Archive pour la catégorie ‘Médecine’

Vaccins, pourquoi ne fait-on pas comme pour les médicaments ?

samedi 10 juin 2017

Les vaccins constituent la plus belle victoire de la médecine. Jusque dans les années 1970, les vaccins avaient une place à part dans le marché sanitaire. Leur mise sur le marché était initiée par des instituts ou des ministères, leur rentabilité était faible et ils jouissaient d’une image vierge de tout conflit d’intérêts. Tous les médecins en étaient des promoteurs, fervents, discrets et efficaces.

C’est dans ce contexte qu’ont pu être introduits avec une grande efficacité des vaccins non obligatoires (rougeole, oreillons, rubéole, coqueluche, méningite à haemophilus, etc.) avec des taux de couverture vaccinale à peu près identiques aux taux des vaccins obligatoires.

Progressivement, plusieurs éléments sociaux sont venus modifier la sociologie vaccinale et ternir l’image idyllique de la vaccination. Nous pouvons les résumer en quelques points :

– Les nouveaux médias et l’utilisation de la polémique comme générateur d’audimat ont donné un grand pouvoir aux sectes anti-vaccinales.

– Le marché a commencé à s’intéresser à ce secteur considéré jusqu’alors comme peu attractif.

– De nouveaux vaccins ont été mis sur le marché pour des pathologies dont l’impératif de santé publique n’apparaissait pas urgent d’emblée à tous les médecins (pneumocoque, méningocoque, HPV).

– Enfin, quelques maladresses ont levé des suspicions sur de possibles effets secondaires et de possibles conflits d’intérêts (Hépatite B, grippe H1N1).

L’image de la vaccination s’est dégradée en France, car les ministères n’ont pas adapté leur communication à ces nouvelles données sociétales. Mais la plus grave erreur est de toujours considérer les vaccins en bloc ; ce qui est compréhensible de la part des sectes, mais ne l’est pas de la part des ministères et des médecins. Le vaccin antigrippal n’a pas la même efficacité que le vaccin antipolio, les vaccins anti-méningocoque ou anti-rotavirus n’ont pas le même intérêt public que le vaccin antidiphtérique ou anti-hépatite B.

Il est important de se référer à ce qu’est vraiment un problème de santé publique. Une maladie, un risque ou une habitude sont des problèmes de santé publique lorsqu’ils sont assez fréquents et assez graves. L’alcoolisme, la grippe, la tuberculose, le tabagisme, la prématurité, la dépression ou la maladie d’Alzheimer  sont des problèmes de santé publique. La varicelle est fréquente mais elle n’est pas grave, elle n’est donc pas un problème de santé publique. La méningite à méningocoque est grave, mais elle n’est pas fréquente, elle est un grave problème de santé individuelle, mais elle n’est pas un problème de santé publique.

Nous devons encourager nos ministères à faire pour les vaccinations ce qu’ils ont réussi à faire pour les médicaments avec les fameux niveaux de SMR (service médical rendu). Il est urgent de rompre avec le dogmatisme vaccinal, inventons le SPR (service public rendu) pour juger les vaccins.

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Hystérie, quand reviendras-tu ?

lundi 29 mai 2017

Depuis les contorsions acrobatiques de la célèbre Augustine, devant les étudiants du docteur Charcot à l’hôpital de la Salpêtrière, l’hystérie a fini par disparaître de la liste des diagnostics médicaux.

Cette maladie romanesque était supposée provenir des ovaires et de l’utérus. Les hommes étaient épargnés, car l’on devait présupposer que les testicules n’avaient aucun pouvoir psychotrope.

Freud a fini par détruire le mythe ovarien, en affirmant l’origine psychique de l’hystérie ; mais il a surenchéri avec de nouveaux mythes machistes, en créant, entre autres, le pittoresque « complexe de castration ».

