Archive pour la catégorie ‘Médecine’

Prostate : fable du PSA

lundi 16 septembre 2013

Le dépistage du cancer de la prostate par le dosage du PSA est dénoncé comme inefficace, depuis 20 ans, tant par les praticiens de terrain qui constatent son inadéquation avec la réalité clinique, que par les méta-analyses les plus rigoureuses.

Avec quelques généralistes, nous avons tenté de lutter contre la promotion exagérée de ce test par l’Association Française d’Urologie (AFU) et par l’industrie du diagnostic biologique.

Mais comment expliquer à un patient le contraire de ce qu’il entend sur tous les médias ? Je me souviens d’un « débat » sur France Inter, où les trois invités étaient tous des urologues de l’AFU ! Cela ne s’invente pas ! Comment expliquer que ce dépistage est une « perte de chance », si notre patient a été convaincu de l’inverse par un spécialiste urologue sans contradicteur.

Même les praticiens de tempérament « David » ont vite compris qu’il fallait mille fois plus de temps pour convaincre de l’inutilité du test que pour le prescrire, car « Goliath » s’était glissé entre eux et leurs patients. Le « paiement à l’acte » a certainement été le principal étouffoir de la polémique…

Je me souviens, il y a quinze ans, avoir répondu à un proche de 81 ans, qui me demandait ce qu’il devait faire, car son PSA était positif. « Rien », lui ai-je dit, en déchirant sa feuille de résultats. Je ne me serais jamais risqué à un tel geste avec tout autre patient, car un médecin ne peut protéger que sa famille contre les excès de la médecine. Ce parent, aujourd’hui âgé de 96 ans, ignore où en est son PSA, mais il continue allègrement à conduire sa voiture de la même marque !

En 2010, la Haute Autorité de Santé (HAS) refusait définitivement la mise en place d’un dépistage de masse réclamé par l’AFU. Malgré cela, 75% des patients continuaient à réclamer leur PSA, alors que la participation au dépistage du cancer du sein, pourtant vanté par tous les ministères, ne dépassait pas les 53% !

En 2011, la HAS américaine recommande, avec un haut niveau de preuve, de ne pas dépister le cancer de la prostate avec le PSA, suivie par la France en 2012, même chez les hommes à haut risque ! La surprise a été telle que certains médecins ont demandé le retrait de ce texte, car ils ne sauraient comment l’expliquer à leurs patients ! Pour la première fois, dans l’histoire du dépistage en cancérologie, il existait une forte preuve de la supériorité de l’abstention sur l’action !

Mais à l’interface entre médecine et société, rien n’est jamais simple, car ce test décrété inutile, a continué à être remboursé. Vous ne comprenez pas… Désolé, moi non plus.

Enfin, un nouveau pas est sur le point d’être franchi, puisque le rapport Vernant, dans le cadre du troisième Plan Cancer, propose le déremboursement de ce test. Attendons…

Rien ne peut désormais m’étonner dans les aventures du PSA. L’AFU ayant un accès facile aux médias, saura jouer sur d’autres registres que celui des preuves. Plus l’erreur a duré, plus il est difficile de la corriger sans perdre la face… Soyons optimistes, certains urologues commencent à se désolidariser…

Une chose est certaine : la saga du PSA sera, un jour, un excellent sujet de Sciences Humaines et Sociales pour les étudiants.

Dépister ou non l’Alzheimer

jeudi 12 septembre 2013

La Conférence de l’Association Internationale de l’Alzheimer s’est tenue à Boston en juillet dernier (AAIC 2013).

L’une des questions les plus débattues a été celle de l’utilité d’un dépistage et d’un diagnostic précoces. La question était hypocrite, puisque l’on sait que les sponsors de ces associations et conférences orientent déjà toutes les recherches vers un dépistage de plus en plus précoce, indépendamment des avertissements et des inquiétudes des cliniciens.

