Archive pour la catégorie ‘Non classé’

De check-up en bilans

mardi 10 septembre 2024

Dans les années 1970, les mutuelles de santé ont gracieusement offert des check-up à leurs adhérents dans l’unique but de les fidéliser. Personne ne sortait indemne de ces bilans qui mettaient au grand jour tous les facteurs de risque susceptibles de provoquer de graves maladies. Leur délai d’apparition était une inconnue qui devait encourager les citoyens à ne pas se démunir de leur mutuelles jusqu’à la survenue éventuelle de ces maladies. Selon le dicton : « l’assurance ne paraît chère qu’avant l’accident ».

Dans notre pays où les maladies graves sont prises en charge à 100% par la solidarité nationale, nul n’a fait remarquer que le coût total des petits maux étalés sur la vie était le plus souvent inférieur à celui de l’ensemble des primes d’assurance. Devant une telle arithmétique contradictoire, les mutuelles auraient argué du coût exorbitant des diverses prothèses dentaires, oculaires et auditives, sans préciser que cette exorbitance suivait une courbe parallèle à celle de leurs primes.

Que ceux qui douteraient de cette arithmétique du profit, notent la remarquable prééminence des mutuelles de santé dans tous les espaces publicitaires et leur inclusion dans le secteur financier des banques. Une complicité familièrement nommée de cul et de chemise.

Aujourd’hui, c’est la Sécurité Sociale qui propose à son tour un bilan de santé nommé « examen de prévention en santé ». Saluons avec plaisir le mot « prévention » qui apporte la noblesse qui manquait à ces antiques check-up.

Hélas, je crains de devoir proposer une arithmétique encore plus contradictoire que celles qui n’ont jamais eu lieu.

Le cerveau des médecins occidentaux est formatté par l’industrie, et plus de 90% de leurs consultations se résument à l’examen d’une « anomalie » biologique et à la prescription pharmacologique susceptible d’en éviter les conséquences mortelles. Particulièrement dans notre pays, gros consommateur d’inutiles chimies. Doutons que ces nouveaux bilans, bien que recouverts de l’or républicain, parviennent à supprimer les ordonnances si nous ne modifions pas auparavant le mode de financement des professionnels de santé.

Faute d’avoir compris et diffusé les règles élémentaires de la prévention et après avoir promu inconsidérément, y compris sur les chaînes du service public, des comprimés susceptibles de régler les problèmes d’obésité, de dépression, d’hypertension, d’hyperactivité, d’ostéoporose ou de mémoire, ces bilans ne pourront qu’aggraver la gabegie médicamenteuse.

Le coût de leur gestion administrative s’ajoutera à celui des prescriptions induites et de leur lot de maladies iatrogènes. L’administration s’abstiendra, comme toujours, d’en évaluer le coût financier et sanitaire total. Et à l’heure où notre dette abyssale va générer de nouvelles pathologies psychosociales, on aurait pu s’abstenir de cette vaine démagogie.

Bien que n’ayant rien d’un insoumis, j’ose me demander s’il y a un pilote dans l’avion de la santé et des ministères qui devraient y concourir.

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Le mot épidémie a encore frappé

samedi 17 août 2024

Une épidémie (du grec au-dessus du peuple) est la propagation rapide d’une maladie infectieuse connue ou inconnue qui frappe en un même lieu un grand nombre de personnes. Comme les lois, les définitions disposent d’une marge d’interprétation. Le terme « rapide » est sujet à discussion : quelques jours, semaines ou mois. Le même lieu peut être une école, une vallée, une caserne ou une ville. Le terme « pandémie » est utilisé quand il s’agit du monde entier, alors que les termes « épiscolie » ou « épipolis » n’existent pas. Mais c’est assurément « grand nombre » qui est sujet à la plus grande variété d’interprétations. La raison mathématique impose de parler en pourcentage : cinq écoliers dans un établissement de 1000 élèves est plus important que deux millions de personnes dans le monde. Le record de tous les temps est évidemment celui de la peste qui a décimé 30% de la population de tout un continent. Record indépassable, espérons-le, qui a diabolisé le mot épidémie dans l’inconscient collectif de toutes les générations suivantes. Personnellement, il m’est agréable de savoir que je suis un descendant de ceux qui ont survécu assez longtemps pour avoir eu le temps de se reproduire. Cela me rassure quelque-peu sur la qualité de mon système immunitaire.