Puis avec l’évolution progressive des mœurs, de subtiles négociations diagnostiques ont conduit les femmes à réduire leur niveau d’hystérie au fur et à mesure que les médecins réduisaient leur niveau de machisme. Ce n’est pas encore gagné, mais nous y sommes presque : l’hystérie a été remplacée par les troubles somatoformes. Ce grand panier diagnostique regroupe tous les symptômes et douleurs induits par le stress et les conflits, symptômes qui viennent quotidiennement donner la preuve, tant aux hommes qu’aux femmes, qu’ils sont bien vivants.

Disons-le de façon elliptique : l’hystérie d’aujourd’hui, c’est lorsque la médecine d’aujourd’hui ne trouve rien.

Mais si Freud est révolu, Charcot est toujours en embuscade. La techno-médecine, qui a horreur du vide diagnostique, ne cesse de fouiller l’intime des molécules pour trouver la cause des symptômes de la vie. Pour les troubles somatoformes, l’imagerie médicale a enfin trouvé quelque-chose à se mettre sous la dent : les IRM fonctionnelles et tomographies à émission de positons ont objectivé des images cérébrales liées à ces troubles. « Voilà pourquoi, monsieur, votre fille est muette. »

Evidemment, deux nouveaux camps s’affrontent, ceux qui pensent que ces images cérébrales sont la cause du mal, et ceux qui pensent qu’elles en sont la conséquence.

De toute évidence, les images cérébrales font simplement partie de ces troubles, car si le psychisme est capable de réellement paralyser une jambe ou de provoquer une vraie douleur, il peut certainement perturber le fonctionnement de quelques molécules cérébrales.

Mais ne doutons pas de la puissance de feu des « molécularistes ». Une nouvelle hystérie va naître, avec une parité totale entre ovaires et testicules, car il n’est pas question de se priver de la clientèle des mâles qui représentent tout de même la moitié du marché potentiel de l’imagerie des troubles somatoformes.

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Radio-psychanalyse des actes manqués

vendredi 19 mai 2017

Psychiatres ou non, peu de médecins pensent encore aujourd’hui que la psychanalyse ait un rapport quelconque avec une démarche clinique ou scientifique. Ni art, ni science, elle n’est plus que la survivance d’une époque où quelques penseurs audacieux ont envahi les sciences cognitives et l’anthropologie avec une expertise de l’arrogance confinant au génie.

Notre pays est l’un des derniers où elle conserve une certaine vivacité, sous forme d’un commerce lucratif au fonctionnement sectaire. La dérive cognitive de ses ultimes penseurs ne se distingue plus de celle des pires obscurantismes.

Tout son vernis n’a pas encore craqué, et la couche restante continue à séduire certains médias. Des psychanalystes viennent ponctuer régulièrement les commentaires de faits divers ou d’évènements politiques, avec des propos péremptoires qui, comme par le passé, se parent des atours d’une vérité définitive. Qu’on en juge par quelques exemples…

Devant un drame rarissime comme celui d’un enfant décédé pour avoir été oublié dans une voiture en plein été, un psychanalyste a évoqué un « acte manqué », ajoutant l’ignominie à l’impensable. Anathème jeté cruellement sur de pauvres parents déjà délabrés par leur impossible erreur.

L’acte manqué serait l’expression d’un inconscient dont, par définition, on ignore tout. C’est un diagnostic récurrent chéri des psychanalystes. Le contester serait audacieux, car avec leur supériorité kafkaïenne, les psychanalystes ont durablement imposé l’idée que la contestation de leur méthode ou de leur diagnostic était elle-même une expression de cet inconscient pathogène.

Lors de l’affaire DSK, les psychanalystes interrogés n’ont pas manqué d’affirmer que le viol était un acte manqué pour échapper à la présidence de la république, et que la violée avait été trop sidérée pour se défendre et porter plainte immédiatement. Subtil combat d’actes manqués ! Cacophonie d’inconscients ! Les juges, plus pragmatiques ont conclu à la manipulation d’une opportuniste, indemne de coups, et dont le poids et la force musculaire étaient supérieurs à ceux de son agresseur sexagénaire et sans arme.

