Archive pour la catégorie ‘Médecine’

Tournevis magique

jeudi 2 octobre 2014

Un jour, me promenant dans un salon de bricolage, je vis un bonimenteur présenter un tournevis imposant dont l’embout était capable de venir à bout de toutes les vis. Belle idée, car la multiplication des types de vis confronte souvent le bricoleur à d’inextricables situations de vissage et de dévissage.

Vis à tête plate ou bombée, à prise fendue, cruciforme, hexagonale ou étoilée, même les vis  endommagées, aucune ne pouvait résister à l’emprise de cet embout dont le système de serrage à microbilles imposait un respect théorique. Chaque démonstration du marchand, leste comme un prestidigitateur, amplifiait ma fascination.

Oubliant que ma situation d’amateur du vissage me mettait en position de vulnérabilité, je cédai à cette habile démonstration. Un ami qui m’accompagnait m’assura moqueusement que je retrouverai un jour ce tournevis au fond d’un tiroir sans l’avoir jamais utilisé. Refusant de croire ce briseur de rêve, le soir même, je m’empressai d’essayer le tournevis, tout en constatant que j’étais beaucoup moins habile que le marchand. Peu m’importait alors, l’expertise viendrait avec le temps… Je m’apprêtai à ranger l’objet dans un tiroir adéquat et quelle ne fut pas ma stupéfaction de trouver dans ce tiroir exactement le même objet déposé là auparavant, à une date suffisamment lointaine pour que j’en ai oublié jusqu’à l’existence. Certain que j’étais de n’avoir aucun signe précurseur de déficit cognitif !

J’en conclus honteusement que, depuis ce temps, ni mon besoin ni ma naïveté n’avaient diminué, et qu’il n’existe toujours pas de remède miracle contre la candeur et contre la consommation.

Il m’arrive parfois de visiter les placards à pharmacie de certains patients qui me demandent un médicament pour une douleur ou quelque symptôme gênant qu’ils prétendent ne plus pouvoir supporter. J’y trouve toujours le médicament qui les fera patienter jusqu’à l’extinction naturelle du symptôme. Parfois la boîte n’a jamais  été ouverte et de courtes enquêtes révèlent que le symptôme avait disparu avant même qu’ils n’arrivent chez le pharmacien, mais ils l’avaient tout de même achetée, au cas où…

Ce gâchis m’agace moins qu’auparavant, probablement par les lassitudes de l’âge, mais aussi à cause d’un certain tiroir de mon atelier qui me rappelle que tout domaine a ses amateurs vulnérables aux boniments.

Fiction de dépistage anténatal

lundi 15 septembre 2014

Le dépistage anténatal devient de moins en moins traumatisant. Le nouveau progrès est celui de l’analyse directe de l’ADN sanguin maternel pour déceler les anomalies de l’embryon.

Malgré quelques ultimes réticences éthiques, évoquant un eugénisme médical et technologique, on peut logiquement s’attendre à voir disparaître progressivement la trisomie, la mucoviscidose et d’autres graves maladies génétiques. Nul ne peut réellement s’en plaindre.

Après avoir identifié toutes les maladies chromosomiques et monogéniques, les fulgurants progrès de la génomique permettent désormais d’établir des séries de mutations et polymorphismes génétiques positivement corrélés à de nombreuses pathologies. Pour l’instant, ces analyses complètes de génome (GWAS) n’ont aucun impact clinique. Les interminables listes de mutations associées à l’Autisme, au Parkinson ou à l’Alzheimer s’apparentent plus à un fiasco qu’à un progrès de la génétique. Le polygénisme est devenu tel que chaque facteur perd progressivement du poids par rapport aux facteurs environnementaux, souvent eux-mêmes nombreux et mal connus.

Malgré cela, le marché de ces analyses génomiques, promu par des gourous de l’immortalité, est très prometteur. Les ministères qui en rappellent régulièrement l’inutilité et les dangers des deux côtés de l’Atlantique, ne font aucun poids face à la puissance mercatique d’un géant tel que Google qui en est l’un des pionniers. (Notons au passage que l’espérance de vie est plus faible, et diminue, dans les pays où ces marchés existent depuis longtemps !)