Malgré cette hypocrisie, dont la médecine prédictive est coutumière, les arguments étaient valables des deux côtés. Les partisans du dépistage insistaient sur la nécessité de la précocité pour améliorer la prise en charge et le pronostic. Les adversaires arguaient qu’il n’existe actuellement aucun médicament susceptible de retarder l’apparition de la maladie ou de ralentir son évolution. Ce dépistage est donc sans intérêt, et risque, en outre, d’inquiéter plus longtemps les patients et leurs familles, sans pouvoir rien changer au pronostic.

Les partisans rétorquaient qu’il existait déjà quelques moyens non pharmacologiques, tels que la marche, l’exercice physique, l’affection, l’entraînement cognitif, la suppression du tabac, des opiacés et des somnifères, le toucher et toutes les stimulations sociales et sensorielles, ainsi que la lutte contre l’obésité. Autant d’éléments qui rangeaient adroitement ces partisans du diagnostic précoce du côté de l’écologie et de l’empathie. Argument combattu maladroitement par les adversaires qui savent que ces thérapies non médicamenteuses sont mal appliquées, ou très vite abandonnées, dès lors que le marché propose un médicament, même si celui-ci est inefficace ou nuisible. Car la croyance en une chimie pouvant tout guérir est tenace, même pour une maladie neuro-dégénérative d’apparition tardive.

Les médecins attentifs savent que la recherche sur la maladie d’Alzheimer, ne pouvant aboutir à guérir ou à éradiquer cette maladie, veut ouvrir des pistes « crédibles » d’un traitement préventif, « vendable » à tous les adultes anxieux et assurés sociaux.

En attendant cette prouesse mercatique et – pourquoi pas – scientifique, l’examen attentif des données actuelles de la science peut mettre tout le monde d’accord sur l’inutilité actuelle du dépistage. Il apparaît que les meilleurs traitements préventifs de cette terrible maladie sont les mêmes que les thérapies considérées comme les plus actives pour en ralentir le cours. Citons-les encore : scolarisation longue et précoce, régime peu calorique, suppression du tabac, entraînement cognitif, socialisation, toucher, exercice physique, affection, stimulation sensorielle, etc. Seuls moyens possédant, à ce jour, la preuve d’une efficacité, tant préventive que curative.

Peu importe alors de chercher à définir le moment opportun du diagnostic, puisque ces traitements ne doivent jamais cesser, avec ou sans diagnostic.

Microbiotes méconnus : la flore intestinale

vendredi 6 septembre 2013

Les lois de l’évolution ne sont toujours pas enseignées en Faculté de Médecine, et la pratique médicale ignore encore la complexité de l’écosystème qui nous tient lieu d’organisme individuel.

Alors que la génétique a régné en maître au cours des dernières décennies, on découvre avec stupéfaction que ce que nous considérions comme notre génome représente en réalité à peine 1/100 de notre patrimoine génétique réel. Car nous avons toujours ignoré le génome des flores commensales de notre peau, de nos intestins et autres muqueuses, ainsi que l’ADN des mitochondries abritées par nos cellules.

La (re)découverte du microbiote intestinal, et ses premières apparitions dans des publications médicales de haut niveau, sont peut-être le signal d’une prise de conscience de la réalité écosystémique de l’individu. Ce « réveil » s’inscrit dans une prise de conscience écologique plus large, où nous mesurons les conséquences de certains de nos excès industriels et médicaux. La flore intestinale en offre un exemple assez didactique.

La sédentarité et l’excès de consommation de sucres expliquent en grande partie l’épidémie mondiale d’obésité, mais le dérèglement de la flore intestinale y joue un rôle important. Ce dérèglement explique aussi l’augmentation des pathologies allergiques, auto-immunes et inflammatoires.

