Archive pour la catégorie ‘Médecine’

Nous sommes tous cancéreux

mardi 17 décembre 2013

Nous en avons désormais la certitude, tous les êtres multicellulaires animaux et végétaux sont porteurs de cancers. Lors du passage de l’unicellularité à la multicellularité, il y a grossièrement un milliard d’années, les cellules ont dû progressivement passer d’une  nature égoïste et ségrégationniste à un comportement coopératif pour optimiser leurs chances de survie au sein des organismes multicellulaires. Comme toujours, dans l’histoire de la vie, il a fallu « bricoler » un compromis entre individualisme et coopération, et comme tous les compromis, celui-ci est instable. Le coût d’une élimination complète des cellules égoïstes ou d’une éradication du comportement individualiste aurait été trop élevé et se serait fait au détriment d’autres processus vitaux. Les lois de l’évolution sont triviales et se résument à ces compromis pour un meilleur taux de survie et de reproduction, au plus faible coût énergétique.

Ainsi, ces cellules individualistes, donc cancéreuses, sont maîtrisées par les autres, faute d’avoir pu être éradiquées. Cet équilibre précaire se maintient le plus longtemps possible, et lorsqu’il est rompu, la tumeur cancéreuse, au sens clinique du terme, apparaît. Mais comme l’évolution ne cesse jamais, une nouvelle variabilité apparaît au sein de la tumeur, entraînant de nouvelles compétitions et de nouveaux compromis. La tumeur peut ainsi subsister longtemps jusqu’à une prochaine rupture d’équilibre. Chaque nouveau compromis a un coût énergétique conduisant à l’amoindrissement d’autres fonctions vitales de l’organisme qui sera, par exemple, une proie plus facile pour les prédateurs. Chez les êtres humains, sans prédateurs, cet affaiblissement viendra, ni plus, ni moins, s’ajouter aux autres décadences de l’organisme vieillissant.

De la naissance à la mort, chaque être humain est donc porteur de cellules cancéreuses avec lesquelles il négocie incessamment, de la même façon qu’avec des parasites de son environnement.

Les progrès fulgurants de l’imagerie, de l’anatomie cellulaire et de la biologie moléculaire nous laissent penser que dans quelques années, la biomédecine sera capable de détecter les cancers d’un ordre de grandeur cellulaire.

La terminologie du cancer va donc devoir affronter un énorme dilemme. Car si nous maintenons la définition actuelle basée exclusivement sur des critères d’anatomie cellulaire au niveau d’un nombre restreint de cellules, tous les êtres humains seront déclarés cancéreux…

Nous devrons impérativement décider ce qu’est un cancer. Il faudra trouver autant de mots différents et adéquats pour nommer un cancer clinique, médical, bénin, dangereux, silencieux, rapide, mortel, chronique, unicellulaire, pauci-cellulaire, mixte, etc.

La médecine ne peut, à la fois, accepter sans discernement toutes les technologies de dépistage, faire l’économie d’une réflexion épistémologique, négliger la biologie évolutionniste et repousser indéfiniment sa réforme sémantique du cancer.

Références

Éthique décalée : la FDA interdit la vente d’un test génétique

mardi 10 décembre 2013

En 2007, la société « 23andMe » commercialisait un test salivaire permettant d’établir une carte génomique personnelle pour 399 $. Nous avions alors dénoncé (réf) cette proposition qui prétendait évaluer le risque individuel pour les maladies les plus redoutables. La publicité alléchait le chaland en proposant de déterminer aussi la proximité génétique avec des célébrités ou avec une communauté ethnique ou socioculturelle. Devant de telles grossièretés, on peut s’étonner que la FDA n’ait pas réagi immédiatement en interdisant un tel commerce. D’autant plus qu’à l’époque, la recherche n’avait pas les moyens d’attribuer des interprétations solides à la plupart des polymorphismes nucléotidiques détectés sur les génomes.

Comme on pouvait s’y attendre, de nombreux diagnostics erronés ont été posés, ainsi que des prédictions fantaisistes dont on ne pourra jamais évaluer les prolongements psychologiques… D’aucuns diront qu’il faut déjà un profil psychologique particulier pour acheter de tels tests, et c’est certainement sur la connaissance de cette faiblesse humaine que le business plan de l’entreprise avait été élaboré.