Amusons-nous alors à faire de la mercatique fiction. Pour sortir de l’imbroglio du polygénisme, la technique commerciale de ces « génomeurs » est de choisir arbitrairement l’une des mutations pour la métamorphoser en un déterminant majeur de la maladie afin de proposer un test. L’histoire de la détection de l’autisme est la plus révélatrice de ce genre de manœuvre.

Il ne fait aucun doute que l’on proposera un jour des packs de dépistage néonatal associant les grandes maladies monogéniques et le génome complet. Même sans remboursement, il y aura beaucoup de clients. On fournira indifféremment aux parents, le risque de mucoviscidose ou d’Alzheimer de leur futur enfant. On leur proposera un petit supplément pour la longueur des télomères supposée indiquer l’espérance de vie.

Les parents dont l’enfant aura un risque de développer une maladie d’Alzheimer avant soixante-dix ans décideront-ils d’un avortement thérapeutique ? Ils auront certainement besoin du soutien d’un comité d’éthique pour savoir si l’intérêt de la vie après cet âge justifie ou non de sacrifier les soixante-dix ans qui précèdent.

Enfin, devant le risque insensé d’avoir des télomères trop courts, il faut envisager soit une stérilisation définitive, soit de ne jamais faire d’analyse génomique !

Références

Rencontre insolite.

mercredi 10 septembre 2014

Au cours d’une promenade d’été, j’ai fait la rencontre la plus singulière de ma carrière. C’était au détour d’un sentier, dans un hameau de montagne.

J’ai une vieille habitude de moquer les excès de la médecine, la gabegie des soins, la démagogie de la précaution, les incitations à la dépense par la Sécurité Sociale elle-même, la surenchère des mutuelles dans le catastrophisme, et autres braderies de mon petit fonds de commerce.

Je ne vise personne en particulier, car nous sommes tous des acteurs galopants derrière un marché, loin devant. Mon humour n’y changera rien, et s’il peut en amuser certains, le rire leur sera remède. Voltaire l’avait compris qui avait « décidé d’être heureux parce que c’est bon pour la santé ».

Médecins, ministères, laboratoires, tous ont eu droit avec équité à mes sarcasmes ponctués de réflexions. Mais là, je n’ai même pas envie de réfléchir, j’ai juste envie d’une dernière bouffée de rire avant les certificats médicaux de la rentrée, exigés par les assurances pour le sport à l’école.

Les fonctionnaires territoriaux n’étaient pas ma cible préférée, peut-être parce que j’ai parfois apprécié leur aide dans les soins de proximité. Les conseils généraux ont été les grands oubliés de mes sarcasmes, et au moment où j’apprends leur disparition prochaine, je leur dois bien cette reconnaissance tardive. Oui, ils participent comme les autres à la grande accélération des gabegies médico-sanitaires. Oui, dès qu’il s’agit de science biomédicale, ils tombent dans le panneau du catastrophisme avec le même patatras que leurs contemporains fonctionnaires ou marchands.

L’appareil était là, rutilant, exposé aux intempéries, sur le mur de l’une des cinq maisons de ce hameau de moins de dix âmes. Un défibrillateur public destiné à secourir une hypothétique victime de tachyarythmie ventriculaire.

La défibrillation externe pratiquée à l’hôpital, chez des patients sous surveillance intensive, a environ 50% de résultats positifs. Ce pourcentage chute au-dessous de 10% lors des appels d’urgence.

Les défibrillateurs implantables chez des patients à haut risque ont des résultats très modestes, difficiles à évaluer. Quant aux défibrillateurs externes à usage public, la plupart des publications datent du début des années 2000 et ne portent que sur les méthodes d’utilisation ; elles émanaient des fabricants pour convaincre les autorités. Depuis, très peu d’études ont publié des résultats crédibles ; de rares vies seraient sauvées lorsque ces défibrillateurs sont installés dans des lieux à forte fréquentation, tels que gares ou aéroports.

