rôle certain dans la transmission des maladies infectieuses, car leur immunité diminue naturellement pour tolérer leur fœtus à moitié étranger. Cependant, une limitation trop drastique des grossesses pourrait être préjudiciable à notre espèce.

Et une vie sans tapettes à mouches et sans vaches le long des trains paraîtrait vraiment longue.

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Végétariens et cancers

lundi 7 décembre 2020

Il n’est plus besoin de faire d’études pour prouver que la baisse de consommation de viande diminue l’incidence des maladies cardio-vasculaires. Le sujet ne fait plus débat depuis un demi-siècle. La diminution de consommation de viande et l’exercice physique ont contribué aux nouveaux gains d’espérance de vie constatés au cours des dernières décennies. 

Nous savons également que les régimes peu carnés diminuent le risque de cancer du côlon. Depuis quelques années, le nombre important de végétariens permet de faire des études de plus grande valeur statistique sur les effets de tels régimes sur la santé. La question des cancers a évidemment été abordée et il apparaît qu’outre le cancer du côlon, le régime végétarien diminue également des cancers aussi inattendus que celui du sein ou de la prostate. D’une manière générale, tous les risques de cancer sont abaissés de façon plus ou moins significative.

Les facteurs de confusion comme le tabac ont évidemment été pris en compte, et certaines études sont allées jusqu’à considérer d’autres facteurs de confusion tels que les traits de personnalité et d’autres éléments du mode de vie des végétariens raisonnables (hors véganes fanatiques). Par exemple, les femmes végétariennes prennent moins de traitements hormonaux de la ménopause et diminuent d’autant plus leur risque de cancer du sein.

Le plus amusant, si j’ose m’exprimer ainsi, est que les végétariens participent beaucoup moins aux programmes de dépistage organisé des cancers. Certains en concluront qu’ils sont alors porteurs de cancers méconnus qui se développeront tôt ou tard. Cette conclusion hâtive, quelque peu teinté d’idéologie pro-dépistage, est contredite par une mortalité globale par cancer plus faible chez les végétariens de tous âges suivis pendant longtemps.

Ce qui s’explique par le fait qu’une bonne part des cancers dépistés sont, soit de faux positifs, soit des cancers qui n’auraient jamais eu de manifestation clinique avant que la mort ne survienne par une autre cause.

Les végétariens ont donc moins de cancers cliniques, moins de cancers dépistés et moins de cancers virtuels ou infracliniques. Le bénéfice sanitaire de cette triple protection est encore plus grand que celui déjà constaté par la diminution de la mortalité. En effet, les angoisses liées à tous les dépistage et le couperet biographique que constitue une annonce de cancer aggravent la morbidité et la mortalité. On sait que tous les cancers, fussent-il cliniques, dépistés ou virtuels ont les mêmes répercussions psychologiques et biographiques. Nous n’irons pas jusqu’à encourager les végétariens dans leur insouciance diagnostique, car cela pourrait choquer l’académie. Nous devons tout de même les féliciter pour leur perspicacité sanitaire et leur sérénité face au destin pathologique, sans oublier de louer leur altruisme climatique.

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Cannabis thérapeutique pour tous

jeudi 3 décembre 2020

Il y a plus de trente ans, certains patients atteints de sclérose en plaques avaient constaté l’action favorable du cannabis sur leurs douleurs neuropathiques et leur spasticité. Ils ont alors modifié leur consommation pour passer d’un usage récréatif à un usage thérapeutique.

De là à supposer une action sur d’autres douleurs pour d’autres types de patients et de maladies, il y avait un fossé que les études n’ont pas comblé, mais l’idée était dans l’air. Combiner l’illégalité et les dangers du haschich avec l’éthique du soin avait de quoi exciter les commentateurs et déranger les législateurs.

Le processus habituel s’est alors enclenché. Le scenario en est classique, tous les cercles vicieux s’intriquent inexorablement : l’embarras des législateur catalyse l’excitation des commentateurs, l’hésitation des cliniciens majore les douleurs des patients, la prudence des politiques fédère toutes les impatiences. Quant aux marchands, ils n’ont besoin ni de complotistes, ni de lobbyistes, la démagogie sanitaire suffit – comment négliger la moindre douleur ? – Plus prosaïquement ils attendent la fusion entre l’énorme marché du cannabis et le colossal marché de la douleur.

Depuis environ 5 ans, malgré quelques polémiques, les lois s’assouplissent au rythme de l’essoufflement des législateurs, et chacun comprend que le cannabis thérapeutique va se banaliser. De grands financiers, producteurs de cinémas ou autres viticulteurs ont déjà investi dans des hectares de cette herbe prometteuse.