Les infectiologues et épidémiologistes, par nature plus raisonnables, utilisent plus volontiers le terme « émergence » qui se définit comme une infection nouvellement apparue dans une population ou qui a déjà existé mais dont l’incidence ou la répartition géographique augmente rapidement. Définition plus modeste par ses termes « incidence » et « répartition ». Quant à l’adverbe « rapidement », elle sous-entend plutôt des mois ou années.

Entre 1940 et 2004, on a dénombré 335 émergences dans le monde et plus de cent au XXIème siècle. Quant aux infections humaines véritablement nouvelles, la moyenne est de cinq par an. J’ignore pourquoi le grand public n’a connaissance que d’une partie infime de ces émergences, alors que d’autres occupent la une des médias pendant des mois. Cette question de sociologie est trop complexe pour moi. Le seul facteur que j’ai réussi à noter concerne les annonces de l’OMS. Il semble que lorsque cette institution internationale décide d’alerter sur une émergence, tous les pays sans exception mettent leurs ministères au pas quel que soit le lieu de cette émergence. Cela prouve au minimum que nos dirigeants et leurs experts attitrés, n’ayant plus ni opinion, ni autonomie de décision, se soumettent aux médias et aux aléas des précautions de quelques influents leaders de l’OMS. Sans pouvoir présumer de l’avenir de cette deuxième émergence de mpox virus, nous pouvons au minimum affirmer qu’elle s’inscrit dans une très longue liste familière aux épidémiologistes. Et lorsque j’ai entendu une radio parler d’épidémie en Europe parce qu’il y avait eu un cas, j’ai réalisé que la catastrophe sémantique nous menaçait plus que la catastrophe infectieuse.  

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Trilogie des misères sanitaires

dimanche 21 juillet 2024

La santé publique a pour but de diminuer la mortalité infantile et générale, donc d’augmenter la durée et l’espérance de vie. La plus grande action de santé publique réalisée dans le monde a eu lieu à Rethondes le 11 novembre 1918 par la signature de l’armistice mettant fin à la grande guerre. La mortalité des hommes de tout un continent dans la tranche d’âge de 16 à 40 ans est passée de 10 % à moins de 0,5 %. Les épidémies et famines se sont arrêtées brutalement et la natalité est repartie. Hélas, vingt ans après, la deuxième guerre mondiale a relancé les morts juvéniles, les famines et les épidémies.

Il en est de même pour tous les pays du monde : un gouvernement qui ne parvient pas à éviter les guerres peut se passer d’un ministère de la santé. Lorsqu’un pays réussit à maintenir quelques décennies de paix, il peut alors envisager des actions de santé publique qui ne soient pas vaines. Ainsi, pour l’Amérique du Nord, l’Europe et le Japon, c’est à partir des années 1970 qu’il est redevenu mathématiquement rentable de s’intéresser à la santé publique. C’est de l’épidémiologie crue et incontestable.

Il en est de même pour les famines. Un pays qui ne parvient pas à nourrir sa population peut aussi se passer d’un ministère de la santé. Médecins et ONG sont incapables de modifier les indicateurs sanitaires d’un pays où la malnutrition est chronique. Sachant que les famines sont généralement corrélées aux périodes de guerre, nous voici donc revenus à la case départ.

Enfin, le dernier volet de la trilogie des misères sanitaires est celui des épidémies. C’est le seul volet où la médecine peut améliorer les indicateurs sanitaires, encore faut-il que ces épidémies ne soient pas directement liées à une guerre ou une famine. Il faut aussi bien définir ce qu’est une épidémie. La peste a décimé plus de 35% des individus. Aujourd’hui nous parlons d’épidémie pour des mortalité inférieures à 1%, voire 1 pour mille. Si les termes de guerre et de famine ont conservé leur violence sanitaire, celui d’épidémie ne recouvre plus les même réalités qu’auparavant.

A titre d’exemple, le SIDA, considéré comme l’épidémie du XXème siècle n’arrivait qu’en septième position dans les causes de mortalité infantile, loin derrière les diarrhées infectieuses, le paludisme ou la tuberculose. J’ignore quelles maladies seront considérées par l’OMS comme des épidémies au XXIème siècle. J’espère surtout que le galvaudage de ce terme ne donnera pas trop de suprématie aux ministères de la santé face aux divers ministères chargés de garantir une paix durable et une suffisance alimentaire.