Le remplacement du lait maternel par des laits artificiels stériles, ainsi que l’utilisation immodérée des antibiotiques en pédiatrie, sont des causes désormais bien identifiées de perturbation durable, voire définitive, de la flore intestinale. La multiplication des césariennes – dont la majorité sont inutiles – empêche le nouveau-né d’avoir un contact avec la flore de la filière pelvi-génitale de sa mère, contact indispensable à la construction d’un microbiote adapté. La généralisation de l’usage des antibiotiques dans l’élevage industriel est également un élément de perturbation du microbiote du bétail, et du nôtre.

Il existe déjà des traitements efficaces consistant à transplanter des matières fécales de sujets sains, donc une flore intestinale « saine », à des sujets présentant des colites graves dues aux antibiotiques. Le dégoût qu’inspirent ces traitements, tant aux médecins qu’aux patients, permettra-t-il d’amorcer une baisse de la consommation d’antibiotiques ? Il est trop tôt pour le dire !

Hélas, toute « mode » ou « découverte », même si elle accuse des excès passés, en engendre à son tour. Celle de la « flore » fait  naturellement « fleurir » un marché de probiotiques  supposés « reconstruire » le microbiote intestinal et améliorer diverses pathologies, y compris psychiatriques ou psychosomatiques…

L’avenir nous dira quelle est la part de vérité dans ces propositions où la mode et le commerce semblent déjà déborder la science. La « flore » cérébrale étant certainement la plus prolifique et la plus méconnue !

L’alcool n’est pas discriminatoire

mardi 27 août 2013

Boisson fermentée et magique qui permettait de se rapprocher des dieux, l’alcool a été consommé de tout temps et dans toutes les cultures.

Les civilisations arabes ont été les premières à s’en méfier, puis à dénoncer son action malsaine sur la raison, pour finir par le proscrire définitivement. Cette prohibition a été suffisamment précoce dans l’Histoire pour se transformer en valeur culturelle et religieuse.

Dans le même temps, l’Occident en a magnifié les vertus jusqu’à le nommer parfois « eau de vie » ou l’introduire dans certains rites religieux. Pour finir par en fabriquer des quantités industrielles au moment de la révolution du même nom.

Très vite, on a évalué les ravages sociaux et sanitaires de cette consommation de masse, mais il était trop tard pour arrêter la machine commerciale. La tentative de prohibition aux Etats-Unis a été un cuisant échec.

La violence conjugale est le plus constant des dégâts de l’alcool, et elle est passée au premier plan, devant les accidents du travail et de la route. Le viol est assez souvent, lui aussi, un produit dérivé de l’imprégnation neuro-hormonale. L’émancipation des femmes occidentales au cours du XX° siècle n’y a rien changé ; elles restent les premières victimes de l’ivresse masculine.

Si la libération de la femme n’a pas encore atteint  les rives des pays arabes, il faut cependant constater que les femmes y tombent moins souvent sous les coups de leurs mâles abstinents. Cet avantage, certes relatif, se paie parfois au prix très fort selon les pays. La lapidation pour adultère, la prison pour avoir levé le coin du voile, ou le viol collectif, sont quelques aspects régionaux des sévices de substitution à ceux de l’alcool.

Ne nous risquons jamais à comparer les us et coutumes ou à tirer des conclusions hâtives. Ne tombons pas dans le piège du politiquement incorrect en jugeant tel peuple ou telle pratique.

L’alcool nous fournit ici une excellente occasion de neutralité et d’impartialité. L’alcool n’est décidément pas un objet de discrimination. Indépendamment du pays ou de la culture, quel que soit le niveau d’alcoolisation des mâles, ce sont les femmes qui « trinquent ».

La misère est-elle mauvaise pour la santé ?

mardi 20 août 2013

La médecine basée sur les preuves a encore frappé. Une publication dans un très sérieux journal médical psychiatrique [[1]] révèle que le chômage parental et de mauvaises conditions socio-économiques dans l’enfance favorisent les addictions, les troubles du comportement et la délinquance à l’adolescence.

« Étonnant, non ! », aurait dit feu Pierre Desproges.