Avec des clients de plus en plus nombreux, le prix du test a baissé à 99$ ; l’entreprise a fait fortune et prétend désormais pouvoir analyser jusqu’à 600 000 nucléotides ! Quel chercheur ne peut être pantois devant un si colossal travail de décryptage assuré par une seule entreprise commerciale ! Cela dans le mépris des incessantes découvertes en épigénétique qui relativisent toutes les prédictions cliniques issues des polymorphismes nucléotidiques.

Après de nombreux avertissements sans suite, la FDA vient de réagir en interdisant enfin la vente de ce test.

Ne rêvons pas… D’autres entreprises verront le jour, qui mêleront le sérieux de la recherche aux fantaisies du commerce. Google vient d’annoncer qu’il se lançait dans de grands investissements pour étudier la vieillesse et la longévité. Depuis deux-mille ans, la vie éternelle a toujours beaucoup rapporté à ceux qui en ont fait la promesse. Le business plan doit être très prometteur…

Notre vieille Europe semble être plus prudente. Certes il y a bien des sociétés européennes qui proposent de tels tests génétiques sur internet, mais nos eurodéputés ont adopté des résolutions pour encadrer ce type de commerce et les ont fait inscrire récemment dans les lois de bioéthique en raison d’un risque – je cite – de « conséquences dramatiques ».

L’éthique conséquentialiste consiste à poser les questions éthiques sur les conséquences d’une action AVANT de la mettre en place et avant même de réaliser des études permettant de l’évaluer.

L’Europe n’a pas encore compris qu’il faut faire de l’éthique conséquentialiste APRÈS ; ceci permet de sauver l’honneur sans perdre de gros marchés ! La FDA l’a compris !

Références

Agneaux de l’agnotologie

lundi 2 décembre 2013

Le danger des additifs au plomb dans l’essence a été découvert dans les années 1930 et l’essence au plomb a été définitivement interdite en 2000. Le rôle cancérogène de l’amiante a été démontré dans les années 1930 et il a fallu attendre les années 1990 pour que les premières lois d’interdiction entrent en vigueur. La responsabilité du tabac dans le cancer du poumon a été mise en évidence par l’étude de Doll et Hill et 1950 et les premières lois effectives contre le tabac sont apparues plus de trente ans plus tard. Les effets néfastes d’un excès de consommation de sucre étaient évidents au début du XX° siècle et les premières alarmes ont été déclenchées dans les années 1960.

Ces exemples, parmi les plus connus, font apparaître un délai incompressible de 30 à 60 ans entre la preuve d’une nocivité et les premières législations destinées à la réduire. La durée de ce délai est liée à la puissance des lobbies et à leur expertise en « agnotologie ». Ce néologisme de Proctor désigne la « science » consistant à produire du doute et de la méconnaissance, son principe simple repose sur une cascade d’amalgames : toute étude étant toujours critiquable, la critique devient équivalente à une absence de preuve, et l’absence de preuve est alors assimilée à une absence de nuisance. Les médias grand public en sont l’amplificateur naturel, puisque leur vitalité provient de la polémique et de la pluralité des  paroles.

En constatant la grande différence entre les deux premiers et les deux derniers exemples précédents, nous pouvons mieux comprendre pourquoi l’agnotologie fonctionne si bien. Le plomb et l’amiante ont disparu, alors que les consommations de tabac et de sucre ont régulièrement augmenté. Le citoyen serait-il plus perméable à l’agnotologie que le législateur ? Le législateur serait-il plus concerné par la santé publique que le citoyen ne l’est par sa santé individuelle ? Les deux sont possibles…

Mais l’essentiel de l’explication se trouve ailleurs : un danger est toujours évalué comme supérieur s’il provient d’autrui, alors que les nuisances paraissent moindres lorsqu’on pense les assumer soi-même. Chacun est optimiste sur sa capacité individuelle à échapper à un risque déterminé par le calcul statistique. La forte mortalité routière hante peu le conducteur lorsqu’il est à son volant. Le fumeur connaît les dangers de la cigarette, mais il est convaincu qu’il échappera à la statistique morbide du tabac.