La probabilité pour que ce défibrillateur rural sauve une vie dans le millénaire à venir contient autant de zéros après la virgule qu’il y a d’atomes dans le système solaire…

En redescendant, j’ai croisé un berger édenté qui ne pouvait s’offrir les frais dentaires. Son conseil général ne pourra pas l’aider, car tous les huit ans, il faut remplacer ces défibrillateurs à obsolescence programmée.

Références

Faut-il abandonner les obligations vaccinales ?

lundi 25 août 2014

L’État français vient d’être condamné à verser une indemnisation de 2 400 000 € à une infirmière ayant développé une sclérose en plaques peu après une vaccination contre l’hépatite B.

Ce triste record révèle la faille entre justice et science et oblige à réfléchir à la communication vaccinale. Etant admises l’efficacité de la majorité des vaccins sur la santé publique et leur balance bénéfices/risques très positive, le but est d’obtenir la meilleure couverture vaccinale de la population. La question se pose avec plus d’acuité pour les nouveaux vaccins auxquels manque logiquement la preuve épidémiologique, quelles que soient les preuves initiales d’efficacité.

L’obligation vaccinale et la « propagande abusive » sont rejetées avec le même fanatisme par les lobbys anti-vaccins, lesquels n’auraient pas vu le jour sans l’erreur politique initiale de l’obligation. Mais on ne peut ni juger ni réécrire l’Histoire.

Les taux de couverture semblent indépendants du caractère obligatoire et dépassent rarement 90%, quelle que soit la propagande. Lorsque l’incidence des maladies était élevée, la crainte suffisait à promouvoir les vaccinations. Dans les années 1950, les parents se sont rués sur le vaccin antipolio, car ils connaissaient tous un enfant atteint. La vaccination est victime de son succès, car les maladies concernées sont devenues moins visibles, donc moins anxiogènes.

L’intense promotion du vaccin contre l’hépatite B, maladie encore fréquente en 1994, a entraîné une couverture de 70% en moins d’un an. Ce record absolu a permis aux lobbys d’établir plus de corrélations entre les poussées de sclérose en plaques et le vaccin, car plus l’on vaccine de personnes en un temps bref, plus il est facile de découvrir de corrélations fantaisistes.

Pour des vaccins tels que ceux contre papillomavirus ou rotavirus, la publicité est inutile, car l’épidémiologie de ces maladies n’étant pas explosive, une mise en place très progressive suffit ; pire, une promotion abusive devient contre-productive pour d’autres vaccins indispensables.

Curieusement, dans nos démocraties libérales, les obligations sont plus mal vécues que les prohibitions. Les interdictions de fumer suscitent moins de réticence que la mémorable propagande du vaccin H1N1. L’obligation de la ceinture de sécurité a subi plus d’opposition que les limitations de vitesse.

Les médecins utilisent souvent le civisme pour convaincre les plus réticents : on se vaccine autant pour soi que pour les autres.

Comment stopper la baisse des couvertures vaccinales en France ? Une communication raisonnable, une individualisation par les praticiens, l’encouragement au civisme et une information éclairée non catastrophiste sont certainement les meilleurs moyens. On peut y ajouter sereinement l’arrêt des obligations, y compris pour les professionnels, plus à même d’évaluer les risques réels.

La suppression de toute obligation vaccinale serait bénéfique en diminuant fortement le pouvoir de nuisance des lobbys.

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Gestation pour autrui : dernières affres du « tout génétique »

lundi 18 août 2014

Le sujet des mères porteuses est très médiatique, car il ressasse l’impossibilité de choisir entre la sacralisation de l’éthique et celle du progrès.

Dissocier l’éthique sociale de l’éthique biologique pourrait nous aider à pénétrer dans cet imbroglio de la GPA.