Jusqu’à ce jour, beaucoup de parents essayaient de trouver du travail, de mettre leurs enfants dans de bonnes écoles, de diminuer le nombre d’heures passées dans la rue ou devant la télévision, mais ils n’étaient pas encore certains que toutes ces contraintes avaient un intérêt pour leur progéniture.

Désormais, la preuve est faite ; les enfants de chômeurs ont plus de problèmes que les enfants de travailleurs. Mieux encore : « Mieux vaut être riche et en bonne santé que pauvre et malade », comme aurait dit Coluche, un autre grand disparu.

Nous savions depuis longtemps que l’humour est la forme suprême de l’épistémologie. Nous savons désormais que l’absence d’humour est  l’aboutissement des grands diplômes et des études prestigieuses.

Ce sujet sur les dangers de la misère pourrait donc être définitivement clos. Hélas, toute étude est sujette à caution.

D’un côté, quelque ignorant de la chose statistique dira, avec sérieux, qu’il connaît un enfant battu, malnutri et non scolarisé, devenu cadre supérieur et bon père de famille, ou un enfant de milliardaire ayant connu toutes les infortunes comportementales avant de se suicider.

De l’autre côté, un esprit brillant va détecter le biais fatal, car toute étude populationnelle en comporte au moins un. Particulièrement, celles où les critères de jugement sont socio-économiques et psycho-cliniques. Ce lobbyiste ou leader d’opinion pourra alors promouvoir l’illogisme absurde que nous chérissons tant : si la preuve de la thèse est fausse, c’est que l’antithèse est vraie.

Les gouvernements pourront alors laisser tranquillement s’aggraver les inégalités sociales. Les enfants de chômeurs, privés d’école et de diplômes, pourront conserver leur humour.

Et cela donnera du travail à des diplômés pour de nouvelles recherches sur des médicaments actifs contre les addictions et la délinquance, voire sur les causes génétiques de ces deux « maladies », que le chômage ne saurait expliquer !


[1] Seethalakshmi Ramanathan et coll.: Macroeconomic environment during infancy as a possible risk factor for adolescent behavioral problems. JAMA Psychiatry 2013; 70: 218–225.

Requins, platanes ou bolides

jeudi 1 août 2013

Les requins sont les plus redoutés des carnivores marins, et ils sont en très bonne place, avec le lion et le loup, dans le bestiaire de nos fantasmes.

Incontestablement, les requins attaquent parfois l’homme, même en dehors des studios d’Hollywood. Le requin bouledogue à La Réunion, et le requin blanc en Australie, sont les plus meurtriers.

L’homme ne fait pas partie de leurs proies habituelles ; ils n’aiment pas sa chair et craignent sa présence. Parfois, ils ne le reconnaissent pas, car il est bizarrement affublé d’un surf ou autre artifice inconnu. Ils pratiquent alors une morsure dite « d’exploration », pour savoir si cette « nouvelle » proie peut être intéressante. Hélas, la morsure d’un requin, même si elle n’est réalisée qu’à titre de « curiosité », peut être mortelle pour le surfeur.

Le record annuel est de 80 attaques, dont cinq mortelles, pour trente millions de surfeurs dans le monde. La létalité est une valeur relative qui indique le risque de mort d’une pratique ou d’une maladie donnée. La létalité annuelle du requin/surf est donc inférieure à 0,00002%.

Depuis quelques années, la pratique de la Formule 1 est devenue beaucoup moins dangereuse. De dix morts par an dans les années 1970, nous sommes passés à deux par an dans les années 2000, et à un tous les cinq ans aujourd’hui.

Il y a environ une centaine de pilotes dans le monde. La létalité de la Formule 1 est donc dix-mille fois plus élevée que celle du surf/requin (0,2%).

Le drame médiatisé de chaque nouvelle mort interpelle et oblige les décideurs.

Certains ont songé à éliminer tous les requins pour protéger les surfeurs, comme d’autres avaient envisagé de couper tous les platanes pour répondre à la grogne des motards venant s’y fracasser par centaines.