Enfin, la relation à la statistique est inversée lorsqu’il s’agit d’un bénéfice possible, et non plus d’un risque. Même si des études confirment le peu d’intérêt d’un régime, d’un médicament, d’un dépistage ou de quelque action sanitaire, chacun pense être inclus dans le bon pourcentage, même si ce dernier est ridiculement faible.

Certains regretteront que cette réalité humaine permette des excès comme le marketing ignoble du tabac sur les adolescents ou certains lobbysmes maffieux, mais il faut aussi se réjouir de cet optimisme robuste, propre à notre espèce.

Diabète de type 2 : on continue sans rien changer

mardi 26 novembre 2013

Parmi cent articles identiques sur le diabète, j’en choisis un au hasard, récemment inséré dans mon quotidien préféré (sans participation de sa rédaction). Dès les premières lignes, on comprend qu’il s’agit du diabète de type 2 (DT2). L’article précise, avec raison, que l’on ne meurt pas de ce diabète, mais de ses complications. C’est l’occasion de rappeler qu’à la différence du diabète de type 1 (DT1), pathologie gravissime qui tue rapidement les malades laissés sans soins, le DT2  n’est pas une « maladie », mais un « facteur de risque ». On peut s’étonner ici que la médecine manque de rigueur au point de donner le même nom à un facteur de risque non perçu par les patients, et à une maladie mortelle. Seul le numéro change. J’ai parfois lu certains articles de grands médias où le numéro du diabète n’était même pas précisé ! Stupéfiant laxisme qui ne peut guère améliorer le niveau de l’éducation sanitaire.

L’article, commandité par deux industriels, précise le coût sanitaire du DT2 (18 milliards € en France). Ce « facteur de risque » se répand à vive allure, il y a 350 millions de « malades » dans le monde (ce sont en réalité des non-malades à risque de le devenir), et il y en aura le double dans dix ans, d’après les prévisions de l’OMS.

Le décor de la catastrophe sanitaire est ainsi posé par les plus hautes autorités de santé et relayé avec sérieux par ces industriels vigilants. Voyons maintenant quels sont les remèdes proposés par les sponsors de l’article. Il faut « accompagner » ces « patients » en dosant leur sucre, de plus en plus tôt et de plus en plus souvent, en leur suggérant une meilleure hygiène de vie et, surtout, en leur enseignant l’observance thérapeutique pour faire baisser leur glycémie (taux de sucre).

Comme aucun symptôme ni aucun signe clinique ne donne à ces « patients » une idée approximative de leur glycémie, les auteurs « suscitent » l’anxiété en incitant à des dosages répétés pour vérifier que ce taux de sucre se situe bien au-dessous de la norme prédéfinie par la médecine. Tout semble clair et logique : c’est la seule façon d’éradiquer ce véritable fléau mondial…

La lecture est terminée…

Les esprits les plus curieux et les plus éveillés, se demandent alors certainement pourquoi cette méthode, déjà prônée et appliquée depuis plus d’un demi-siècle, n’a pas enrayé la forte progression de l’incidence du DT2, malgré des dépenses faramineuses.

Enfin, comment peut-on, au sein du même article, donner la méthode pour vaincre une « maladie » et annoncer le doublement de son incidence dans les dix ans ?

Les médecins n’auraient-ils donc plus confiance en leurs méthodes, ou se laisseraient-ils trop naïvement dicter leurs articles et leur mode de pensée par les stratèges de la mercatique, sans même prendre la peine d’une relecture attentive de clinicien et d’épidémiologiste ?

Références

Massacres de vaccinateurs

mardi 19 novembre 2013

En 2001, le monde avait tremblé d’un étrange effroi culturel en apprenant que les Talibans avaient fait dynamiter les deux gigantesques sculptures des Bouddhas de Bamiyan, classées au patrimoine mondial. Ces statues dataient d’une période préislamique qui insultait leur histoire revisitée.