Accorder à un couple stérile un ultime moyen d’obtenir un enfant génétique reste bio-éthiquement acceptable. Permettre à une femme riche, ne désirant pas supporter le poids d’une grossesse, de s’offrir le ventre d’une femme pauvre sur le marché mondial, est socio-éthiquement inacceptable. D’un côté, il s’agit encore de soin, de l’autre, il s’agit déjà d’esclavage. Mais ce résumé, volontairement grossier, est hors sujet, car la seule question utile, tant en biologie qu’en sociologie, est de savoir ce qu’est un « enfant à soi »

Avec la génétique dominante et tapageuse des années 1970, où l’on avait grotesquement annoncé la découverte des gènes de la criminalité, du suicide, de l’alcoolisme, ou encore de l’homosexualité, il était normal de penser qu’un enfant était à soi lorsqu’il avait hérité de la moitié de nos gènes.

Aujourd’hui, les considérables progrès de la biologie du développement (embryologie) nous révèlent que les gènes héritables, (ex : couleur des yeux ou forme du nez), ne sont qu’une faible part de la construction génétique de l’embryon. Les gènes architectes et les gènes régulateurs, dont l’expression dépend essentiellement des conditions de la grossesse, ont beaucoup plus d’importance.

Le ventre de la gestante est un lieu d’échanges permanents entre la mère, le père, le fœtus et sa fratrie. Ces interactions se révèlent capitales dans la construction et la répartition des synapses qui feront le système nerveux et la personnalité de l’enfant à naître.

L’ocytocine, qui envahit la mère et l’enfant au début du travail, est une hormone de l’attachement. Le colostrum, le lait et la peau viendront compléter cette liaison au point de la rendre irréversible.

On ne cesse de découvrir l’importance des processus épigénétiques, depuis les gamètes d’avant la fécondation jusqu’à la construction du phénotype, longtemps après la naissance. La variabilité génétique est mille fois moins importante que la variabilité phénotypique, et la pénétrance des mutations défavorables dépend principalement des conditions de vie.

L’erreur biologique est donc de penser qu’un enfant issu du ventre d’autrui est à soi. La part génétique héritable (d’un ou deux parents) représente certainement moins de 20% de ce que sera cet enfant.

L’éthique sociale peut alors s’effacer derrière la bioéthique qui nous impose de dire la vérité biologique : un enfant issu de la GPA ne sera pas plus votre enfant qu’un enfant adopté dont l’épigénome sera peut-être plus proche du vôtre.

Enfin l’adoption est un élément fort de la socialité animale, dont l’éthique est indépassable, tant  sur le plan biologique que sur le plan social.

En biologie, la gestation pour autrui n’est que l’une des dernières affres de l’époque révolue du « tout génétique ».

Exercice mathématique et mercatique autour de l’Alzheimer

lundi 11 août 2014

La probabilité d’avoir une maladie d’Alzheimer après 75 ans est de 15%. En épidémiologie, il s’agit d’un pourcentage énorme, surtout pour une maladie aussi invalidante.

Piètre réconfort : elle survient à un âge avancé, presque toujours supérieur à 65 ans. Cet âge étant défini comme borne de la mort prématurée, la maladie d’Alzheimer n’est donc responsable que de morts non prématurées.

A l’heure actuelle, aucun médicament commercialisé n’a d’efficacité sur le cours global et le pronostic de cette maladie neuro-dégénérative. L’idée est donc de la prévenir, à défaut de pouvoir la guérir. Les investissements et les recherches abondent dans cet objectif, et aboutiront certainement à plusieurs nouvelles molécules commercialisables.

Nous savons depuis longtemps que « commercialisé » ne veut pas dire efficace. L’autorisation de mise sur le marché repose sur deux critères principaux : modèle théorique d’action et preuve de l’efficacité par essai clinique randomisé.

Les modèles théoriques d’action sur la maladie d’Alzheimer ne manquent pas : protéine tau, dépôts amyloïdes, et (trop) nombreuses pistes génétiques (APOE, APP, PSEN, BDNF, SORL1, CLU, BIN1, etc. ; il y a actuellement plus de 25 régions génomiques impliquées) !