De façon plus cocasse, mais aussi sérieuse, le risque de mourir par le téléphone portable en voiture est mille fois supérieur au risque de mourir d’une méningite. La santé publique a exigé un vaccin pour le second mais n’a aucun moyen d’action sur le premier. 

Répétons que l’épidémiologie n’est pas une science médicale, mais une science sociale.

Bibliographie

Le bon critère

mercredi 10 juillet 2024

La définition de tout objet de science (planète, espèce, tempête ou pauvreté) repose sur des critères qui peuvent varier au cours du temps et des connaissances. La médecine utilise des critères pour établir des diagnostics et évaluer des traitements. Ces critères sont quasi immuables en infectiologie ou traumatologie, ils sont variables en cardiologie, plus encore en cancérologie, et très instables en psychiatrie. Une autre complexité de la médecine est celle de l’immanence des critères selon qu’ils sont établis par le patient ou le médecin. Une blague classique est celle du patient décédé alors que le chirurgien était satisfait de l’intervention. Inversement un patient peut être satisfait ou guéri par un traitement dont les critères d’évaluation sont absents. Ces deux exemples illustrent les deux radicalismes du soin. Un traitement théoriquement parfait peut n’avoir aucun effet clinique et un traitement ésotérique peut se montrer efficace. On objectera que les maux traités par l’académisme sont plus graves que ceux traités par l’ésotérisme. Cette objection est recevable à condition qu’un diagnostic basé sur des critères précis ait précédé un traitement évalué par des critères précis ; ce qui est rarement le cas quelles que soient les pratiques académiques ou alternatives. D’un côté, on traite radicalement des maladies dont les critères de diagnostic sont invalides, de l’autre la satisfaction immédiate du patient devient l’unique critère d’évaluation d’un traitement.

Dans un monde parfait, les critères diagnostiques devraient être la prérogative des médecins, alors que les patients auraient la charge d’établir les critères du soin. Hélas l’impatience est au cœur de toutes les pratiques. Pourtant, en dehors de rarissimes urgences diagnostiques et thérapeutiques connues depuis longtemps, on a toujours largement le temps d’évaluer les critères de diagnostic et de soin.

Le dépistage des cancers caricature ces impatiences. Un patient se soumet volontiers à un dépistage, si on lui dit qu’il diminue le risque de mourir d’un cancer dans les dix ans à venir. Si on lui explique que pendant ces mêmes dix années, cela ne modifie pas son risque de mort, toutes causes confondues, il hésite ou ne comprend pas.

Ces deux assertions sont pourtant exactes, révélées par les plus pertinentes méta-analyses : un dépistage diminue très légèrement le risque de mourir de la maladie dépistée sans diminuer le risque global de mourir durant la même période. Les explications sont multiples et chacun a la sienne.

En épistémologie du soin, le seul critère valable est celui de la mortalité globale ; tous les autres critères sont dits « intermédiaires » ou « de substitution ». La grande majorité des essais cliniques n’ont ni la puissance statistique ni la durée suffisantes pour le critère essentiel.

Si la médecine a beaucoup progressé dans l’élaboration des critères diagnostiques, osons dire qu’elle est encore balbutiante dans l’élaboration des critères thérapeutiques.

Bibliographie

C’est essentiel

samedi 29 juin 2024

Un patient atteint de « tremblement essentiel » me demanda ce qu’était cette maladie. Je lui expliquai avec quelque difficulté qu’il s’agissait d’une maladie dont on ignorait la cause, probablement une dégénérescence neurologique liée à l’âge. Il m’interrogea sur le qualificatif « essentiel », je dus alors admettre l’étrangeté de ce terme qui s’applique aux maladies dont on ignore la cause, comme l’hypertension artérielle essentielle. Cependant, nombreuses sont les maladies, schizophrénie ou migraine, dépourvues de cet épithète malgré l’ignorance qui les entoure.