Plus pittoresque encore, et plus près de nous. Un psychanalyste évoquant la violence de Marine Le Pen, lors du débat du second tour des élections présidentielles 2017, a encore parlé d’acte manqué. Marine Le Pen, inconsciemment toujours, ne souhaitait pas, elle non-plus, accéder à la présidence de la République…

Un psychanalyste ne peut pas trivialement penser que l’héritière d’un parti familial a tout simplement hérité du système d’éducation et des gènes de ceux qui l’ont fondé.

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Cancer vaincu par la banalité

lundi 8 mai 2017

Depuis quelques années, la frénésie du dépistage a multiplié les diagnostics de cancer, jusqu’à créer un insoluble problème de terminologie. Nul ne sait plus comment différencier un cancer dépisté qui ne se serait jamais manifesté, d’un cancer qui s’est manifesté de lui-même. Ce problème est devenu majeur depuis que les études démontrent que les faibles gains de mortalité en cancérologie ne sont pas dus aux dépistages, mais presque exclusivement aux progrès des traitements de cancers évolués.

Cependant, cancérologues et industriels, par déni ou propagande, assimilent certains cancers à des maladies chroniques pour insister sur la longue durée de vie après diagnostic ; ce sont évidemment les cancers dépistés qui entrent dans cette catégorie. Il faudra alors parler de « cancers aigus » pour les autres.

Mais un problème encore plus épineux se profile, déjà évoqué ici, nous serons bientôt tous des cancéreux chroniques, si l’on en juge par de récents progrès théoriques et techniques.

Nous commençons à comprendre la longue série des mutations cellulaires précancéreuses et nous découvrons que ces mutations sont présentes chez de nombreux adultes. En faisant des biopsies de peau saine sur les paupières de 234 jeunes adultes, on a eu la surprise de découvrir que 25% d’entre eux étaient porteurs de mutations précancéreuses. Il est bien évident que la majorité de ces patients « positifs » n’auront jamais de cancer de la peau.

Une technique récemment mise au point par une équipe française permet de détecter les cellules tumorales circulant dans le sang (probablement aussi nombreuses), sans pouvoir encore préciser le type de cancer dont elles seraient éventuellement issues. Pour l’instant, la publicité présente ce test comme un moyen de surveiller les récidives ou métastases des « cancers aigus ». Mais elle souligne insidieusement qu’il pourrait être proposé à une population sans cancer identifié, en prenant cyniquement la peine de préciser qu’il faudrait une prise en charge psychologique en cas de résultat positif indiquant un cancer débutant (ou chronique !)…

Ne doutons pas que le commerce proposera prochainement ce test en dépistage généralisé, induisant des taux de positifs dépassant largement la réalité morbide du cancer.

Mais voilà peut-être la résolution de notre problème terminologique. La rapidité des progrès techniques et la frénésie du dépistage nous conduiront très bientôt à découvrir que 100% de la population adulte est porteuse d’au moins un « cancer chronique ». Le cancer chronique sera alors une banalité et nous pourrons alors abandonner tous les dépistages et consacrer notre énergie à essayer d’améliorer encore le traitement des « cancers aigus » (les seuls vrais), avec gravité, sagesse et lucidité, sans mercatique ni démagogie. Bonheur de refaire enfin de la vraie médecine, pas celle qui augmente la morbidité chez les bien-portants, mais celle qui la diminue chez ceux qui ont vraiment besoin de nous.

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Les deux types de drogues

samedi 29 avril 2017

Les drogues sont un sujet politique rare et sporadique. Il n’est traité que lorsqu’il suscite un débat de type binaire, comme les chérissent beaucoup de zappeurs et débatteurs.  Les drogués sont-ils de vilains jouisseurs ou de fragiles victimes ? Faut-il les punir ou les aider ? La salle de shoot étant devenu le lieu ultime d’affrontements entre les outrances pénalistes et caritatives. Bref, les drogués sont-ils, comme les immigrés, les fonctionnaires, ou les financiers, la cause ou la conséquence des turpitudes de l’Histoire.