Quant aux essais cliniques, il est quasi impossible de prouver l’efficacité d’un médicament curatif, et a fortiori préventif, sur une pathologie plurifactorielle d’apparition tardive, souvent associée à d’autres pathologies, chez des patients polymédicamentés, car il y a toujours trop de facteurs de confusion. Pour réaliser cet exploit, il faudra d’autres « ressources » qui ne dépendent pas de la science exacte. Mais soyons certains que les marchands y parviendront.

Une fois la molécule mise sur le marché, elle n’aura, par contre, aucun problème à prouver son efficacité. Reprenons notre propos à son début. Cette pathologie concerne 15% des sujets de plus de 75 ans. Le corollaire est l’absence de cette maladie chez 85% d’entre eux. La molécule en question sera inévitablement vantée et considérée comme efficace chez 85% des sujets qui l’auront prise !

D’aucuns trouveront cet humour mathématique bien sombre pour un drame social et familial de cette importance. C’est vrai, le drame est réel. C’est pourquoi le clinicien que je suis tient à rappeler que les exercices cognitifs, la marche, la socialisation et le toucher sont pour l’instant les seules méthodes ayant fait la preuve d’une très légère efficacité sur l’apparition et le cours de cette maladie. Et surtout, que l’apparition d’une molécule pour une pathologie chronique quelconque s’accompagne irrémédiablement d’un recul des actions préventives non pharmacologiques, donc d’un recul de la prévention.

Telle est la réalité du terrain, il est utile de la rappeler.

Chaussures et psychotropes

dimanche 3 août 2014

C’est l’histoire des deux marchands de chaussures qui découvrent l’Afrique subsaharienne au XIX° siècle. L’un dit que la clientèle potentielle est gigantesque, car tout le monde marche pieds nus, l’autre lui répond que c’est précisément pour cela que ce marché est sans intérêt.

Les professionnels savent qu’il est préférable de suivre la logique du second marchand, car il est difficile de créer une clientèle ou un besoin, alors que développer la science du marketing sur un marché déjà ouvert est moins coûteux et toujours plus rentable.

Les chaussures entraînent une dépendance irréversible comme peuvent en témoigner tous ceux qui ont essayé de s’en passer à l’âge adulte, bien après que leurs parents eussent commis l’irréparable première prescription. Il en est de même pour les benzodiazépines (psychotropes tranquillisants). Je conseille donc aux marchands de benzodiazépines de choisir des pays où le marché est déjà bien ouvert, car l’addiction y est beaucoup plus forte.

Au-delà de cette dépendance, la grande famille des psychotropes (tranquillisants, antidépresseurs, neuroleptiques, thymorégulateurs et psychostimulants) présente l’avantage mercatique d’une promotion interne. Les antidépresseurs aggravent les troubles bipolaires, entraînant alors la prescription de neuroleptiques ou de thymorégulateurs. Les benzodiazépines et les neuroleptiques provoquent des troubles de la cognition et de la vigilance qui favorisent la prescription de divers psychostimulants. Aux Etats-Unis et en France, on constate une tendance croissante à l’association entre antidépresseurs et neuroleptiques.

Cette consommation de psychotropes est largement supérieure dans les pays à bonne couverture médicale et sociale et particulièrement dans les couches de population ayant souscrit à des mutuelles complémentaires. Cette clientèle est particulièrement attractive, car on y constate une augmentation continue de la consommation de psychotropes à tous les âges de la vie. Leur consommation pendant la grossesse pose parfois de réels problèmes de sevrage. Mais cet effet d’entraînement entre différentes générations, soit par addiction initiale, soit par un mimétisme plus tardif lors de l’adolescence, est un nouvel avantage mercatique pour les vendeurs de psychotropes.

Enfin et surtout, l’abondance de consommateurs de psychotropes est une source considérable de données statistiques suffisantes pour obtenir l’autorisation de nouveaux marchés. Ainsi les antidépresseurs sont utilisés dans le sevrage tabagique, les douleurs chroniques et de multiples pathologies réelles ou virtuelles où la clientèle, déjà captive, est très facile à re-capturer.

Bref, ce serait une grosse erreur stratégique de chercher à vendre des psychotropes en Somalie, en Papouasie ou au Burkina-Faso sous prétexte qu’il n’y en a pas encore.