Puis le monde a fini par oublier et relativiser cette grossièreté. Force était de redécouvrir que ces folies destructrices avaient toujours eu cours en tous lieux et de tous temps. Les révolutionnaires français avaient décapité les statues à la gloire de l’Ancien Régime, et Mao Zedong avait lancé ses gardes rouges à l’assaut des sculptures et des temples bouddhistes. On pouvait alors penser que rien n’est jamais vraiment nouveau sous les cieux de la barbarie…

Ce qui déroute le plus notre observation des Talibans, c’est leur surprenante vitalité nihiliste ; cet oxymore décrit assez bien la faculté qu’a leur violence à se nourrir de sa gratuité. Bombarder les écoles et les hôpitaux non coraniques, lapider les femmes, accumule les morts sans faire progresser leurs idées. Une idéologie qui n’arrive même plus à se nourrir de ses cadavres, cela, par contre, est une réelle nouveauté.

Les femmes privées de soins et d’éducation meurent désormais plus jeunes que les hommes ; cela est aussi une nouveauté dans l’Histoire de l’Humanité où les femmes ont toujours eu une meilleure espérance de vie que les hommes, principalement chez les peuples guerriers.

Mais c’eût été faire insulte à leur inventivité que d’avoir pu supposer qu’ils s’arrêteraient là. Ils s’en prennent désormais aux mères et à leurs propres enfants. Le massacre des vaccinateurs au cours de l’année 2013 a dépassé tout ce que l’on pouvait imaginer. Alors que l’OMS était sur le point d’achever sa campagne d’éradication de la poliomyélite, l’assassinat de vaccinateurs et même de mères amenant leurs enfants, est un nouvel épisode de leurs prouesses médiatiques.

La poliomyélite était presque sur le point d’être la deuxième maladie éradiquée après la variole. Il faudra attendre encore un peu, car la mort des vaccinateurs devient un risque sanitaire désormais supérieur à celui de la polio.

Et, avant de retourner à nos léthargies, prions Allah et les dieux de tous les panthéons pour que la polio puisse être, un jour, la seule nuisance qui persiste pour les enfants de Talibans.

Le placebo n’est pas une insulte

jeudi 14 novembre 2013

Nous ne cessons jamais de redécouvrir la puissance de l’effet placebo ni de disserter sur ses mécanismes obscurs.

De tous temps, les placebos ont représenté l’essentiel des thérapeutiques ; en réalité, ils contenaient toujours quelque « simple », « essence » ou « principe », hérités de croyances et d’empirismes ancestraux. Ces traditions d’apothicaire se sont maintenues jusqu’à nos jours, permettant d’éviter d’avoir à affronter cette vérité : la plupart des maladies et symptômes ont une histoire naturelle qui les conduit spontanément à la guérison, à la tolérance ou à la disparition. Les pharmaciens ont ainsi fabriqué et vendu avec bonheur d’innombrables placebos dont le seul véritable effet était souvent un effet indésirable. Certaines nuisances de ces placebos étaient d’ailleurs vécues comme une preuve indirecte de leur efficacité. Le seul critère d’évaluation étant la conviction intime des patients.

Puis avec l’émergence de la « médecine basée sur les preuves », il a fallu fabriquer de « véritables » placebos afin de les comparer à des médicaments dont on voulait prouver l’efficacité par des méthodes statistiques. Ces placebos destinés aux essais cliniques ne contiennent qu’une poudre inerte à l’intérieur d’une gélule ou d’un comprimé. Ces placebos « modernes » sont donc moins toxiques que les anciens, ils ne peuvent avoir aucune nuisance réelle, même si l’on s’étonne de constater qu’ils provoquent aussi de véritables effets secondaires ! Ces « nocivités placebos » confirment bien l’extraordinaire complexité du phénomène.

Cette méthodologie conduit à la disparition progressive des anciens placebos, car les autorités refusent de rembourser des médicaments n’ayant pas réussi l’épreuve statistique. Par ailleurs, on refuse de commercialiser de nouveaux vrais placebos, car de très nombreux patients vivraient, sans doute, la chose comme une insulte à leur égard.

Essayons maintenant d’être pragmatiques. Un vrai placebo a deux effets possibles : soit ne rien faire, soit faire du bien. Un ancien placebo et un vrai principe actif ont trois effets possibles : soit ne rien faire, soit faire du bien, soit faire du mal.

Soyons maintenant plus biologistes en considérant les gestes et objets de  médiation dont Konrad Lorenz a démontré l’importance, dans le monde animal, comme « déclencheurs innés » des chaînes réflexes et comportementales. L’homme ne fait pas exception et le placebo est certainement l’un de ces « déclencheurs ».