Un raisonnement dichotomique oppose les drogues licites et illicites, thérapeutiques et récréatives, dures et douces (c’est-à-dire rapidement addictive ou non), enfin, selon qu’elles induisent ou non des comportements risqués et antisociaux.

Mais, très vite, l’observation des faits conduit à interrompre tout raisonnement de type binaire.

L’alcool, qui fait partie des drogues les plus dures, et les plus inductrices de comportements risqués et antisociaux, est aussi la plus licite, la plus accessible et la plus répandue.

Les opioïdes (morphine, héroïne) qui sont les plus rapidement addictives, les plus antisociales et les plus toxiques, sont prescrite avec un grand laxisme d’indications par les médecins, ceux-là même qui sont en charge  de la prévention et du traitement des addictions.

Les benzodiazépines qui sont assez toxiques et très rapidement addictives, sont distribuées avec une légèreté déconcertante et remboursées par la sécurité sociale.

Le cannabis, essentiellement récréatif, est illicite malgré son niveau de risque en deçà des précédents.

Les amphétamines, ont été longtemps prescrites et remboursées, elles ont même été judicieusement masquées jusqu’à la récente mésaventure du Mediator.

Les antidépresseurs, inducteurs de suicides, d’addictions relativement rapides, restent abondamment prescrits et remboursés malgré leur échec thérapeutique quasi constant.

Occasion de rappeler ici que dans toutes les civilisations les drogues récréatives et thérapeutiques étaient clairement dissociées. Curieusement, la médecine est devenue, de loin, la première pourvoyeuse d’addictions. Ce commerce lucratif nous fait oublier que dans la plupart des troubles psychologiques et des pathologies  psychiatriques (hors psychoses), les thérapies comportementales sont largement supérieures aux diverses drogues licites et remboursées.

Il apparaît que la définition des drogues et leur acception publique demeurent bien vagues. Devant la difficulté d’être binaire, soyons le sans pondération, le seul véritable problème des drogues n’est pas celui de leur caractère licite ou illicite, de leur dangerosité, de leur dureté, ou de leur asocialité, il est peut-être essentiellement celui de leur remboursement…

Il n’existe que deux types de drogues, celles qui sont remboursées et celles qui ne le sont pas.

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Des médecines parallèles à la médecine intégrative

lundi 17 avril 2017

Auparavant, on nommait « parallèles », ces médecines qui soignaient leurs patients avec des traitements non reconnus par la faculté ou n’ayant pas fait l’objet d’essais cliniques validés par la science. Selon les postulats de la géométrie euclidienne, les parallèles n’ont aucune chance de se rencontrer.  Ni ces médecines, ni la médecine académique ne tentèrent donc jamais le moindre rapprochement, sémantiquement impossible. Deux mondes hermétiques.

Puis, ces médecines ont été nommées « alternatives ». C’était moins rédhibitoire, cela laissait au patient des choix alternatifs. Liberté d’alterner d’une médecine à l’autre en fonction des situations cliniques rencontrées. Les patients consultaient l’académie pour leurs certitudes morbides et côtoyaient les alternatives pour leurs doutes. Ils prenaient garde à ménager la susceptibilité de chacun des praticiens, afin de n’être abandonné, ni de celui qui auscultait le cœur ni de celui qui l’écoutait.

Par la suite, on a utilisé le terme de médecines « complémentaires ». Signifiant clairement au patient qu’il pouvait utiliser les différentes pratiques à sa guise, sans avoir à les dissimuler à aucun des praticiens. La seule condition étant de respecter une hiérarchie tacite entre le fondamental et le complémentaire. L’Université condescendait à ces pratiques dans l’intérêt du patient, à défaut de savoir ou de vouloir les appréhender dans l’intérêt de la science.

Mais toutes ces révisions terminologiques, n’ont pas comblé le fossé. Nul ne sait pourquoi la médecine basée sur les preuves est aussi souvent en échec, même lorsqu’elle applique des protocoles confirmés par la preuve. On ne sait pas davantage pourquoi les pratiques intuitives et empathiques sont aussi souvent efficaces, indépendamment de toute preuve. Et cela dans tous types de pathologie, des plus banales aux plus redoutables.