En raisonnant en termes de mortalité absolue, il faudrait éliminer, dans l’ordre : les motos, les platanes, puis les requins, et enfin les bolides de Formule 1.

Si l’on considère la létalité, il faudrait éliminer, dans l’ordre : les motos, les bolides, les platanes, puis les requins.

Dans une société complexe, nul politique n’oserait proposer la suppression des motos et de la Formule 1. Ce n’est pas une raison pour pratiquer une démagogie vengeresse sur les platanes et les requins.

La seule règle valable reste la « règle d’or », celle que l’on appliquerait à soi et à ses proches. Que conseillerait-on plutôt à ses enfants ? Pour ma part, j’ai choisi : ce serait le surf. Ce choix est forcément le meilleur puisqu’il a le rare avantage de faire coïncider des pressentiments avec des données épidémiologiques.

Médias et médecine

mardi 23 juillet 2013

Les grands médias ont toujours salué avec assiduité les progrès médicaux. Les succès de la médecine ont été largement vantés, souvent avec raison – reconnaissons-le –, malgré certains scandales retentissants.

Pourtant, depuis quelques années, les progrès sont de plus en plus ténus, et de plus en plus coûteux.  Chaque minute de vie gagnée coûte de plus en plus cher à la société. Conscients de cette baisse de rentabilité, les grands marchands de santé se concentrent désormais sur les promesses et le rêve. Depuis quelques décennies, on parle plus volontiers d’essais cliniques « en cours », ou de « nouvelles » études qui pourraient déboucher sur des thérapeutiques « prometteuses ».

Sans vouloir saper ce bel enthousiasme du progrès permanent, les méta-analyses et observations rigoureuses montrent des réalités qu’il faut révéler, dans le cadre de l’information éclairée que nous devons aux citoyens et aux patients. Même si la majorité d’entre eux ne sont plus vraiment dupes de cette mercatique sanitaire.

Les études et essais cliniques annoncés ne sont publiés que lorsqu’ils sont positifs. C’est-à-dire environ une fois sur trois (voire une fois sur cinq, pour les antidépresseurs, par exemple).

Les meilleurs résultats publiés, dans les plus prestigieuses revues médicales, sont réfutés trois fois sur quatre dans les années suivantes. Ces réfutations ne sont publiées et médiatisées qu’une fois sur quatre ou cinq.

La calculette nous indique assez crûment ce qu’il convient de retenir de tout cela.

Prenons le meilleur des cas : 1/3  x  1/4  x 1/4  =  1/48.

Prenons le pire des cas : 1/5 x 1/4 x 1/5 = 1/100

Cela signifie, en clair, que dans les succès médicaux à venir, annoncés par les médias, il y a entre une et deux chances sur cent que l’un d’entre eux soit utile aux patients dans les décennies à venir. Entre 1% et 2%, cela fait beaucoup moins que les 5% qu’exigent les statisticiens pour la significativité d’un résultat !

Et puisque, malgré notre admiration pour les progrès des sciences biomédicales, nous acceptons de jouer ici les rabat-joie, il faut ajouter que les médias fonctionnent avec la médecine à l’inverse de la SNCF. D’un côté, on ne parle que des trains qui arrivent en retard. De l’autre côté, un résultat médical positif est cité et médiatisé cinq fois plus souvent qu’un échec, même sévère.

Si les médias sont si tendres avec la médecine, c’est certainement que la puissance de l’industrie sanitaire sait mieux les asservir ou les émouvoir. Ou encore qu’un sentiment trop intime de leur finitude, diminue la lecture critique et la lucidité des journalistes, comme celles des patients et de leurs proches.

Mon répondeur chez le psychiatre

vendredi 5 juillet 2013

Les répondeurs automatiques qui vous donnent les choix 1, 2 ou 3, après avoir tapé dièse ou étoile, sont une conséquence du coût élevé du travail, de la consommation de masse et de la financiarisation de l’économie. Le système semble bien fonctionner, puisqu’il s’est répandu en quelques décennies à tous les secteurs publics et privés.