Rien ne devrait donc nous empêcher de réhabiliter, de commercialiser, voire de rembourser le vrai placebo, car sa balance bénéfices/risques est toujours positive et il n’est décidément pas une insulte à la biologie la plus élémentaire.

PS : Idéalement, éduquer nos enfants à ne pas ingérer de vrai ou faux placebo les aide à mieux connaître l’histoire naturelle de leurs symptômes. Cette connaissance sert assurément de « déclencheur acquis » pour les adultes ainsi éduqués.

Générations futures des césariennes

vendredi 8 novembre 2013

Médecins et épidémiologistes avaient constaté depuis longtemps que la naissance par césarienne semblait augmenter le risque de diabète et d’obésité chez l’enfant, et par la suite, chez l’adulte.

Les indications de la césarienne pour raison exclusivement médicale concernent moins de 8% des naissances. En France, depuis 1980, le taux de césariennes est passé de 10% à 24%. Il est de 30% aux Etats-Unis, de 47% en Chine, et dans plusieurs pays, quelques villes ou cliniques affichent des taux de césariennes de 80% !

Il ne suffit pas de constater que la prévalence de l’obésité augmente parallèlement au nombre de césariennes pour affirmer une relation de causalité entre les deux. Une telle affirmation nécessite, d’une part, des études comparatives de population, d’autre part, une explication physiologique rationnelle. Cela est désormais chose faite.

Une première étude vient d’être publiée, à partir d’une banque de données prospective de 1300 nourrissons suivis pendant 10 ans.

Les résultats confirment que le risque d’obésité à l’âge de 12 ans est multiplié par 1,9. Il y a donc presque deux fois plus d’obèses chez les enfants nés par césarienne.

Quant à l’explication physiologique, elle commence à être également bien comprise. L’accouchement par césarienne empêche le nouveau-né d’avoir un contact initial avec la flore de la muqueuse de la filière pelvi-génitale de sa mère (microbiote vaginal). Ce premier contact a d’importantes répercussions sur la constitution de la flore intestinale initiale du nourrisson. Nous savons par ailleurs que le déséquilibre de cette flore, notamment l’inversion du rapport firmicutes/bactéroïdètes est une cause importante d’obésité.

L’épidémie mondiale d’obésité est donc partiellement due à l’augmentation du nombre d’accouchements par césariennes. Il y a évidemment bien d’autres facteurs de risques, mais celui-ci doit être considéré avec attention, car il est l’un des rares, avec l’augmentation de la consommation de sucres, dont la preuve est désormais établie.

Les dérives médicales proviennent souvent de la cupidité des uns ou de l’angoisse des autres, mais elles proviennent plus sûrement d’une méconnaissance de la complexité de l’écosystème que représente notre organisme.

Cette confirmation du risque d’obésité vient s’ajouter à la liste déjà trop longue de risques majorés chez les enfants nés par césarienne : troubles respiratoires, asthme, allergies, diabète de type 1.

À l’heure où le thème des générations futures semble nous préoccuper, il n’est pas vain d’alerter les obstétriciens et les parturientes sur cette dérive des césariennes qui contribue à aggraver la morbidité de nos descendants.

La troisième transition épidémiologique

lundi 28 octobre 2013

Une « pathocénose » désigne l’ensemble des maladies et de leurs manifestations dans une société, à une époque donnée. La pathocénose d’une ville du XXI° siècle diffère de celle d’un village du Moyen Âge.

Certaines transformations ont bouleversé la pathocénose. Au Néolithique, l’élevage a provoqué les épidémies d’origine animale (grippe, tuberculose, etc.). La sédentarisation et l’augmentation de taille des groupes sociaux ont majoré la contamination fécale. L’alimentation et bien d’autres facteurs ont contribué à ce bouleversement, nommé « première transition épidémiologique ».

La deuxième transition épidémiologique correspond à l’exode rural des XIX° et XX° siècles où la population urbaine est passée de 5% à 95% ! Disparition du contact avec la terre et ses parasites, lavage des aliments, disparition de la contamination fécale. L’environnement de l’homme est devenu « abiotique ».

Puis, le confort, les progrès sociaux et médicaux ont abouti à une forte diminution des morts prématurées (médicalement définies comme antérieures à l’âge de 65 ans).