L’ampleur de la variabilité individuelle dans notre espèce dépasse tout ce que les sciences biomédicales peuvent découvrir par l’expérimentation. Des thérapeutiques probabilistes basées sur des études populationnelles ne seront bénéfiques qu’à 20% ou 30% des patients, alors que diverses méthodes d’autosuggestion seront tout aussi bénéfiques aux mêmes pourcentages. Nombreux sont ceux qui reconnaissent désormais cette réalité et pensent qu’il ne faut priver les patients d’aucune opportunité, même si la rationalité  n’est pas au rendez-vous.

C’est pourquoi, le nouveau terme est celui de médecine « intégrative », avec l’idée sous-jacente d’un patient global auquel il faut accorder la globalité du raisonnable et de l’intuitif. Une médecine qui tapote la main du patient et une qui fait la ponction veineuse. Une médecine qui pleure et une médecine qui saigne.

L’intégration sera complète, et ne nécessitera plus de nouveaux termes, lorsque chacun acceptera les impératifs nécessairement obtus des articles scientifiques et lorsque les universitaires en écriront moins pour laisser plus de temps au tapotage de main.

Poudre de corne aux yeux

samedi 18 mars 2017

Dans le Zaïre des années 1970, le commerce de la « poudre de taureau » était florissant. Une petite boîte métallique ronde, sur le couvercle de laquelle était imprimée une tête de taureau aux cornes monumentales, contenait de la poudre issue de ces cornes pilées. Ses vertus aphrodisiaques et son pouvoir érectile étaient incontestés. Qui, d’ailleurs, aurait pu contester un tel pouvoir sans se couvrir de ridicule ?

Ce même Zaïre, aujourd’hui devenu Congo, vivait les soubresauts interminables des guérillas du Katanga, aujourd’hui devenu Shaba. Les routes étaient parsemées de barrages dont la perméabilité était proportionnelle au montant des fameux « bakchichs » versés aux militaires armés de kalachnikov et imprégnés de bière locale.

Mon statut de médecin me permettait de surfer sans trop de mal sur cette poudrière, grâce à la variété de mes bakchichs : nivaquine, pénicilline ou aspirine. Mais le « petit cadeau » le plus prisé  était la « poudre de taureau », car aucune arme, fut elle symboliquement phallique, ne peut remplacer une bonne érection. D’autant plus que les guérillas offrent de belles opportunités coïtales. La vie quoi !

Hélas, en ces temps de guerre, l’approvisionnement était difficile, et mon éthique m’interdisant d’utiliser des placebos de nivaquine, il me fallait trouver des placebos de poudre de taureau. C’est alors que mes infirmiers me montrèrent une salle secrète remplie de boîtes vides de la précieuse poudre. Je n’étais donc pas le premier à avoir eu l’idée du placebo. J’ai même supposé qu’un importateur ne livrait que des boîtes vides, laissant à chaque revendeur le soin d’y mettre une poudre de son choix.

Récemment, un rhinocéros a été tué dans un zoo français, puis amputé de sa corne, car les chinois en achètent la poudre à prix d’or. La forme et la position de la corne augmentent étrangement sa vertu érectile.

Il serait profondément raciste de penser qu’un riche chinois des années 2010 est obligatoirement mieux éduqué qu’un guérillero katangais des années 1970. Par contre je n’arrive vraiment pas à comprendre pourquoi les importateurs chinois de corne de rhinocéros n’ont pas encore atteint le niveau de lucidité thérapeutique de mes infirmiers zaïrois.

Piétons fragiles et malotrus

dimanche 12 mars 2017

Dans la jungle de la circulation urbaine où des doigts se brandissent pour déshonorer les cieux et où des klaxons égrainent les incivilités, nous apprécions tous cette nouvelle délicatesse des automobilistes qui s’arrêtent immédiatement dès qu’aux abords d’un passage protégé, un piéton esquisse une intention de traverser. Et l’on voit souvent ces piétons, ravis, ajouter un geste de remerciement : contagion de courtoisie, encore impensable il y a quelques années.