Le terme de « non-spécifique » est plus direct et moins obscur, il désigne littéralement les maladies dont l’espèce (donc la cause) n’est pas identifiable. On parle de pneumopathie interstitielle non spécifique, de colite, de myocardite, d’urétrite ou de dermatite, toutes non spécifiques, pour nommer ces inflammations des poumons, du colon, du myocarde, de l’urèthre ou de la peau dont la cause ne semble ni infectieuse ni auto-immune.

La médecine utilise aussi le terme « idiopathique » pour qualifier sa méconnaissance des causes. Ainsi, fibrose pulmonaire, scoliose, thrombocytopénie, hypertension intracrânienne, cardiomyopathie hypertrophique ou épilepsie sont autant de maladies qui possèdent une forme idiopathique.

Parfois, de façon moins grandiloquente, on utilise le mot « sénile » pour qualifier une évidence. La plus connue est la démence sénile, caractérisée par des « plaques séniles » dans le cerveau. On parle aussi d’ostéoporose, de cataracte et de kératose séniles, autant de dégénérescences qui affectent nos os, nos cristallins et notre peau au fil du temps. Lorsque la vieillesse de nos organes est caractérisée par une particularité identifiable, on préfère utiliser un vrai nom de maladie, qui évite l’affront du  » sénile  » ou du  » dégénératif « . Ainsi les plaques séniles de la démence sont devenues les plaques amyloïdes de la maladie d’Alzheimer, alors que la maladie de Parkinson devenait un déficit en L-Dopa.

La palme revient à la DMLA, un sigle largement médiatisé pour vendre un médicament supposé ralentir certaines formes de cette dégénérescence de la rétine. L’idée de vendre un médicament pour soigner une maladie dont le nom même affirme qu’elle est exclusivement liée à l’âge, peut paraître cocasse d’un point de vue mercatique ou miraculeux d’un point de vue biologique.

Le mot « dégénératif  » tend à être définitivement banni. Ainsi, l’ostéoarthrite dégénérative est devenue « arthrose » qui sonne comme un nom familier, presque sympathique, sauf lorsqu’elle provoque des insuffisances rénales et des addictions par l’abus d’antiinflammatoires et de morphiniques.

Ce patient, après mes explications confuses sur la nosographie de l’ignorance, osa conclure que la vieillesse est une maladie essentielle. Je n’eus pas d’autre choix que de l’encourager dans cette sagesse qui le protégerait de bien de tourments et lui épargnerait assurément d’innombrables maladies iatrogènes.

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Avenir sanitaire et démocratique

lundi 10 juin 2024

Les principales différences entre dictatures et démocraties sont la liberté de la presse, la liberté de culte, l’indépendance de la justice et l’existence de divers contre-pouvoirs publics et privés. Ces différences se répercutent sur tous les secteurs de la vie individuelle conduisant à d’énormes différences sanitaires dont la preuve la plus évidente est l’espérance de vie, toujours supérieure dans les démocraties.

Les progrès sociopolitiques ont certainement le plus gros impact sur le niveau sanitaire ; le niveau d’éducation des filles étant, de très loin, le plus important facteur d’élévation de l’espérance de vie. La qualité des infrastructures a une énorme importance, en particulier le traitement des eaux. Le PIB par habitant joue aussi un rôle majeur, mais son impact sur l’espérance de vie peut être faible lorsque les inégalités sociales sont importantes, comme dans les pays du Golfe. Inversement, Cuba a une espérance de vie élevée, malgré un faible PIB par habitant. Les progrès techniques de la médecine ont évidemment un impact, mais il est plus faible, les USA qui ont le plus haut niveau de technologie médicochirurgicale ont une espérance de vie plus faible que beaucoup d’autres pays moins pourvus. La culture et les religions peuvent avoir un impact notable par le biais de l’endogamie qui favorise l’émergence de maladies génétiques ou de déficits cognitifs comme chez les Bédouins, les Amish, les Parsis ou les Ashkénazes.

De cet inventaire non exhaustif, il ressort que pour une meilleure santé, il est préférable de vivre dans une riche démocratie ayant de solides infrastructures, de faibles inégalités sociales et des filles hautement éduquées. L’absence de discrimination ethnique ou religieuse, et une biomédecine de pointe peuvent apporter quelques bénéfices sanitaires supplémentaires.