Références

Méfions-nous de la probité !

mardi 8 juillet 2014

« Laissons la justice suivre son cours… » Cette phrase est plus souvent prononcée par le principal suspect d’une affaire que par ses adversaires politiques ou par ses victimes civiles. Cette confiance affichée en une justice inébranlable, incorruptible et intemporelle prend soudain valeur de preuve d’innocence et de probité. Belle occasion de vanter publiquement ce « cours » de la justice dont le caractère « long et tortueux » est en réalité le seul motif de l’engouement du suspect.

Un autre vœu pieux, celui de la formule : « chacun doit s’exprimer en toute liberté » est quasi exclusivement prononcé par ceux qui ont un accès privilégié à tous les modes d’expression ou qui influencent le plus grand nombre de médias.

Toujours dans ce registre de la probité revendiquée, souvenons-nous de la mise en place des stages de « management participatif » dans les entreprises des années 1980 afin de mieux enrober un nouveau management par le stress, digne des lointaines années du taylorisme.

Mais, dans une chronique médicale, il est attendu que la palme revienne aux acteurs de la santé. Récemment dans un grand colloque international de cancérologie, un leader d’opinion bardé de conflits d’intérêts, clamait haut et fort que tout ce qu’il faisait était dans l’intérêt de ses patients et qu’il avait une grande compassion pour leur souffrance.

Cet orateur avait, somme toute, raison de nous rappeler que le patient était le sujet et l’objet des métiers de la santé, car l’Histoire, également « longue et tortueuse » de ces métiers,  aurait pu, çà et là, le faire oublier.

C’est sur le thème de la compassion que ce leader médical m’est devenu franchement suspect. L’empathie, la compassion, l’altruisme et la coopération sont communs à tous les mammifères. Les singes et l’homme, par nature, en sont abondamment pourvus. Il est raisonnable de penser que les médecins ne font pas exception. Qui donc pourrait imaginer qu’un cancérologue ne soit pas totalement acquis à la cause de ses patients ? La revendication d’un caractère aussi naturel que la compassion peut être considérée comme une forme d’aveu de son instrumentalisation.

Nous constatons par ailleurs que cet altruisme flamboyant est souvent proportionnel au coût des thérapeutiques qui le sous-tendent.

Reductio ad ayatollum

mardi 17 juin 2014

J’ai souvent entendu des confrères comparer les rédacteurs de la revue indépendante « Prescrire » à des Ayatollah. Il y a quelques années, un célèbre médecin télévisuel, ayant pris fait et cause pour le dépistage du cancer de la prostate par le test PSA, avait traité ses contradicteurs d’Ayatollah. Plus récemment, j’ai été traité d’Ayatollah pour avoir clairement indiqué sur les ondes la médiocrité des résultats, pourtant très officiels, du dépistage du cancer du sein. Un de mes jeunes confrères vient de se faire traiter d’Ayatollah pour avoir publié dans « Médecine », l’autre revue indépendante de langue française, une méta-analyse concluant à l’absence d’efficacité des traitements pharmacologiques du diabète de type 2.

Pourtant « Prescrire » a fini par devenir la seule revue médicale de langue française de renommée internationale. Aujourd’hui, même les jeunes urologues ont enfin admis l’inutilité du test de PSA sur la morbi-mortalité par cancer de la prostate, malgré l’emprise de leurs vieux maîtres lobbyistes. Les nouvelles études sur le dépistage systématique du cancer du sein viennent encore amoindrir les résultats officiels d’hier. Enfin, chaque médecin avait déjà compris, avant toute méta-analyse, que le diabète de type 2 est une maladie environnementale dont le traitement ne peut-être que de type hygiéno-diététique.