Mais parfois, fausse note dans cette convivialité, un piéton malotru brandit à son tour un doigt insolent en direction d’un automobiliste, sous prétexte que ce dernier n’a pas respecté la nouvelle règle, par étourderie ou par défaut de promptitude.

On se met alors à haïr ces passants  qui risquent de gâter les acquis, pour n’avoir pas compris le fonctionnement élémentaire de nos sociétés.

De toutes les espèces, sapiens est celle qui a su le mieux investir la niche de coordination sociale ; l’échange, l’empathie et la coopération, avec leur capacité cumulative, nous ont conféré un avantage définitif sur toutes les autres espèces.

Nous avons tous un sens inné de détection des tricheurs et de pardon à leur égard, tant qu’ils ne menacent pas la coordination sociale.

Ces piétons qui n’ont rien compris me font penser à tous ceux que je vois régulièrement menacer notre solidarité nationale en amassant les dons de la sécurité sociale, avec autant de déraison que les capitalistes fous amassent des fortunes inutiles. Ceux qui n’ayant pas utilisé les trois jours d’arrêt de travail que l’on accorde pour un enfant malade, les réclament avant la fin de l’année. Ceux qui utilisent les ambulances comme des taxis, ceux qui remplissent incessamment leur armoire à pharmacie où se font rembourser les médicaments du chien. Ceux qui réclament au-delà de l’acharnement thérapeutique pour leurs mourants ou comas dépassés, ceux qui se muent en tyrans de la compassion. Ceux qui demandent des indemnités illimitées pour des bobos. Ceux dont les lombalgies servent de passe-droit universel. Ceux dont une égratignure au travail suscite vingt IRM.

Ces exilés de la solidarité nationale sont-ils plus pardonnables que les exilés fiscaux ? Ces collectionneurs de droits sociaux sont-ils moins compulsifs que les richissimes Harpagons cramponnés à leur cassette ?

Certes, la compulsion des riches nous coûte infiniment plus cher que celle des pauvres, mais il ne faut pas négliger l’aspect qualitatif. Les uns comme les autres, me paraissent aussi obtus que ces piétons qui n’ont pas encore compris qu’il pouvait être dangereux de trop raturer le nouveau paysage urbain en train de se dessiner.

La pharmacie du facteur

lundi 6 mars 2017

Est-ce que l’hypertension artérielle ou le diabète de type 2 sont des maladies ? Non, ils sont des facteurs de risque d’accident vasculaire (cérébral ou autre). Est-ce que l’ostéoporose est une maladie ? Non elle est un facteur de risque de fracture. Est-ce que l’obésité, la dépression  ou la grippe sont des maladies ? Oui, car elles sont cliniques, c’est-à-dire : perçues par le patient ou son entourage.

Depuis qu’elle dispose d’appareils permettant de mesurer certains paramètres physiologiques ou biologiques, la médecine a pris la très mauvaise habitude de confondre facteur de risque et maladie ?

Ce dévoiement provient de l’idée séduisante que l’on peut empêcher la survenue d’une maladie en corrigeant un facteur biologique de risque. C’est ce que l’on appelle la « prévention primaire » dont la logique et théoriquement parfaite.

Or depuis plus d’un siècle que la médecine tente de corriger les facteurs de risque biologiques par des moyens pharmacologiques, il s’avère que les médicaments de toutes ces préventions primaires sont, soit inefficaces, soit beaucoup moins efficaces que les règles hygiéno-diététiques classiques : marcher, bouger, manger moins de sucres et de graisses.

La pharmacologie s’avère inefficace pour empêcher un premier « instant clinique » tel qu’un accident vasculaire ou une fracture, ou pour retarder une démence. Inversement, lorsque la pharmacologie intervient après une vraie maladie, elle peut montrer une certaine efficacité pour retarder la survenue d’un deuxième évènement clinique. C’est ce que l’on appelle la « prévention secondaire ».