Voici maintenant un nouvel inventaire encore plus facile à dresser. Le populisme se montre désormais capable de faire imploser les démocraties européennes. Donald Trump et la dynastie Le Pen sont à la porte du pouvoir confirmant l’accroissement des inégalités cognitives et présageant celui des inégalités sociales. Les réseaux sociaux invalident les concepts de liberté de presse et de libre-arbitre. Les filles non-éduquées sont devenues les influenceuses de ce nouvel univers. Les trois quarts de l’humanité vivent dans une dictature et les quatre cinquièmes sous l’emprise d’une religion.

Par ailleurs, on me dit que le réchauffement climatique constitue une nouvelle menace sur notre santé et je viens de lire qu’il n’est plus tout à fait certain que l’aspirine puisse empêcher la survenue des maladies cardio-vasculaires. Ça alors !

J’en arrive à me demander quel pourra être l’impact des nouveaux progrès biomédicaux sur la santé, particulièrement la vôtre.

Références

En attente du grand progrès

jeudi 30 mai 2024

Dans un texte de 1991, Jean Girard citait les premières ordonnances en fonction de l’origine culturelle du médecin et de sa représentation des maladies. Il prenait l’exemple d’un tableau clinique associant une oppression thoracique accompagnée de malaise, fatigue et palpitations.

Un Allemand diagnostiquait volontiers une insuffisance cardiaque et prescrivait de la digitaline, un Anglais pensait à une névrose et prescrivait une benzodiazépine, un Américain optait pour une attaque de panique et prescrivait un antidépresseur. Un Espagnol penchait pour une asthénie et prescrivait un stimulant contenant de la caféine. Un Français évoquait une spasmophilie et prescrivait du calcium et du magnésium.

Ne critiquons pas leur difficulté diagnostique, habituelle dans un tel cas, mais leur précipitation à faire une ordonnance. Avec sa digitaline l’Allemand risquait d’aggraver dangereusement un infarctus. L’Anglais et l’Américain prescrivaient des traitements qui pouvaient entraîner une addiction à vie. La caféine de l’Espagnol accélérait les palpitations. Saluons tout de même le Français, non par chauvinisme, car il prescrivait des médicaments inutiles pour une maladie qui n’existe pas, mais seulement parce que sa prescription n’avait pas d’effet indésirable.

Aujourd’hui, devant un tel tableau, les médecins de ces pays pratiquent plusieurs examens complémentaires, sauf s’ils ont une absolue certitude de la bénignité du cas. C’est un réel progrès, même si l’excès d’examens paracliniques peut présenter d’autres nuisances.  Hélas, la vieille habitude de faire des ordonnances sans avoir de certitude diagnostique n’a pas disparu. On se précipite toujours sur un antalgique, un tranquillisant ou un placebo qui feront croire à leur action positive en cas de disparition du trouble. On se prive ainsi de la connaissance de l’évolution naturelle des tableaux cliniques.

On peut résumer en affirmant que le risque d’agir à l’aveugle est supérieur au risque d’attendre un diagnostic certain. La seule urgence est d’avoir un diagnostic de certitude, et, fort heureusement pour la médecine, les véritables urgences sont le plus souvent détectables avec des examens relativement simples et rapides.    

Tout est question d’époque, de mode et de culture. La mode de la médecine académique actuelle est de dépister sans symptôme ; on ne perd plus seulement la connaissance de l’évolution des maladies, on perd aussi la connaissance de leur début.

Contre ces excès, nombre de citoyens se tournent vers des médecines dites alternatives qui n’échappent pas davantage aux modes. Ainsi devant un symptôme inexpliqué, un médecin alternatif d’aujourd’hui propose presque toujours un régime sans lactose et sans gluten. On peut supposer que ces régimes d’exclusion sont moins nocifs que les ordonnances prescrites à l’aveugle.

Attendons le grand progrès de l’abstention thérapeutique pour mieux connaître l’histoire naturelle de la majorité des tableaux cliniques.

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Réductionnisme malhonnête

samedi 18 mai 2024

Des maladies comme la trisomie 21, le paludisme ou le goître hypothyroïdien sont nommées « monofactorielles », car elles n’ont qu’une seule cause. Dans la réalité, les maladies à cause unique, génétique comme la mucoviscidose, infectieuse comme la tuberculose, anatomique comme une hernie discale, auto-immunes comme la sclérose en plaques, s’expriment très différemment en fonction de plusieurs autres facteurs individuels. Cela signifie que l’expression clinique d’une maladie est toujours plurifactorielle.   