Les résultats concluants des effets du cannabis sur la douleur chronique se font toujours attendre, par contre, nous connaissons très bien son rôle dans le déclenchement et l’aggravation des psychoses. Nous connaissons les effets néfastes de la marijuana en cours de grossesse sur le nouveau-né et ensuite sur l’allaitement. Nous mesurons ses effets délétères sur le QI.

L’histoire va donc se répéter, la médecine en est coutumière, cela s’appelle « l’extension des indications », transformant un rapport bénéfices/risques éventuellement positif pour quelques individus en un rapport négatif pour la santé publique. La morphine était classiquement réservée aux agonisants et aux douleurs du cancer, son extension à des douleurs banales a provoqué la plus grosse catastrophe sanitaire de l’histoire moderne. Le cannabis, jadis utilisé par quelques patients hardis souffrant de sclérose en plaques, va devenir le nouvel antalgique à la mode.

Et les médecins dans tout cela ? Leur position est ambiguë, les souffrances  physiques et morales sont l’essentiel de leur gagne-pain, mais leur échec en ce domaine est patent. Ils se partagent cependant en deux camps. La majorité est silencieuse, elle a consenti passivement à la grande fabrique des addictions : barbituriques, benzodiazépines, ISRS, opiacés, et maintenant cannabis. La minorité résiste toujours un peu au début, mais nul ne peut échapper à la modernité.

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Les bons, les mauvais et les autres

samedi 7 novembre 2020

Dans l’infini éditorial du Covid19 se trouvent de « bons » consensuels et de « mauvais » contestataires. Si j’y ajoute mon grain de sel, c’est pour de simples raisons de survie cognitive.

Les « mauvais » ne cessent de répéter que cette épidémie n’est pas pire que la grippe de Hong-Kong de 1969-70, dont personne n’a parlé. Les « bons » sont ceux qui en appellent au civisme pour éviter une catastrophe dont ils ne cessent de détailler la progression. Les mauvais sont ceux qui affirment que la chloroquine est efficace. Les bons sont ceux qui annoncent l’efficacité supérieure du remdesivir. Les mauvais ne trouvent pas de preuve sérieuse de l’efficacité du masque en population générale. Les bons vantent nos progrès dans l’acquisition et le stockage des précieux masques. Les mauvais déplorent les dégâts de la distanciation et du confinement chez nos enfants. Les bons incitent à plus de restrictions pour les jeunes. Les bons acceptent de sacrifier l’économie pour la santé. Les mauvais pensent que l’inactivité sera plus meurtrière.

Les bons seraient alors des naïfs du consensus et les mauvais des gibiers du complotisme. Les uns circonvenus par la démagogie du pouvoir, les autres fascinés par le populisme de la contestation.

Cert écart vient de notre ignorance mal assumée sur ce virus, son impact sanitaire réel et son épidémiologie future ; nous ne saurons que dans deux ou trois ans si cette virose respiratoire n’est que la énième de celles que connaît l’humanité depuis toujours, et si sa seule différence est précisément son infini éditorial.

En attendant, évitons ceux qui se servent de vérités pour glisser des mensonges. Ceux qui parsèment de science leurs élucubrations avec d’habiles mises en scène. La science dévoyée de Didier Raoult et le complotisme habillé de science d’Ema Krusi se rejoignent dans un même et dangereux obscurantisme.

Notons cependant quelques vérités rassurantes. Oui, la grippe dite de Hong-Kong qui a sévi en France pendant l’hiver 1969-70 a fait 32000 morts en 3 mois, selon les estimations les plus précises. Soit, à l’époque 640 morts par million d’habitants (mMh). Oui, notre épidémie actuelle avec ses 40 000 décès en 9 mois n’a pas encore dépassé ce taux, puisqu’elle n’en est qu’à 590 mMh. Oui, elle épargne nos enfants. Oui, la perte d’années/qualité de vie est faible, car la mortalité concerne des personnes à faible espérance de vie. Non, le laxisme suédois face à cette épidémie n’a pas provoqué de cataclysme sanitaire.

Il y a aussi d’autres vérités incontestables et moins rassurantes. Ni la chloroquine qui ne coûte rien, ni le remdesivir qui coûte une fortune, n’ont la moindre efficacité sur cette maladie. Non, aucune épidémie ne peut modérer la corruption, le profit  et le lobbying. Non, on ne peut pas faire un vaccin sûr et efficace en quelques mois, surtout contre une virose respiratoire.