Nous avons été contraints de nous habituer à ces voix humanisées, au timbre suave et commercial. Parfois, la voix vous demande de parler, car son robot sait comprendre des mots simples. Il vous suffit de dire clairement : « abonnement », « panne » ou « oui » pour qu’une nouvelle voix vous propose de nouvelles étoiles ou de nouveaux mots simples. Parfois, la voix vous dit qu’elle n’a pas entendu clairement votre réponse, même si vous n’avez pas prononcé un seul mot. Et si vous précisez que vous n’avez rien dit, elle ne vous répond jamais que vous êtes stupide ; elle vous répète cordialement qu’elle n’a pas compris votre réponse.

Pour éviter les écueils de ces robots humanisés, on a inventé l’humain robotisé. Il travaille dans un centre d’assistance téléphonique, il habite parfois loin de chez vous, dans un pays où l’on ne peut pas toujours s’offrir la technologie pour laquelle vous avez besoin de son assistance. Afin d’éviter les colères et les conflits, il a un registre limité de questions et de réponses programmées, issues de la formation stricte qu’il a reçue. Il a été éduqué à ne jamais avoir d’humeur, et à vous donner son prénom au début et à la fin du dia/mono/logue.

En médecin, il m’arrive de penser que le système éducatif de ces robots humains, leur management par le stress, leur absence de syntonie et leur interdiction d’empathie, sont des facteurs favorisant les névroses et les maladies psychosomatiques. Certains auteurs pensent même que cette « hypersectorisation » de la société favorise les psychoses et les addictions.

Les plus atteints d’entre eux finissent alors à ma consultation. Bien calé dans mon fauteuil doctoral, sachant qu’un conseil ne coûte rien à la Sécurité Sociale, il m’arrive de leur conseiller un changement de travail. Et le patient me répond, désemparé ou stupéfait, que s’il avait trouvé autre chose, il aurait déjà changé… Que n’y avais-je pensé plus tôt ?

J’hésite alors à donner des psychotropes, preuve trop évidente de mon impuissance, source d’une nouvelle addiction, et cadeau ostensible à l’industrie pharmaceutique, actrice, elle aussi, de la financiarisation qui a provoqué les maux de mon patient. Je demande parfois un deuxième avis à un psychiatre. Certains sont très compétents et rompus aux pièges de l’environnement moderne… Quelques-uns d’entre eux se sont même mis à la télé-psychiatrie… C’est vous dire.

Sous-diagnostic

lundi 24 juin 2013

Aujourd’hui, il n’est plus possible de lire un article traitant d’un sujet médical sans y lire le mot « sous-diagnostiqué ». Toutes les maladies sont sous-diagnostiquées. La réalité pathologique serait donc bien pire que la capacité diagnostique des médecins.

La maladie bipolaire toucherait environ 5% de la population, alors que les médecins n’en diagnostiquent que 1%. Pour la schizophrénie, ce serait 3% au lieu de 1%. Les psoriasis seraient en réalité deux fois plus nombreux que ce que les médecins arrivent à diagnostiquer. Je ne parle pas des cancers, ils sont tous diagnostiqués trop tard. S’ils étaient diagnostiqués plus tôt, on n’en mourrait plus jamais. A vrai dire, la question du diagnostic du cancer est embarrassante. S’ils étaient tous diagnostiqués « à temps », y en aurait-il chez 100% de la population, ou n’y en aurait-il plus du tout ? Nul ne sait répondre, aujourd’hui, à cette question pourtant fondamentale.

Même la migraine et la maladie d’Alzheimer sont sous-diagnostiquées. Quel bonheur que celui d’avoir une migraine non diagnostiquée. Ceux qui ont la malchance d’avoir une migraine diagnostiquée doivent bien me comprendre. A titre personnel, je préfère largement être porteur d’une maladie non diagnostiquée, quelle qu’elle soit.