Depuis un demi-siècle, nous vivons la troisième transition épidémiologique, intrinsèquement différente des précédentes. Les deux premières pathocénoses concernaient des maladies vécues par des patients qui amenaient leurs plaintes et leurs souffrances aux sorciers, guérisseurs, barbiers et médecins de leur époque.

Cette troisième transition débouche sur une pathocénose virtuelle, car les maladies qui la composent ne sont plus concrètement vécues par les patients…

Hors évènement traumatique (accident, homicide, suicide), il ne reste que trois causes de morts NON prématurées correspondant à la dégénérescence naturelle des trois systèmes vitaux : immunitaire, cardio-vasculaire et neurologique. C’est pourquoi, tout sujet, ayant eu la chance d’échapper à une mort prématurée, finira par mourir, soit d’une dégénérescence immunitaire (cancer, infection tardive), soit d’une maladie neuro-dégénérative (Alzheimer ou autre), soit d’une dégénérescence vasculaire (maladies touchant tous les autres organes en raison de l’ubiquité vasculaire).

Pour intervenir sur ces trois façons de mourir non prématurément, la médecine a été dans l’obligation d’inverser le sens de l’offre et de la demande de soins. Ce ne sont plus les patients qui viennent déposer leurs plaintes, mais les médecins qui leur en proposent de nouvelles. Les maladies de la nouvelle pathocénose sont en réalité des facteurs de risque de majoration de la dégénérescence, facteurs sélectionnés par la médecine qui en établit les normes.

Curieusement, ces nouvelles maladies virtuelles sont vécues, par de nombreux patients, comme des maladies réelles. Le déficit cognitif léger, l’excès de cholestérol, ou la cellule tumorale silencieuse ont pris la valeur existentielle de la tuberculose…

Cette troisième transition épidémiologique augure d’un bouleversement de pathocénose bien plus profond que les deux précédents.

Le sein entre deux feux

mercredi 16 octobre 2013

Chaque année, au mois d’octobre, le cancer du sein est remis à l’honneur par les médias. C’est aussi l’occasion pour médecins et épidémiologistes de réévaluer les résultats de son dépistage « organisé », c’est-à-dire issu d’une action de santé publique vers une population a priori en bonne santé. Ce type de dépistage ne doit pas être confondu avec le dépistage ciblé, qui concerne une population sélectionnée sur plusieurs critères précis.

Hélas, les études sur les dépistages dits « de masse » sont difficiles à interpréter, car les idéologies, les émotions et les questions existentielles y sont des éléments perturbateurs très tenaces, aussi bien chez leurs détracteurs que chez leurs promoteurs. Les chiffres présentent des écarts parfois importants d’une étude à l’autre.

Pour les plus ardents promoteurs, ce dépistage bénéficie à une patiente sur 600 dépistées.

Pour les plus farouches opposants, ce dépistage bénéficie à une patiente sur 2000.

La vérité doit logiquement se situer quelque part entre les deux.

Les premières recherches n’étudiaient que les bénéfices possibles, car nul ne pensait qu’il pût y avoir des risques. Lorsque l’éventualité de surdiagnostics et de surtraitements a été envisagée, certaines études ont inclus le calcul des nuisances et risques éventuels, et ont obtenu des écarts encore plus grands.

Pour les partisans, le surdiagnostic concerne 10% des femmes dépistées positives.

Pour les détracteurs, le surdiagnostic concerne 50% des femmes dépistées positives.

Le nombre de dépistage positifs étant environ de 10 pour mille, nous pouvons ainsi présenter cette gamme de résultats de façon impartiale à chacune de nos patientes :

–         « Madame, ce dépistage vous sera utile entre 0,5 et 1,6 fois sur mille, et il vous sera nuisible entre 1 et 5 fois sur mille. »

Selon leur « sensibilité », certains médecins préféreront une formulation inverse :

–         « Madame, ce dépistage vous sera inutile entre 998,4 et 999,5 fois sur mille, et il sera sans risque entre 5 et 9 fois sur mille. »

Dans tous les cas, les nuisances sont supérieures au bénéfice.