Le plus difficile est d’habiller ces vérités avec la bonne éthique et la bonne mercatique, pour ne pas être classé parmi les mauvais.

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L’élément manquant

dimanche 1 novembre 2020

Les homicides sont un trait tristement répandu dans notre espèce. Pour autant, il n’est pas facile de tuer un congénère, car il faut outrepasser les inhibitions naturelles que l’évolution a mises en place pour limiter le meurtre intraspécifique, non profitable à l’espèce.

Idéologies, conquêtes territoriales, psychoses, passions amoureuses, drames familiaux sont autant de réalités bien identifiées à l’origine des homicides.

Il y a cependant de grandes différences de charge émotionnelle chez le meurtrier. Tuer avec une arme blanche fait couler plus d’adrénaline qu’avec une arme à feu. Les meurtres passionnels sont souvent impulsifs. Les querelles de voisinage peuvent conduire à des drames cocasses avec des armes improbables. Instruction militaire, idéologie, manipulation mentale, jalousie, haine ou colère accumulées, les processus de la désinhibition sont longs et tortueux avant tout homicide.

Mais lorsque la barbarie dépasse l’entendement, aucune neurophysiologie intime ne peut suffire, il faut un catalyseur externe. L’alcool est le plus connu, on ne pourra ou ne voudra jamais savoir de combien de féminicides il a été le catalyseur. Il a armé le bras de nos poilus.

Mais, il y a bien pire et beaucoup mieux depuis. Les preuves abondent désormais sur le rôle des amphétamines dans les actes terroristes, sur celui des benzodiazépines ou antidépresseurs sérotoninergiques dans les infanticides ou autres barbaries familiales. Les hallucinogènes et autres psychédéliques tordent la réalité et jouent le rôle du délire psychotique qui conduit à des actes insensés.  Le cannabis est connu pour son induction psychotique.

Lors de chaque nouveau drame, les commentateurs et enquêteurs projettent leur rationalité sur celle de l’assassin. Recherche de la motivation : prosélytisme, mission divine ou radicalisation. Recherche des facilitateurs ou manipulateurs : famille, réseaux sociaux, sectes, djihadistes. Recherche du passé judiciaire, familial, scolaire, professionnel. Cela relève de la logique de toute enquête, mais ne s’intéresse qu’à ses aspects cognitifs et socio-culturels. Cela est insuffisant au-delà d’un certain seuil de barbarie. Cela revient à négliger le délire, l’impulsivité, le caractère irrépressible, la folie suicidaire, autant d’éléments qui ne peuvent se réduire à l’aboutissement de processus cognitifs ou neurophysiologiques normaux.

Le grand oublié est le catalyseur. Je n’ai jamais entendu parler de dosage de psychotropes après de telles barbaries. Nous savons doser facilement l’alcool, l’arsenic, la cotinine, le lithium, la digoxine et moultes médicaments, nos tests biologiques sont de plus en plus performants.

Pourquoi cet élément majeur et probablement peu coûteux reste-t-il l’élément manquant dans toutes ces enquêtes ?

Quel député proposera enfin de l’imposer, comme on l’a fait pour l’alcool après les accidents de la route ?

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Trump le monofactoriel

jeudi 22 octobre 2020

En matière médicale, la notion de plurifactoriel (ou multifactoriel) est la plus complexe à comprendre. L’immense majorité des patients ne peut intuitivement accepter qu’une maladie résulte toujours de plusieurs causes. Depuis nos grandes victoires sur les maladies infectieuses, on voudrait que tout réponde à la logique du bon fusil antibiotique qui tue le méchant microbe. Pourtant, même en infectiologie, le microbe n’est jamais le seul coupable.

Les médecins sont les premiers responsables de cette inculture, car toute leur science s’efforce d’isoler un facteur dominant pour le modifier et afficher des preuves de leur action. Descartes affirmait avec raison qu’il faut comprendre chacune des parties pour comprendre le tout. Mais en médecine on s’arrête souvent à la première partie comprise. L’action consistant à faire baisser un chiffre de sucre ou de pression artérielle n’est que l’une des centaines qu’il faut pour ralentir la dégénérescence vasculaire. Augmenter la sérotonine ne guérit aucune dépression, diminuer la cholinestérase n’améliore aucun Alzheimer.

Aujourd’hui, ce sont les gènes qui ont pris le relais de l’unicité, on voudrait que toutes les maladies aient une cause génétique. Pourtant, comme le résume F. de Waal : « Déterminer pour quelle part un trait est produit par les gènes ou par l’environnement est aussi inutile que de demander si les sons du tambour que nous entendons au loin sont produits par le percussionniste ou par son instrument ».