Quant aux vraies maladies plurifactorielles, ce sont les innombrables maladies tumorales, cardio-vasculaires, métaboliques, neuro-dégénératives et psychiatriques.

La notion de plurifactoriel est incomprise, voire déniée, tant par les patients que par les médecins. Les patients sont naturellement portés à croire que chaque maladie a une cause unique qu’il faut chercher. Les médecins ont été conditionnés à la pensée monofactorielle par la méthode anatomoclinique qui attribuait une cause à chaque symptôme. Leur formatage est d’autant plus fort que les grands succès de la médecine et de la chirurgie concernent des maladies monofactorielles.

Ce conditionnement conduit toutes les activités de recherche clinique à tenter d’isoler un facteur prioritaire. On veut que le cancer du sein soit dû au gène BrCa1, que l’ulcère de l’estomac soit dû à Helicobacter Pylori, que l’AVC soit dû à l’hypertension, que la dépression soit due au manque de sérotonine. Même si l’on sait parfaitement que seulement 10% des porteurs d’Helicobacter font un ulcère, que la moitié des porteuses de BrCa1 n’auront jamais de cancer du sein, que la majorité des hypertendus ne font jamais d’AVC et que les médiateurs et causes de la dépression sont innombrables. 

Pascal a été le chantre de ce que l’on nomme le réductionnisme scientifique : « Je tiens impossible de connaître les parties sans connaître le tout, non plus que de connaître le tout sans connaître les parties ».

Ce réductionnisme est nécessaire au progrès dans toutes les sciences, biologiques ou autres. Mais dans la pratique médicale, il convient de rechercher incessamment tous les facteurs jusqu’à un nombre provisoirement indépassable. Ainsi pour les AVC, plusieurs facteurs de risque sont déjà clairement identifiés : hypertension, arythmie, troubles de la coagulation, athérosclérose, anévrysmes, obésité, tabagisme actif et passif, sédentarité, hyperglycémie, hypercholestérolémie, pollution atmosphérique, sexe masculin, pilule contraceptive, stress, traitements de la ménopause, parodontopathies, polluants organiques lipophiles (pesticides, furanes, dioxines et PCB), maladies inflammatoires. Traiter un seul d’entre eux est illusoire. C’est même dangereux, car cette tromperie d’une cause unique et d’un traitement monofactoriel conduit à négliger les comportements qui agissent sur tous les autres facteurs. Enfin, il est malhonnête d’abuser, au nom de la science, d’esprits si réceptifs au monofactoriel.    

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Pharmacologie sociale

lundi 6 mai 2024

La pharmacologie sociale étudie les facteurs sociaux qui influencent l’usage des médicaments, à des fins thérapeutiques ou non, et leur répercussions sur la société.

Elle démontre que l’autorisation de mise sur le marché (AMM) par les autorités, la prescription par les médecins et l’usage par les citoyens de la grande majorité des médicaments, répondent à de nombreux facteurs qui ne sont ni cliniques, ni rationnels.

L’AMM est accordé à de multiples copies par simple respect du libre marché sans souci de l’impact sur les finances publiques. Ainsi, sur 1000 médicaments mis sur le marché, seulement 30% représentent une innovation, le plus souvent dérisoire. Ces AMM sont basées sur des essais cliniques qui souffrent des « cinq trop » : trop courts, trop schématiques, trop rigides, trop réservés aux âges moyens, trop peu représentatifs de la population cible.

 Les investissements en matière de recherche pharmacologique sont totalement déconnectés de la prévalence ou de la gravité des maladies. Ainsi, on recense 160 médicaments contre l’hypertension artérielle contre seulement 40 destinés aux graves parasitoses tropicales.

On découvre que 80% des médicaments sont consommés par 17% de la population mondiale. Cette inégalité entre pays se retrouve de façon inversée à l’intérieur des pays. Dans les pays riches, ce sont les plus pauvres et les moins éduqués qui sont les plus gros consommateurs de médicaments, soit pour usage thérapeutique, soit de façon détournée comme drogues. Ainsi, la consommation de médicaments est un indicateur des inégalités sociales aussi important que l’obésité.