Il faudrait ajouter à cela le nombre –probablement faible – de cancers induits par la mammographie ou les radiothérapies, mais nous n’avons trouvé aucune étude sérieuse les précisant. Considérons donc le surdiagnostic comme la seule nuisance. Cette nuisance étant définie par la réalité d’un cancer psychologiquement vécu comme réel, avec un rythme variable d’interventions, traitements et examens de contrôles ultérieurs pour le reste de la vie.

Les présentations peuvent évidemment être moins brutales, mais toutes deux ont le mérite de répondre aux exigences médicales que sont « l’information éclairée » et la conformité avec les « données actuelles de la science ».

Une enquête de janvier 2013* confirme que la plupart des femmes qui se font dépister ignorent la possibilité de surdiagnostics et de surtraitements, ou en négligent l’impact. En outre, nombreuses sont celles qui pensent que ces études ont pour but de supprimer le financement du dépistage !

Il faut en conclure qu’aucun des deux camps n’a été capable, à ce jour, de maîtriser « l’information éclairée » sur ce dépistage « de masse ».

* La bibliographie complète de cet article est consultable sur :

http://www.lucperino.com/bibliographie.php?num=135 & tit=Le+sein+entre+deux+feux

Coliques du nourrisson : inquiétante perspective

mercredi 25 septembre 2013

Récemment, un article médical sur les coliques du nourrisson, publié dans une revue professionnelle, a été repris par quelques médias grand public, avec tous les risques d’incompréhensions et de confusions que génère ce genre de médiatisation.

Les coliques du premier semestre de vie sont un phénomène bien connu de tous les médecins et de nombreux parents. Parmi les causes variées, certaines, comme la perturbation de la flore intestinale, sont identifiées ; d’autres le sont moins bien. Ces coliques semblent ne jamais affecter la santé ultérieure des nourrissons.

Malgré sa bénignité, cette situation est souvent mal vécue par les parents, qui finissent par manquer de sommeil, par être épuisés et inquiets. Lorsque cela dure plus de trois mois, les médecins ne savent plus comment procéder pour rassurer définitivement les parents, et ils sont parfois, à leur tour, désemparés.

L’article explique qu’il peut y avoir un lien entre les coliques du premier semestre et la maladie migraineuse. Les patients sujets à la migraine ont eu des coliques plus souvent que d’autres, lorsqu’ils étaient nourrissons. Cela est tout à fait possible, et il n’y a aucune raison de contester la conclusion de cette enquête épidémiologique. D’autant que les cliniciens savent depuis longtemps que les douleurs abdominales non expliquées des jeunes enfants sont, en réalité, assez souvent des crises de migraine.

La migraine est une maladie protéiforme et complexe, qui revêt plus souvent un caractère abdominal chez l’enfant et céphalique chez l’adulte.

Hélas, la conclusion affichée dans la médiatisation de cette étude évoque la possibilité de recherches, aboutissant à la mise au point de médicaments antimigraineux pour traiter les coliques du nourrisson.

Pourquoi cela est-il vraiment inquiétant ?

Parce que le plus gros problème des migraines est celui de leur traitement. Les traitements trop précoces et trop intenses favorisent la répétition des crises, ainsi que l’évolution vers des céphalées chroniques qui échappent à toute thérapeutique. Les patients, toujours insatisfaits, finissent parfois par être victimes de véritables intoxications médicamenteuses. À tel point que les thérapies comportementales sont, aujourd’hui, celles qui sont considérées comme ayant le meilleur rapport bénéfices/risques dans la maladie migraineuse.

Je n’ose même pas imaginer ce qui se passerait si l’on faisait la promotion de médicaments antimigraineux dès la naissance !

De nombreux parents, désemparés et dociles, accepteraient de tels traitements pour leur nourrisson. Surtout si le médecin a l’air sérieux, et s’appuie sur une étude dont on ne peut pas nier l’exactitude !

Un marché sanitaire est prometteur lorsqu’il repose sur les cas les plus fréquents et les plus désagréables, indépendamment de leur gravité. Soyons donc inquiets à juste titre, car les marchands sont experts dans l’art d’amalgamer la science et l’espoir, en faisant fi des réalités cliniques.

Vous trouverez la bibliographie de cet article en suivant le lien :

www.lucperino.com/bibliographie.php?num=133 & tit=Coliques+du+nourrisson+%3A+inqui%C3%A9tante+perspective