Il y a quelques années, lorsque je lisais ces innombrables articles où le mot « sous-diagnostic » apparaissait, j’avais secrètement honte, car je percevais mon incurie de généraliste. Tous ces diagnostics que j’avais manqués seraient un jour établis par un spécialiste, et l’opprobre serait alors définitivement sur moi.

Mais en y réfléchissant mieux, je constate que le nombre de maladies sous-diagnostiquées augmente régulièrement. Cela signifie que l’arrivée massive des spécialistes sur le marché médical public et privé n’a rien changé à notre incurie diagnostique. Tous ces spécialistes et hyper-spécialistes sont donc aussi médiocres que je l’étais. Certes, c’est une bien mesquine consolation, car des patients de plus en plus nombreux continuent à vivre en errance de diagnostic… Combien de déficients cognitifs, de dépressifs, de précancéreux, de pré-douloureux, de pré-hypertendus, de pré-hyperactifs, continuent à errer en l’attente de leur vérité…

Parfois, a contrario, il m’arrive d’être fier en pensant au fardeau que j’ai évité à tous ces patients maintenus dans leur vacuité diagnostique. Hélas, ils n’en ont pas conscience, et je reste seul avec l’angoisse de leur verdict qui tombera, tôt ou tard.

Soigneurs et soignants

mercredi 12 juin 2013

Le domaine du soin est vaste ; on peut soigner son jardin, sa voiture, ses enfants, son chat.

Deux termes désignent les personnes qui dispensent leurs soins dans le domaine du vivant : soignants et soigneurs.

L’usage courant a attribué le terme de « soigneurs » à ceux qui agissent dans le monde animal, et celui de « soignants » à ceux qui s’adressent aux hommes. Le zoo et le cirque emploient des soigneurs, l’hôpital recrute des soignants.

Les seuls soigneurs ne s’adressant pas à des animaux, sont les soigneurs de sportifs. Il serait très malséant d’oser faire un quelconque rapprochement entre animaux et sportifs, mais on comprend implicitement que dans la fonction de soigneur, la prise en compte du « moi » intime du soigné ne se situe pas au premier plan.

Inversement, le terme de soignant implique une plus forte compréhension de l’autre, ainsi que du caractère irréductible de cette altérité. Le soin physique prodigué par le soignant n’est pas dissociable de son empathie et de sa compassion, facultés dont il doit être pourvu, par nature.

Pourtant, nous constatons de plus en plus souvent que cette dichotomie s’estompe, parfois au point de disparaître.

D’un côté, certains soigneurs connaissent si bien les animaux dont ils s’occupent, qu’ils adaptent leurs soins à chacun d’eux et développent une relation individuelle d’une grande acuité.

De l’autre côté, nous voyons se développer des SOP (Standard Operating Procedure) en cancérologie, des consensus provoqués en cardiologie, des dépistages organisés sans sélection clinique, ou encore certaines randomisations pour essais thérapeutiques, qui constituent une négation inévitable de l’altérité.

Ces administrations centralisées du soin et ces protocoles indispensables à l’ingénierie biomédicale, finissent par imposer aux soignants, médicaux et paramédicaux, une conduite niant l’individu. Le pire est que ces nouvelles organisations s’accompagnent d’une nouvelle vision du professionnalisme dans le soin. On en arrive presque à juger et à promouvoir le soignant sur ses facultés à nier l’altérité et à taire son empathie.

Le soignant doit afficher sa foi dans le protocole, et montrer qu’il a bien compris que le « sauvetage de l’humanité » ne passe ni par la compassion individuelle, ni par l’esprit d’initiative, ni par le raisonnement clinique, mais bien par la standardisation des soins.

Pendant ce temps, au fond de sa cage, le soigneur du zoo progresse, à pas fulgurants, en éthologie et en biologie des interactions individuelles.

Larousse et Robert devront bientôt revoir leurs définitions de soignant et de soigneur.