Les prescripteurs sont formés majoritairement par les laboratoires et soumis aux forcing des médias qui annoncent des découvertes toujours miraculeuses. La culture populaire joue également un rôle pour la prescription : l’homéopathie n’existe qu’en Europe de l’Ouest, les Asiatiques refusent les suppositoires, les Anglo-Saxons ne croient pas à l’efficacité des injections.

La théorie des signatures de Paracelse soutenait que la forme et la couleur des plantes donnait une idée de leur action. Le satyrion, ainsi nommé par sa ressemblance aux organes génitaux devait agir contre l’impuissance. De même la pulmonaire dont la marbrure des feuilles évoque les poumons devait agir sur cet organe. Le marché moderne a repris avec succès les ingrédients de cette théorie fantaisiste : un anxiolytique ne doit pas avoir de couleur vive, la rhumatologie dispose d’antiinflammatoires en forme d’osselet et la cardiologie de comprimés en forme de cœur.

Pour être puissants, les « fortifiants » de notre enfance devaient se présenter sous forme d’ampoules buvables et avoir très mauvais goût ; heureusement que nous avions le plaisir de scier les deux côtés de l’ampoule et de garder la petite scie.

Enfin, la pharmacologie sociale aborde l’impact écologique des médicaments éliminés dans la nature. Énorme !

Je vais m’empresser de recycler les dernières petites scies de ma collection.

Bibliographie

Tricheurs de l’empathie

lundi 22 avril 2024

La charité n’est jamais exclusivement altruiste. Les indulgences accordées par l’Église catholique permettaient aux âmes charitables de gagner des années de paradis. Les aumônes des dames patronnesses envers les familles, aidaient à faire oublier les conditions de travail des pères de ces mêmes familles dans les usines. La médecine du travail a supplanté les dames patronnesses en introduisant la santé comme lubrifiant pour les rouages de la révolution industrielle.

Plus tard, les entreprises ont affiché leur philanthropie en développant un « charity business » utile à leur image, à leur marketing et à leurs relations publiques dans un cadre plus général d’optimisation fiscale. Ces dons des entreprises ont permis la création d’ONG qui suivent, à leur tour, les règles du monde entrepreneurial. Ainsi donateurs et donataires sont les deux acteurs du marché de l’empathie qui s’inscrit dans le PIB au titre des productions tertiaires. Ce secteur est un gros pourvoyeur d’emploi, et c’est là sa première action humanitaire, bien avant les retombées concrètes sur les divers terrains de la misère.

Les cadres des ONG ou de l’ONU ont des salaires équivalents à ceux des cadres d’entreprises classiques, mais à l’inverse de ces derniers, ils n’ont pas l’obligation de remplir des objectifs chiffrés. Ils ont certes des résultats concrets sur des individus qu’ils protègent contre la famine, le viol ou la maladie, cependant à plus grande échelle, un seul exemple suffit à montrer les faibles retombées en termes de santé publique et de progrès social.  Haïti est le pays qui a reçu le plus grand nombre de dons de toutes parts, et ce pays recèle les plus gros taux de misère, de famine, de maladies et de criminalité. Disons plus trivialement qu’il n’y a que des miettes qui arrivent sur les terrains de la misère.

En pharmacologie, on peut montrer l’action d’un médicament sur un paramètre labile de quelques individus, mais cela ne suffit pas à connaître son rapport bénéfices/risques en termes de santé publique.  

Le nombre d’étudiants en médecine désireux de s’engager dans l’humanitaire ne cesse de croître. Le mot « humanitaire » remplace avec plus de brio le terme désuet de « vocation » que l’on prêtait au choix professionnel des médecins.

Les métiers du tertiaire sont toujours plus recherchés que ceux du primaire et du secondaire en raison de leur moindre pénibilité. Je crains que cet engouement des carabins pour l’humanitaire n’aggrave dangereusement notre pénurie d’anesthésistes, neurochirurgiens, obstétriciens ou généralistes ruraux. Les déserts médicaux sont probablement le premier aspect de cette inflation du « méta tertiaire » médical.  

Il est éthique et louable de créer des structures d’aide aux faibles et aux opprimés. Mais ce serait tricher avec l’empathie que de ne pas en évaluer les résultats sur le terrain avec autant de rigueur que nous l’exigeons pour les biens manufacturés, les aliments, les médicaments ou pour tout service du tertiaire.

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