Il eut été logique que le mot Ayatollah devînt un nom commun pour désigner ceux qui vendent des chimères et prônent l’activisme désordonné sans autre but que celui du pouvoir.  Dans le domaine médical, c’est l’inverse, on assiste à un dérapage verbal consistant à assimiler intégrité et intégrisme. Les méthodes déductives et analytiques de l’expérimentation scientifique semblent ne plus être le modèle dominant dans le monde sanitaire. L’hypothèse catastrophiste de l’abstention est toujours préférée à l’analyse des résultats concrets de l’action passée. L’imprécation : « ne cessons jamais tel traitement ou tel dépistage, ce serait une catastrophe »  remplace l’analyse : « voici quels sont les résultats précis de tel traitement ou de tel dépistage ». Cette règle est constante dans les débats médiatisés pour le grand public : le scientifique analyse les résultats du passé et du présent pendant que l’imprécateur agite des leurres à destination des anxieux (voir bibliographie).

En 1951, Leo Strauss a introduit le terme rhétorique de « reductio ad hitlerum » pour désigner le moment d’un débat où l’un des interlocuteurs traite l’autre de fasciste, de nazi ou d’Hitler. Il est alors temps de clore la discussion, car plus rien de sensé ne peut en ressortir. Méfions-nous donc des médecins qui, à court d’arguments scientifiques, finissent par user du « reductio ad ayatollum » pour clore les débats destinés à un large public.

Références

Non-causalité inversée

lundi 9 juin 2014

J’ai beaucoup de mal à expliquer à mes patients la différence entre causalité et corrélation. Deux faits peuvent être corrélés sans avoir aucun lien de causalité. Les corrélations sont infinies, les causalités sont rares. Si l’on constate en même temps une augmentation de la température et une diminution de la TVA, il n’y a pas plus de causalité entre ces deux faits, corrélés dans ma phrase, qu’entre le fait d’avoir « la vérole et un bureau de tabac ». Être renversé par un autobus une semaine après avoir reçu un vaccin contre l’hépatite B est une malencontreuse corrélation qu’il sera compliqué de transformer en causalité, même avec un excellent avocat.

Les causalités sont toujours difficiles à prouver, et même lorsqu’elles sont évidentes, d’aucuns s’amusent à imaginer tous les facteurs possibles de confusion. Certains esprits, tordus ou brillants, vont jusqu’à tenter d’inverser la causalité. L’exemple le plus fameux est celui du généticien Ronald Fisher qui suggéra que ce n’était pas le tabac qui provoquait le cancer du poumon, mais l’inflammation des bronches, due à un cancer débutant, qui provoquait l’envie de fumer. Son audacieuse tentative échoua lorsque l’on découvrit ses liens d’intérêt avec l’industrie du tabac…

Lorsqu’un médecin pratique une radio, cela ne signifie pas que le cas est grave, il peut rechercher une éventuelle fracture, ou au contraire, être certain qu’il n’y en a pas, et en fournir une preuve concrète au patient afin de le rassurer (aux frais de la Sécurité Sociale). Il y a donc une « non-causalité » entre gravité et radio.

Les situations de non-causalité abondent en médecine, prescription-guérison, prescription-remboursement ont le plus souvent des relations non-causales. Mais notre société médicalisée a désormais dépassé Ronald Fisher en créant un pittoresque imbroglio socio-sanitaire : la « non-causalité inversée » qu’un seul exemple suffira à expliquer. Toutes les IRM pratiquées pour des tendinites n’ont aucun intérêt puisque le diagnostic de la tendinite est essentiellement clinique. L’abus de prescription médicale provoque chez les patients un raisonnement causal inversé : « on m’a fait une IRM, donc c’est grave ». Cette négation de la science clinique par les médecins provoque un profond bouleversement de la perception de la gravité clinique par les patients. Lorsque l’IRM a été pratiquée dans un service dit « d’urgence », la méprise subjective est double, car le mot « urgence » est un second facteur d’inversion de causalité. La juxtaposition des deux mots « IRM » et « urgence » peut parfois suffire à justifier quelques jours d’arrêt de travail, transformant les inutiles dépenses médicales en un drame social, (toujours aux frais de la Sécurité Sociale) !

La dérive cognitive a pris une telle ampleur qu’il devient nécessaire d’intégrer l’enseignement la « non-causalité inversée » en faculté de médecine et de sociologie.

Références