Comme le son du tambour, les accidents de voiture, les suicides et les homicides sont (au minimum) bifactoriels : nécessitant un instrument mortel et son manipulateur.

Chaque nouvelle tuerie de masse aux USA repose la question de la vente libre des armes. Ces tueries, résultant de la conjonction entre un psychopathe et une arme, sont clairement bifactorielles. Il y a cependant un déséquilibre entre les deux facteurs, car dans un pays sans armes, les psychopathes seraient inoffensifs, alors que dans un pays sans psychopathes, les armes resteraient dangereuses.

Ne nous étonnons pas que le lobby des armes préconise d’armer les victimes pour les aider à se protéger des psychopathes. Etonnons-nous de l’incapacité des gouvernements successifs, qui faute de pouvoir détecter les psychopathes, n’ont jamais réussi à limiter la circulation des armes.

Enfin, cette démocratie archaïque a conduit à l’élection d’un président populiste dont les capacités cognitives n’arrivent même plus à penser le bifactoriel. Les mexicains sont voleurs, les musulmans sont terroristes, les chinois sont tricheurs : voilà pour la diplomatie. En ce qui concerne les tueries de masse, sa réponse est claire : il faut supprimer les psychopathes. Comme le mur à la frontière avec le Mexique qui supprimera la délinquance.

Le monofactoriel en médecine et le populisme en politique ont le grand avantage de la simplicité.

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Paternalisme des preuves

mardi 13 octobre 2020

Très nombreux sont les problèmes de santé qui résultent majoritairement ou exclusivement, soit de mauvaises habitudes de vie : sédentarité, excès alimentaires, alcool, tabac, soit d’un environnement défavorable : conditions de naissance, éducation , soit tout simplement du vieillissement, soit des trois en proportions variables.

L’analyse du rapport entre ces troubles et leurs thérapeutiques révèle une règle immuable, un véritable « invariant » du marché sanitaire. Plus une pathologie est dépendante des règles hygiéno-diététiques ou du vieillissement, plus nombreuses sont les publications sur son traitement médicamenteux. Pour le dire plus simplement : plus l’évidence impose la prévention, plus le marché propose la thérapeutique. Pour le dire encore plus simplement : moins il y a de remède, plus il y a de médicaments.

Vouloir agir chimiquement en aval de troubles tels que l’hypertension artérielle, l’obésité, l’hyperglycémie, l’insomnie ou la dépression est une dangereuse chimère. Cela revient à nier que la multitude des facteurs qui génèrent ces troubles ne peut être réduite qu’en amont par des actions également multifactorielles (relaxation, sport, hygiène alimentaire, etc.)

En plus d’être inutile et dangereuse, cette saturation médicamenteuse contribue à dissimuler l’essentiel. Il est bien établi que la seule présence d’un médicament sur le marché conduit de facto médecins et patients à penser le soin en référence tacite à ce médicament. Qu’il soit prescrit ou non, qu’il soit critiqué ou non, l’existence même du médicament restreint toujours la réflexion au facteur visé par sa pharmacologie. Les débats sans fin sur la qualité des publications ne font qu’aggraver l’erreur initiale de la pensée monofactorielle.

Même les revues médicales les plus sévères contre l’industrie pharmaceutique se font piéger en oubliant de mentionner que de tels débats ne devraient même pas avoir lieu puisqu’ils partent d’une aberration primitive. Le polyfactoriel ne peut se résoudre par une action monofactorielle. Le marché parie sur la contagion de cet aveuglement :  « Parlez de mon facteur, en bien ou en mal, mais parlez-en »

L’extrême médiatisation de ce facteur unique finit par légitimer l’absence d’individualisation par le soignant et l’absence d’effort par le soigné. Le marché parie encore sur cette léthargie générale qui est forcément gagnante, puisqu’elle est lucrative pour les soignants et indolente pour les soignés.

Les statistiques qui accompagnent ces preuves pharmacologiques sont une nouvelle forme de l’infantilisation des soignés. Un nouveau paternalisme dont l’apparence est plus savante.

Après les amulettes des chamanes et le charisme des charlatans, on a critiqué l’empirisme des cliniciens et le paternalisme des mandarins qui ont pourtant fait progresser la médecine à pas de géants. Tous ont fini par céder leurs prérogatives à l’industrie.

Voici venu le temps de l’empirisme des statistiques et du paternalisme des preuves.

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