Dit d’une façon triviale : la médecine est plus efficace pour les malades que pour les bien-portants.

Pourquoi les médicaments sont-ils plutôt efficaces en prévention secondaire, alors qu’ils ne le sont pas en prévention primaire ? Nul ne sait aujourd’hui répondre à cette question.

Chaque maladie étant multifactorielle, il existe certainement de nombreux facteurs biologiques et environnementaux, encore inconnus, susceptibles de déclencher un « instant clinique ».

Une des explications possibles de cette supériorité de la prévention secondaire sur la prévention primaire repose sur les comportements individuels. Chacun étant plus enclin à suivre des règles d’hygiène de vie après une première alerte clinique, alors qu’avant toute alerte, l’optimisme naturel de sapiens le rend plus négligeant.

Les médicaments peuvent même être indirectement néfastes avant le premier instant clinique, en favorisant cette négligence.

Bref, en prévention primaire, l’essentiel du conseil médical peut se résumer ainsi : bougez plus et mangez moins. Mais cela parait bien dérisoire, surtout après avoir fait neuf années d’études supérieures.

Il est tout de même plus valorisant, pour les médecins, de disserter sur la pharmacologie d’un facteur biologique, d’autant plus que les patients ont ainsi l’impression que l’on prend mieux soin d’eux.

Références

Médecins acharnés ou sages

mardi 28 février 2017

La loi Léonetti a tenté de limiter les pratiques dites d’acharnement thérapeutique et autorisé à pratiquer des sédations profondes pour les malades en fin de vie.

Cette loi est assez mal appliquée en pratique, car la définition de l’acharnement thérapeutique reste encore à trouver. Et les débats sur ce thème s’achèvent souvent par un retour de chacun à ses convictions initiales.

Les médecins les plus « acharnés » ne manquent pas d’arguments : l’acharnement peut être source de progrès futurs, les patients réclament souvent les nouveautés thérapeutiques, les familles sont rarement réticentes à toute nouvelle tentative, etc.

Ces médecins sont probablement guidés en premier lieu par l’humanisme, l’empathie et le devoir de soins, mais il serait naïf de taire d’inconscientes considérations commerciales. La médecine est aussi un commerce, et il faut avoir beaucoup plus de honte à le cacher qu’à le dire. Les industriels font pression sur les médecins pour proposer des chimiothérapies coûteuses ne donnant parfois que quelques semaines de survie d’une qualité médiocre, et tous les médecins, hélas, ne sont pas vierges de conflits d’intérêts.

Puisque ce sujet est d’une extrême complexité économique et sociale, il est préférable de s’en remettre exclusivement à la science, en comparant les résultats cliniques. Les alternatives à l’acharnement sont ce que l’on nomme les soins palliatifs où l’on ne se préoccupe que des douleurs et du confort du patient. Plusieurs auteurs ont donc tenté de comparer ces chimiothérapies avec les soins palliatifs.

Les résultats sont quasi-unanimes, La durée de vie des patients est identique, voire supérieure, avec les soins palliatifs, et les patients ont une meilleure qualité de vie qu’avec les traitements actifs. Il faut ajouter qu’en cas de chimiothérapie, le désir des patients concernant leur lieu de fin de vie est beaucoup moins souvent respecté.

Mais, il y a pire que l’acharnement thérapeutique. Plusieurs patients âgés et porteurs d’un cancer évolué dont l’espérance de vie est inférieure à deux ans, se voient parfois proposer des dépistages pour un autre cancer. Faut-il en rire ? La machine médicale avance parfois sans chauffeur.

Ainsi, que les médecins appartiennent à la catégorie des « acharnés » ou à celle des « sages », ils doivent toujours préférer les soins palliatifs. L’argument des acharnés quant aux quelques semaines de survie qu’ils font gagner à leurs patients n’est statistiquement pas pertinent, et il n’est pas recevable cliniquement.

Références